(janvier 2023-septembre 2024)
Xavier Delgrange, Elsa Fondimare, Laurie Marguet, Delphine Tharaud, Pauline Trouillard, Alexis Zarca
Alors que l’année 2023 a connu un renforcement du contrôle de la
liberté d’expression au nom de la lutte contre le sexisme (I) ou de
l’homophobie (II), il serait exagéré d’affirmer qu’une telle évolution
marque une reconnaissance systématique par le droit de la cancel
culture (III) ou de l’intersectionnalité (IV). Les débats actuels
autour du caractère excessif d’un tel contrôle ne sauraient en tout état
de cause faire oublier que, dans le prolongement du mouvement
#Metoo, la liberté d’expression est aussi utile pour protéger
des formes de dénonciation féministes (V).
Pendant trop longtemps, la question de l’éducation des femmes et des hommes à l’égalité de genre a été pensée comme faisant partie de la sphère privée. En vertu de la « distinction public / privé »1, elle était vue comme ne devant pas être régulée par l’État. Lorsque les femmes étaient reléguées à la sphère privée et intervenaient peu dans la sphère publique, de nombreuses sources d’oppression et d’inégalités de genre étaient politiquement invisibles et donc ignorées2. Alors que les femmes interviennent aujourd’hui beaucoup plus dans la sphère publique, certaines formes de discrimination insidieuses y sont considérées comme acceptables car découlant de la culture voire même de l’inné. Dans son rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France, intitulé « S’attaquer aux sources du sexisme »3, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) remet en question cette distinction public / privé en appelant les pouvoirs publics à agir au sein de la sphère considérée comme « privée ». Le HCE reconnaît que la famille est l’un des incubateurs les plus puissants du sexisme, à travers la répartition inégale des tâches domestiques, l’éducation genrée des parents et l’exposition à des jouets genrés. Ces biais issus de la socialisation primaire sont reproduits (voire amplifiés) à l’école, lieu de la socialisation secondaire, du fait de l’absence de réelle politique féministe dans l’éducation nationale. Enfin, le troisième incubateur du sexisme est, selon le Haut Conseil, internet : la liberté d’expression illimitée que permettent les réseaux sociaux peut amplifier les discriminations et le harcèlement envers les catégories déjà discriminées que sont notamment les femmes4 et les personnes racisées5. Les recommandations émises par le Haut Conseil sont en adéquation avec ces constats, notamment en ce qui concerne le volet « éducation ». Le Conseil recommande par exemple que tous les enseignants soient formés aux différentes formes de discrimination, même les plus subtiles, entre les filles et les garçons, et que les élèves, filles mais surtout garçons, soient très tôt sensibilisés à cette question.
Si les « ravages de l’industrie pornographique » ne sont que très rapidement évoqués par ce rapport, c’est parce que le Haut Conseil a par ailleurs dédié à ce sujet crucial un rapport entier, intitulé « Pornocriminalité. Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique »6. Ce rapport, particulièrement difficile à lire du fait des violences sexistes, sexuelles et racistes qu’il décrit, se compose de trois parties. La première met en avant le continuum des violences sexistes et potentiellement racistes ou homophobes qu’entraîne la pornographie : violences sexuelles non consenties, parfois pédocriminelles ; provocations à la haine raciale du fait de la soumission, l’animalisation ou la fétichisation des personnes racisées ; et surtout impact de la pornographie sur nos représentations de la sexualité ainsi que sur les rapports hommes / femmes. Dans cette partie, le Haut Conseil reprend à son compte les développements de Catharine McKinnon et Andrea Dworkin, (dont il résume la pensée et les engagements dans la troisième partie) qui plaidaient pour une interdiction complète de la pornographie en droit états-unien. Face aux lobbys de l’industrie pornographique, qui utilisèrent l’argument de la liberté d’expression pour s’opposer à la « censure » de leur plateforme, McKinnon invoque Austin et sa théorie de l’énoncé performatif7 pour expliquer que la pornographie ne fait pas que dire, ou montrer. Elle a aussi des conséquences directes sur le réel, elle le modifie. Puisque les jeunes y sont aujourd’hui exposés à partir de 10 ans (en moyenne), la pornographie a en effet le pouvoir de forger l’expérience sexuelle des adolescents et donc de permettre l’avènement dans le réel de ce qu’elle prétendait seulement montrer de manière fictionnelle8. La deuxième partie du rapport revient sur les comportements illégaux les plus graves de l’industrie pornographique : il s’agit notamment de faits pouvant être caractérisés de « viols en réunion », « traite d’être humain », « pédocriminalité ». Malgré ces faits particulièrement graves, l’impunité de l’industrie pornographique demeure et c’est la force de ce rapport que de démontrer, dans sa troisième partie, les différentes techniques juridiques et rhétoriques permettant de « neutraliser » l’application du code pénal dans ce secteur. En plus de l’argument de la liberté d’expression déjà évoquée, le rapport décrit l’utilisation par les industriels du contrat comme une arme de « coercion ». En faisant croire aux femmes qui ont signé un « contrat » qu’elles ont renoncé à leur liberté de refuser de se plier aux actes sexuels, les producteurs se protègent contre les accusations de viol et de proxénétisme, alors même que la signature d’un contrat n’exonère pas des obligations de droit pénal. En réalité, en vertu de l’article 1128 du code civil, nombre des contrats de l’industrie pornographique devraient être considérés comme nuls puisque leur objet serait contraire à l’ordre public. Il n’est en effet pas possible de contracter sur l’acte sexuel, car par définition, on doit, sous peine de qualification de viol, pouvoir retirer son consentement à tout moment lors d’un tel acte.
Le rapport met aussi en avant la responsabilité de Pharos, le portail officiel du signalement de contenus illicites de l’internet, dans l’inapplication du droit pénal à l’industrie pornographique. En vertu de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 (LCEN)9, les hébergeurs de contenus et les éditeurs sont présumés ignorer l’existence de contenus illégaux postés sur leur plateforme. À ce titre, leur responsabilité ne peut être engagée. Cette irresponsabilité tombe si l’hébergeur a été informé du caractère manifestement illicite du contenu en cause et s’il n’a pas agi pour retirer un tel contenu. Le rapport du HCE pointe l’inaction de Pharos, pourtant « signaleur de confiance », dans le signalement des contenus manifestement illicites (c’est à-dire de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence en raison du sexe ou de la race) et l’impossibilité subséquente d’agir en justice pour engager la responsabilité de l’éditeur. En ce qui concerne les contenus pédopornographiques, Pharos possède même le pouvoir d’ordonner leur blocage ou leur retrait en vertu de l’article 6-1 de la LCEN. Pourtant, Pharos adopte une interprétation extrêmement restrictive de la pédopornographie, se restreignant aux enfants prépubères. Sur l’année 2021, Pharos n’a ordonné le blocage d’aucun contenu pédopornographique.
Étant donné les subterfuges juridiques utilisés par les plateformes et les producteurs de pornographie pour neutraliser l’application du code pénal, il n’est pas étonnant que ceux-ci utilisent aussi l’argument lochnerien10 du « laissez faire » et de la libre circulation pour s’opposer à toute régulation permettant de rendre plus sûre l’utilisation de leurs services. C’est notamment le cas dans l’affaire dont a eu à connaître le Conseil d’État début 202411. Par une loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, le législateur a entendu renforcer la protection des mineurs face aux images et vidéos pornographiques. Il s’agissait notamment de renforcer l’effectivité de l’article 227-24 du code pénal qui condamne la diffusion d’un message pornographique lorsque le message est susceptible d’être perçu par un mineur. Jusqu’à présent, les éditeurs de pornographie en ligne se protégeaient de cette infraction grâce à une simple déclaration de majorité pour les utilisateurs des sites en question. L’article 22 de la loi de 2020 prévoit que cette infraction est caractérisée même lorsque le mineur a déclaré avoir plus de 18 ans, et l’article 23 permet au président de l’ARCOM d’adresser aux éditeurs de services des mises en demeure lorsque ceux-ci violent l’article 227-24 du code pénal, leur enjoignant de prendre toutes les mesures de nature à empêcher l’accès des mineurs aux contenus incriminés. Ces nouvelles dispositions doivent pousser les éditeurs de service à mettre en place un système permettant de contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs. Elles sont évidemment susceptibles de remettre en cause le modèle économique des éditeurs de pornographie, et ce pour deux raisons. D’abord, ces mécanismes de contrôle coûtent cher, or le modèle économique de ces entreprises repose en partie sur l’externalisation des effets négatifs, c’est-à-dire le fait de faire des profits sans avoir à investir eux-mêmes dans des mécanismes de modération. Ensuite, on a vu que le modèle économique de ces entreprises repose en partie sur l’ineffectivité des prescriptions du code pénal, dont celles qui interdisent l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Les sociétés requérantes, qui contestaient le décret d’application de cette loi, arguaient de l’incompatibilité de la mesure avec la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique. L’article 3 de cette directive interdit aux États membres de prendre des mesures relevant du domaine coordonné et restreignant la libre circulation des services de la société de l’information provenant d’un autre État membre. Cette interdiction ne s’applique pas si les mesures sont nécessaires pour l’ordre public (en particulier la prévention des poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs) et si cet État membre a préalablement demandé à l’autre État membre dont l’éditeur est originaire de prendre les mesures nécessaires à la cessation de ces entraves. Dans cette affaire, le Conseil d’État considère que les associations féministes « Osez le féminisme » et le « Mouvement du Nid » justifient, par leur objet statutaire, d’un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué. Le Conseil d’État, comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, fait donc un lien direct entre lutte contre l’accès par les mineurs à la pornographie et féminisme ; leurs tierces interventions sont donc recevables. A première vue, le Conseil d’État ne suit toutefois pas leurs observations. Les associations soutenaient que « la mesure qui consiste à interdire l’accès aux contenus à caractère pornographique aux mineurs n’entre pas dans le champ du domaine coordonné » et ne restreint donc pas la liberté de circulation car elle ne concerne ni l’accès des opérateurs à l’activité de ce service, ni l’exercice de l’activité du service. Le Conseil d’État décide de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice, dont la formulation est particulièrement intéressante. Après avoir demandé si des dispositions du droit pénal relative aux mineurs doivent être considérées comme relevant du domaine coordonné, le Conseil met en exergue la potentielle contradiction entre une conception étendue de la liberté de circulation des éditeurs de service avec la protection de la dignité humaine et de l’intérêt supérieur de l’enfant, garantis par la charte des droits fondamentaux et par le texte de la CEDH. Il semble indiquer à la Cour que de potentielles mesures individuelles prises par l’État membre dont relève l’éditeur de service ne seraient pas suffisantes à protéger effectivement de tels droits. Le Conseil d’État n’est pas lochnérien.
Dans une importante décision en date du 17 mai 2024 rendue à propos de la Loi Visant à sécuriser l’espace numérique, le Conseil constitutionnel a également rejeté le grief d’inconstitutionnalité concernant les dispositions d’une loi de 2024 qui renforce encore les obligations pesant sur les éditeurs de services pornographiques pour la limitation des services aux mineurs12. Le Conseil a toutefois censuré de nombreuses dispositions de la loi en considérant qu’elles étaient trop attentatoires à la liberté d’expression. Il s’agit notamment de l’article 19 de la loi qui créait un « délit d’offense » et punissait d’un an d’emprisonnement le fait de diffuser en ligne tout contenu qui soit, portait atteinte à la dignité d’une personne ou présentait à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant soit, créait à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Pour déclarer cet article contraire à l’article 11 de la DDHC, le Conseil retient qu’il existe déjà des sanctions pénales pour réprimer de telles offenses, s’appliquant aussi aux propos émis sur ce medium de communication. Dans un second temps, le Conseil retient, justement à notre sens, que les dispositions de l’article 19 ainsi rédigées font dépendre la caractérisation du délit d’éléments subjectifs « tenant à la perception de la victime »13. Il est tout à fait souhaitable de réprimer les discours de haine sur internet qui peuvent, comme de nombreux auteurs l’ont montré, faire plus que dire, en modifiant aussi le réel, notamment en sapant le principe d’égalité à la base de nos discussions dans les sociétés démocratiques14. Dans son livre Le pouvoir des mots15, Judith Butler alerte toutefois sur le risque de laisser au juge le pouvoir de définir ce qui relève du dicible ou de l’indicible, notamment pour les personnes appartenant à des catégories déjà discriminées. L’instrumentalisation des lois censées protéger les minorités, dont les femmes, peut en effet mener à leur silenciation, dans la mesure ou les personnes non discriminées invoqueraient un ressenti « hostile ou offensant » pour faire taire les contestations. À cet égard, le discours du juge qui reconnaîtrait à telle ou telle personne non dominée le caractère d’offensée par le discours d’une personne dominée aurait un effet performatif encore plus dangereux.
La théorie de Butler trouve d’ailleurs une application intéressante dans la décision du 7 septembre 2023 portant modification du règlement intérieur national de la profession d'avocat, qui interdit aux avocat(e)s de porter un signe distinctif avec la robe pendant l’audience. La formulation, qui se veut certes neutre au regard du genre ou de la religion, touche en premier lieu les femmes musulmanes voilées. L’extension de la logique de la « neutralité » à la profession d’avocat(e) est acceptée ici notamment parce que le voile islamique est considéré par certains comme une pratique sexiste. Le féminisme, cause importante s’il en est, peut donc mener, du fait de sa « définition officielle » par un public qu’on imaginera majoritairement homme et blanc, à la silenciation des femmes musulmanes voilées, sommées de choisir entre ne pas plaider ou renoncer à leurs pratiques de la vie de tous les jours. Le discours « sur le voile » a donc lui-même un effet performatif paradoxal : en déclarant que le voile est un acte sexiste et qu’il n’a pas sa place dans la sphère publique, ce discours exclut certaines femmes de la sphère publique et les catégorise d’emblée comme elles-mêmes sexistes, sans leur laisser la possibilité de définir le sens qu’elle donne au port du voile. L’interdiction du port du voile dans les tribunaux est aussi intéressante au regard de la distinction public / privé, Cette distinction permet de justifier la « logique de neutralité » dans la sphère publique et la relégation de la pratique de la religion à la sphère privée. Alors que le Haut Conseil à l’Égalité semble reconnaître les faiblesses de cette distinction pour lutter contre le sexisme en société, la décision du Conseil National des Barreaux s’y accroche en étendant le sens de ce qu’on entend par « public ». Deux risques peuvent alors être mis en exergue, qui ne concernent pas seulement les femmes musulmanes voilées mais toutes les femmes. Premièrement, les normes sociales qui s’appliquent dans la sphère « publique », dites socialement neutres vis-à-vis de la religion et du genre, sont souvent héritées d’un temps où les femmes n’étaient pas autorisées à s’exprimer dans une telle sphère. Loin d’être neutres, elles sont susceptibles de représenter les valeurs des personnes ayant jusqu’à présent occupé cette sphère, les hommes16 (souvent blancs). Le deuxième risque découle de ce premier. Contrairement à ce qu’avancent les partisans de cette distinction public / privé, ces catégories (public / privé) n’existent pas par nature ; elles sont construites et donc évolutives. La sphère « publique » est donc susceptible d’être instrumentalisée pour imposer, dans toutes les sphères de la société, des pratiques et des normes sociales considérées comme « neutres », mais qui sont en réalité très genrées et/ou dépendantes de la culture et de la religion. P. T.
La liberté d’expression a ceci d’ambivalent qu’elle peut à la fois servir de droit protecteur contre l’homophobie lorsque celle-ci prend la forme de la censure, et constituer un véhicule des propos homophobes. Dans la première configuration, la lutte contre l’homophobie nécessite de protéger la liberté d’expression, alors que dans la seconde, la lutte contre l’homophobie appelle à la limiter.
La première configuration ne semble a priori pas poser de problème juridique particulier dans un système libéral, en ce qu’elle allie liberté d’expression et lutte contre l’homophobie. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît ainsi volontiers une protection particulière de la liberté d’expression contre des formes de censure fondées sur des motifs homophobes. Dans l’affaire Macaté c. Lituanie17, les juges de Strasbourg considèrent à l’unanimité que les mesures prises par une université, sous pression du gouvernement lituanien, pour restreindre la diffusion d’un ouvrage pour enfants contenant deux contes mettant en scène des couples homosexuels, constitue une violation de l’article 10 de la Convention. La montée en puissance, dans le contexte européen, de certaines manifestations illibérales et anti-LGBTQI, en particulier en Hongrie, mais aussi dans d’autres pays comme la Lituanie, est pointée par la Cour (§ 111 et s.), ce qui peut expliquer sa volonté de renforcer, dans cette affaire, sa position en faveur de la protection des discours pro-LGBTQI. Deux points du raisonnement de la Cour montrent combien l’analyse des restrictions à la liberté d’expression est stricte dans un contexte de lutte contre l’homophobie. Premièrement, la Cour conçoit de manière large les dispositifs constitutifs d’une censure : ici, l’ingérence de l’État est constituée, non par une mesure de suspension de l’ouvrage, mais par le simple étiquetage d’un d’avertissement indiquant qu’il renfermait des contenus potentiellement nuisibles pour les enfants de moins de quatorze ans. Ainsi, « même lorsque leur portée et leurs effets sont limités, pareilles restrictions sont incompatibles avec les notions d’égalité, de pluralisme et de tolérance qui sont indissociables d’une société démocratique » (§ 215). Deuxièmement, afin d’apprécier la légitimité de la restriction, la Cour va au-delà de la simple justification apportée par le gouvernement, à travers une interprétation téléologique des restrictions : alors que le gouvernement se fonde sur la loi de protection des mineurs et affirme que la restriction n’a d’autre but que celui de déterminer l’âge à partir duquel ces contenus peuvent être diffusés, les juges strasbourgeois estiment que l’intention sous-jacente du gouvernement dans cette affaire, mais aussi celle du législateur lituanien auteur de la loi de protection des mineurs, est bien d’empêcher la diffusion de contenus représentant l’homosexualité. L’occasion est donnée à la Cour d’affirmer que « l’égalité et le respect mutuel entre tous indépendamment de l’orientation sexuelle sont inhérents à toute la structure de la Convention. Il s’ensuit qu’il n’est jamais admissible au regard de la Convention d’insulter, de dégrader ou de dévaloriser des personnes au motif de leur orientation sexuelle, ni de promouvoir un type de famille aux dépens d’un autre » (§ 214). Tel n’est précisément pas le cas de l’ouvrage en cause qui, à l’inverse, présente « des relations solides entre personnes de même sexe comme essentiellement équivalentes aux mêmes relations entre personnes de sexe différent » et invite dès lors au respect, à la tolérance et à l’égalité. Cela étant dit, la Cour ne va pas jusqu’à examiner l’affaire sous l’angle du principe de non-discrimination (article 14 de la Convention) combiné à la liberté d’expression. Alors que la requérante s’estimait discriminée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, en tant qu’autrice homosexuelle, la Cour juge que les mesures ne visaient pas l’autrice elle-même mais le contenu de son ouvrage relatif aux personnes LGBTQI. Or, cette question a fait l’objet d’une appréciation suffisante par la Cour sous l’angle de l’article 10. Elle écarte donc la question de savoir si la combinaison des deux articles était applicable aux discriminations visant le contenu d’un message plutôt qu’une caractéristique personnelle de son auteur, au regret de l’opinion dissidente qui y voyait l’occasion d’étendre la protection du principe de non-discrimination aux opinions pro-LGBTQI en tant que telles.
Il apparaît beaucoup plus délicat pour un système juridique libéral de manier le rapport liberté d’expression / lutte contre l’homophobie lorsque l’une est mobilisée à l’encontre de l’autre : le rapport est alors antagoniste et appelle à une opération de conciliation qui tend à éviter toute atteinte excessive à la liberté d’expression au nom de la répression des propos homophobes. Cet impératif d’équilibre, visible dans l’exigence avec laquelle les juges de la liberté d’expression opèrent leur contrôle, n’empêche toutefois pas une tendance à la sévérité envers les propos homophobes, en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire C8 c. France18, les juges de Strasbourg concluent à l’unanimité à la non-violation de l’article 10 de la Convention, à propos des sanctions prononcées par le CSA – avant qu’il ne devienne l’ARCOM – (la suspension des programmes publicitaires pendant deux semaines et une sanction pécuniaire de 3 millions d’euros). Étaient en cause deux séquences de l’émission « Touche pas à mon poste (TPMP) » : un jeu sexuel entre l’animateur et une de ses chroniqueuses, sans le consentement de cette dernière, et un canular mimant une petite annonce sur un site de rencontre, visant à donner une image caricaturale des personnes homosexuelles, non seulement à travers la posture du présentateur, mais aussi en raison du fait que celui-ci encourageait les personnes ayant répondu à la fausse annonce à tenir des propos crus afin de les tourner en dérision auprès du public. L’affaire doit être lue dans le contexte national particulier dans lequel l’ARCOM a depuis lors refusé à C8, le 24 juillet 2024, le renouvellement de sa fréquence TNT après de multiples mises en demeure et sanctions de la chaîne, décision contre laquelle la chaîne a formé, sans succès, un référé-suspension devant le Conseil d’État19. La liberté d’expression est, dans ce contexte, brandie comme étendard contre le pouvoir de censure de l’ARCOM, y compris lors de cette affaire devant la Cour de Strasbourg. Toutefois, si les sanctions prononcées par le CSA constituent bien, selon la Cour, des ingérences dans l’exercice de la liberté d’expression, le contrôle qu’elle opère conduit à admettre le caractère légitime et la proportionnalité d’une telle restriction. En plus d’abonder dans le sens du CSA et du Conseil d’État, qui, pour la seconde séquence, avaient considéré que « le canular téléphonique véhicule une image stéréotypée négative et stigmatisante des personnes homosexuelles », stéréotypes qui « constituent souvent la base de la discrimination et de l’intolérance, et sont utilisés par ceux qui prétendent justifier celles-ci » (§ 88), la Cour estime que les autorités françaises ont eu raison de faire prévaloir le droit au respect de la vie privée des victimes du canular – dont l’intimité sexuelle a été exposée à la télévision sans leur consentement – sur la liberté d’expression. Quant aux sanctions pécuniaires prononcées, leur lourdeur n’apparaît pas comme une forme de censure disproportionnée – au regard notamment du chiffre d’affaires de la société et de l’absence de déprogrammation de l’émission TPMP – d’autant plus qu’elles restent assez peu sévères au regard du panel de sanctions existant. Loin d’être un droit indérogeable, la liberté d’expression est ainsi remise à la place qu’elle occupe dans un État libéral : « Le droit à l’humour ne permet pas tout, et quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume […] ‘des devoirs et des responsabilités’ » (§ 85).
Dans une autre affaire, portée contre la Grèce, la Cour européenne va plus loin en refusant d’exercer son contrôle et en déclarant la requête irrecevable20. Elle s’estime ainsi incompétente ratione materiae pour examiner sous l’angle de l’article 10 de la Convention la sanction prononcée par les juridictions grecques à l’encontre d’un haut dignitaire de l’Église orthodoxe, condamné pour incitation à la haine et à la violence contre des personnes au motif de leur orientation sexuelle, pour avoir publié sur son blog un article dans lequel il décrivait l’homosexualité comme « un crime social » et « un péché », qualifiait les individus homosexuels de « lie de la société », de « tarés » et de « malades mentaux », et invitait les gens à cracher sur eux. Après avoir affirmé que les minorités de genre et les minorités sexuelles nécessitent une protection spéciale contre les discours de haine et les discours discriminatoires en raison de la marginalisation et de la victimisation qu’elles subissent encore (§ 51), que la protection de la dignité et de la valeur en tant qu’êtres humains des personnes indépendamment de leur orientation sexuelle revêt une grande importance dans la société européenne moderne, (§ 55), la Cour juge que de tels propos ne sauraient même pas être invoqués au titre de la liberté d’expression. En effet, en vertu de l’article 17 relatif à l’abus de droit, les discours incompatibles avec les valeurs de la Convention ne sont pas protégés par l’article 10 (§ 39). On touche ici un point essentiel qui dépasse l’idée même de conciliation entre libre expression et non-discrimination : la liberté d’expression ne peut tout simplement pas être invoquée pour protéger les discours de haine homophobe les plus graves.
Si la Cour européenne affirme donc avec force la prédominance de la lutte contre les discours homophobes sur la liberté d’expression, le législateur français s’est récemment montré plus timoré pour renforcer la répression de certains types de discours homophobes. La proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982, adoptée en première lecture par le Sénat en novembre 2023 et par l’Assemblée nationale en mars 2024, a ainsi été amputée de son deuxième article qui prévoyait, en ajoutant un article 24 ter à la loi du 29 juillet 1881, de sanctionner la contestation, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière « de l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale »21. Alors que les parlementaires se sont opposés au sujet du mécanisme de réparation financière des personnes condamnées pour « délit d’homosexualité » – rejeté par le Sénat, rétabli par l’Assemblée nationale –, ainsi qu’à propos de la période couverte par la loi – intégrant ou non, en plus de la période 1945-1982, la période vichyste 1942-1945 –, les deux assemblées ont d’un commun accord rejeté la création de cette nouvelle infraction. Deux arguments principaux ont été avancés. Aux termes du premier, de tels propos « négationnistes » seraient déjà couverts par l’article 24 bis de la loi de 1881 qui réprime la contestation des crimes contre l’humanité commis par les nazis et leurs alliés tels que définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire de Nuremberg, y compris, donc, selon les parlementaires, la déportation des personnes homosexuelles. Ajouter une nouvelle infraction serait contre-productif, car elle conduirait à admettre que la déportation ne figure pas parmi les crimes contre l’humanité, ce qui pourrait aboutir à perturber des contentieux en cours mobilisant l’infraction déjà existante. Le second argument porte davantage sur la liberté d’expression et l’interprétation stricte des limites qui lui sont apportées. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré comme contraire à la liberté d’expression, en 2012 à propos du crime de génocide, la création par le législateur d’une infraction réprimant la contestation de « l’existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels »22. Ce contexte déjà ancien de refus, au nom de la liberté d’expression et de l’incompétence du législateur23, de pénaliser la contestation de crimes seulement reconnus par les lois mémorielles peut donc expliquer la suppression par les parlementaires de ce nouvel outil de répression d’un type particulier de discours homophobes. En tout état de cause, étant donné la position défavorable du Conseil constitutionnel à l’égard de la contestation de crimes que le législateur a lui-même reconnu et qualifié comme tels, mieux vaut effectivement, pour les victimes, considérer que la contestation de la déportation des personnes homosexuelles est intégrée dans le cadre de la loi Gayssot (article 24 bis de la loi de 1881) : dans ce cas, puisque c’est la justice internationale et non le législateur qui a décidé de pénaliser ce crime, la contestation de la déportation pourra, sans attenter ni à la liberté d’expression ni à la compétence du législateur, être réprimée. Même si elle peut être décevante sur le plan symbolique de la lutte contre l’homophobie dans toutes ses formes, la suppression de ce délit dans la proposition de loi n’est ainsi pas défavorable aux éventuelles victimes, à condition que la loi Gayssot puisse effectivement servir de fondement juridique à la contestation de la déportation des personnes homosexuelles pendant la Seconde guerre mondiale. E. F.
Le droit de la non-discrimination est un droit de combat qui exprime par son existence même un objectif : éradiquer les différences de traitement abusives fondées sur un motif spécifié par la loi. Les actions de lutte contre les discriminations s’appuient sur le présent avec le constat des discriminations existantes, mais également sur le passé. En effet, l’avancée des connaissances sur les rouages sociaux et politiques des discriminations permettent de lire autrement ce qui a déjà été fait et construit. Les expressions cancel culture ou wokisme sont alors fréquemment employées mal à propos afin de dénigrer ce qui ne reste en réalité qu’une simple ouverture à la conscientisation des discriminations. Cette dynamique entre présent et passé est particulièrement illustrée par l’utilisation de la langue. Il s’agit, par le vocabulaire employé, de dire l’égalité ou du moins de ne plus dire la discrimination en incluant toutes et tous ou en ne stigmatisant personne.
Dès lors, la proclamation de l’égalité doit-elle avoir une incidence sur la langue française ? Faut-il faire disparaître les termes qui portent en eux la discrimination ? Doit-on tenir compte du changement de connotation d’un mot ? Quelle(s) réponse(s) peut apporter le droit à l’introduction du langage politique et militant de la lutte contre les discriminations ?
Par l’intermédiaire de différentes actions menées par des collectifs et des individus désirant, selon les cas, réécrire cette langue ou contester ses métamorphoses, nous disposons de plusieurs décisions administratives qui apportent à ces questions des réponses contrastées. La première, du Tribunal administratif de Paris en date du 14 mars 202324, traite de plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de Ville, dont une association demande d’enlever la graphie propre à l’« écriture inclusive ». La langue neutre aura ici finalement droit de cité en ce qu’elle n’est pas contraire à la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. La deuxième décision est grenobloise. Le 11 mai 202325, le Tribunal administratif a, cette fois, annulé une délibération de l’université rédigée en « écriture inclusive », au nom de la clarté et de l’intelligibilité de la norme. Enfin, à Pau, le 21 décembre 202326, le juge administratif a considéré que l’appellation d’un quartier de Biarritz « La négresse » ne portait pas atteinte à la dignité humaine.
Si les deux premières affaires sont présentées devant le juge sous l’angle de l’écriture inclusive, elles ne traitent en fait que du seul élément de graphie qu’est le point médian. Cette assise commune permet néanmoins de démontrer qu’il faut distinguer selon le type d’acte en cause - une plaque commémorative n’est pas une délibération d’une université -, mais aussi que l’argument de la clarté et de l’intelligibilité de la norme peut porter27. Encore faut-il que cela en soit une et, si tel est le cas, de sa catégorie dépendra le degré d’accessibilité demandé28. Mais c’est l’utilisation des travaux de l’Académie française qui constitue la réelle opposition entre les deux affaires : rejetés dans la première, où le rapporteur public avait d’ailleurs fait valoir l’autorité purement morale de ceux-ci29, ils serviront de fondement dans la seconde.
Reste la troisième affaire, dans laquelle c’est la connotation raciste et sexiste que comporte l’appellation « La négresse » qui est interrogée. Nous savons que la discrimination constitue une atteinte à la dignité30 ; cependant, l’analyse du passé permet au juge de valider cette dénomination. En effet, il s’agit d’un choix mémoriel effectué par la commune en raison d’une serveuse d’auberge ainsi surnommée par des soldats napoléoniens vers 1812-1813, le quartier étant pour cette raison couramment dénommé sous ce terme par ses habitants. Ainsi, le passé justifie le choix du présent car il permet de le contextualiser. La Cour d’appel de Paris met également en avant cette idée de contexte, toujours à propos du terme négresse, pour rejeter la qualification d’injure31. Elle s’appuie d’ailleurs, comme le juge administratif isérois, sur les travaux de l’Académie française pour définir le terme et souligner son évolution dépréciative.
Cependant, il ne faut pas que la question de savoir si les travaux de l’Académie française constituent une source du droit supplante la réelle information délivrée par ces différentes décisions : dire l’égalité est une affaire de contexte, passé et présent. Encore faut-il, pour pouvoir apprécier celui-ci, une certaine forme de conscientisation de la question discriminatoire…D. T.
Par une simple décision d’irrecevabilité, la Cour européenne des droits de l’homme a douché les espoirs d’élèves belges entendant poursuivre leur parcours scolaire voilées au sein d’une école officielle de la Communauté flamande et, plus généralement, les attentes des tenants de la neutralité inclusive et de la liberté d’expression religieuse des femmes. Elle a en effet estimé « manifestement mal fondée », au sens de l’article 35, § 3, a), de la Convention, la requête introduite par trois jeunes femmes de confession musulmane contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers, qui avait refusé de déclarer illégale l’interdiction faite aux élèves de porter des signes convictionnels, édictée par l’autorité autonome, pouvoir organisateur des établissements de la Communauté flamande (§§ 6-14).
Les requérantes ont envisagé un pourvoi en cassation mais y ont renoncé après qu’une avocate à la Cour de cassation eut remis un avis négatif sur leurs chances de succès. Or l’intervention de pareil avocat est nécessaire pour se pourvoir en cassation. La Cour européenne des droits de l’homme estime « qu’il n’est pas nécessaire de statuer » sur l’épuisement des voies de recours internes car les griefs invoqués sont « en tout état de cause irrecevables »32 (§ 42). Toutefois, la Cour ne prend en compte que les griefs fondés sur la violation de la liberté de religion garantie par l’article 9 de la Convention car elle estime que les autres, notamment ceux déduits du droit à l’instruction consacré par l’article 2 du Premier protocole, n’ont pas été développés devant les instances nationales (§§ 38-40).
Les requérantes étaient épaulées par deux éminents tiers intervenants, le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand et l’Equality Law Clinic de l’Université libre de Bruxelles. Soucieux d’obtenir un arrêt au fond, ces deux centres de recherche s’étaient évertués à démontrer l’originalité de l’affaire par rapport à la jurisprudence établie de la Cour en matière de signes convictionnels affichés par des élèves et, dès lors, la nécessité d’y apporter une réponse circonstanciée33. Deux arguments étaient essentiellement avancés.
D’une part, aux yeux des requérantes et des tiers intervenants, la jurisprudence développée à propos de la France et de la Turquie ne pouvait être transposée à cette affaire belge puisqu’à la différence de ces États, la Belgique « n’est pas laïque » (§§ 46 et 53). La Cour rappelle en effet que la laïcité n’est pas consacrée par la Constitution belge, qui lui préfère le principe de neutralité, et que « la séparation entre les pouvoirs publics et les religions n’est pas absolue en Belgique », ainsi que le révèle le régime de financement des cultes reconnus et le fait que les écoles officielles et neutres doivent organiser l’enseignement de l’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle dans les écoles officielles (§§ 26-27). La Cour ne répond pas à cet argument, se contentant au contraire de fonder explicitement et exclusivement sa décision d’irrecevabilité sur sa jurisprudence concernant la Turquie et la France, allant jusqu’à souligner « qu’en France, comme en Türkiye ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense, en particulier à l’école, paraît primordiale » (§ 65).
D’autre part, les centres de recherche, considérant « que l’interdiction litigieuse s’inscrit dans le contexte sociétal plus large d’une expansion des interdictions du port du voile dans plusieurs domaines et d’une hostilité croissante à l’égard des musulmans », invitaient la Cour « à adopter, pour appréhender la question de la vulnérabilité des jeunes filles musulmanes, une approche intersectionnelle, c’est-à-dire une approche qui prenne en compte non seulement leur religion, mais aussi leur genre, leur âge et leur race ». Ils s’appuyaient notamment sur « les préoccupations exprimées en la matière par différents organes des Nations unies » (§ 52). Effectivement, la Cour constate que des organes tels que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité des droits de l’enfant, le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, ont exprimé leur préoccupation face à l’interdiction des signes convictionnels, notamment à l’école (§§ 35-36). Toutefois, selon la Cour, nombre de ces positions « ont une visée très large en ce qu’elles dépassent la seule interdiction du port des signes convictionnels dans l’enseignement de la Communauté flamande. En toute hypothèse, ces positions ne pourraient être déterminantes aux fins d’appréciation par la Cour de la compatibilité de l’interdiction litigieuse avec la Convention dont elle assure le respect […], d’autant qu’elle dispose d’une jurisprudence déjà fournie sur la question présentement en jeu »34 (§ 74). S’agissant de l’intersectionnalité35, la Cour maintient son mutisme, ignorant l’invitation que lui avait lancée, sous la forme d’un véritable discours de la méthode, le juge Pinto de Albuquerque, rejoint par le juge Vehabovic, dans leur opinion dissidente dans l’affaire Garib c. Pays-Bas36.
Ces deux arguments, qui paraissent pourtant particulièrement convaincants pour inciter la Cour à remettre sa jurisprudence sur le métier, ont donc été écartés d’un revers de la main. La Cour a en outre estimé irrecevables les griefs déduits de la violation du droit à l’instruction des élèves musulmanes. Elle situe pourtant entièrement l’affaire dans le contexte scolaire et souligne que « les requérantes ont librement choisi l’enseignement communautaire », tenu à la neutralité par la Constitution (§ 72) alors que, selon le Gouvernement flamand, elles auraient pu opter pour l’enseignement à domicile, un établissement libre autorisant le port de signes convictionnels, voire « fonder une école libre et subventionnée inspirée par la religion musulmane » (§ 51).
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, au sens de l’article 35, §3, a), de la Convention, « est ‘manifestement mal fondée’ toute requête qui, à la suite d’un examen préliminaire de son contenu matériel, ne révèle aucune apparence de violation des droits garantis par la Convention »37. Les apparences sont parfois trompeuses…X. D.
En dénonçant publiquement leurs présumés agresseurs, les femmes s’exposent, on le sait, à des poursuites pour diffamation38. L’affaire Allée contre France39 en fournit une illustration. En l’espèce, la requérante avait dénoncé par un courriel envoyé à six personnes (dont l’inspecteur du travail et le directeur général de l’association qui l’employait)40 des faits d’agression sexuelle et de harcèlement de la part du vice-président de ladite association. Ce courriel caractérisait, selon les juridictions françaises, une diffamation publique. La requérante fût, de ce fait, pénalement condamnée à payer une amende de 500 euros assortie de sursis, et 4 500 euros pour les frais de procédure. La Cour européenne des droits de l’homme juge toutefois le prononcé de cette sanction contraire à l’article 10 de la Convention. Elle considère que l’ingérence (que constitue la sanction pénale) dans la liberté d’expression poursuit certes un but légitime – protéger la réputation d’autrui – mais qu’elle n’est pas proportionnée au but poursuivi. En premier lieu, elle reproche aux juges français d’avoir qualifié le courriel de « propos public » – la publicité du propos étant la condition première d’application de la loi de 1881 et, partant, de la caractérisation d’une diffamation publique. Les juges français ont en effet considéré, conformément à une jurisprudence à première vue constante, que les destinataires du courriel n’étaient pas liés par une communauté d’intérêt car le mail avait été envoyé à des personnes extérieures à l’association, et notamment à l’inspecteur du travail et aux enfants de l’agresseur présumé. En l’absence de lien entre les destinataires, les juridictions françaises ont toutes qualifié l’email de « propos public ». Or, selon la Cour, « une telle approche apparaît, dans les circonstances de l’espèce, excessivement restrictive au regard des exigences attachées au respect de l’article 10 »41. Elle est d’autant plus restrictive que la ligne jurisprudentielle « constante » suivie par les juges français sur cette question est en réalité aussi complexe qu’obscure42. Eu égard au raisonnement invariablement in concreto du juge en matière d’abus de la liberté d’expression, il apparaît en effet impossible de systématiser, avec une absolue certitude, les critères mobilisés pour caractériser la publicité d’un propos. Ainsi, au-delà du pouvoir d’interprétation dont dispose toujours le juge, il faut souligner que l’opacité de la jurisprudence permettait tout particulièrement aux juridictions françaises (et notamment à la Cour de cassation43) d’exclure le caractère public du propos, en considérant, par exemple, que les destinataires du courriel étaient unis par une communauté d’intérêt.
En second lieu, la Cour reproche aux juges français d’avoir exclu la bonne foi de la requérante. La bonne foi – qui permet d’éviter une condamnation pour diffamation – s’évalue en droit français à l’aune de plusieurs éléments ; l’un d’entre eux est l’existence d’une base factuelle suffisante44 (c’est-à-dire d’une forme de « commencement de preuve »45 des faits dénoncés). Or, selon la Cour d’appel – qui a, d’après la Cour de cassation46, justifié sa décision – « rien ne permet de prouver l’existence d’une agression sexuelle » en l’absence de « plainte […] de certificat médical [ou] d’attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance des faits, ou au moins du désarroi de la victime »47. La prise de parole de la requérante – pour dénoncer l’agression sexuelle dont elle a été victime – est ainsi sanctionnée par les juges français… en raison de son silence antérieur48. Présentée ainsi, l’interprétation faite par les juridictions de l’article 29 alinéa 1 de la loi de 1881 conduit à un paradoxe assez évident : il apparaît impossible de dénoncer publiquement un fait si l’on ne l’a pas, au préalable, déjà dénoncé confidentiellement (a minima auprès de ses proches). Or, eu égard à la « la nécessité, au regard de l’article 10, d’apporter la protection appropriée aux personnes dénonçant les faits de harcèlement moral ou sexuel dont elles s’estiment les victimes »,la Cour européenne « considère [qu’] en refusant d’adapter aux circonstances de l’espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, [les juridictions française] ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle entendait dénoncer ». L’exigence de cette preuve excessive est d’autant plus problématique, selon la Cour, qu’elle conduit au prononcé d’une sanction pénale qui « comporte par nature un effet dissuasif49 susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant, à leurs yeux, un harcèlement moral ou sexuel ».
Si la Cour européenne ne fait ici aucune référence explicite aux mouvements #Metoo, on peut aisément considérer que ce contexte, qui a conduit à une forte libération de la parole des femmes (et les a exposées à des risques accrus de poursuites pénales), n’est pas sans influence sur la décision ici rendue. L’objectif de la Cour européenne est précisément de protéger la libération de cette parole en s’assurant que le droit national ne dissuadera pas les femmes de dénoncer les comportements dont elles s’estiment victimes. Que la Cour européenne se rassure : la Cour de cassation a effectivement « adapté aux circonstances de l’espèce » la notion de base factuelle (et ce, avant même l’arrêt Allée contre France) lorsqu’elle a été confrontée aux tweets – poursuivis pour diffamation – publiés sous le hashtag #balancetonporc50.
En dénonçant des harcèlements, des agressions ou même des viols, les femmes ne s’exposent pas seulement à des poursuites pour diffamation ; c’est toute leur personne (et leur vie privée) qu’elles exposent. Deux affaires l’illustrent cette fois : d’une part, l’affaire Ramadan contre France portée devant la CEDH, et l’affaire Luc Besson traitée par la Cour de cassation.
Dans la première affaire51, le requérant, mis en examen pour viol, avait diffusé l’identité de sa victime présumée52. Dans un premier temps, le tribunal de grande instance de Paris refusa de faire droit à la demande de cette dernière de supprimer les mentions de son identité dans les publications du requérant. Prenant en compte la diffusion préalable de cette identité par les médias, et la victime elle-même, elle considère que faire droit à sa demande porterait une atteinte excessive à la liberté d’expression du requérant. Mais, dans un second temps, le tribunal judiciaire le condamna, sur le fondement de l’article 39 quinquies de la loi de 188153, à une amende de 3 000 euros (dont 2 000 euros avec sursis) et au paiement de 1 000 euros à la victime pour cette publication. Il rappela que cette disposition sanctionnait la « diffusion » de l’identité d’une victime et non pas seulement la révélation initiale de cette identité. Le raisonnement fût approuvé par la Cour d’appel de Paris (qui réduisit le montant de l’amende à 1 000 euros et les dommages et intérêts à 500 euros) et par la Cour de cassation qui rejeta le pourvoi du requérant. La CEDH juge la requête de ce dernier manifestement mal fondée et donc irrecevable. Deux éléments font l’objet d’une attention particulière de sa part. Premièrement, elle considère que, contrairement à l’argument avancé par le requérant, ce dernier était, tout d’abord, en mesure de prévoir qu’en mentionnant en septembre 2019 le nom de X dans un communiqué de presse, lors d’une interview et dans un livre, il « diffusait » l’identité de cette dernière, au sens de l’article 39 quinquies de la loi sur la liberté de la presse. Elle estime de plus qu’il ne pouvait ignorer que la condition posée par le second alinéa n’était pas remplie dès lors qu’il ne disposait d’aucune autorisation écrite de l’intéressée. Elle juge, ensuite, que la reconnaissance, par les juridictions françaises, de la qualité de « victime » (au sens de l’article 39 quinquies) de la personne dont il révélait l’identité était prévisible, dès lors que cette dernière s’était constituée partie civile dans l’information judiciaire initiée contre le requérant. Certes, elle n’avait pas été reconnue « victime de viol » par les juridictions pénales (puisque l’information judiciaire était toujours en cours). Mais le seul fait qu’elle se déclare victime suffit à l’application de l’article 39 quinquies. Même si la Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée sur la notion de « victime » au sens de cet article, cela ne suffit pas, selon la Cour européenne, à juger la sanction imprévisible54.
Deuxièmement, elle juge que l’ingérence (prévue par la loi et poursuivant un but légitime : protéger la « réputation et les droits d’autrui ») est proportionnée à l’objectif poursuivi. Elle considère, d’une part, que l’Etat français dispose ici d’une marge d’appréciation élargie car les propos du requérant ne prenait pas part à un débat sur un sujet d’intérêt général ; ce dernier voulait seulement se défendre publiquement contre les accusations qui le visaient. Elle estime, d’autre part, que la Cour d’appel et la Cour de cassation ont réalisé un contrôle de conventionnalité (et dans ce cadre de proportionnalité) approfondi. En effet, pour la Cour de cassation, la Cour d’appel « avait fait une exacte application de l’article 10 de la Convention », et ce pour deux raisons : d’une part, en soulignant que la diffusion de l’identité de la victime présumée ne participait pas à l’exercice des droits de la défense du requérant, en clarifiant la notion de « victime » ; et, d’autre part, en rappelant que la victime avait certes divulgué certains éléments de son identité (dont une photo) mais n’avait pas relevé son état civil, tout en diminuant le montant de la sanction. De ce fait, la Cour ne voit aucune raison de se départir de l’appréciation des juridictions internes, qui repose sur la « mise en balance des droits du requérant et de ceux de la victime présumée ainsi que sur des motifs pertinents et suffisants », eu égard notamment au caractère modéré de la sanction pécuniaire. Si la Cour attache, conformément à sa jurisprudence constante sur la liberté d’expression, une importance à la proportionnalité de la sanction, elle ne considère pas, contrairement à l’arrêt Allée, que l’existence d’une sanction pénale produit un effet dissuasif problématique. On en comprend aisément les raisons. L’objectif ici poursuivi est le même que dans l’arrêt Allée, mais le contexte est bien différent : la Cour n’était pas saisie par la victime (présumée) d’une atteinte à sa liberté d’expression mais par l’agresseur (présumé). Cet objectif conduit alors certains commentateurs à s’inquiéter de ce que les « personnes s’estimant victimes de harcèlement et/ou d’agression sexuels […] bénéficient [désormais] d’une tolérance encore plus accrue que tout autre personne poursuivie »55. Cependant si la Cour entend manifestement protéger, dans les deux affaires, les femmes victimes d’agressions sexuelles, il n’en demeure pas moins qu’elle justifie sa décision, dans l’affaire Ramadan, par l’absence d’inscription du propos dans un débat d’intérêt général et par le contrôle de proportionnalité particulièrement approfondi exercé par les juridictions française (qui n’avait pas eu lieu dans l’affaire Allée).
Il est vrai, cependant, que l’heure semble être à la protection de la parole des femmes. Ainsi, la Cour de cassation semble, elle aussi (à l’instar de la Cour EDH), développer une jurisprudence particulièrement protectrice de la réputation des victimes présumées d’agressions sexuelles. Elle a ainsi cassé, le 5 juin 2024, l’arrêt de la cour d’appel qui avait jugé que la publication, dans un journal, d’une photo de la victime à côté de son agresseur présumé ne portait pas atteinte à l’intimité de la vie privée et au droit à l’image de celle-ci56. La Cour de Cassation estime que la cour d’appel n’a pas suffisamment motivé son jugement, en se contentant de noter que l’article « s'inscrit dans un débat d'intérêt général majeur » ; qu’il « vise à informer le public d'une nouvelle plainte relative à un viol commis dans le milieu du cinéma, impliquant un producteur mondialement connu » et qu’il « adopte un ton particulièrement neutre, ayant soin d'employer le conditionnel ». Pour la Cour de cassation, « en statuant ainsi, alors que l'identité d'une plaignante, souhaitant rester anonyme, ne peut être révélée que si cette information contribue à nourrir le débat d'intérêt général, la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux conclusions de Mme [I], qui soutenait qu'elle n'avait pas souhaité médiatiser l'affaire à la différence des victimes s'inscrivant dans les mouvements #balancetonporc et #metoo mais saisir la justice d'une plainte en conservant l'anonymat, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ». Comme dans l’affaire Ramadan, la Cour de cassation exclut donc que la diffusion de l’identité de la victime contribue à nourrir un débat d’intérêt général. Si deux décisions ne permettent pas d’affirmer qu’il s’agit désormais d’une exclusion de principe, force est d’observer que cette analyse tend à soutenir les mouvements de libération de la parole en protégeant l’identité des femmes qui décident de porter à la connaissance du public les comportements sexuels dont elles s’estiment victimes.
Dénoncer les violences sexuelles faites aux femmes ne passe pas uniquement par des révélations individuelles mais aussi par des actions militantes. Dans le même mouvement protecteur que celui décrit précédemment, la liberté de les mettre en œuvre apparaît elle aussi protégée par le juge.
Ainsi, le tribunal administratif de Nice a condamné l’État à verser à la librairie Xavière et Marguerite la somme de 1 000 euros (au titre de l’indemnisation de son préjudice moral) pour avoir illégalement occulté la vitrine de cette librairie militante57. Située en face du nouvel hôtel de police de Nice, celle-ci, avait, à l’occasion de la visite du ministère de l’Intérieur, mis en place une action visant, par le biais de différents collages sur sa vitrine et l’exposition du livre Impunité de Mme Hélène Devynck, à dénoncer « l’impunité dont jouissent les auteurs de violences sexuelles ». Cette vitrine avait été dissimulée par un drap noir par les forces de l’ordre, lesquelles craignaient qu’elle crée des troubles à l’ordre public et ne constitue des propos diffamatoires. Le tribunal administratif juge toutefois que « la réalité de la menace n’est pas établie en l’état du dossier » et que « si les affiches en cause présentaient un caractère diffamatoire de nature à constituer une infraction pénale, il appartenait à toute personne s’estimant diffamée de déposer plainte ». Dès lors, la mesure de police administrative est considérée comme illégale et de nature à engager la responsabilité de l’État, car portant atteinte à la liberté d’expression.
Dans un autre registre, celui de la liberté artistique, le Conseil d’État, dans une décision du 14 avril 2023, a considéré que le tableau « Fuck abstraction » exposé au Palais de Tokyo à Paris, qui représenterait « un enfant violé forcé d'effectuer une fellation à un homme adulte », n’avait pas à être retiré de l’exposition58. Il rejette ainsi le référé-liberté formé par l’association « Juristes pour l’enfance » qui considérait que ce tableau était une représentation pédopornographique, contraire aux dispositions du Code pénal et portant atteinte à la dignité humaine et à l’intérêt de l’enfant. À l’appui de sa décision, le Conseil d’État prend en compte deux éléments. D’une part, il note l’intention de l’artiste. Pour cette dernière en effet, la victime est « un adulte dont la taille ne serait que la métaphore de l’oppression et du crime dont elle est victime » et son oeuvre doit être vue « comme un site de résistance individuelle et dissidente, dénonçant l’humiliation et la violence » ; son objectif n’est pas de choquer mais de « dénoncer ». D’autre part, le Conseil souligne que l’organisateur de l’exposition a pris les précautions nécessaires pour protéger la sensibilité des publics vulnérables et notamment des enfants : un panneau précisait que le contenu de la salle était choquant et déconseillé aux mineurs ; une équipe de médiation était présente sur place pour échanger et deux agents de surveillance avaient pour mission de dissuader les personnes mineures non accompagnées par un adulte d’accéder à cette salle. Si le Conseil d’État regrette que le « cahier pédagogique à destination des enseignants […] ne comporte aucune forme d'avertissement quant à l'impact possible de certaines œuvres sur des mineurs, notamment parmi les plus jeunes », il souligne surtout « qu'aucun mineur visitant seul l'exposition n'a été signalé et qu'aucun incident né de la présence d'un mineur devant le tableau en cause n'a été recensé ». Une fois de plus, il procède donc à une analyse in concreto de la situation, mettant en balance, d’une part, la liberté de l’artiste de dénoncer les violences sexuelles et, d’autre part, la protection des enfants qui, en l’espèce, n’apparaît pas être en danger. Il estime alors que « dans ces conditions, l'accrochage de ce tableau dans un lieu dédié à la création contemporaine et connu comme tel, et accompagné d'une mise en contexte détaillée, ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant ou à la dignité de la personne humaine ». L. M.
Xavier Delgrange, Premier auditeur chef de section au Conseil d’État de Belgique, Chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles
Elsa Fondimare, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre CREDOF, UMR 7074 CTAD
Laurie Marguet, Maîtresse de conférences en Droit public, Université Paris-Est Créteil (MIL)
Delphine Tharaud, Professeure, Droit privé et sciences criminelles, Université de Limoges, OMIJ
Pauline Trouillard, post-doctorante CNRS, UMR 7074 CTAD
Alexis Zarca, Professeur, Droit public, Université d’Orléans, CRJ Pothier
Références
Morton J. Horwitz, « The History of the Public/Private Distinction », University of Pennsylvania Law Review, 1982, vol. 130, p.1423.↩︎
Nicola Lacey, « Theory into Practice ? Pornography and the Public/Private Dichotomy », Journal of Law and Society, 1993, vol. 20, p. 93.↩︎
Rapport nº 2024-01-22 STER 61, publié le 22 janvier 2024.↩︎
Mary Anne Franks, « Sexual Harassment 2.0 », Maryland Law Review, 2012, vol. 71, p. 659.↩︎
Mary Anne Franks, « Beyond Free Speech for the White Man : Feminism and the First Amendment », in Cynthia Bowman, Robin West (dir.), Research Handbook on Feminist Jurisprudence, 2018, p. 366.↩︎
Rapport nº 2023-09-27 VIO-59 publié le 27 septembre 2023.↩︎
John Langshaw Austin, Quand dire c’est faire [1955], Seuil, 1991, Coll. Points Essais (trad. Gilles Lane).↩︎
Catharine A. MacKinnon, Only Words, Harvard University Press, 1993.↩︎
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.↩︎
Dans l’arrêt Lochner v. New York (198 US 54(1905)), la Cour Suprême états-unienne accepte de déclarer inconstitutionnelle une loi qui limitait la journée de travail des boulangers à 10 h et la semaine à 60 h, en considérant que celle-ci s’opposait à la liberté contractuelle garantie, selon elle, par le 14ème amendement de la Constitution fédérale et la clause du « due process ». L’arrêt Lochner inaugure l’ère du même nom dans la jurisprudence de la Cour Suprême, pendant laquelle celle-ci s’opposait à toute législation réglementant le travail au nom de la liberté contractuelle. Cette période prend fin à la fin des années 1930, dans l’arrêt West Coast v. Parrish (300 US 379 (1937)), qui inaugure la période « réaliste » de la Cour. Il existe toutefois des réminiscences de Lochner, notamment à partir des années 1970 et la prééminence du courant « Law and Economics » dans le raisonnement juridique de la Cour. La Cour fait notamment droit aux entreprises qui utilisent le Premier Amendement pour s’opposer à certaines législations réglementant leurs activités économiques.↩︎
CE, 6 mars 2024, n° 461193. ↩︎
Conseil constitutionnel, 17 mai 2024, n° n° 2024-866 DC.↩︎
Ibid., considérant 78.↩︎
Richard Delgado, « Words That Wound : A Tort Action for Racial Insults, Epithets, and Name-Calling », Harvard Civil Rights-Civil Liberties Law Review, 1982, vol. 17, p. 133; Mari J. Matsuda, « Public Response to Racist Speech : Considering the Victim’s Story Legal Storytelling », Michigan Law Review, 1988, vol. 87, p. 2320. En français, voir Thomas Hochmann, Le Négationnisme face aux limites de la liberté d’expression. Étude de droit comparé, Pedone, 2012 ; Pauline Trouillard, « La Liberté d’expression à l’ère digitale : des conceptions Européennes et Américaines réconciliables, en pratique ? », JusPoliticum, 2024, n° 31 [en ligne].↩︎
Judith Butler, Le pouvoir des mots : discours de haine et politique du performatif, Ed. Amsterdam, 2017.↩︎
Par exemple, l’accouchement imminent d’une avocate n’est pas un argument obligeant le juge à accepter le renvoi d’une audience, ce qui pousse nombre d’avocates à travailler jusqu’à la veille de leur accouchement au mépris de leur santé et de celle du foetus.↩︎
Cour EDH, 23 janvier 2023, Macaté c. Lituanie, req. n° 61435/19.↩︎
Cour EDH, 9 février 2023, C8 (Canal 8) c. France, nos 58951/18 et 1308/19.↩︎
CE, 25 septembre 2024, n° 497988.↩︎
Cour EDH, 31 août 2023, Lenis c. Grèce, no 47833/20.↩︎
Proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982, n° 864, déposée le 6 août 2022 par Hussein Bourgi et plusieurs sénatrices et sénateurs.↩︎
Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, cons. 6. Voir l’évolution limitée du raisonnement du Conseil constitutionnel : décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016.↩︎
Sur le détail du raisonnement du Conseil constitutionnel : Thomas Hochmann, « La question mémorielle de constitutionnalité (à propos de la décision du 28 février 2012 du Conseil constitutionnel) », Droit & Philosophie, Annuaire de l’Institut Michel Villey, 2013, pp. 133-146.↩︎
TA Paris, 14 mars 2023, n° 2206681.↩︎
TA Grenoble, 11 mai 2023, n° 2005367.↩︎
TA Pau, 21 décembre 2023, n° 2002396.↩︎
Il pourrait être rétorqué que le masculin n’est pas toujours neutre et a permis, par sa propre ambiguïté, une invisibilisation des femmes à certaines fonctions ; v. Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, éditions iXe, 2014, 2017, nouvelle édition 2022.↩︎
TA Grenoble, 11 mai 2023, préc.↩︎
Vincent Mazeaud, « L’écriture inclusive est-elle du français ? », AJDA, 2023, p. 951.↩︎
Art. 225-1 Code pénal.↩︎
CA Paris, 5 octobre 2023, Dieudonné M. c. Rachel K., n° 22/05502.↩︎
Dans une situation similaire, la Cour de Strasbourg vient de déclarer irrecevable pour non-épuisement des voies de recours interne un recours introduit contre une décision de la même Cour d’appel d’Anvers, cette fois à propos de l’interdiction du burkini dans une piscine, au motif que les requérantes n’ont pas introduit de recours en cassation (Cour EDH, 3 septembre 2024, Assia Missaoui et Yasmina Akhandaf c. Belgique, req. n° 54795/21).↩︎
La tierce opposition commune aux deux centres peut être consultée sur le site de l’Equality Law Clinic, https://equalitylawclinic.ulb.be/images/documents/TPI_Mikyas_final_version.pdf.↩︎
En Grande chambre, la Cour a pourtant depuis rappelé « sa pratique établie de longue date, qui reflète la règle énoncée à l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne, selon laquelle elle doit, lorsqu’elle interprète la Convention, prendre en considération toute règle de droit international applicable aux relations entre les Parties contractantes » (Cour EDH, gde ch.,17 septembre 2024, Pindo Mulla c. Espagne, req. n° 15541/20).↩︎
Voy. Assal Sharifrazi « Les discriminations intersectionnelles à la croisée des chemins : regard pratique sur le système antidiscriminatoire des organes conventionnels des Nations Unies », Journal européen des droits de l’homme, 2019, n° 5, p. 335-365 ; Emmanuelle Bribosia, Robin Medard Inghilterra, Isabelle Rorive, « Discrimination intersectionnelle en droit : mode d’emploi », Rev. Trim. Dr. h., 2021, n° , p. 241-274↩︎
Cour EDH., 6 novembre 2017, Garib c. Pays-Bas, req. n° 43494/09. Voy. Emmanuelle Bribosia, Isabelle Rorive, Sarah Ganty, « Interdiction de la discrimination fondée sur la situation socio-économique en droit européen : Rendre visibles les personnes socio-économiquement défavorisées », Cahiers de droit européen, 2022, n° 1, p. 145-195. La Cour de Strasbourg rejoint ainsi celle de Luxembourg dans son refus d’indaguer la question des discriminations intersectionnelles. Voy. not. CJUE., gde ch., 15 juillet 2021, IX c. Wabe eV et MH Muller Handels GmbH c. MJ, n° C-804/18 et C-341/19, points 58-59. V. Xavier Delgrange, « Les neutralités de l’entreprise, convictionnelle, commerciale ou managériale », Rev. Trim. Dr. h., 2023, n° , p. 98-99 ; Marc et Julien Uyttendaele, « L’approche intersectionnelle désavouée par la Cour de justice de l’Union européenne », Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, 2023, n° 12, p. 505-513 ; Stéphanie Wattier, Romain Mertens, « Port de signes convictionnels dans le secteur public : vers l’autonomie des États membres », Journal de droit européen, 2024, p. 266-272.↩︎
Cour EDH, Guide pratique sur la recevabilité, 31 août 2023, § 348 [en ligne] : www.echr.coe.int/documents/d/echr/Admissibility_guide_FRA.↩︎
Art. 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 : « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à : l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».↩︎
Cour EDH, 18 janvier 2023, Allée c. France, req. n° 20725/20.↩︎
Les destinataires étaient : directeur général de l’association, l’inspecteur du travail, son époux, aux deux fils du vice-président (dont l’un était également directeur spirituel de l’association) et au vice-président (qu’elle accusait, donc, de harcèlement et d’agression sexuelle).↩︎
Cour EDH, 18 janvier 2023, Allée c. France, req. n° 20725/20, § 49.↩︎
Voir notamment, pour une analyse critique d’une jurisprudence jugée contradictoire, Emmanuel Derieux, « Communauté d’intérêt et confidentialité du message : exclusion de l’élément constitutif de publication », Légipresse, 2022, p. 436. Malgré une tentative de clarification : voir, Cass. crim., 14 juin 2022, n° 21-84.537.↩︎
Cette dernière s’est d’ailleurs parfois écartée de sa ligne jurisprudentielle ; v. notamment, Cass. Crim., 22 janvier 2019, n° 18-82.614.↩︎
Voir notamment pour une clarification des critères de la bonne foi : Cass. Crim., 20 juin 2023, n° 22-82.155↩︎
Voir en ce sens les conclusions de l’avocat général dans cette affaire, citées par Lorraine Gay, « La Cour européenne des droits de l'homme à l'ère de la libération de la parole : arrêt de principe ou arrêt en opportunité ? - CEDH, 18 janvier 2024, n° 20725/20 Allée c/ France », Légipresse, 2024, p. 226.↩︎
La Cour de cassation rappelle qu’une salariée peut certes dénoncer des faits mais uniquement dans les conditions prévues par le Code du travail qui encadre strictement cette dénonciation, celle-ci ne pouvant être adressée qu’à l’employeur ou aux organes chargés de veiller à l’application du dispositif mis en place par le Code du travail. Contrairement à ce que suggérait l’avocat général qui soulevait la question de l'articulation entre droit pénal et droit social en matière de dénonciation de faits d'agression sexuelle dans le cadre du travail, estimant que les dispositions applicables en matière de harcèlement moral, notamment l'immunité pénale en cas de dénonciation de tels faits à l'employeur ou aux organes veillant au respect du code du travail, pouvaient être étendues à la dénonciation de faits de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle, a fortiori plus graves encore, à la condition que cette dénonciation soit faite de bonne foi (voir Lorraine Gay, loc. cit.).↩︎
CA Paris, 11 novembre 2018 cité par Cour EDH, Allée c. France, 18 janvier 2023, req. n°20725/20 ↩︎
Faisant fi des conclusions de l’avocat général qui considérait « que la notion de base factuelle suffisante n’a de sens qu’à l’égard des journalistes et non des particuliers s’estimant victimes d’une infraction [et que la Cour d’appel semble avoir] retenu un niveau de preuve excessif en exigeant en quelque sorte que la prévenue rapporte la preuve, ou au moins un commencement de preuve, des faits qu’elle entendait dénoncer » (propos cités par Lorraine Gay, La Cour européenne des droits de l'homme à l'ère de la libération de la parole : arrêt de principe ou arrêt en opportunité ? », op. cit.)↩︎
Cour EDH, 23 juin 2022, Rouillan c. France, req. n°28000/19. Nous soulignons. L’effet dissuasif des sanctions pénales pour la liberté d’expression a déjà été condamné par la Cour dans un autre registre : celui de l’apologie du terrorisme.↩︎
Cass. 1ère civ., 11 mai 2022, n° 21-16.497 ; Cass. 1ère civ., 11 mai 2022, n° 21-16.156.↩︎
Cour EDH, 1er février 2024, Ramadan c. France, req. n° 23443/23.↩︎
La publication avait eu lieu dans son livre « Le devoir de vérité » ; et dans un communiqué de presse annonçant sa sortie.↩︎
Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse : « Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable est puni de 15 000 euros d’amende ».↩︎
Cour EDH, 1er février 2024, Ramadan contre France, req. n° 23443/23, §30 : « Le fait qu’une norme soit graduellement clarifiée par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre n’est pas en soi incompatible avec l’exigence de prévisibilité de la loi, dès lors que le résultat est cohérent avec la substance de l’infraction et est raisonnablement prévisible ». Or la Cour ne voit aucune raison de considérer qu’il n’en va pas de la sorte en l’espèce et de se départir de la conclusion de la Cour de cassation selon laquelle l’ingérence litigieuse était « définie de manière suffisamment claire et précise pour que son interprétation, qui entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire ».↩︎
Lorraine Gay, « La Cour européenne des droits de l'homme à l'ère de la libération de la parole : arrêt de principe ou arrêt en opportunité ? » op. cit. : « La difficulté d'apprécier la portée d'une telle décision est que cette remise en cause très contextuelle de la jurisprudence pérenne aboutit in fine à une incertitude juridique radicalement contraire à l'une des exigences principales de la Cour européenne des droits de l'homme, à savoir la prévisibilité de la loi, mais également à la remise en cause du principe d'égalité des citoyens devant la loi. Si la libération de la parole des femmes et la dénonciation des abus sont essentielles et salvatrices, doivent-elle pour autant conduire à une immunité pénale de facto et de jure ? »↩︎
Cass. 1ère civ., 5 juin 2024, n° 23-12.525.↩︎
TA Nice, 26 juin 2023, n° 2300004 et n° 2206068.↩︎
CE, 14 avril 2023, n° 472611.↩︎