« Nunca más sin nosotras » ou l’écriture d’une Constitution au prisme du genre. Etude des projets de Constitution chilienne de 2022 et 2023

Carolina Cerda-Guzman

















Résumé :

Entre 2019 et 2023, le Chili a connu un intense processus constituant. Si celui-ci n’a pas abouti à l’adoption d’une nouvelle Constitution, les mécanismes et les textes produits contribuent indéniablement à la réflexion sur le constitutionnalisme féministe. Ainsi, leur étude s’avère nécessaire afin de déterminer dans quelle mesure la composition paritaire du pouvoir constituant peut conduire à la rédaction d’un projet de « constitution féministe » ou, tout du moins favorable aux droits des femmes. L’expérience chilienne montre que le lien entre le sexe des personnes chargées de rédiger la Constitution et le contenu du texte final existe mais qu’il est conditionné. Au Chili, cela s’est traduit, tout d’abord, par l’élaboration de nouvelles règles radicales en matière de parité et de délibération, puis par l’adoption d’un prisme féministe invitant à renouveler les cadres de pensée du constitutionnalisme libéral.

Mots-clés : Chili,pouvoir constituant, écriture de Constitution, constitutionnalisme féministe, parité, perspective de genre, droits sexuels et reproductifs, écriture inclusive

Abstract:

From 2019 to 2023, Chile engaged in an intense constituent process. While this process did not culminate in the adoption of a new Constitution, it did produce unique mechanisms and texts that can be considered as important contribution to feminist constitutionalism. Their analysis is therefore necessary to determine if parity within the constituent power can lead to the drafting of a feminist or women's rights-friendly constitution. The Chilean experience shows that this link does exist, but it is conditioned. In Chile, this was achieved, firstly, through the development of new drastic rules on parity and deliberation, and secondly, through the adoption of a feminist lens enabling the renewal of liberal constitutional thinking.

Keywords : Chile, constituent power, constitution writing, feminist constitutionalism, parity, gender perspective, sexual and reproductive rights, inclusive writing

Introduction

  1. Le 8 mars 2020, une gigantesque banderole est déployée sur la place Baquedano à Santiago du Chili. Un seul mot couvre le tissu : « Históricas »1. Le 8 mars est, comme on le sait, la journée internationale dédiée aux droits des femmes. Mais, en 2020, l’importance de cette journée se trouve décuplée au Chili, car on se situe cinq mois après le début de l’estallido social2, un soulèvement social qui a enclenché, contre toute attente, un élan en faveur d’un changement de Constitution. Se réunir le 8 mars sur la place qui a constitué l’épicentre des manifestations, au moment où le Parlement discute des modalités du changement de Constitution, est essentiel. Un message doit être passé : il faut « faire Histoire » en s’assurant qu’aucune Constitution ne soit jamais écrite sans les femmes (« Nunca más sin nosotras »3)4. Et les féministes chiliennes ont réussi leur pari : le Chili est effectivement entré dans l’Histoire. Le 20 mars 20205, une loi constitutionnelle, donnant naissance à la première assemblée constituante paritaire dans le monde, est adoptée. Cependant, quatre ans plus tard, un constat s’impose : le Chili n’est parvenu à adopter ni une « constitution féministe », ni même une Constitution tout court. Le terme qui revient le plus souvent sous la plume des commentateurs pour qualifier ce processus est celui d’« échec »6. Pourtant, malgré ses défauts et ses impasses, ce processus constituant n’en demeure pas moins un objet d’étude fascinant, en particulier pour sa dimension féministe.

  2. Ne nous trompons pas : il serait inexact d’affirmer que le processus constituant chilien serait totalement novateur en ce qu’il aurait été le premier à traiter des questions des droits des femmes ou de genre ; ces questions ne sont pas des objets totalement nouveaux du constitutionnalisme contemporain. Depuis la fin du XXe siècle, la grande majorité des constitutions adoptées dans le monde incluent au moins l’égalité des sexes ou des dispositions relatives à la non-discrimination sexuelle. Pour ne citer que deux exemples, la Constitution de l’Afrique du Sud contient des dispositions interdisant le sexisme7 ; la Constitution de l’Equateur veille à opérer une féminisation des titres et des fonctions et impose la parité au sein des partis politiques8. Mais le processus constituant chilien innove en ce qu’il est le premier à embrasser une perspective de genre, c'est-à-dire à prendre acte de l’oppression des femmes et à proposer de nouveaux outils et textes visant à rompre avec les stéréotypes de genre. Toutefois, avant d’entrer dans l’analyse plus précise de cette innovation, il importe de faire une présentation générale de ce moment constituant.

  3. Les causes du déclenchement du processus sont profondes et anciennes, mais schématiquement on s’accorde à considérer que tout débute le 18 octobre 2019, lorsque l’annonce d’une nouvelle hausse du prix du ticket de métro dans la capitale embrase le pays. Une pluralité de revendications se font entendre. Dans leur très grande majorité, elles visent à dénoncer les dégâts causés par une politique économique néolibérale9 mise en place sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) et maintenue après son départ du pouvoir. Vue comme un des instruments du maintien de cette politique, la Constitution de 1980 est placée sous le feu des critiques. En effet, ce texte élaboré sous la dictature civilo-militaire a certes connu de multiples révisions depuis le retour de la démocratie, mais aucune de ces modifications n’est parvenue à effacer l’empreinte néolibérale du texte. Plusieurs dispositions accordent une protection accrue aux intérêts économiques privés au détriment des politiques sociales redistributives.

  4. Dès le mois suivant, un consensus se forme au sein des principaux partis politiques chiliens : pour sortir de l’impasse, un changement de Constitution doit être opéré. Le 15 novembre 2019, un accord politique historique est signé, appelé « Acuerdo por la Paz Social y la Nueva Constitución »10; il décrit les étapes à suivre pour mettre en œuvre un nouveau processus constituant. Cet accord politique ne disposant d’aucune valeur juridique, il est ensuite transposé et détaillé (entre décembre 2019 et décembre 2020) dans des lois constitutionnelles11. Ce cadre juridique prévoit trois grandes phases. La première consiste en un référendum constituant invitant le corps électoral à confirmer son souhait d’un changement de Constitution et à se prononcer sur la forme de l’organe chargé de rédiger ce texte. Ce référendum est organisé le 25 octobre 2020. 78,31 % des votants s’expriment en faveur d’un changement de Constitution et 79,18 % d’entre eux souhaitent que la rédaction soit confiée à une assemblée ad hoc (appelée Convención constitucional), entièrement élue pour l’occasion (l’autre option, à savoir une convention mixte composée de parlementaires déjà élus et de représentants élus pour l’occasion, n’a donc recueilli que 20,82 % des voix). La deuxième étape consiste ensuite à élire les 155 membres de cette Convención constitucional. L’élection constituante est organisée les 15 et 16 mai 2021 et marque la victoire des listes placées à gauche de l’échiquier politique. La Convención débute ses travaux le 4 juillet 2021. Elle dispose alors un délai d’un an pour rédiger le nouveau projet de Constitution. Après un travail laborieux et intense, la Convention présente au peuple chilien, le 5 juillet 2022, un projet de Constitution que l’on peut qualifier de progressiste, en ce qu’il inclut un large éventail de droits individuels et sociaux à l’attention tout particulièrement des groupes minoritaires ou opprimés. Le processus prévoit toutefois une troisième étape : un référendum dit de sortie. Celui-ci est organisé le 4 septembre 2022. Ses résultats ébranlent le pouvoir constituant : le projet est massivement rejeté par le corps électoral chilien avec 61,89 % des voix.

  5. Ce processus aurait pu s’arrêter à ce stade, mais au regard des résultats du premier référendum de 2020, il a été acté que la demande de changement de Constitution devait toujours être respectée. Ainsi, le processus est relancé, mais selon une philosophie, une procédure et un calendrier extrêmement différents12, qui se rapprochent davantage des procédures mises en place à la fin du XXe siècle13. Selon l’accord politique du 12 décembre 2022 (appelé « Acuerdo Por Chile »14) et la loi constitutionnelle qui l’a mis en œuvre15, la rédaction est désormais confiée à deux organes : une commission appelée la Comisión Experta, composée de 24 membres désignés à égalité par les deux chambres du Parlement chilien, et un Consejo constitucional, composé de 51 membres élus directement par le corps électoral16. La Comisión Experta est rapidement désignée (les 24 et 25 janvier 2023) avec pour mission de rédiger un avant-projet de Constitution. Ce dernier, que l’on peut qualifier de consensuel, est ensuite transmis au Consejo constitutionnel. Or, les élections du 7 mai 2023 donnent une large majorité à la droite et à l’extrême droite chiliennes17. Les membres de ce Consejo procèdent alors à une refonte quasi-totale de l’avant-projet, pour aboutir à un texte conservateur sur le plan des droits et libertés et néolibéral sur le plan économique. Ce texte doit également être soumis à approbation populaire. Le 17 décembre 2023, 55,79 % des voix se portent sur le « non », conduisant à rejeter également ce second projet. Ainsi, au bout de quatre ans, aucun des projets de Constitution (que cela soit celui de 2022 ou de 2023) n’a été adopté. Le processus constituant est, depuis, à l’arrêt; et le Chili demeure aujourd’hui sous l’empire de la Constitution léguée par Augusto Pinochet18.

  6. Du fait de ce résultat final, nous serions en droit de considérer qu’il n’y a pas grand intérêt à étudier ce processus. Cependant, compte tenu de son ambition et de son originalité, il mérite d’être analysé avec attention et notamment en raison de son prisme féministe. Alors que le féminisme est « le mouvement social le plus dynamique et le plus large du XXe siècle »19, il n’a influencé que très marginalement les processus constituants. Certes, on constate une participation accrue des femmes à la rédaction de ces textes, et une inclusion de certains droits les concernant, mais aucun pays n’avait jusqu’alors essayé de mettre en place de manière systématique un processus accordant une place centrale aux revendications des femmes. Il est donc indispensable de comprendre la manière dont le Chili a procédé pour y parvenir et quelles en ont été les traductions juridiques. Plusieurs questions peuvent en effet se poser : que veut dire (et qu’implique en pratique) une écriture féministe du droit constitutionnel ? La place des femmes dans les organes de rédaction suffit-elle pour aboutir à une Constitution consacrant des droits pour les femmes ? Selon Ruth Rubio-Marín, la participation des femmes aux processus constituants doit être interprétée comme une expression et un catalyseur de l’affirmation des femmes en tant que sujets constitutionnels20. L’expérience chilienne confirme-t-elle l’analyse au regard de laquelle une Constitution écrite par des femmes aboutit à une Constitution pour les femmes ?

  7. Avant de donner des éléments de réponse à ces questions, il importe au préalable d’émettre quelques mises en garde méthodologiques. En formulant ainsi les questions relatives à l’expérience constituante chilienne, le risque est de voir dans les réponses susceptibles d’y être apportées une portée générale. On pourrait alors être tenté d’imaginer pouvoir dupliquer cette expérience ailleurs, en faisant usage (une fois n’est pas coutume) d’une greffe juridique inversée allant, non pas du Nord vers le Sud, mais du Sud vers le Nord. Or les quatre années de processus constituant vécues au Chili s’inscrivent dans un contexte qui doit impréativement être pris en compte pour mieux comprendre sa forme ainsi que son échec, tout comme sa dimension féministe. Le rôle joué par les femmes dans l’élaboration de cette Constitution est loin d’être un évènement extraordinaire venu ex nihilo, sans racine ni raison d’être. Comme le signale Verónica Undurraga, le processus constituant chilien est la résultante d’un sentiment d’injustice qui croît depuis des décennies21. Ainsi, la capacité qu’a eu ce pays à mettre en place un tel processus et d’imaginer de tels mécanismes résulte d’un contexte historique, politique, économique, juridique et culturel intrinsèquement idiosyncratique.

  8. De fait, si le mot « expérience » sera parfois utilisé pour faire référence au processus constituant, il ne faudra jamais l’entendre, dans le cadre de cet article, dans le sens d’une « expérience scientifique ». Le Chili n’est pas un laboratoire ou une boîte de pétri dans lequel on a jeté des idées plus ou moins farfelues, venues d’ailleurs ou facilement exportables. Ici, le mot « expérience » doit être tendu dans le sens d’un vécu, propre à ce pays et conditionné par un contexte particulier.

  9. S’il nous est impossible, dans le cadre du présent article, de décrire ce contexte dans ses plus infimes détails, il importe tout de même d’en donner quelques éléments. L’histoire du mouvement féministe au Chili est particulièrement riche et débute, comme bien souvent, par des voies très informelles22. Progressivement, le mouvement se structure et les premières victoires apparaissent. En 1931, l’avortement est autorisé au Chili, même s’il est limité à des raisons uniquement thérapeutiques23. Le début du XXe siècle est surtout marqué par l’action menée par un groupe : le MEMCH (Movimiento Pro-Emancipación de las Mujeres de Chile), qui a été fondé en 1935 et qui s’est maintenu jusqu’en 1953. Leur mobilisation ouvre la voie à l’adoption, en 1949, d’une loi accordant le droit de vote aux femmes24. Cette conquête a été perçue à l’époque comme l’acmé du combat féministe au Chili, puisque très rapidement on constate une perte de dynamisme des mouvements féministes dans le pays25. Cette démobilisation est présente, y compris au sein des partis de gauche. L’Unité Populaire (Unidad Popular), qui avait amené Salvador Allende au pouvoir en 1970, ne peut être en effet qualifiée de mouvement féministe. Certes, les femmes y étaient extrêmement présentes, mais, comme l’explique Julieta Kirkwood, leur participation s’est faite sans interroger les connexions matérielles et idéologiques entre famille et société26. Ainsi, il n’existait pas au sein de l’Unité Populaire de discours consistant à dénoncer l’oppression vécue par les femmes aussi bien dans le contexte familial qu’au niveau des structures étatiques. Le coup d’Etat du 11 septembre 1973 est venu entièrement rebattre les rapports de force. La dictature civilo-militaire qui en a découlé s’est caractérisée par son idéologie foncièrement antiféministe, puisque la répression a été particulièrement violente et brutale à l’égard des femmes et de leurs corps27. En adoptant une nouvelle Constitution en 1980, le régime militaire n’a fait que stabiliser et ancrer dans le marbre le projet idéologique de la dictature28. Cette période a rendu extrêmement difficile la mobilisation des féministes (la plupart parties en exil). Elles ne reviennent sur le devant de la scène politique qu’au moment où le pouvoir militaire se délite et tout particulièrement lors du référendum de 1988 (concernant le maintien au pouvoir de Pinochet), lorsqu’elles exigent le retour de la « démocratie dans le pays et à la maison »29. Si les résultats de ce référendum ont conduit au départ forcé du dictateur, ce dernier n’a pas immédiatement quitté le pouvoir. Pendant ce laps de temps, la transition, délibérément voulue comme pacifique, a permis au dictateur d’adopter de nombreuses réformes visant à « verrouiller » la démocratie30. Il a pu, en particulier, adopter en 1989 une loi qui abroge l’article 119 du Code sanitaire datant de 193131, impliquant la pénalisation de tout avortement y compris thérapeutique32. Le départ définitif en 1990 d’Augusto Pinochet laisse place à des gouvernements de coalition dominés par la Démocratie chrétienne33, qui ne mettront pas en avant des programmes axés autour de la protection des droits des femmes. La poursuite de l’agenda féministe prendra du temps. Elle débute par le vote de la loi sur le divorce, le 7 mai 200434. Elle se concrétise ensuite par l’élection de Michelle Bachelet à la présidence de la République. Son premier mandat (du 11 mars 2006 au 11 mars 2010) a vu la désignation du premier cabinet ministériel paritaire. Mais c’est véritablement lors de son second mandat (du 11 mars 2014 au 11 mars 2018) que des avancées plus notables pour les droits des femmes ont été constatées35. Elle parvient à faire adopter en 2015 une réforme électorale importante qui impose des quotas de femmes sur les listes électorales36. L’année suivante, une loi contraint les organes collégiaux des partis politiques à respecter la parité37. Surtout, le mandat de Bachelet est marqué en 2017 par l’adoption d’une loi, très attendue par les féministes et qui a été le fruit de longs combats : celle procédant à la dépénalisation partielle de l’avortement38. La loi limite la dépénalisation à trois hypothèses : a) en cas de grossesse mettant la vie de la femme en danger ; b) en cas de diagnostic de malformation du fœtus rendant la vie extra-utérine impossible ; c) en cas de grossesse causée par un viol dans les délais établis par la loi. Malgré ces limitations, cette loi fut considérée comme une véritable victoire par les mouvements féministes.

  10. Ainsi, depuis quelques années, un vent favorable à une prise en compte accrue des droits des femmes traverse le pays. Il est appuyé par d’importants mouvements, qui ont marqué le combat féministe. En mars 2018, du fait de la révélation d’agressions et d’harcèlements sexuels, une quinzaine d’universités chiliennes entrent en grève39, lançant ainsi le début d’une « vague féministe » (« la ola feminista »). L’année suivante, pour le 8 mars, une grève générale féministe est organisée. A la veille de l’estallido social, les luttes féministes ont pris une telle ampleur qu’on peut même aller jusqu’à considérer que le féminisme a constitué une des principales sources de la rupture40. Une fois l’explosion réalisée, les manifestantes confirment la place centrale des revendications féministes41. Le 20 novembre 2019 à Valparaiso (donc un mois après le début des manifestations) le collectif Las Tesis chante pour la première fois « Un violador en tu camino »42 afin non seulement de dénoncer l’utilisation de la violence sexuelle comme pratique de répression policière durant l’estallido social, mais aussi les violences plus structurelles subies par les femmes chiliennes43. Cette performance – devenue virale – met en lumière la vitalité du mouvement féministe au Chili. Il faut aussi comprendre que cette intensité est une réaction aux conditions de vie extrêmement dures des femmes chiliennes. Dans ce pays, la différence du salaire moyen entre hommes et femmes est de 31,7 %44 et 54,3 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont des femmes. Cette inégalité sociale se trouve renforcée par un cadre législatif et constitutionnel considéré comme l’un des plus conservateurs d’Amérique latine45. L’article 1, alinéa 2, de la Constitution fait de la famille le noyau essentiel de la société. Le reste du texte ne dit pratiquement rien des femmes et de leurs droits propres, pas même en matière de santé ou d’éducation. Le mot « femme » en lui-même n’apparaît qu’une seule fois dans le texte, à l’article 19.2, pour affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes. Le mot « parité » n’est quant à lui jamais mentionné et encore moins celui de « genre » ou de « sexe ». Aucun des droits reconnus ne prévoit une adaptation spécifique pour les femmes. Le silence assourdissant du texte aurait pu être complété par une jurisprudence proactive du Tribunal constitutionnel chilien (comme cela a pu être le cas dans d’autres pays de la région, la Colombie par exemple). Au contraire, ce Tribunal a nourri et développé une interprétation particulièrement conservatrice du texte constitutionnel, en restant fidèle à la philosophie patriarcale qui a inspiré ses rédacteurs. Deux sentences sont régulièrement mentionnées pour l’illustrer. La première est celle datant de 2008, dans laquelle le Tribunal a considéré qu’une politique publique autorisant la distribution par l’Etat de pilules du lendemain aux adolescentes victimes de violences sexuelles était contraire à la Constitution, au nom de la protection de la vie à naître46. La seconde est la sentence du 28 août 201747 portant sur le projet de loi dépénalisant partiellement l’avortement48. Sur le fond, le Tribunal a certes confirmé la constitutionnalité du texte (modifiant ainsi sa jurisprudence de 2008), mais il a formulé des réserves d’interprétation conduisant à un élargissement de l’objection de conscience, qui n’est plus seulement individuelle mais aussi institutionnelle : cette objection de conscience peut, depuis cette décision, être invoquée non seulement par des praticiens mais aussi par des institutions tout entières49.

  11. C’est donc à l’aune de cette histoire et de ce contexte que le processus constituant chilien doit être appréhendé. L’expérience constituante chilienne montre que le lien entre le genre des personnes chargées de rédiger la Constitution et le contenu du texte final existe : l’écriture d’une Constitution par les femmes peut conduire à une Constitution pour les femmes. Cependant, ce lien n’a rien de systématique, comme en attestent les différences existant entre le projet de Constitution de 2022 plus progressiste, et celui de 2023, plus conservateur. Ce lien n’est possible qu’à certaines conditions. Il faut, en amont, revoir de fond en comble les règles en matière de parité et de délibération, afin que tous les organes chargés de procéder à l’écriture du texte soient en mesure de faciliter la parole des femmes (I). Mais cela ne suffit pas. Une fois ces organes composés, il faut encore que les personnes chargées de la rédaction cherchent à dépasser les cadres de pensée existants. L’adoption d’un prisme féministe est nécessaire pour que se développe un nouvel imaginaire constitutionnel, c'est-à-dire une nouvelle manière d’encadrer les rapports entre les individus et l’Etat dans une société démocratique (II).

I. Une écriture par les femmes : une parité et des règles délibératives repensées

  1. « [… L]’histoire des faits et des concepts de l’humanité a été écrite par et pour des hommes »50. Ce constat valable dans de nombreux domaines s’applique tout particulièrement au champ constitutionnel, dans la mesure où les constitutions sont davantage le fruit de pères fondateurs que de mères fondatrices51. Selon une étude élaborée par Nanako Tamaru et Marie O’Reilly, entre 1990 et 2015, sur les 75 pays engagés dans un changement constitutionnel après un conflit ou une dictature, seuls 19 % des membres des organes chargés d’élaborer ces nouvelles constitutions étaient des femmes52. Au Chili, durant le processus constituant, les organes ayant participé à la rédaction des projets constitutionnels, qu’il s’agisse de la Convención constitucional entre 2021 et 2022 ou de la Comisión Experta et du Consejo constitucional en 2023, ont tous, sans exception, était composé d’autant d’hommes que de femmes. Comment ce pays est-il parvenu à ce que ces femmes soient élues et soient en mesure de faire entendre leur voix ? Tout d’abord, une parité électorale que l’on peut qualifier de radicale a été instaurée, permettant une composition parfaitement paritaire de ces organes (A). Puis, cette parité a été aménagée et de nouvelles règles délibératives ont été imaginées de façon à ce que le fonctionnement de ces instances collégiales favorise la prise en compte de la parole des femmes (B).

A. L’enjeu de la composition des organes constituants : l’instauration d’une parité électorale radicale

  1. Le processus constituant chilien est né contre la volonté du pouvoir politique en place53. Ce n’est que grâce à un mouvement populaire inégalé dans l’histoire du pays que l’idée même d’un changement de Constitution a pu prospérer. Dans un tel contexte, le peuple devait nécessairement occuper une place de premier plan dans le processus constituant. Mais de quel peuple allait-il s’agir ? Qui l’incarnerait ? Ce « peuple » serait-il majoritairement masculin ou respectueux de la « dualité sexuelle de l’humanité »54 ? Ni l’accord politique du 15 novembre 2019 (« Acuerdo por la Paz Social y la Nueva Constitución »), qui pose les bases du processus constituant, ni sa traduction juridique par la loi constitutionnelle du 23 décembre 201955 n’imposaient la parité. Ce n’est qu’en mars 2020 que cette question apparaît dans la loi constitutionnelle n° 21.21656. En effet, avant même de concevoir les modalités pratiques de la participation des femmes au processus constituant, encore fallait-il défendre et imposer une telle participation, ce qui, au regard non seulement de l’histoire du pays mais aussi du poids des théories classiques sur le pouvoir constituant, a constitué un défi de taille.

  2. Dans les régimes démocratiques, fondés sur le principe de souveraineté populaire, il est acquis que la constitution, qui est le texte qui fonde et organise le régime politique au sein du territoire, doit être l’expression de cette souveraineté. L’assemblée constituante, en tant que représentante du peuple ou de la nation, est apparue initialement comme la forme la plus aboutie pour élaborer cette constitution. Pour autant, les modalités de désignation de cette assemblée (nomination ou élection), ainsi que les caractéristiques personnelles de ses membres (et notamment leur sexe) ne constituent pas des critères décisifs au moment d’évaluer la légitimité de la procédure. La fiction juridique du « mandat » suffit pour relier assemblée constituante et peuple. Puis, à mesure que la réflexion sur la nature de la démocratie s’est développée, la manière de percevoir les processus constituants a évolué. Tout au long du XXe siècle, ces processus sont devenus de plus en plus complexes. De nouveaux mécanismes ont été mis en place afin d’accroître leur caractère démocratique, en partant du postulat que le degré de participation et d’inclusion du peuple dans le processus constituant a un impact sur la légitimité populaire du texte constitutionnel et donc sa mise en œuvre57. À partir du XXIe siècle, le point de vue change à nouveau. L’attention n’est plus seulement portée à ces mécanismes participatifs mais aussi à la représentativité des personnes qui s’attellent à rédiger les projets de constitution, en considérant que ces assemblées doivent également inclure et représenter les catégories usuellement marginalisées du pouvoir, et en particulier les femmes.

  3. Si dans le cadre d’un régime démocratique, il est attendu que le peuple consente à sa constitution, les femmes doivent alors être parties prenantes de ce demos et ce de manière réelle et effective. L’adhésion des femmes à la constitution exige qu’elles ne soient pas exclues ou minorées du processus constituant, afin qu’elles soient considérées comme appartenant pleinement à la communauté politique58. Au-delà de la légitimité du processus, la participation active des femmes est considérée comme nécessaire pour que le contenu de la constitution reflète leurs intérêts. Cette idée est très clairement formulée par Yanira Zúñiga : « lorsqu’il y a plus de femmes dans les espaces de décision, on peut commencer à parler des problèmes propres aux femmes et à solder les dettes »59. Cependant, bien qu’évidente pour certaines féministes, la représentation massive des femmes dans le processus constituant demeurait une idée iconoclaste aux premiers jours du processus constituant chilien. Pour les tenants d’une « tradition républicaine », qui repose sur le postulat d’une homogénéité du « peuple », il demeurait encore difficilement acceptable de faire entrer la diversité sociale et de genre au sein des organes constituants. Cette question était également débattue entre féministes, en raison d’une forte méfiance à l’égard de l’institution étatique : un Etat (et donc sa constitution) peut-il vraiment être féministe alors qu’il a toujours été jusqu’à présent un instrument clé de l’oppression masculine ?60 Trois éléments ont finalement permis de contourner ces obstacles. Tout d’abord, il s’agit de l’ampleur de la mobilisation citoyenne lors de l’estallido social, qui a contraint les concepteurs du processus à valoriser les mécanismes de participation citoyenne et à éviter tout élitisme, tout du moins dans un premier temps. Ensuite, il convient de mettre en exergue le rôle joué par la pensée de certaines féministes chiliennes, en particulier celle de Julieta Kirkwood, qui défendait l’idée selon laquelle l’organisation démocratique de la famille (et plus largement de la sphère domestique) passe par l’organisation démocratique du pays, et donc par l’investissement des femmes dans les institutions étatiques. Puis, il faut souligner l’action menée par un groupe de femmes universitaires politistes61 : en s’appuyant sur des relais politiques appartenant à différentes familles politiques et en prenant en compte « la tradition électorale et culturelle chilienne »62 (notamment en analysant les voies de contournement par les partis politiques des règles relatives à la parité), elles sont parvenues à formuler des propositions innovantes, donnant naissance à ce que Yanira Zúñiga a appelé une « parité à la chilienne »63.

  4. En quoi consiste cette parité ? La question se pose avec autant d’acuité qu’elle est « une notion complexe qui revêt plusieurs significations »64. Dans son sens le plus large, elle désigne les actions positives et tout particulièrement les mécanismes de quotas visant à « lutter contre la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoirs et en particulier dans la sphère politique »65. La parité est donc essentiellement un outil de mise en œuvre du principe d’égalité, de manière plus ou moins stricte. Dans le cas du processus constituant chilien, le choix s’est porté sur une égalité réelle qui ne se limite pas à un égal accès aux mandats électifs, mais qui doit parvenir à une répartition égale des sièges.

  5. Pour ce faire, il fallait imaginer un dispositif contraignant et précis venant « égaliser le terrain de jeu électoral dont les lignes » avaient été jusque-là « tracées pour et par les hommes »66. Ce dispositif est inscrit dans la loi constitutionnelle du 20 mars 2020 relative à l’élection des membres de la Convención constitucional67. La loi constitutionnelle de décembre 2019 prévoyait déjà que cette élection serait soumise au même mode de scrutin que les élections législatives, à savoir un scrutin proportionnel dont la répartition des sièges suit la méthode de Hondt68. La loi de 2020 la complète et impose tout d’abord la présence de 50 % de femmes dans les listes de candidatures pour chaque circonscription électorale69. Ce point a constitué un élément important du dispositif car jusqu’alors, au Chili, les règles de parité n’étaient imposées qu’au niveau national et non pour chaque circonscription. On avait alors constaté (notamment pour les élections législatives de 201770) que les partis et les coalitions tendaient à déposer des listes majoritairement masculines dans des circonscriptions où ils avaient de plus grandes chances de faire un bon score. En revanche, les listes avec un plus grand nombre de candidatures féminines étaient déposées dans les circonscriptions où les chances de succès étaient plus faibles. La loi constitutionnelle de 2020 précise, par ailleurs, que les femmes doivent obligatoirement être têtes de liste et que chaque liste doit alterner la candidature d’une femme et d’un homme71, sous peine d’irrecevabilité. Ce système qualifié en espagnol de « cebra » (« zébré ») permet d’éviter que les candidatures de femmes ne soient placées en fin de liste. Mais même avec un tel système, il existait un risque de ne pas parvenir à une assemblée parfaitement paritaire. Un mécanisme correctif a donc été conçu, considéré comme l’innovation majeure du processus72. Selon la loi du 20 mars 2020, dans toutes les circonscriptions devant élire un nombre pair de sièges, le même nombre de sièges doit être attribué à des femmes et des hommes. Dans le cas des circonscriptions devant élire un nombre impair de sièges, il ne peut y avoir une différence supérieure à « un » entre les hommes et les femmes élus. Si la mise en œuvre de ces règles ne suffit pas à atteindre la parité, la loi indique que le candidat ou la candidate du sexe surreprésenté ayant été élu avec le moins de votes doit obligatoirement laisser son siège au candidat ou à la candidate non élue du sexe sous-représenté appartenant à la même liste ou pacte électoral.

  6. Ainsi, ce système instaure à la fois une parité d’entrée (calculée pour chaque circonscription et pour chaque liste électorale) et une parité de sortie (calculée non pas sur les sièges remportés mais sur les sièges distribués). De ce fait, la « parité à la chilienne » a un objectif extrêmement ambitieux : « non seulement elle cherche à radicaliser les postulats de la démocratie, mais aussi ceux de la parité elle-même »73. Alors que la parité était vue comme une obligation de moyens, elle devient au Chili une obligation de résultat, et peut donc être qualifiée de parité électorale radicale.

  7. Cette radicalité a fait l’objet de controverses : dans la mesure où elle conduit à « mettre la main dans l’urne »74, elle altère la volonté populaire exprimée par les bulletins de vote. Une personne qui avait été élue conformément à la méthode de Hondt devient non-élue et son siège est attribué à une autre personne, et ce, uniquement en raison de son sexe. Il n’en demeure pas moins que ce choix a été avalisé par le corps électoral lui-même. Pour rappel, une des premières grandes étapes du processus constituant (après l’adoption des lois constitutionnelles venant encadrer le processus) a été le référendum d’entrée du 25 octobre 2020, lors duquel les électrices et électeurs chiliens ont dû déterminer l’organe chargé de la rédaction du projet de Constitution. Ils avaient le choix entre une convention constitutionnelle ad hoc, soumise à cette règle de parité, et une convention dite mixte, qui consistait en une assemblée composée de parlementaires déjà élus et de nouveaux représentants, et qui n’était pas soumise à cette règle de parité. L’option de la convention constitutionnelle ad hoc a été choisie par 79,18 % des votantes et votants. Yanira Zúñiga interprète ce soutien en faveur de la convention ad hoc comme l’expression de l’adhésion du corps électoral à la parité75. Pour séduisante que soit cette interprétation, on doit tout de même la tempérer, car le vote en faveur d’une convention ad hoc a aussi (et surtout) été motivé par un rejet massif, à cette époque, de la classe politique existante. Ainsi, l’option de la convention créée ex nihilo pour l’occasion, à la différence de la convention mixte, permettait de faire « table rase » en élisant des personnes qui jusque-là n’avaient pas monopolisé la scène politique chilienne.

  8. Quoi qu’il en soit, tel a été le mécanisme de parité mis en place pour assurer le caractère parfaitement paritaire de la première assemblée constituante du pays. Lors de l’élection des 155 membres de la convention, organisée en mai 2021, la participation a été relativement faible (à hauteur de 41,55 %), mais les personnes qui se sont déplacées aux urnes ont majoritairement soutenu des candidatures de femmes (50,3 % de votes en faveur de candidates femmes, contre 49,7 % en faveur de candidats hommes). Cela a conduit à une surreprésentation de femmes dans certaines circonscriptions. Au total, sur les 155 sièges, 78 ont été attribués à des hommes et 77 à des femmes, et parmi eux 11 hommes ont été favorisés par le mécanisme de correction et seulement 5 femmes en ont bénéficié. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mécanisme de parité a joué en faveur des hommes et si cette règle de réattribution des sièges n’avait pas existé, le Chili aurait peut-être pu avoir la première assemblée constituante du monde à être majoritairement féminine76.

  9. On le sait, cette Convención constitucional n’est pas parvenue à faire adopter son projet de Constitution (rejeté lors du référendum du 4 septembre 2022). Cependant, la suite du processus a continué à être marquée par l’exigence de parité. Le terme en tant que tel apparaît dans l’accord politique du 12 décembre 2022 (Acuerdo por Chile) qui a permis de relancer le processus constituant après l’échec du référendum, lequel précise que le Consejo constitucional (l’organe élu par le peuple) sera soumis à une parité d’entrée et de sortie, confirmant ainsi que la philosophie qui a guidé la désignation des membres de la Convención est maintenue. Concernant la composition de la Comisión Experta (l’organe désigné par le Parlement chilien et chargé de rédiger le nouvel avant-projet), l’accord mentionne également une parité mais sans clairement en indiquer la nature. La loi constitutionnelle du 13 janvier 2023, qui met en œuvre cet accord politique, est encore plus précise, puisqu’elle indique que le Sénat et la Chambre des Députées et Députés devront nécessairement désigner le même nombre d’hommes et de femmes experts, confirmant donc la parité arithmétique77. Malgré sa radicalité – ce qui aurait pu constituer un frein majeur à son maintien – la « parité à la chilienne » a donc bien été une caractéristique constante de ce processus. Toutefois, elle n’a pas été le seul instrument mis en place.

B. L’enjeu de la qualité du cadre délibératif : parité de fonctionnement, prise de parole et transversalité

  1. La composition paritaire du pouvoir constituant aurait pu n’être qu’un effet de communication. La présence de femmes dans une assemblée n’est, en effet, pas une garantie suffisante pour s’assurer que leurs intérêts seront bel et bien représentés. Pour que cette représentation soit effective, il faut que plusieurs autres conditions soient remplies, et notamment : 1 / que ces femmes élues souhaitent défendre leurs droits et donc soutiennent des propositions favorables aux femmes ; 2 / que ces femmes élues soient en mesure, au moment des discussions et de la rédaction du texte, de faire entendre leur voix, et donc qu’il existe un cadre de discussion favorable à l’expression des femmes.

  2. Dans la première phase du processus, donc entre 2019 et 2022, il existait indéniablement un soutien aux idées féministes, puisque selon l’Observatorio Nueva Constitución sur les 155 membres de la Convention, 65,1 % d’entre eux avaient été élus sur un programme défendant des propositions féministes ou favorables aux femmes78. A cet égard, il importe ici de mettre en lumière le rôle important joué par certaines structures associatives. Comme le souligne Ruth Rubio-Marín, ces collectifs sont souvent essentiels à la participation des femmes dans les processus constituants79. Au Chili, ils ont été cruciaux non seulement pour générer des candidatures de femmes et inciter les candidates et candidats à mettre au cœur de leur profession de foi des mesures favorables aux femmes, mais aussi et surtout pour veiller à ce que le processus, dans son ensemble, permette la prise en compte de ces droits. On peut, par exemple, évoquer l’action menée par la Coordinadora Feminista 8M lors de l’élaboration du projet de Constitution de 2022. Cette structure, née en 2018, a pour objectif principal de rendre plus transversal le féminisme80, c'est-à-dire à ne pas le cantonner à un thème propre aux femmes, mais s’assurer qu’il se déploie dans tous les espaces sociaux. Certaines membres de ces réseaux ont fait le choix de se présenter comme candidates à la Convención en fondant leur légitimité sur leur lutte au sein des réseaux féministes (alors que jusqu’à présent ces réseaux s’étaient tenus à distance des institutions politiques)81. Puis une fois la Convención constitucional installée, ces réseaux féministes ont maintenu le contact avec les élues afin que leurs revendications soient constamment relayées au sein de l’assemblée. Un collectif féministe (El Colectivo Feminista) a même été créé afin de réunir toutes les femmes constituantes se considérant comme féministes et se rattachant à différents partis politiques82. Les femmes élues à la première assemblée constituante avaient donc, pour la plupart d’entre elles, un agenda féministe. Mais encore fallait-il qu’elles soient en mesure de faire entendre leur voix au sein de la Convention, car « [l]a présence […] ne se transforme pas automatiquement en pouvoir, spécialement lorsque [les personnes] qui participent au processus manquent d’autorité et d’expérience dans la prise de décision »83.

  3. C’est ici qu’il faut s’intéresser à un texte encore trop peu étudié (y compris par la doctrine juridique chilienne) – alors qu’il s’agit de l’objet juridique le plus intéressant produit par le processus constituant, à telle enseigne qu’il pourrait même devenir une pièce maîtresse dans l’historiographie du constitutionnalisme féministe comparé –, à savoir le règlement intérieur de la Convención constitucional. Les règlements intérieurs ont, on le sait, un rôle crucial en droit parlementaire. Dans le cadre d’une assemblée constituante, ces textes occupent une place d’autant plus centrale qu’ils constituent le premier texte adopté par ces assemblées nouvellement constituées. Au Chili, la rédaction du règlement fut extrêmement laborieuse et ce n’est qu’au bout de deux mois et demi de discussions que la Convención est parvenue à adopter ce texte le 29 septembre 2021. Les explications liées à cette lenteur sont diverses mais l’une d’entre elles est la volonté des constituants d’élaborer un règlement intégrant une perspective de genre. Ce texte prévoit, en effet, une série de dispositifs qui visent à garantir que la logique paritaire qui a prévalu dans la composition de cette assemblée soit également présente tout au long de son fonctionnement. Dans le cadre de cet article, nous évoquerons les trois aspects les plus topiques du règlement.

  4. Le premier concerne la composition du bureau et des différentes commissions internes à la Convención. Les constituantes et constituants auraient pu faire le choix de maintenir la règle de la parité arithmétique qui avait prévalu jusqu’alors, c'est-à-dire de décider que les présidences et vice-présidences soient parfaitement paritaires (si la présidence est confiée à une femme, la vice-présidence est confiée à un homme et vice-versa) et que le bureau et toutes les commissions soient composés à 50 % d’hommes et à 50 % de femmes. Or, très rapidement, il a été décidé d’adopter de nouvelles modalités d’application de cette parité. L’article 32 du règlement a imposé que tous les organes de la Convention soient paritaires, mais selon une parité entendue de la manière suivante : aucun organe de la Convention ne pouvait être composé à plus de 60 % par des personnes du genre masculin. Cette règle valable pour le bureau de la Convention (appelé « Mesa directiva »), les commissions thématiques (art. 70 du règlement) et les sous-commissions (art. 75 du règlement) s’appuie sur une logique différente de la parité électorale. Tout d’abord, on remarque que le critère de la parité n’est plus l’appartenance à un sexe mais à un genre, permettant ainsi à toutes les identités de genre de se sentir incluses. En outre, une telle règle vise à répondre à un problème rencontré dans d’autres processus constituants par le passé, où les femmes constituantes, qui étaient alors minoritaires dans certaines commissions, étaient moins incitées à prendre la parole du fait de leur sous-nombre84. Mais surtout, cette parité prend ouvertement appui sur une « reconnaissance de l’existence de systèmes historiques de domination » des hommes cisgenre dans ce type d’instances85. L’objectif n’est donc plus uniquement de veiller à la représentation des femmes dans ces instances, comme dans la parité électorale, mais d’œuvrer à la réparation d’une discrimination historique. Cette logique réparatrice de la parité de fonctionnement doit être soulignée car elle imprègne l’ensemble du règlement intérieur, comme l’atteste le soin accordé à la représentation des peuples et communautés originaires. Le profil des deux personnes qui ont présidé le bureau de la Convención illustre cette recherche de diversité. La première présidente, Elisa Loncón, est une représentante des communautés Mapuches86 (elle a même débuté son discours d’intronisation en mapudungun, la langue des communautés Mapuches). Elle est, par ailleurs, professeure des universités et dispose d’un doctorat en linguistique et en littérature. Son mandat ayant été fixé à six mois87, elle a ensuite dû céder sa place à une autre personne : María Elisa Quinteros, docteure en santé publique et chercheuse au sein d’une université chilienne avec une spécialisation en odontologie. Durant sa campagne, elle avait mis l’accent sur la création d’un Etat plurinational et s’était prononcée en faveur du recours à une écriture inclusive dans le projet de Constitution.

  5. Le deuxième point qu’il convient de mettre en exergue au sein du règlement intérieur porte sur la dimension délibérative du processus d’écriture de la Constitution et, plus précisément, sur les modalités de prise de parole et de discussion au sein de la Convención. En effet, le risque était grand que des pratiques ancestrales et héritées par des siècles de soumission des femmes ne se répètent : les femmes se contentant d’écouter et de prendre des notes, les hommes prenant en premier la parole ou interrompant celle des femmes88. En partant du constat qu’une délibération juste n’implique pas nécessairement une égalité dans le dialogue89, certains mécanismes ont été conçus. L’article 3 du règlement intérieur insiste tout d’abord sur la nécessité d’établir, au sein de la Convention, une communication non sexiste pour faciliter les interactions et éviter la discrimination de secteurs historiquement exclus. En outre, le temps de parole a été comptabilisé en fonction du genre de l’oratrice ou de l’orateur, aussi bien lors des séances plénières (art. 11 du règlement), que lors des sessions de travail des sous-commissions (art. 75 du règlement).

  6. Le troisième aspect qui mérite d’être évoqué est celui de la transversalisation de cette perspective de genre, qui s’illustre par la démarche politique de création d’un collectif féministe transpartisan au sein de la Convención. Pour prolonger cet effort de coordination entre les élues, éviter la dispersion des propositions90 et maintenir une cohérence du texte, l’article 90 du règlement de la Convention avait prévu un mécanisme contraignant de transversalisation. Ainsi, au sein de chaque commission thématique chargée de formuler des propositions pour la nouvelle Constitution, deux membres (dont obligatoirement une femme) devaient être désignés, dont la tâche serait de faire le lien avec les autres commissions thématiques. Ce mécanisme a été particulièrement efficace puisqu’il a permis la diffusion de la problématique des droits des femmes dans toutes les aspects traités par le projet de Constitution (justice, éducation, santé, économie, défense, etc.).

  7. Tous ces mécanismes mis bout à bout ont préparé un environnement juridique favorable à l’expression des femmes et ont eu un effet direct sur le contenu du projet de Constitution. Mais avant d’aborder ce point, une dernière question se pose : ces outils ont-ils perduré tout au long du processus ? Le rejet du projet de Constitution, lors du référendum du 4 septembre 2022, a provoqué une véritable rupture méthodologique à cet égard. Certes, la parité arithmétique a été préservée dans la composition des organes chargés de la rédaction du second projet de Constitution, mais le souci qui avait été porté à l’expression de la parole des femmes et à la perspective de genre ne s’est pas retrouvé avec la même intensité. Ceci s’explique en grande partie par le fait qu’à la différence de la phase précédente les organes chargés de rédiger le projet de Constitution (Comisión Experta et Consejo constitucional) ne détenaient aucune compétence en matière d’adoption de règlement intérieur. La loi constitutionnelle du 13 janvier 2023 avait confié cette tâche aux secrétariats du Sénat et de la Chambre des Députées et Députés91, donc à des pouvoirs constitués et non au pouvoir constituant lui-même. Ce règlement fut adopté le 25 janvier 2023 et son contenu est beaucoup moins riche en matière d’empowerment féminin que le règlement de la Convention constitutionnelle. Certes, l’article 14 rappelle l’obligation de parité pour les deux organes chargés de rédiger le projet de Constitution, mais le texte ne prévoit pas de parité au niveau de la présidence et de la vice-présidence des bureaux de ces instances ni au sein des sous-commissions. Il ne mentionne aucun mécanisme de transversalisation, ni règles en matière de prise de parole.

  8. Toutefois, on soulignera que dans les faits, cette parité a été maintenue au niveau des présidences et vice-présidences. Les deux organes ont été dirigés par des femmes. La Comisión Experta a été présidée par Verónica Undurraga, professeure de droit constitutionnel, avec pour vice-président Sebastián Soto, également professeur de droit constitutionnel. Le Consejo constitucional a quant à lui été présidé par Beatriz Hevia, avocate et membre du Partido Republicano de Chile, avec pour vice-président Aldo Valle, professeur de philosophie du droit, élu avec le soutien du Partido Socialista de Chile.

  9. L’autre grande différence avec la phase précédente est le fait qu’il n’existait pas au sein de ces instances de réel soutien des propositions favorables aux femmes. Ce soutien existait au sein d’une partie des expertes siégeant au sein de la Comisión. On pense notamment au rôle important joué par Catalina Lagos, professeure de droit public et spécialiste des études de genre92, ou à celui de Verónica Undurraga, présidente de la Comisión et auteure de nombreux écrits sur les droits des femmes93, mais, en l’absence de mécanismes spécifiques renforçant cette perspective de genre lors du processus de rédaction, l’avant-projet qui a été produit par cette Comisión n’a pas eu la même ampleur que le projet de Constitution94. En ce qui concerne le Consejo constitucional, le climat était encore différent. Cette assemblée était composée de 51 personnes élues le 7 mai 2023 ; les élections avaient conduit à la victoire du parti d’extrême-droite (Partido Republicano de Chile), qui avait obtenu à lui seul 23 sièges. Si à ceux-ci s’ajoutaient ceux de la droite traditionnelle (11), ils avaient une majorité suffisante pour amender à leur guise l’avant-projet de la Comisión. Bien que les élus de droite aient été en mesure de tempérer les positions plus radicales défendues par l’extrême-droite, le climat était clairement conservateur et donc aucun dispositif spécifique n’a été envisagé pour créer un cadre délibératif articulé autour d’une perspective de genre.

  10. Bien que le processus constituant ait échoué, sa mise en œuvre offre des pistes de réflexion importantes pour une étude du droit constitutionnel au prisme du genre. Certes, ce processus avait des imperfections, dont certaines résultent également de données propres au pays, notamment l’absence de diversité sociale au sein des femmes constituantes qui venaient, dans leur grande majorité, de milieux intellectuels, économiques et culturels favorisés (ce même constat peut être fait ailleurs, mais rappelons que le Chili est le pays d’Amérique latine où les disparités sociales sont les plus prononcées). Malgré tout, beaucoup considèrent que la parité demeure une des principales réussites de cette expérience, car même après l’échec du référendum sur le projet de Constitution 2022, elle est restée comme une évidence pour la suite du processus, y compris au sein de la droite chilienne; et elle demeure aujourd’hui, y compris après l’échec du référendum sur le projet de Constitution de 2023, une exigence présente dans les débats politiques. Toutefois, l’intérêt du processus chilien ne s’arrête pas à cette seule dimension procédurale. La composition paritaire des organes constituants a créé une fenêtre d’opportunité pour appréhender différemment le texte constitutionnel et ainsi développer un nouvel imaginaire constitutionnel, lequel a facilité l’élaboration d’un projet de Constitution (celui de 2022), souvent qualifié de « constitution féministe ».

II. Une écriture pour les femmes : réinventer l’imaginaire constitutionnel

  1. Une « constitution féministe » est, selon Yanira Zúñiga, un « animal rare au sein de son espèce car toute la généalogie s’est construite sur le dos des femmes, de leurs intérêts et de leurs perspectives »95. Pour la concevoir, la première assemblée constituante a dû se prêter à un « grand exercice d’imagination et d’innovation constitutionnelle »96. Au terme d’une année de travail particulièrement intense, les hommes et les femmes de la Convención sont parvenus à rédiger un texte qui mérite d’être méticuleusement étudié tant il se présente comme la forme la plus aboutie de ce que l’on pourrait attendre d’une « constitution féministe » (A). Pour autant, l’avant-gardisme de ce texte ne doit pas occulter deux choses : d’une part, le fait que la seconde phase du processus a, elle, produit d’autres textes moins protecteurs des droits des femmes et qui doivent aussi être analysés, et, d’autre part, le fait que tous ces projets demeurent marqués par une certaine vision chilienne, voire latino-américaine, du féminisme (B).

A. Le parangon du constitutionnalisme féministe contemporain : le projet de Constitution de 2022

  1. Dès le début, le combat mené au Chili en faveur d’organes paritaires de rédaction a été guidé par la volonté non seulement de rédiger des textes consacrant les droits des femmes, mais aussi de parvenir à une constitution véritablement féministe, c'est-à-dire d’aboutir à un texte qui vise à lutter activement contre les discriminations faites aux femmes et rejette une vision patriarcale de la société et de l’Etat. Ce projet n’était cependant pas unanimement partagé. Les opposants au changement de Constitution (notamment lors de la campagne référendaire du 25 octobre 2020) soutenaient ainsi que les constitutions ne sont pas des textes destinés à changer la vie des personnes ou à s’immiscer dans les relations sociales ; il était donc absurde d’en espérer une quelconque avancée concrète pour la vie quotidienne des femmes. Cette position soulève une question intéressante : le droit constitutionnel est-il véritablement un droit idoine pour la protection des droits des femmes ? Comme le souligne Marcela Pietro Rudolphy, les constitutions ont pour vocation première de régir les relations entre l’Etat et les citoyens97. Or, les droits des femmes ne sont pas menacés, à titre principal, directement par l’Etat. C’est bien souvent dans la sphère privée, celle de l’intime et du professionnel, que les violations de leurs droits sont les plus présentes. Toutefois, l’Etat peut menacer indirectement les droits des femmes : il peut devenir responsable par son inaction et c’est sous cet angle que le droit constitutionnel devient un droit vecteur du féminisme. Surtout, parce que ce texte vise à distribuer le pouvoir et détient, par ailleurs, une forte portée symbolique, il peut constituer un vecteur utile à la prise en considération des droits des femmes, dans l’ensemble des instances de pouvoir98. Comme le résume Yanira Zúñiga : « […] si une constitution ne suffit pas à résoudre l’inégalité de genre, sans une constitution féministe, c'est-à-dire, une constitution dans laquelle les intérêts, les expériences et les regards des femmes et des diversités sexuelles sont consacrés, il est très difficile d’avancer vers une justice de genre »99. Pour autant, ceci implique de revoir la conception de ce qu’est et ce que doit être une « constitution ». Elle ne peut plus être une simple norme fondatrice, se limitant à établir les principales institutions politiques d’un Etat, son régime et les droits des individus. Une « constitution féministe » n’est pas une simple constitution libérale (dans le sens du constitutionnalisme libéral classique), car ces constitutions « ont contribué à maintenir une division idéologique entre le privé et le public, ce qui a conduit à invisibiliser les relations entre les diverses discriminations dont souffrent les femmes (par exemple, les liens entre la division sexuelle du travail domestique et les différences salariales sur le marché du travail) […] et à perpétuer un modèle de famille patriarcal »100. Pour aboutir à une « constitution féministe », il était nécessaire d’adopter un nouveau paradigme, celui de la perspective de genre.

  2. La perspective de genre se définit ici comme « un outil méthodologique qui vise à déterminer la manière dont les différentes formes d’organisation (sociale, économique, politique et juridique) affectent la vie des femmes, dans toutes ses dimensions »101. Toute politique fondée sur une perspective de genre implique la prise en compte des relations de pouvoir existant entre les sexes, dans le but d’éviter les biais qui peuvent résulter de l’invisibilisation de l’expérience et des nécessités des femmes102. Dès lors, adopter cet outil au niveau constitutionnel implique, d’une part, de s’interroger constamment sur la manière dont telle ou telle institution peut être influencée par le prisme du genre et, d’autre part, d’éviter de penser que la question des droits des femmes se cantonne à certains secteurs spécifiques. Il fallait envisager la question de l’égalité de manière transversale et structurelle. Pourtant, lorsqu’on se contente de faire une analyse purement quantitative du projet de Constitution de 2022, cette dimension holistique n’est pas flagrante. Ce texte, composé de 388 articles, comprend 39 dispositions renvoyant d’une façon ou d’une autre aux droits des femmes ou à l’égalité femme / homme. 39 articles cela représente environ 10 % du texte, ce qui peut sembler peu. En réalité, pour mesurer l’ambition du texte, il importe de multiplier les angles d’analyse et d’examiner l’ensemble du texte103. Tout doit être étudié et en particulier son style d’écriture, puisqu’il a été fait le choix d’adopter une écriture inclusive.

  3. Jusqu’à présent, rares sont les constitutions écrites de manière inclusive104. Traditionnellement, les rédacteurs des constitutions n’utilisent les mots « hommes » et « femmes » que lorsque cela est considéré comme inévitable (notamment en matière d’égalité sexuelle)105. Cependant, cette « fausse neutralité »106 conduit à exclure, de manière tacite ou expresse, les femmes de l’espace public. Les constituantes et constituants chiliens de 2021-2022 en avaient parfaitement conscience et savaient qu’ils se devaient de prêter attention aux termes employés. Ceci a pu être attesté dès le règlement intérieur de 2021, pour lequel il avait déjà été fait le choix de recourir à l’écriture inclusive. Le projet de Constitution de 2022 ne fait qu’entériner ce choix. Après quelques hésitations dans le choix de la méthode, le projet de 2022 n’opte ni pour le point médian ni pour la fusion des mots107. Bien qu’il existe une différence de style entre le règlement de la Convention et le projet de Constitution, il fut choisi quasi-systématiquement (il y a eu des oublis dans le texte) de procéder à la féminisation des noms et des titres (par exemple : Congrès des Députées et Députés ; Présidente ou Président de la République ; Gouverneure ou Gouverneur, etc.), et d’avoir recours soit à des noms collectifs et / ou abstraits qui permettent de renvoyer à un groupe de personnes (la fonction publique, la direction), soit à des mots épicènes qui peuvent donc être employés au masculin et au féminin (ex. quiconque). Ce choix de l’écriture inclusive apparaît dès la première phrase du préambule, même si la traduction française ne permet pas son identification. En effet, en version originale, le préambule débute de la sorte : « Nosotras y nosotros, el pueblo de Chile […] ». Puisqu’en espagnol le pronom « nous » peut être décliné au féminin (« nosotras ») et au masculin (« nosotros »), c’est sous ces deux formes qu’il apparaît dans le préambule.108

  4. Au-delà de l’écriture inclusive, ce projet comporte une reconnaissance extensive des droits des femmes, parmi lesquels les droits sexuels et reproductifs occupent une place notable. Ceux-ci se trouvent consacrés à l’article 61 du projet, lui-même divisé en quatre alinéas. Le premier dispose que « toute personne est titulaire de droits sexuels et reproductifs. Ceux-ci comprennent, entre autres, le droit de décider de manière libre, autonome et informée sur son propre corps, l'exercice de sa sexualité, sa reproduction, son plaisir et sa contraception ». Il marque une véritable innovation au regard du droit constitutionnel chilien en vigueur, qui ne fait aucunement mention de la sexualité, de la contraception et encore moins du plaisir sexuel. On notera par ailleurs que la formulation a été choisie de manière à être la plus large possible, mais aussi de façon à inclure toutes les formes d’orientation sexuelle. Le deuxième alinéa aborde, quant à lui, le sujet épineux de l’avortement. Il dispose que : « L'Etat garantit [l’exercice de ces droits] sans discrimination, en intégrant une perspective de genre, l'inclusion et la pertinence culturelle, ainsi que l'accès à l'information, à l'éducation, à la santé et aux services et aux prestations nécessaires à cet effet, en assurant à toutes les femmes et aux personnes ayant la capacité de porter des enfants les conditions d'une grossesse, d'une interruption volontaire de grossesse, d'un accouchement et d'une maternité voulus et protégés. Il garantit également leur exercice sans violence ni ingérence de la part de tiers, qu'il s'agisse d'individus ou d'institutions ». Cette formulation mérite que l’on s’y attarde quelque peu. On note, tout d’abord, qu’elle ne concerne pas uniquement les femmes mais inclut également « les personnes ayant la capacité de porter des enfants », ce qui permet d’intégrer les personnes enceintes ne s’identifiant pas comme des femmes (comme les hommes trans). En outre, la manière dont cet alinéa est formulé permet de considérer que l’avortement est une des composantes des droits sexuels et reproductifs, qu’il revient à l’Etat de garantir. Cette garantie implique une prestation de ces services, mais aussi un accès à l’information et à l’éducation, ainsi qu’une protection à l’égard de l’ingérence de tiers, que ces tiers soient des individus ou des institutions (publiques ou privées). Si ce projet de Constitution avait été adopté, il aurait constitué une différence notable par rapport à l’état du droit existant au Chili. On l’a dit, la loi de 2017 est venue dépénaliser l’avortement109 mais dans des cas limitatifs très précis : i) grossesse mettant la vie de la femme en danger ; ii) diagnostic de malformation rendant la vie extra-utérine impossible ; iii) grossesse causée par un viol, dans les délais établis par la loi. La formulation retenue aurait présenté non seulement l’avantage de garantir le statut constitutionnel de l’avortement (évitant ainsi tout risque d’une abrogation de la loi actuelle), mais aussi celui d’envisager son élargissement en s’appuyant sur le caractère « libre, autonome et informé » du droit de décider sur son propre corps, mentionné à l’alinéa 1. Certes, l’alinéa 3 prévoit que « l’exercice de ces droits sera encadré par la loi », ce qui donne compétence au législateur d’éventuellement en restreindre l’exercice, mais une lecture systémique du texte plaide fortement pour une lecture extensive de ce droit à l’avortement. De même, on peut considérer que l’obligation qui est faite à l’Etat de garantir l’exercice de ce droit « sans violence ni ingérence de tiers, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions » aurait pu conduire à rendre caduque la jurisprudence de 2017 du Tribunal constitutionnel chilien110, qui, rappelons-le, a consacré un droit à l’objection de conscience institutionnelle (ce qui permet donc concrètement aujourd’hui à des institutions de soins, et non pas uniquement à certains médecins de ces institutions, de refuser de procéder à des avortements). Enfin, l’article 61 se clôture par un dernier alinéa qui dispose que « l'État reconnaît et garantit le droit des personnes à bénéficier du progrès scientifique afin d'exercer ces droits de manière libre, autonome et non discriminatoire ». Celui-ci permet de s’assurer de la qualité des prestations fournies et confirme le caractère libre et autonome des décisions prises par chaque personne dans ce domaine.

  5. En plus des droits sexuels et reproductifs, le projet de Constitution de 2022 opère une autre révolution en matière de parité. Cette question apparaît dès le premier article du texte, puisque la démocratie y est immédiatement définie comme « inclusive et paritaire »111. Mais en quoi consiste une démocratie paritaire ? Toute démocratie instaurant une règle de parité n’est-elle pas ipso facto une démocratie paritaire ? La lecture du projet de Constitution nous montre à quel point une simple parité électorale ne peut suffire pour transformer un régime politique en une démocratie paritaire. Pour ce faire, il faut que la parité ne soit plus un simple objectif mais un outil transformatif décliné dans toutes les institutions de l’Etat et à tous ses niveaux (art. 6.2). Concrètement, le texte impose la parité au sein du gouvernement et des deux chambres du Parlement (art. 252.1 et art. 254.1), mais aussi au sein des assemblées régionales (art. 254, al. 3), de tous les organes du système de justice (donc tous les tribunaux) et même au niveau des présidences des tribunaux (art. 312.1 et 321.2). Sont aussi concernés tous les organes constitutionnels autonomes (donc y compris la Banque centrale, l’Agence Nationale de Protection des données ou la Cour constitutionnelle). La logique de la parité est poussée si loin que le texte mentionne même qu’elle doit être « promue dans les espaces de prise de décision des corps de police et de l’armée » (art. 297.2 et 299.2). Cette obligation est également étendue aux organes de direction des partis politiques (art. 163.1), aux conseils d’administration des sociétés publiques et semi-publiques (art. 6.2) et à toutes les commissions de contrôle créées après le déclenchement d’un régime d’exception (art. 305.1). En outre, il ne s’agit pas d’une simple parité de moyens mais bien d’une parité de résultat, avec un seuil plancher favorable aux femmes, puisque le texte exige que ces instances comptent « au moins 50 % […] de femmes » (art. 6.2). Elles peuvent donc en compter plus et les hommes peuvent alors se retrouver en minorité. En matière électorale, l’exigence de parité est accompagnée d’une obligation de placer une femme à la tête des listes électorales et d’une alternance des genres (art. 161.1). Cette énumération montre en elle-même l’ambition du projet. Dans celui-ci, la parité est perçue comme un universalisme libéré de son abstraction, lui permettant de devenir réel112. De ce fait, elle constitue, à nos yeux, l’élément le plus révolutionnaire du texte, dans la mesure où il aurait pu conduire à revoir complètement la manière dont le pouvoir public est conçu113. Alors que Roberto Gargarella, un constitutionnaliste argentin, avait été particulièrement critique à l’égard du texte, estimant que la « salle des machines » (c'est-à-dire l’organisation des pouvoirs) n’avait pas subi de transformation fondamentale dans le texte114, il nous semble au contraire que la question de la parité, telle qu’elle a été conçue dans le texte, aurait pu devenir à moyen-terme une des clés de transformation profonde de l’exercice du pouvoir115.

  6. Cette capacité révolutionnaire du texte se trouve renforcée par la dimension accordée à la perspective de genre. Le texte de 2022 insiste à de multiples reprises à ce sujet. Il impose, par exemple, que cette perspective soit intégrée par toutes les structures étatiques, qu’elles soient centrales ou locales (art. 193.2). Plus précisément, cette perspective doit régir tout le système national de santé (art. 44.5) et le service de la justice (art. 312.1), donc y compris les tribunaux qui doivent, selon l’article 312.2, « statuer en adoptant une perspective de genre ». Elle doit également présider à la détermination de la politique nationale de sécurité publique (art. 296.2) ce qui implique sa prise en compte par tous les corps de police (art. 297.2) ainsi que par les Forces Armées (art. 299.2). La mention de ces dernières est particulièrement importante, non seulement au regard de l’histoire dictatoriale du pays, marquée par de nombreuses et massives violations des droits humains commises par les Forces Armées, mais aussi compte tenu du contexte de fortes répressions lors de l’estallido social (à l’origine de ce processus constituant). En octobre 2019, le mouvement social avait été d’une telle ampleur que le Président de la République de l’époque, Sebastián Piñera, avait déclenché un état d’urgence afin de réprimer la contestation. Or, au Chili, à l’époque, comme aujourd’hui, le déclenchement de l’état d’urgence implique un transfert du maintien de l’ordre public aux Forces Armées116. Durant cet état d’urgence d’octobre 2019, de nombreuses violations des droits humains ont de nouveau été perpétrées par les forces de police et les forces armées, et c’est notamment pour les dénoncer que le collectif Las Tesis a créé la chanson « El violador en tu camino ». Cette chanson évoque de manière générale toutes les formes de violence de genre, et le projet de Constitution de 2022 s’en fait l’écho, comme en atteste la consécration explicite d’un droit à vivre dénué de violence de genre dans toutes ses manifestations, tant dans la sphère publique que privée. L’article 27.1 le reconnaît spécifiquement aux « femmes, filles, adolescentes et personnes des diversités et dissidences sexuelles et de genre ». Sur ce point, le texte se présente clairement comme une « constitution féministe », puisqu’il cherche à mettre à la charge de l’Etat la responsabilité des violences vécues par les femmes dans la sphère privée. A cet égard, il revient à l’Etat d’adopter les mesures nécessaires pour éradiquer tout type de violence de genre et la structure des comportements socioculturels qui les rendent possibles, en agissant avec la diligence requise pour les prévenir et les sanctionner, ainsi que pour fournir des soins, une protection et une réparation intégrale aux victimes, en particulier compte tenu des situations de vulnérabilité dans lesquelles elles peuvent se trouver (art. 27.2 et art. 312.4). L’article 51.4 mentionne l’obligation de créer des logements d’accueil en cas de violence de genre. L’article 172, quant à lui, indique que les personnes condamnées pour des délits ou crimes sexuels ou pour des violences domestiques ne pourront se porter candidates ni à certains emplois publics ni à un mandat électif.

  7. L’énumération des dispositions ayant une portée féministe pourrait encore continuer tant le projet se voulait ambitieux. Mais les traits les plus originaux et significatifs qui ont été présentés suffisent à démontrer qu’à travers une procédure paritaire, soucieuse de la prise en compte de la voix des femmes, il est possible d’aboutir à une nouvelle forme de constitution : une « constitution féministe ».

  8. Toutefois, le rejet clair du texte par le corps électoral le 4 septembre 2022 n’a pas permis de faire de ce projet une réalité constitutionnelle. La « constitution féministe » reste pour le moment une chimère. Le caractère féministe a-t-il été la cause du rejet ? Difficile de répondre de manière pleinement affirmative à cette question. Tout d’abord, les causes du rejet sont complexes et ne peuvent être réduites à un seul facteur. D’autre part, les sondages opérés à ce sujet montrent que la question des droits des femmes et de la parité n’apparaît pas comme la première raison du refus. Cette question arrive même très loin dans les justifications données117. Certes, il existe une opposition aux droits reproductifs (et notamment à la reconnaissance dans la constitution d’un droit à l’avortement), mais il n’existe pas d’opposition frontale à l’exigence de parité au sein de l’électorat chilien. Les sondages ont montré un soutien et une approbation à l’égard de cette exigence118, y compris au sein des partis de droite traditionnelle comme Evópoli ou l’UDI. On l’a dit, la suite du processus n’a pas permis d’offrir un nouveau cadre aussi propice au développement d’une « constitution féministe ». Malgré tout, certains éléments de l’avant-projet et du projet de 2023 doivent être mis en exergue, car ils mettent en lumière l’empreinte laissée par le texte de 2022 et les spécificités du constitutionnalisme féministe chilien.

B. Les spécificités et limites des propositions constitutionnelles féministes chiliennes

  1. Le second projet de Constitution est à l’image de la philosophie ayant guidé sa procédure : l’expression d’un constitutionnalisme libéral et conservateur. Comme on l’a vu, hormis les règles de parité dans la composition des organes chargés de rédiger le projet, aucun autre mécanisme facilitant l’expression des femmes et de leurs droits n’a été mis en place. Dès lors, c’est sans surprise que le texte finalement rédigé témoigne de ce conservatisme et n’accorde pas une attention particulière aux droits des femmes.

  2. Toutefois, il convient de distinguer l’avant-projet du projet final, dans la mesure où ces deux textes présentent des différences organiques et matérielles manifestes. L’avant-projet a été rédigé par la Comisión Experta, une instance composée de 24 membres experts désignés par les deux chambres du Parlement chilien. Dans la mesure où aucune majorité nette ne se détachait au sein des deux chambres, il y eut autant d’experts nommés par la gauche que par la droite. Ensemble, ils sont parvenus en trois mois (de mars à juin 2023) à rédiger un texte comprenant 211 articles. Du fait du profil politique et professionnel de ces membres (21 d’entre eux étaient juristes), le résultat apparaît comme très classique, voire consensuel, mais il n’en présente pas moins quelques avancées, notamment en comparaison avec la Constitution actuellement en vigueur au Chili. Le projet de Constitution, quant à lui, a été rédigé par le Consejo constitucional, l’instance bénéficiant d’une légitimité démocratique directe puisque composée exclusivement de membres élus par le corps électoral le 7 mai 2023. Comme on l’a vu précédemment, ces élections ont conduit à la victoire des partis de droite et surtout d’extrême-droite. Leur confortable majorité au sein de cette assemblée (44 sièges sur 51), leur a permis d’amender largement l’avant-projet rédigé par la Comisión. De fait, lorsqu’on compare l’avant-projet de juin 2023 avec la rédaction finale du projet de novembre 2023, on constate qu’à peine 23 % des articles sont identiques.

  3. Si l’on s’attarde tout d’abord sur l’avant-projet de Constitution de juin 2023, il est indéniable que du point de vue du droit des femmes et de la perspective de genre, il n’est pas à la hauteur du projet de Constitution de 2022. Pour autant, notamment en comparaison avec d’autres constitutions, et notamment la Constitution française, la prise en compte de certaines revendications féministes transparaît. Ceci est notable concernant le recours à l’écriture inclusive. On remarque en effet qu’à l’image des constituantes et constituants de 2021-2022, les expertes et experts de 2023 y ont eu recours. Toutefois, cette utilisation n’est pas uniforme et constante tout au long du texte. Par exemple, l’expression « président de la République » est utilisé à plus de 200 reprises dans le texte, alors que l’expression « président ou présidente de la République » apparaît uniquement deux fois : à l’article 92, n°1, qui se réfère à son rôle comme chef ou cheffe d’Etat et de Gouvernement, et à l’article 94, n°2, qui porte sur l’élection présidentielle. Cette même inconstance se retrouve pour d’autres fonctions comme celles de « députés et députées », « gouverneurs et gouverneures » ou de « conseillers et conseillères régionaux »119. Si Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi120 ne parviennent pas à identifier la cause de ces incohérences, on peut l’expliquer en partie par des raisons politiques et pratiques. La Comisión était parfaitement divisée entre la droite et la gauche. Or, toute disposition devait être adoptée par une majorité qualifiée. Selon la composition des commissions et les thèmes abordés, des accords ont pu être trouvés pour certaines dispositions, ce qui n’a pas été nécessairement possible pour d’autres, et a rendu l’ensemble peu cohérent du point de vue légistique. Sur un plan plus pratique, il convient de souligner que cette Comisión a dû travailler avec un calendrier très resserré. Trois mois pour rédiger un texte constitutionnel dans son intégralité, cela reste un délai extrêmement court, même pour un groupe de 24 personnes.

  4. Sur un plan plus substantiel, l’avant-projet présente quelques aspects intéressants, qu’il faut parvenir à identifier entre les lignes. C’est le cas de l’intersectionnalité. Cette notion renvoie au fait que les inégalités et les oppressions ne sont pas simplement cumulatives mais interagissent de manière complexe et différenciée en fonction de plusieurs critères d’identité, tels que le genre, les origines ethniques ou la classe sociale. Si le terme n’est pas employé expressis verbis dans l’avant-projet, Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi121 considèrent que l’article 16, n° 3, en exprime l’idée, et en particulier sa deuxième phrase qui indique que « les pouvoirs publics, dans leurs actions, devront prendre en considération la confluence de plus d’un motif de différence de traitement arbitraire ».

  5. En revanche, en termes de parité ou des droits sexuels reproductifs, l’avant-projet ne présente pas d’innovation majeure dans ce domaine. Concernant la parité, le mot n’est pas présent. Le texte se limite à évoquer l’obligation pour l’Etat de garantir l’exercice de la participation politique des femmes. L’article 4, n°2, quant à lui, renvoie au législateur la tâche de garantir un accès équitable des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (reprenant quasi mot pour mot la formulation française de la parité de l’article 1er de la Constitution de 1958122). Quant aux droits sexuels et reproductifs, ils ne sont traités qu’indirectement et partiellement dans le texte et la question de l’avortement n’est pas abordée. Faute d’accord entre les membres de la Comisión, ce thème n’a pas été évoqué, et au regard de la formulation de l’article 16 n° 1 sur le droit à la vie (qui se contente d’affirmer sèchement que « la Constitution assure à toutes les personnes […] le droit à la vie ») on ne sait en réalité pas si l’avortement se trouve interdit ou protégé par ce texte. Il est tout simplement ignoré. En définitive, bien que Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi admettent que cet avant-projet répond à de nombreuses exigences internationales en matière de protection des droits des femmes, il présente des « omissions significatives »123, qui attestent le manque de vision intégrale des droits des femmes et de l’égalité de genre au sein du groupe de rédaction.

  6. Ces manques auraient pu être comblés par le Consejo constitucional, mais au regard de sa composition, les amendements sont plutôt venus restreindre toute interprétation du texte en faveur des droits des femmes. L’exemple le plus topique à cet égard reste celui du droit à la vie. Bien qu’il ait gardé la même numérotation dans le projet final de novembre 2023, son contenu n’est plus tout à fait le même. Le nouvel article 16, n° 1, a été formulé comme suit : « La Constitution assure à toutes les personnes [...] le droit à la vie. La loi protège la vie de celui qui est à naître [...] ». Par l’ajout de cette dernière phrase, les constituantes et constituants de 2023 ont clairement cherché à limiter la liberté d’avortement. Cependant, quand on connaît l’histoire de la rédaction de cet amendement, on sait que la formulation aurait pu être encore plus limitative puisque les membres du Partido Republicano de Chile souhaitaient introduire une autre précision, dès l’article 1 du texte, concernant la dignité de la personne humaine. Dans le texte final et dans celui de l’avant-projet, cet article débute comme suit : « La dignité humaine est inviolable et constitue le fondement du droit et de la justice ». Les membres du parti d’extrême-droite souhaitaient y introduire la phrase suivante « Tout être humain est une personne », ce qui aurait rendu la loi de 2017 sur l’avortement inconstitutionnelle et constitué une régression claire des droits des femmes. Toutefois, les autres constituants et constituantes de droite n’ont pas souhaité introduire cette précision, laissant ainsi un peu de marge pour une éventuelle interprétation juridictionnelle favorable à l’avortement. Quant à la parité, elle n’a pas fait de réapparition dans la version finale du projet. Celui-ci se contente d’évoquer « l’accès équilibré des femmes et des hommes aux candidatures à des mandats électoraux », ainsi que l’obligation pour l’Etat de garantir l’exercice de la participation politique des femmes (art. 2, n° 2, du projet de 2023), ce qui garantit a minima une parité d’entrée. En outre, elle maintient l’exigence (déjà présente dans l’avant-projet) d’instauration de mécanismes pour assurer une participation équilibrée entre les femmes et les hommes au sein des organes collégiaux des partis politiques (art. 44, n° 3, du projet de 2023).

  7. Si l’on procède désormais à un bilan d’ensemble de ces propositions constitutionnelles, que nous disent-elles du constitutionnalisme féministe et de ses ambitions ? Ce bilan est certes particulièrement difficile à tirer du fait du caractère assez hétéroclite de ces textes. Toutefois, il doit être fait afin d’éviter que cette analyse ne soit trop tronquée ou ne donne une image peut-être un peu trop idyllique de certains de ces textes (et en particulier du projet de 2022). Il faut, d’une part, rappeler qu’il s’agit de « textes-qui-auraient-pu-exister », dans le sens où n’ayant pas été adoptés, ils ne disposent d’aucune valeur juridique. Dès lors, impossible de savoir comment ils auraient pu être mis en œuvre et interprétés in concreto. D’autre part, même une analyse in abstracto permet d’en souligner les imperfections, y compris celles du projet de 2022, qui se voulait pourtant être la forme la plus aboutie du constitutionnalisme féministe. Comme le reconnaît volontiers Yanira Zúñiga, il existe encore de nombreux « angles morts »124 au sein du constitutionnalisme féministe, c'est-à-dire de nombreux thèmes ou sujets pour lesquels il est difficile de déterminer la meilleure manière de protéger les droits des femmes. Par exemple : quel est le modèle de gouvernement (présidentiel ou parlementaire) qui a le plus d’incidences négatives sur les droits des femmes ? Lequel entre l’Etat unitaire et fédéral est-il le plus adapté à la participation des femmes à la vie politique ? Les données scientifiques manquent pour se forger une opinion, et sur ces points, même le projet de Constitution de 2022 est resté très incertain et indécis.

  8. L’autre conclusion qu’il est possible de tirer de l’expérience chilienne tient à la nécessaire longueur d’une « constitution féministe ». Même si les « constitutions-catalogues » ou « constitutions-codes » ne sont pas l’apanage des seuls pays latino-américains, c’est souvent à leur sujet que la remarque (cachant souvent une critique) est formulée. Toutefois, dans le cas d’une « constitution féministe », cette longueur paraît inévitable (en nombre d’articles et en termes de signes). Jusqu’à présent les constitutions ont été écrites de manière abstraite, employant des termes englobants comme « les personnes » ou « l’humain ». Ces formulations plus resserrées présentent l’avantage d’une apparente universalité et d’une plus grande flexibilité au moment de son interprétation. Or les études de genre en droit constitutionnel démontrent que cette interprétation s’est souvent faite « sur le dos des femmes »125, en prenant uniquement le prisme masculin. Yanira Zúñiga prend l’exemple des clauses d’égalité devant la loi qui ont, dans les faits, davantage bénéficié aux hommes qu’aux femmes126. De même, les droits portant sur les conditions de travail sont formulés de telles façons qu’ils renvoient davantage à des expériences masculines que féminines. Les difficultés rencontrées par les femmes dans le monde du travail (et notamment la nécessité de concilier le travail rémunéré avec celui non rémunéré effectué dans les foyers) ne sont pas prises en compte. In fine, l’abstraction et la généralité attendue – et même plébiscitée par de nombreux juristes au sujet des constitutions – sont préjudiciables pour les femmes. Si une Constitution cherche à défendre les droits des femmes, elle doit par conséquent être plus longue et détaillée. Elle doit indiquer quelles sont les implications précises des différents droits reconnus pour la vie des femmes. L’« immense dette »127 que les constitutions ont à l’égard des femmes ne peut être réparée que par un texte détaillé et précis.

  9. Enfin, la dernière remarque que l’on souhaiterait formuler à l’égard de ces textes porte sur la question de l’universalisme du constitutionnalisme féministe. Dans son passionnant ouvrage sur la nécessité d’une « constitution féministe », Yanira Zúñiga analyse le processus constituant (qui était en cours au moment où elle écrivait) et évoque l’existence d’un « constitutionnalisme féministe made in Chile »128. Ainsi, il y aurait un constitutionnalisme féministe proprement chilien. Cette spécificité se retrouve-t-elle dans les versions finales des textes et si oui, comment ?

  10. Si une telle spécificité devait exister, elle ne réside pas, à nos yeux, dans l’adhésion à un courant déterminé du féminisme. On ne peut affirmer que les projets de Constitution chilienne se rattachent formellement au féminisme classique ou libéral, au féminisme marxiste, au féminisme radical, au féminisme décolonial ou à l’éco-féminisme. On ressent ces différentes inspirations dans le projet de Constitution de 2022, mais aucune ne semble prendre le pas sur une autre.

  11. La spécificité des propositions constitutionnelles chiliennes semble résider ailleurs, dans quelque chose de plus profond et donc plus difficilement descriptible, qui est dû à la manière dont le genre y est perçu. Ce terme, qui a été employé à plusieurs reprises dans cet article, vise à mettre un mot sur un engrenage social. Il est une « construction sociale de la différence sexuelle »129. Du fait de son lien avec les processus socio-culturels, le genre et la manière dont il est appréhendé diffèrent selon les sociétés. Ce qui peut être considéré comme genré dans un lieu donné peut ne pas l’être dans un autre. Dès lors, on ne s’étonnera pas que certains combats ou acquis féministes acquièrent plus d’importance dans un pays que dans d’autres. L’exemple le plus topique, et qui précisément se retrouve dans les deux projets de Constitution, est celui des « cuidados » (en anglais le « care »). Ce sujet, débattu tout au long du processus constituant, est un combat auquel les féministes chiliennes sont particulièrement attachées. Selon Victoria Martínez Placencia, les « cuidados » peuvent être définis comme l’ensemble des activités de travail indispensables à la vie humaine et au développement humain, aussi bien sur le plan matériel qu’émotionnel130. Certaines de ces activités peuvent être directes, comme le fait de nourrir un enfant ou d’aider une personne âgée à se laver. D’autres peuvent être indirectes, comme le fait d’acheter des aliments ou faire le ménage. Dans la mesure où ces activités sont principalement assurées par des femmes (71,7% du travail domestique au Chili est assuré par des femmes131), elles représentent un enjeu important des revendications des féministes au Chili. Non seulement elles constituent un frein à la participation des femmes dans les sphères professionnelles et publiques, mais leur invisibilisation par l’Etat conduit à présumer la disponibilité et la gratuité du travail féminin132.

  12. Bien évidemment, le projet de Constitution de 2022 a veillé à intégrer cet aspect et lui a accordé une importance toute particulière. Le texte considère que ces « cuidados » sont des travaux socialement nécessaires et indispensables pour le développement de la société, qui constituent une activité économique devant être prise en compte dans l’élaboration et l’exécution des politiques publiques (art. 49.1 du projet de 2022). L’article 45.2 prévoyait également que les personnes assurant des travaux domestiques et de soins seraient prises en charge par un système public de sécurité sociale. L’article 46.4, quant à lui, imposait à l’Etat d’élaborer des politiques publiques qui permettent de concilier la vie professionnelle, la vie familiale, la vie en communauté et le travail du care. On notera, par ailleurs, que ce thème était présent dès le règlement intérieur de la Convención constitucional, puisque son article 1 en faisait un des principes directeurs des travaux de l’assemblée. Ainsi, il était indiqué que les personnes assumant de telles responsabilités devaient bénéficier de conditions d’égalité sur le plan de la participation démocratique. Une autre preuve de l’importance de cette thématique se trouve dans les initiatives populaires de normes constitutionnelles. En effet, tout au long du processus il a été possible pour les citoyennes et citoyens de soumettre aux organes des propositions d’articles constitutionnels133. Or on constate que plusieurs de ces initiatives portaient sur la reconnaissance de ce travail de « cuidados ». Parmi les 77 initiatives populaires de normes examinées par la Convención constitucional, trois portaient sur cette thématique134. Devant le Consejo constitucional, on en dénombre deux sur ce même thème135.

  13. Mais où réside ici la spécificité chilienne ? La question du travail domestique est aussi présente dans d’autres pays, au point où on peut considérer que cette thématique fait partie du « noyau dur » du constitutionnalisme féministe contemporain. Ici, la spécificité ne réside pas tant dans le fait qu’il soit considéré comme un combat féministe, mais qu’au contraire il s’agisse d’une thématique qui dépasse le spectre des revendications féministes et le clivage droite / gauche (et même extrême gauche / extrême droite). Bien évidemment, les raisons du soutien à cette thématique diffèrent selon les partis politiques. A gauche, ce soutien vise à dénoncer et à alléger la charge que ce travail représente pour les femmes. A droite, il repose davantage sur l’attachement à la famille et à la nécessité de la placer au fondement des relations sociales. La preuve en est que cette question est également abordée par le projet de Constitution de 2023. Dans ce texte qui, rappelons-le, a été approuvé par une majorité de membres des partis de droite et d’extrême-droite, l’article 13 dispose que : « 1. La Constitution reconnaît la valeur des soins pour le développement de la vie au sein de la famille et de la société. L’Etat devra promouvoir la co-responsabilité, et créer et contribuer à la création de mécanismes de soutien et d’accompagnement des personnes chargées d’assurer ces soins et de leurs bénéficiaires. 2. L’Etat devra promouvoir la conciliation entre la vie familiale et professionnelle et la protection de la parentalité, de la paternité et de la maternité ». On pourrait peut-être penser de prime abord que cet article n’est qu’une reformulation atténuée d’un des articles présents dans l’avant-projet. Or de manière assez étonnante, l’avant-projet élaboré par la Comisión Experta ne contenait aucun article portant sur ce thème136. Alors que cette commission était composée à moitié de membres soutenus par des partis de gauche, le texte ne prévoyait pas de reconnaissance de ces activités, ni n’imposait à l’Etat de veiller à leur valorisation ou à leur redistribution137. Comment expliquer alors que le texte final, plus conservateur, le fasse ? L’explication principale tient au fait qu’au Chili, comme dans d’autres pays d’Amérique latine, le thème des « cuidados » n’est pas une thématique purement féministe. Elle traverse l’ensemble du spectre politique, et se retrouve même dans des Constitutions qui ne peuvent être considérées comme des « constitutions féministes », à l’image de la Constitution de la République Dominicaine (art. 55.11138). Ce qui est usuellement considéré comme féministe au Chili n’est pas le thème en soi, mais davantage le fait qu’il y ait une redistribution de ces activités indépendamment du genre139. Comme le soulignaient Elsa Fondimare et Laurie Marguet, une démocratie paritaire doit certes veiller à la présence des femmes dans toutes les sphères publiques, mais elle doit aussi en contrepartie veiller à « l’implication des hommes dans la sphère privée »140. C’est précisément ce que cherchaient à faire les deux projets de Constitution de 2022 et 2023 et que ne fait pas a contrario la Constitution de la République Dominicaine par exemple, puisqu’elle ne prévoit pas une obligation de co-responsabilité. Le projet de Constitution de 2022 va encore plus loin que celui de 2023, en prévoyant notamment l’instauration d’un système intégral du travail du care pris en charge par l’Etat pour pallier et aider à l’exécution de ces tâches au quotidien. Le projet de 2023, lui, considère que l’action de l’Etat doit se limiter à de la promotion et non à garantir des mécanismes de soutien. Mais les deux textes veillent à ne pas genrer ces activités et à les soumettre à un principe de co-responsabilité. Ainsi, pour central qu’il soit dans la théorie féministe, la comparaison des deux projets tend à démontrer que la prise en compte du travail du care n’est pas nécessairement un marqueur déterminant du constitutionnalisme féministe au Chili, puisque les partis conservateurs (moins propices à défendre les propositions féministes) ont été réceptifs à cette prise en compte. Quelle pourrait en être la raison ? S’il est toujours dangereux pour une juriste de naviguer dans ces eaux, on peut formuler l’hypothèse qu’elle tient à des données culturelles et économiques propres au pays. Les rapports de genre, au Chili, restent marqués par le poids du catholicisme qui lie étroitement la femme à la famille141. Bien que le pays soit en voie de sécularisation, le conservatisme social et politique imprègne toujours les relations sociales et constitue un frein à l’individuation des femmes142. Comme l’explique Bérengère Marques-Pereira, l’enjeu de l’individuation des femmes « réside dans leur reconnaissance comme sujets au-delà des rôles assignés (tels que mères et épouses) »143. Or, ce poids historique et culturel du catholicisme conduit à assigner les femmes chiliennes à des rôles de « soigneuses ». Si du côté des féministes chiliennes, cette assignation est un fait acté, qu’il faut non pas tant combattre que rémunérer et rééquilibrer, il n’existe pas d’opposition de principe au sein des milieux plus conservateurs à ces mêmes évolutions. L’idéologie néolibérale dominante dans le pays, qui a conduit à voir les femmes comme des superwomen, s’accorde bien avec l’idée d’une rémunération économique de ces tâches. Cette rémunération peut, dans leur esprit, être faible et surtout d’initiative privée, mais elle est possible. Quant au rééquilibrage de ces tâches entre les genres (ou co-responsabilité), à partir du moment où il n’est pas contraint juridiquement mais simplement promu par l’Etat, il est considéré comme compatible avec une vision familiale conservatrice, plaçant la paternité et la maternité au centre. En définitive, le projet de 2022 et le celui de 2023, par leurs similitudes et leurs différences sur ce thème révèlent des spécificités propres au pays, qui, du point de vue juridique, doivent être prises en compte au moment d’envisager toute analyse comparative.

  14. En conclusion, que retenir de ce processus et de ces projets de Constitution pour les droits des femmes ? En dépit des mises en garde formulées en introduction, il est possible de tirer deux enseignements de cette expérience constituante, valables pour le Chili mais aussi plus généralement pour le constitutionnalisme féministe. L’expérience chilienne montre tout d’abord l’utilité d’une masse de femmes au sein des organes constituants pour aboutir à des textes consacrant des droits les protégeant144. Toutefois, cet enseignement s’accompagne immédiatement d’un second : cette masse doit être accompagnée d’un ensemble de mécanismes procéduraux spécifiques, pensés au prisme de la perspective de genre. La différence entre le projet de Constitution de 2022 et celui de 2023 s’explique en grande partie, dans le premier cas, par le soin apporté à ces mécanismes, et dans le second, par leur absence de prise en compte. Difficile de déterminer si le Chili retrouvera dans un futur proche une nouvelle occasion de mettre à profit ces enseignements. Depuis le rejet du second projet de Constitution, le contexte politique n’est plus favorable à la poursuite du processus. Mais si ces conditions étaient à nouveau réunies, deux quasi-certitudes peuvent être formulées : il est fort probable que soit maintenue l’exigence de parité dans la composition de l’organe chargé de la rédaction du projet de Constitution et que les débats constituants fassent ré-émerger le projet de Constitution de 2022, vu comme un texte incontournable autour duquel (ou contre lequel) sera pensée la nouvelle Constitution. Ces deux quasi-certitudes peuvent alors être considérées comme un legs pour la construction d’un constitutionnalisme féministe ailleurs dans le monde : le Chili a dessiné une voie (« Nunca más sin nosotras ») et a élaboré un texte de référence (le projet de 2022145), qui constituent tous deux la « mémoire du futur »146 féministe.

Carolina Cerda-Guzman, maîtresse de conférences en droit public, Université de Bordeaux, CERCCLE (UR 7436).

Références


  1. « Historiques ». Sauf indication contraire, toutes les traductions de l’espagnol au français sont personnelles.↩︎

  2. Que l’on peut traduire littéralement par « explosion sociale ».↩︎

  3. Que l’on peut traduire littéralement par « Plus jamais sans nous les femmes ». Il s’agit d’un des slogans féministes les plus repris lors du processus constituant chilien.↩︎

  4. Nelly Richard, Revuelta Social y Nueva Constitución, CLACSO, 2021, p. 50.↩︎

  5. Loi constitutionnelle n° 21.216 du 20 mars 2020 qui modifie la Charte fondamentale pour permettre la formation de pactes électoraux d’indépendants et garantir la parité de genre dans les candidatures et la composition de l’organe constituant formé pour la création d’une Nouvelle Constitution politique de la République. Dans la suite de l’article, nous reviendrons plus longuement sur les dispositions de cette loi constitutionnelle.↩︎

  6. Voir par exemple : Sergio Verdugo, « How do constitution-making processes fail? The case of Chile’s Constitutional Convention (2021-22) », Global Constitutionalism, vol. 13, n°1, 2024, p. 154-167 ; Pamela Figueroa Rubio, « The failed case of a perfect design? The Case of Chile’s Constitution Making Process (2016-2022) », Max Planck Institute for Comparative Public Law & International Law, Research Paper No 2023-16, 2023, en ligne : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4515945 ; Guillermo Larraín, Gabriel Negretto et Stefan Voigt, « How not to write a constitution : lessons from Chile », Public Choice, n°194, 2023, p. 233-247.↩︎

  7. Chapitre I, article 1 de la Constitution d’Afrique du Sud.↩︎

  8. Article 108 de la Constitution de l’Equateur.↩︎

  9. Voir : Nelly Richard, Revuelta Social y Nueva Constitución, op. cit., p. 39-45 ; Pierre Dardot, La mémoire du futur. Chili 2019-2022, Lux Editeur, 2023.↩︎

  10. « Accord pour la Paix Sociale et la Nouvelle Constitution ».↩︎

  11. Loi constitutionnelle n°21.200 du 23 décembre 2019 qui modifie le chapitre XV de la Constitution politique de la République ; Loi constitutionnelle n°21.216 du 20 mars 2020 précitée ; Loi constitutionnelle n°21.298 du 21 décembre 2020 qui modifie la Charte fondamentale pour réserver des sièges aux représentants des peuples indigènes dans la Convención constitucional et pour préserver et promouvoir la participation des personnes en situation de handicap dans l’élection de la Convención constitucional. Pour une étude détaillée de ces lois, voir : Carolina Cerda-Guzman, « Autopsie d’un échec. Retour sur le rejet du projet de Constitution pour le Chili », Jus Politicum. Revue de droit politique, n°29, 2023, p. 111-147.↩︎

  12. Pour plus d’éléments sur ce point, voir : Carolina Cerda-Guzman, « D’un projet de Constitution trop "avant-gardiste" à un projet "rétrograde". Retour sur la seconde phase de l’expérience chilienne d’écriture d’une constitution », msh.hypothèses, en ligne : https://mshbordeaux.hypotheses.org/5451.↩︎

  13. Liliana Estupiñán Achury et María Cristina Gómez Isaza, « La utopía constitucional descolonial y feminista chilena. Una lectura desde Colombia », in Liliana Estupiñán Achury, Lilian Balmant Enrique et Marco Romero Silva (dir.), Constitucionalismo de la resistencia y la integración desde y para Abya Yala, Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento – Codhes, 2023, p. 168.↩︎

  14. Que l’on peut traduire par « Accord pour le Chili ».↩︎

  15. Loi constitutionnelle n°21.533 du 13 janvier 2023 qui modifie la Constitution politique de la République avec pour objet d’établir une procédure d’élaboration et d’approbation d’une Nouvelle Constitution politique de la République.↩︎

  16. La loi constitutionnelle n°21.533 (précitée) mentionne 50 sièges, mais prévoit la possibilité pour les personnes appartenant à des communautés et des peuples originaires d’obtenir des sièges supplémentaires en fonction de la participation électorale lors des élections constituantes. Les seuils fixés étaient si élevés que les chances d’obtenir des sièges étaient très réduites. Au final, une seule communauté est parvenue à obtenir un siège supplémentaire : la communauté Mapuche.↩︎

  17. Plus précisément, sur les 51 membres du Consejo constitucional, 23 étaient rattachés au Partido Republicano de Chile (qui se situe à l’extrême-droite de l’échiquier politique) et 11 représentaient la coalition des partis de droite plus traditionnels. Dès lors, la droite et l’extrême-droite disposaient de 44 sièges sur 51, ce qui constituait une majorité suffisante pour adopter seuls les amendements contre l’avant-projet de Constitution.↩︎

  18. Carolina Cerda-Guzman, « La "Constitution de Pinochet" ne meurt jamais ? », AOC, 17 janvier 2024, en ligne : https://aoc.media/analyse/2024/01/16/la-constitution-de-pinochet-ne-meurt-jamais/.↩︎

  19. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, Paidós, 2022, p. 15.↩︎

  20. Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », International Journal of Constitutional Law, vol. 18, n°1, 2020, p. 236.↩︎

  21. Verónica Undurraga, « Engendering a constitutional moment: The quest for parity in the Chilean Constitutional Convention », International Journal of Constitutional Law, vol. 18, n°2, 2020, p. 468.↩︎

  22. Voir notamment : Julieta Kirkwood, Ser política en Chile : las feministas y los partidos, FLACSO, 1982, rééd. 1986, p. 53 et suivantes.↩︎

  23. Décret ayant force de loi n°226 du 15 mai 1931 portant création du Code sanitaire.↩︎

  24. Loi n°9.292 du 8 janvier 1949 qui modifie la loi générale sur l’inscription aux listes électorales.↩︎

  25. Julieta Kirkwood, Ser política en Chile : las feministas y los partidos, op. cit., p. 56.↩︎

  26. Ibidem, p. 58.↩︎

  27. Andrea Zamora Garrao, « La mujer como sujeto de la violencia de género durante la dictadura militar chilena: apuntes para una reflexión », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], 2008, en ligne : http://journals.openedition.org/nuevomundo/27162. Pour une analyse plus globale du recours à la violence sur la dictature, voir : Manuel Guerrero Antequera, Sociología de la masacre. La producción social de la violencia, Paidós, 2023.↩︎

  28. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 91.↩︎

  29. En espagnol : « Democracia en el país y en la casa ». Voir : Daniela Schroder Babarovic, « Un feminismo contra la precarización de la vida: Trayectorias y perspectivas ante el cambio de ciclo político en Chile », Tricontinental, 19 septembre 2022, en ligne : https://thetricontinental.org/es/argentina/cuadernosfem01-schroder/.↩︎

  30. Ici référence est faite au concept d’« enclaves autoritaires » développé par Manuel Antonio Garretón (qu’il définit comme « les éléments normatifs, constitutionnels, et législatifs qui empêchent ou limitent l’exercice de la volonté populaire, le principe de représentation et le gouvernement effectif des majorités ») et à celui de « piège constitutionnel » évoqué par Fernando Atria ; v. : Manuel Antonio Garretón, La posibilidad democrática en Chile, FLACSO, 1989 ; Fernando Atria, La Constitución tramposa, LOM Ediciones, 2013.↩︎

  31. Loi n°18.826 du 15 septembre 1989 qui remplace l’article 119 du Code sanitaire. Sur le contexte de cette réforme, voir : Leslie Nicholls et Fedra Cuestas, « Penalización del aborto : violencia política y abusos de la memoria en Chile », Saúde et Sociedade, vol. 27, n°2, 2018, p. 369.↩︎

  32. Sur les conséquences de cette pénalisation, voir : Ibid., p. 370 et suivantes.↩︎

  33. Sur le caractère conservateur de la Démocratie chrétienne chilienne dans le domaine des droits des femmes, voir : Bérengère Marques-Pereira, « Le Chili : une démocratie de qualité pour les femmes ? », Politique et Sociétés, vol. 24, n°2-3, 2005, p. 147-169 ; Fabiola Miranda-Pérez et Angélica Gómez-Medina, « Quelle reconnaissance des droits sexuels et reproductifs au Chili et en Colombie ? », Autrepart, n°70, 2014, p. 25.↩︎

  34. Loi n°19.947 du 7 mai 2004 qui établit une nouvelle loi de mariage civil.↩︎

  35. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 59.↩︎

  36. Loi n°20.840 du 27 avril 2015 qui remplace le système électoral binominal par un système proportionnel inclusif et renforçant la représentativité du Congrès national. Elle impose que jusqu’en 2029, les partis politiques déposent des listes de candidature aux élections parlementaires (législatives et sénatoriales) comprennent au maximum 60 % de membres d’un même sexe. Dans les faits, les partis politiques l’entendent comme une obligation d’avoir des listes comprenant un quota de 40 % de femmes, ce qui est une interprétation très a minima de la règle. Pour une étude sur la manière dont cette règle de parité a été mise en œuvre lors des élections parlementaires de 2021, voir : ComunidadMujer, Mujer y política : ¿Cómo funcionó la cuota de género en las Elecciones Parlamentarias 2021 ?, Bulletin #51, 2022, 29.↩︎

  37. Loi n°20.915 du 11 avril 2016 qui renforce le caractère public et démocratique des partis politiques et facilite leur modernisation.↩︎

  38. Loi n°21.030 du 14 septembre 2017 qui régule la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans trois hypothèses. Nous reviendrons ultérieurement sur le contenu de ce texte.↩︎

  39. Mobilisation qui a débuté par une université du sud du pays, la Universidad Austral de Chile. Sur l’importance de cette mobilisation de 2018, voir : Nelly Richard, Revuelta Social y Nueva Constitución, op. cit., p. 49.↩︎

  40. Daniela Schroder Babarovic, « Un feminismo contra la precarización de la vida: Trayectorias y perspectivas ante el cambio de ciclo político en Chile », op. cit.↩︎

  41. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 63.↩︎

  42. Cette performance sera ensuite répétée de manière plus massive à Santiago du Chili, le 25 novembre 2019. Voir : https://www.youtube.com/watch?v=aB7r6hdo3W4.↩︎

  43. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 64 et 65.↩︎

  44. Instituto Nacional de Estadísticas, Enfoque Estadístico de Género e Ingresos 2016, décembre 2017, p. 3.↩︎

  45. Ibid., p. 61.↩︎

  46. Tribunal Constitutionnel chilien, 18 avril 2008, affaire n°740-07-CDS.↩︎

  47. Tribunal Constitutionnel chilien, 28 août 2017, affaire n°3729(3751)-17-CPT. Voir en particulier le considérant n°123, p. 193 à 195.↩︎

  48. Loi n°21.030 du 14 septembre 2017 précitée.↩︎

  49. Pour plus de détails sur cette objection de conscience institutionnelle et sur les évolutions juridiques dans sa mise en œuvre, voir : Pablo Marshall et Yanira Zúñiga, « Objeción de conciencia y aborto en Chile », Derecho PUCP, n°84, 2020, p. 99-130.↩︎

  50. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., op. cit., p. 16.↩︎

  51. Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 237.↩︎

  52. Nanako Tamaru et Marie O’Reilly, How Women Influence Constitution Making After Conflict and Unrest, Research Report for Inclusive Security, Janvier 2018. Avant 1990, on évalue leur participation aux alentours de 5 et 10%. Voir : Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit.↩︎

  53. En 2019, le Chili était présidé par Sebastián Piñera, un président élu grâce à une coalition de partis de droite, et qui était très opposé au principe même d’un changement de Constitution.↩︎

  54. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 72.↩︎

  55. Loi constitutionnelle n°21.200 du 23 décembre 2019 précitée.↩︎

  56. Loi constitutionnelle n°21.216 du 20 mars 2020 précitée.↩︎

  57. Voir par exemple : Devra C. Moehler, Distrusting Democrats. Outcomes of Participatory Constitution Making, University of Michigan Press, 2008.↩︎

  58. Cecilia Valenzuela Oyaneder et Luis Villavicencio Miranda, « La constitucionalización de los derechos sexuales y reproductivos. Hacia una igual ciudadanía para las mujeres », Revista Ius et Praxis, n°1, 2015, p. 274 ; Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 236.↩︎

  59. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 80.↩︎

  60. Ibid, p. 38 et 46. A titre très accessoire, mais de manière très symbolique, on peut ici rappeler un extrait de la chanson « Un violador en tu camino » du collectif Las Tesis : « El Estado opresor es un macho violador  » / « L'Etat oppresseur est un homme violeur ».↩︎

  61. Verónica Undurraga, « Engendering a constitutional moment : The quest for parity in the Chilean Constitutional Convention », op. cit., p. 468.↩︎

  62. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 80.↩︎

  63. Manuela Badilla, « Feminism in Chile’s Past and Future Constituent Process », North American Congress on Latin America – Report on the Americas, vol. 54, n°4, 2022, p. 478.↩︎

  64. Elsa Fondimare et Laurie Marguet, « La parité en France et en Allemagne », R.I.D.C., vol. 68, n°3, 2016, p. 650.↩︎

  65. Ibid.↩︎

  66. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 82.↩︎

  67. Loi constitutionnelle n°21.216 du 20 mars 2020 précitée. Cette loi a introduit une série de dispositions transitoires au sein de la Constitution chilienne.↩︎

  68. Egalement appelé « méthode de Jefferson ». Selon cette clé de répartition, le nombre de votes obtenu par chaque liste dans une circonscription donnée est successivement divisé par 1, 2, 3, etc. (jusqu’au nombre de sièges à pourvoir). Les quotients obtenus sont alors organisés par ordre de grandeur décroissante. Chaque siège est distribué au fur et à mesure à la liste ayant obtenu le quotient le plus élevé. Cette méthode est par exemple utilisée pour l’élection des sénateurs en Belgique↩︎

  69. Art. transitoire n°30 de la Constitution politique du Chili.↩︎

  70. Carmen Le Foulon et Valeria Palanza, « Elecciones a la Convención Constituyente : innovación y renovación », Centro de Estudios Públicos – Edición digital, n°580, 2021, p. 7.↩︎

  71. Art. transitoire n°30 de la Constitution politique du Chili.↩︎

  72. Au Chili, des règles relativement proches avaient déjà été mises en place pour l’élection de l’ordre des avocats. Cf. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 81.↩︎

  73. Ibid., p. 75.↩︎

  74. Ibid., p. 79.↩︎

  75. Ibid., p. 80.↩︎

  76. Pour une étude très détaillée de cette élection des membres de la Convención constitucional, sous le prisme de la parité, voir : Javiera Arce-Riffo et Julieta Suárez-Cao, « La paridad chilena y la lucha por una representación efectiva de las mujeres en política », Anuario de Derecho Público, n°1, 2021, p. 129-147.↩︎

  77. Loi constitutionnelle n°21.533 du 13 janvier 2023 précitée.↩︎

  78. Observatorio Nueva Constitución, Observación n°4 : Género y Nueva Constitución, 2021, p. 18, en ligne : https://foropoliticaexterior.cl/genero-y-nueva-constitucion/.↩︎

  79. Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 243 à 256.↩︎

  80. Daniela Schroder Babarovic, « Un feminismo contra la precarización de la vida: Trayectorias y perspectivas ante el cambio de ciclo político en Chile », op. cit.↩︎

  81. Ibid.↩︎

  82. Ibid.↩︎

  83. Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 241.↩︎

  84. Ibid., p. 242.↩︎

  85. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 84.↩︎

  86. Plus précisément, elle est membre de la communauté Lefweluan de la commune de Traiguen.↩︎

  87. De manière intéressante, les membres de la Convention avaient souhaité que le mandat des membres du bureau soit uniquement de 6 mois et non d’un an, afin de permettre une rotation de ces fonctions.↩︎

  88. Marcela Prieto Rudolphy, « A Feminist Rethinking of the Chilean Constitution? », I•CONnect Blog, 5 novembre 2020, http://www.iconnectblog.com/symposium-on-chilean-referendum-part-iii-a-feminist-rethinking-of-the-chilean-constitution/. Pour quelques exemples de telles pratiques, voir : Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 241.↩︎

  89. Ruth Rubio-Marín, Ibid.↩︎

  90. Virginia Guzmán, « La agenda feminista en la propuesta de una nueva Constitución para Chile », Revista Deusto de Derechos Humanos, n°10, 2022, p. 169.↩︎

  91. Loi constitutionnelle n°21.533 du 13 janvier 2023 précitée.↩︎

  92. Voir par exemple, Catalina Lagos Tschorne et Natalia Morales Cerda, « La Constitución y las mujeres. Un análisis con perspectiva de género », in Javiera Arce Riffo (dir.), El Estado y las mujeres. El complejo camino hacia una necesaria transformación de las instituciones, RIL Editores, 2018, p. 333-351 ; Catalina Lagos et Natalia Arévalo, « Constitucionales latinoamericanas y perspectiva de género », in Bárbara Sepúlveda et Florencia Pinto (dir.), La Constitución feminista, LOM Ediciones, 2021, p. 77-112.↩︎

  93. Certains de ses travaux sont abondamment cités dans cet article.↩︎

  94. Pour une critique de cet avant-projet sous une perspective de genre, voir : Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi, « Análisis de los contenidos sobre igualdad sustantiva de las mujeres del anteproyecto de Constitución Política aprobado por la Comisión Experta », Estudios constitucionales, vol. 21, n° spécial, 2023, p. 60-87.↩︎

  95. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 99.↩︎

  96. Ibid.↩︎

  97. Marcela Prieto Rudolphy, « A Feminist Rethinking of the Chilean Constitution ? », op. cit.↩︎

  98. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 95.↩︎

  99. Ibid., p. 95 et 96.↩︎

  100. Ibid., p. 101.↩︎

  101. Ibid.↩︎

  102. Ici est donnée une définition issue du glossaire créé par ONU Femmes et le PNUD et diffusé à travers son site internet : https://www.mujeresyconstitucion.cl/#perspectiva.↩︎

  103. Pour faciliter l’accès du lectorat non-hispanophone à ce texte, nous avons procédé en août 2022, avec l’aide d’Elba Guzmán Chacana, à une traduction intégrale du projet de Constitution de 2022, qui peut être téléchargée sur ce site de manière totalement gratuite : https://sites.google.com/view/nouvelleconstitutionchilivf/accueil. La qualité de traduction peut être encore améliorée (ce travail a été fait durant l’été 2022), mais elle est à nos yeux suffisante pour pouvoir appréhender le texte.↩︎

  104. En Amérique latine, on peut citer les Constitutions de l’Equateur et de la Bolivie.↩︎

  105. Helen Irving, Gender and the Constitution. Equity and Agency in Comparative Constitutional Design, Cambridge University Press, 2008, p. 24 à 41.↩︎

  106. Cecilia Valenzuela Oyaneder et Luis Villavicencio Miranda, « La constitucionalización de los derechos sexuales y reproductivos. Hacia una igual ciudadanía para las mujeres », op. cit., p. 274.↩︎

  107. En espagnol, l’article défini pluriel peut être féminisé ou masculinisé (« las » et « los »). Pour symboliser la pluralité d’un collectif, les féministes ont parfois recours à une fusion de « las » et « los » en « les » (qui est un mot qui n’est pas reconnu par l’académie royale espagnole). Ainsi, au lieu de dire « las y los responsables políticos », on peut lire « les responsables políticos ».↩︎

  108. Ainsi, une traduction plus proche de l’intention des auteurs du texte serait : « Nous, les femmes et hommes du peuple chilien […] ».↩︎

  109. Loi n°21.030 du 14 septembre 2017 précitée.↩︎

  110. Tribunal Constitutionnel chilien, 28 août 2017, affaire précitée.↩︎

  111. Extraits de l’art. 1 du projet de Constitution de 2022 : « Le Chili est un Etat de droit social et démocratique. Il est plurinational, interculturel, régional et écologique. Il se constitue comme une République solidaire. Sa démocratie est inclusive et paritaire. Il reconnaît comme valeurs intrinsèques et inaliénables la dignité, la liberté, l'égalité réelle des êtres humains et leur relation indissoluble avec la nature ».↩︎

  112. Verónica Undurraga, « Engendering a constitutional moment : The quest for parity in the Chilean Constitutional Convention », op. cit., p. 469.↩︎

  113. Ibid., p. 470.↩︎

  114. Roberto Gargarella, « Rejection of the New Chilean Constitution : Some Reflections », Oxford Human Rights Hub, 14 septembre 2022, en ligne: https://ohrh.law.ox.ac.uk/rejection-of-the-new-chileanconstitution-some-reflections/.↩︎

  115. Sur la puissance transformatrice du féminisme, voir : Daniela Schroder Babarovic, « Un feminismo contra la precarización de la vida: Trayectorias y perspectivas ante el cambio de ciclo político en Chile », op. cit.↩︎

  116. Pour une présentation des régimes d’exception au Chili, voir : Carolina Cerda-Guzman, « Histoire, continuité et actualité des régimes d’exception au Chili », Cultures & Conflits, 2018, n°112, p. 75-92.↩︎

  117. Par exemple dans cette étude réalisée par la CADEM, effectuée au lendemain du référendum, l’opposition aux droits des femmes et à la reconnaissance du droit à l’avortement dans la Constitution n’arrive en tête des raisons du vote « non » que pour 6 % des personnes sondées et elle n’est mentionnée parmi les raisons du vote « non » que dans 8 % des réponses. Voir : CADEM, Encuesta Plaza Pública. Estudio 452, Segunda Semana de Septiembre, 2022.↩︎

  118. Patricia Morales, « Nunca más sin nosotras: La importancia de la paridad en el proceso constituyente », La Tercera, 30 septembre 2020, en ligne : https://www.latercera.com/paula/nunca-mas-sin-nosotras-la-importancia-de-la-paridad-en-el-proceso-constituyente/.↩︎

  119. L’excellente analyse faite par Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi sur cet avant-projet comprend bien d’autres exemples de ce type : « Análisis de los contenidos sobre igualdad sustantiva de las mujeres del anteproyecto de Constitución Política aprobado por la Comisión Experta », op. cit., p. 64 et suivantes.↩︎

  120. Ibid.↩︎

  121. Ibid., p. 71.↩︎

  122. L’influence française dans la rédaction de cet article au sein de l’avant-projet nous a été confirmée directement par des membres de la Comisión Experta.↩︎

  123. Bárbara Sepúlveda et Lieta Vivaldi, « Análisis de los contenidos sobre igualdad sustantiva de las mujeres del anteproyecto de Constitución Política aprobado por la Comisión Experta », op. cit., p. 84.↩︎

  124. Yanira Zúñiga, Nunca más sin nosotras. Por qué es necesaria una constitución feminista, op. cit., p. 99.↩︎

  125. Ibid., p. 93.↩︎

  126. Ibid.↩︎

  127. Ibid.↩︎

  128. Ibid., p. 55.↩︎

  129. Plus précisément, le genre est un « ensemble de pratiques, croyances, normes et représentations sociales liées aux caractéristiques anatomiques ou physiologiques des individus, sur lesquelles se fondent les rôles ou les attentes en matière de comportement ». Voir : Ibid., p. 33.↩︎

  130. Victoria Martínez Placencia, « Los cuidados en el anteproyecto de la Comisión Experta », in Sebastián Salazar Pizarro (dir.), La encrucijada constitucional de Chile, UAH/Ediciones, 2023, p. 183.↩︎

  131. ComunidadMujer, ¿Cuánto aportamos al PIB ? Primer estudio nacional de valoración económica del trabajo doméstico y de cuidado no remunerado en Chile, 2019, p. 11.↩︎

  132. Verónica Undurraga, « El derecho constitucional al cuidado. Más que un derecho, un cambio del pacto social », El País, 23 août 2022.↩︎

  133. Pour une présentation de ce mécanisme dans le cadre de la Convención constitucional et pour une critique de sa mise en œuvre, voir : Carolina Cerda-Guzman, « Autopsie d’un échec. Retour sur le rejet du projet de Constitution pour le Chili », op. cit., p. 135 et 136.↩︎

  134. Il s’agit de l’initiative n°71.122 portant sur la reconnaissance constitutionnelle du travail domestique et de soins (porté par un maire, Daniel Jadue), l’initiative n° 9.638 sur le droit aux soins (porté par ComunidadMujer et le centre « Núcleo Constitucional » de l’Université Alberto Hurtado) et l’initiative n° 56.422 sur les soins à apporter aux enfants (porté par le Movimiento Ciudadano Postnatal de Emergencia). Pour une présentation de ces trois initiatives, voir : Estefanía Andahur, Catalina Figueroa, Pedro Glatz et Valentina Pineda, Iniciativas populares de norma que ingresaron a la Convención Constitucional. Análisis temático de socioecología, feminismo y participación popular, Rumbos Constituyentes, Rapport n°3, 2022, p. 13.↩︎

  135. Il s’agit de l’initiative n° 10.107 intitulée « Me cuidaron, cuido y me cuidarán » (« On m’a soigné, je soigne et on prendra soin de moi ») portée par ComunidadMujer, le centre « Núcleo constitucional » de l’Université Alberto Hurtado et l’association Yo Cuido, et de l’initiative n° 10.163 sur l’éducation et le soin dès le berceau, portée entre autres par EVEP INICIAL et FENPRUSS.↩︎

  136. Au grand dam de Victoria Martínez Placencia : Victoria Martínez Placencia, « Los cuidados en el anteproyecto de la Comisión Experta », op. cit., p. 185 et 186.↩︎

  137. Ibid.↩︎

  138. « L’Etat reconnaît le travail domestique comme une activité économique qui crée de la valeur ajoutée et produit de la richesse et du bien-être social, et qui, dès lors, doit être pris en compte dans l’élaboration et l’exécution des politiques publiques et sociales ».↩︎

  139. Victoria Martínez Placencia, « Los cuidados en el anteproyecto de la Comisión Experta », op. cit., p. 191.↩︎

  140. Elsa Fondimare et Laurie Marguet, « La parité en France et en Allemagne », op. cit., p. 678.↩︎

  141. Bérengère Marques-Pereira, « Le Chili : une démocratie de qualité pour les femmes ? », op. cit., p. 147-169.↩︎

  142. Ibid., p. 169.↩︎

  143. Ibid., p. 152.↩︎

  144. Confirmant ainsi les études faites par le constitutionnalisme féministe dans ce domaine. Voir par exemple : Ruth Rubio-Marín, « Women and participatory constitutionalism », op. cit., p. 242.↩︎

  145. Comme le reconnaissent déjà Liliana Estupiñán Achury et María Cristina Gómez Isaza. Voir : Liliana Estupiñán Achury et María Cristina Gómez Isaza, « La utopía constitucional descolonial y feminista chilena. Una lectura desde Colombia », op. cit., p. 153.↩︎

  146. Pour faire référence au très bel ouvrage de Pierre Dardot, loc. cit.↩︎