Une cartographie et une évaluation critique de sa jurisprudence en matière de sécurité sociale
Juliette Gilman
Résumé :
Cet article examine la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) relative à la directive 79/7/CEE sur l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale. Il propose d’abord une cartographie des stéréotypes de genre récurrents dans les législations de sécurité sociale examinées par la CJUE. Ensuite, il analyse la manière dont la Cour parvient, ou non, à condamner les législations fondées sur ces stéréotypes. Cette contribution met en lumière l’interaction entre le type de stéréotype de genre, la nature de la discrimination (directe ou indirecte) et la capacité de la CJUE à juger une norme discriminatoire.
Mots clefs : Stéréotypes de genre ; CJUE ; sécurité sociale ; discrimination ; travail des femmes.
Abstract :
This paper examines the case law of the Court of Justice of the European Union (CJEU) on Directive 79/7/EEC on equality between men and women in matters of social security. It begins by mapping the recurring gender stereotypes in the social security legislation examined by the CJEU. It then analyzes how the Court succeeds, or fails, in condemning legislation based on these stereotypes. This contribution highlights the interaction between the type of gender stereotype, the nature of the discrimination (direct or indirect) and the CJEU's ability to judge a discriminatory norm.
Keywords : Gender stereotypes ; CJEU ; Social security ; discrimination ; Female Employment
« Que deviendra la famille lorsque la femme désertera toute la journée le foyer conjugal ; que deviendront les salaires de l’homme lorsqu’il sera évincé, par la femme, de la plupart des métiers qu’il exerce ? »1
Les législateurs des États membres de l’Union européenne ne peuvent
discriminer en matière de sécurité sociale, pas plus qu’en tout autre
matière. Ce principe est prévu, notamment, dans la directive 79/7/CEE du
Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du
principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de
sécurité sociale2, qui interdit toutes les
discriminations – directes ou indirectes – fondées sur le sexe.
Bien que la sécurité sociale soit un domaine d’investigations privilégié des études féministes3 et que l’Union européenne ait grandement contribué au droit de l’égalité et de la non-discrimination, la directive 79/7/CEE, adoptée il y a 45 ans, reste peu connue. Cette contribution propose une analyse de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) relative à la directive 79/7/CEE au prisme des stéréotypes de genre. Plus spécifiquement, cet article veut mettre en lumière les stéréotypes sexistes qui sous-tendent les législations sociales nationales et les arguments avancés par les États membres pour justifier ces législations, ainsi que les raisonnements adoptés par la CJUE et ses avocats généraux et avocates générales4.
Le choix de se concentrer sur la directive 79/7/CEE permet de circonscrire l’analyse au domaine spécifique de la sécurité sociale, excluant ainsi des affaires portant sur d’autres instruments juridiques qui, bien que pertinentes, ne concernent pas directement la sécurité sociale mais des sujets connexes, comme la rémunération ou les conditions d’emploi. Cette approche ciblée permet une exploration approfondie des législations de sécurité sociale, un domaine encore peu étudié sous l’angle des stéréotypes de genre ou même, plus globalement, du genre5.
Ce travail se distingue également par sa volonté de proposer une véritable cartographie des stéréotypes de genre en droit de la sécurité sociale. En analysant la vingtaine d’affaires pertinentes traitées par la CJUE depuis l’entrée en vigueur de la directive, cette contribution adopte une perspective large, à la fois temporellement – couvrant plus de 40 ans de jurisprudence – et spatialement – englobant des législations issues de plusieurs États membres de l’Union européenne. Si le corpus est quantitativement restreint, il se révèle particulièrement riche pour saisir les dynamiques de fond : en étudiant simultanément des affaires anciennes relatives à des législations aujourd’hui abrogées, et des affaires récentes portant sur des règlementations toujours d’actualité, ce travail vise à identifier des formes récurrentes de stéréotypes dans la législation sociale et la manière dont la CJUE les appréhende. Ce choix permet d’apporter, nous l’espérons, une contribution originale à la littérature sur les stéréotypes de genre, leur perpétuation par le droit et leur impact en termes d’égalité entre les sexes.
Cet article est construit en trois temps. Tout d’abord, il est indispensable de poser les prolégomènes nécessaires à notre étude, en revenant sur la notion de stéréotype de genre, sur la méthode employée, ainsi que sur le corpus analysé, à savoir la jurisprudence de la CJUE relative à la directive 79/7/CEE (I). Ensuite, nous identifierons les stéréotypes de genre récurrents dans les législations nationales analysées par la CJUE, afin d’en proposer une véritable typologie. Nous nous appuierons pour ce faire sur la méthode développée par Rebecca Cook et Simone Cusack, qui constitue le fil conducteur de notre travail : il s’agira, à partir de leurs outils d’analyse, de mettre en lumière les stéréotypes présents dans les textes ou dans les justifications étatiques, ainsi que les préjudices concrets qu’ils entraînent pour les femmes6. Nous entendons ainsi enrichir la compréhension des stéréotypes de genre en droit, et plus spécifiquement en droit de la sécurité sociale (II). Enfin, nous analyserons la manière dont la Cour de justice parvient – ou non – à condamner les législations fondées sur des stéréotypes de genre. Quand la CJUE n’est pas saisie directement de la question des stéréotypes de genre, il s’agira d’examiner si elle parvient néanmoins à juger discriminatoires les législations qui en sont imprégnées. Nous montrerons que le type de stéréotype en jeu tend à orienter la qualification de la discrimination, en tant que directe ou indirecte. Or cette qualification n’est pas sans effet : parce que le droit de l’égalité et de la non-discrimination permet une justification plus souple des discriminations indirectes, il conditionne en partie la capacité de la CJUE à constater et à sanctionner une discrimination. Ce sont ainsi les caractéristiques du stéréotype en cause, combinées aux contraintes propres au droit positif, qui déterminent les marges de manœuvre de la CJUE dans son appréciation (III).
La directive 79/7/CEE fait partie d’un « paquet » de trois directives adoptées durant les années soixante-dix en matière d’égalité de genre7. Ces directives font suite au Programme d’action sociale voté par le Conseil en janvier 1974 et qui prévoyait que l’Europe agirait en matière sociale8/9. La directive prévoit la mise en œuvre progressive du principe d’égalité. Cette progressivité est double : les États membres ont eu six années pour transposer le texte dans leur droit interne, et la directive ne concerne ni toute la population (champ d’application personnel) ni, surtout, toutes les prestations de sécurité sociale (champ d’application matériel)10. En revanche, la directive est dotée d’effet direct11 et impose aux États membres de supprimer toute disposition contraire au principe de l’égalité de traitement.
Le champ d’application personnel de la directive n’est pas totalement universel, mais il est large. Est ainsi couverte par la directive, toute la « population active »12, en ce compris les personnes dont l’activité a été interrompue pour cause de survenance de l’un des risques sociaux couverts. Ainsi, une personne en recherche d’emploi, malade ou en pension pourra invoquer la directive. La directive s’applique tant aux travailleur·ses salarié·es qu’aux travailleur·ses indépendant·es, mais deux angles morts du champ d’application personnel doivent être pointés, d’autant plus que cette directive concerne l’égalité entre les femmes et les hommes : les personnes qui n’ont jamais travaillé et celles qui ont arrêté de travailler pour une cause non prévue par la directive, par exemple pour s’occuper d’un enfant13. La Cour de justice considère qu’une mère ayant cessé de travailler pour s’occuper d’un enfant n’est pas couverte par la directive14, sauf si elle cherche effectivement un emploi ou subit une maladie durant cette recherche d’emploi15.
La directive a un champ d’application matériel qui recouvre les régimes légaux liés aux grands risques traditionnels, soit la maladie, l’invalidité, la vieillesse, les risques professionnels (accidents du travail et maladie professionnelle), ainsi que le chômage16. La directive peut couvrir les mesures d’aide sociale, mais uniquement « dans la mesure où elles sont destinées à compléter » les régimes légaux directement couverts17. Les autres prestations de sécurité sociale ne sont pas couvertes par la directive, soit parce qu’elles sont explicitement exclues de son champ d’application – c’est le cas pour les prestations au profit de survivants, les prestations familiales et le congé maternité18 – soit parce qu’elles n’« entrent » dans aucun des grands risques couverts19. On le voit : le champ d’application matériel de la directive l’empêche d’appréhender l’ensemble des discriminations qui peuvent apparaître dans le champ de la sécurité sociale dès lors que certaines prestations fortement corrélées au genre – comme les prestations familiales et le congé maternité – en sont exclues20. Enfin, le champ d’application est d’autant plus étroit que certaines prestations – comme les pensions des fonctionnaires – sont assimilées à de la rémunération et non à une prestation de sécurité sociale, se trouvant ainsi rejetées hors du champ d’application de la directive21.
La directive prévoit l’interdiction des discriminations directes et indirectes fondées sur le sexe, en ce qui concerne « le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes ; l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations ; le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations »22. Ni la discrimination directe ni la discrimination indirecte ne sont définies dans la directive, mais la Cour de justice se réfère à ce sujet aux définitions de la directive cousine 2006/54/CEE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi23/24. La discrimination directe s’entend donc de « la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ». La discrimination indirecte, elle, vise « la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ».
Par ailleurs, l’article 7 de la directive permet une série d’exceptions au principe de l’égalité de traitement, principalement en ce qui concerne des avantages historiquement octroyés aux femmes, comme le fait de pouvoir bénéficier d’une retraite indemnisée plus tôt que les hommes. Plus spécifiquement, les États membres peuvent « exclure » du champ d’application de la directive diverses matières comme la fixation d’un âge de la retraite différent pour les hommes et les femmes, l’octroi d’avantages en matière de retraite pour les personnes qui ont élevé des enfants ou encore l’octroi de prestations de vieillesse ou d’invalidité. Les États membres doivent, normalement, évaluer périodiquement ces matières exclues du champ d’application de la directive, « afin de vérifier, compte tenu de l’évolution sociale en la matière, s’il est justifié de maintenir les exclusions en question »25. Dans les faits, aucune procédure n’existe pour que les États membres puissent faire valoir les exceptions dont ils entendent se prévaloir26.
Afin de procéder à une analyse exhaustive de la jurisprudence de la CJUE relative à la directive 79/7/CEE, nous avons procédé à un dépouillement de la base de données fournies par la Cour de justice sur son site internet, Curia. Plus spécifiquement, nous avons relevé l’ensemble des décisions de la Cour de justice qui reprenaient, soit dans leurs motifs, soit dans leur dispositif, soit dans les conclusions des avocat·e·s généraux une mention de la directive, via l’outil de recherche « Citation de jurisprudence ou de législation » et grâce au numéro CELEX de la directive. Par cette opération, 132 résultats apparaissent au 1er janvier 2025. Néanmoins, une partie importante – 59 décisions – doit être exclue d’entrée de jeu car elle ne concerne pas directement ladite directive. Il s’agit en effet d’affaires dans lesquelles la directive est mentionnée par la Cour (ou par l’avocat·e général·e dans ses conclusions), que ce soit à titre d’exemple, de simple référence ou de comparaison. Sur les décisions restantes, 33 n’ont pas fait l’objet d’une étude approfondie car elles portaient principalement sur des questions connexes à celle qui nous occupe : l’existence ou non d’une discrimination. En effet, dans ces 33 décisions, la Cour s’est penchée sur des questions relatives au champ d’application (personnel ou matériel), à l’application de la directive dans le temps, à l’existence ou non d’un effet direct, etc. Dans ces arrêts, la matière manquait pour que nous puissions en réaliser une étude précise, soit parce que les législations nationales n’étaient pas suffisamment expliquées, soit parce que le raisonnement de la CJUE était trop court pour permettre un examen approfondi du point de vue des stéréotypes de genre. Sur les 40 décisions restantes, 15 portaient spécifiquement sur l’exception prévue à l’article 7 de la directive relative à la possibilité pour les États membres de prévoir un âge de la retraite différent pour les hommes et les femmes. À l’issue de ce tri, ne demeurent que 25 décisions de la Cour de justice qui ont fait l’objet de notre analyse approfondie.
Dans ces 25 décisions, la Cour de justice s’est donc penchée sur la question de savoir si une législation nationale de sécurité sociale révélait ou non l’existence d’une discrimination, directe ou indirecte27. La Cour a conclu à deux reprises qu’il n’existait pas de preuve suffisante que le groupe défavorisé par la réglementation nationale était composé majoritairement de femmes ; et la Cour s’en est tenue à cet état de fait pour conclure à l’absence de discrimination28. Ces affaires ne seront donc pas davantage analysées dans cette étude. Dans six affaires, la Cour a conclu à l’existence d’une discrimination directe, en considérant que le traitement différencié sur la base du sexe n’était pas justifié29. Dans les dix-sept affaires restantes, la Cour a eu à juger de l’existence ou non d’une discrimination indirecte. Dans huit affaires, la Cour a conclu que si le désavantage d’un groupe de personnes était bien établi, la différence de traitement était néanmoins justifiée par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but étaient appropriés et nécessaires30. Dans neuf affaires, la Cour a conclu à l’existence d’une discrimination indirecte, soit parce qu’elle a considéré qu’aucun objectif légitime ne guidait la législation litigieuse, soit parce qu’elle a considéré que les moyens employés pour parvenir à ce but n’étaient pas appropriés ou nécessaires. Nous avons donc choisi, dans cet article, de nous concentrer sur ces 23 décisions qui permettent un examen approfondi, tant des législations nationales dont avait à connaître la CJUE que du raisonnement de celle-ci. L’affaire la plus ancienne que nous examinerons date de 1986 et la plus récente de 2022. Plus de 35 ans séparent donc certaines de ces décisions.
Un stéréotype est une « vision généralisée ou une idée préconçue des attributs ou des caractéristiques que possèdent les membres d’un groupe particulier, ou des rôles qu’ils jouent ou devraient jouer »31. Les stéréotypes de genre, eux, peuvent être définis comme « des constructions sociales et culturelles différenciant les hommes des femmes sur la base de critères physiques, biologiques, sexuels et de fonctions sociales qui seraient propres aux hommes et aux femmes»32. Par exemple, les stéréotypes de genre sont à l’œuvre quand on achète un cadeau pour un enfant et que l’on choisit une poupée avec une robe rose pour une petite fille et un camion de pompier pour un petit garçon. Supposant l’attirance d’une petite fille pour un vêtement rose et d’un petit garçon pour un camion de pompier, le choix part du principe que leurs goûts sont dictés par leur genre. Ce stéréotype est sexiste en ce qu’il associe mécaniquement des préférences ou comportements spécifiques à un sexe, sans envisager que ceux-ci puissent être influencés par des facteurs individuels ou sociaux qui n’ont parfois rien à avoir avec le sexe. Les mêmes stéréotypes de genre feront penser qu’une femme sera une meilleure infirmière qu’un homme, un homme un meilleur médecin qu’une femme, que les filles sont attentionnées et les garçons bagarreurs. On l’a compris : en raison de stéréotypes de genre, nous prêtons des attributs, des envies, des qualités et des défauts aux personnes selon leur genre.
Plusieurs typologies de stéréotypes de genre ont été proposées. On peut citer l’étude de référence de Rebecca Cook et Simone Cusack, qui différencient les stéréotypes basés sur les différences physiques entre les hommes et les femmes (sex stereotypes) – par exemple, que les hommes seraient plus forts physiquement que les femmes ; ceux liés aux interactions sexuelles (sexual stereotypes) – comme l’idée que les femmes seraient passives sexuellement ; ceux relatifs aux rôles attendus de chaque genre (sex role stereotypes) – par exemple, que les femmes s’occupent davantage et mieux des enfants que les hommes ; et enfin les stéréotypes dits composés (compounded stereotypes), qui attribuent des caractéristiques spécifiques à certains groupes d’hommes ou de femmes en interaction avec d’autres stéréotypes – comme l’idée que les femmes âgées seraient naturellement gentilles et attentives33.
Une autre typologie pertinente est celle d’Alexandra Timmer, qui distingue quatre catégories : les stéréotypes liés aux rôles (role-typing stereotypes), les stéréotypes fondés sur des préjugés ou des statistiques erronés (false stereotypes), les stéréotypes correspondant à des réalités statistiques (statistical stereotypes), et enfin, ceux qui prescrivent un comportement particulier (prescriptive stereotypes)34. Un stéréotype faux se retrouve dans l’idée que les femmes regretteront forcément d’avoir avorté ; un stéréotype statistique serait que les hommes sont plus forts physiquement que les femmes ; et enfin, un stéréotype prescriptif est que les femmes devraient prendre soin de leur apparence en s’habillant de manière féminine et en portant du maquillage.
L’intérêt de ce genre de typologies réside dans leur capacité à montrer qu’il n’existe pas un seul type de stéréotype, élargissant notre perspective pour nous permettre de mieux reconnaître certaines formes de stéréotypes qui pourraient, autrement, passer inaperçues. Ces deux typologies se révèlent complémentaires. Ainsi, le stéréotype selon lequel les femmes sont sexuellement passives est un stéréotype sexuel selon Rebecca Cook et Simone Cusack et prescriptif selon Alexandra Timmer.
Les liens entre stéréotype de genre, discriminations et égalité sont nombreux. Comme l’indique Alexandra Timmer, les stéréotypes de genre « fixent les identités et rationalisent l’inégalité »35. Ils ne se contentent pas de refléter des préjugés, mais justifient et légitiment des discriminations, renforçant ainsi les inégalités structurelles entre les sexes. Ainsi, les législations qui découragent les pères de prendre des congés parentaux s’appuient sur un stéréotype selon lequel les mères auraient un lien spécifique avec leur enfant. Elles reposent sur un raisonnement essentialiste confortant une vision selon laquelle les mères sont les principales pourvoyeuses de soins, ce qui perpétue l’inégalité entre les sexes36.
Analyser le droit de l’égalité et de la non-discrimination à partir des stéréotypes de genre conduit à « se départir d’une approche strictement individuelle des discriminations, fondée sur l’intention discriminatoire : les inégalités de genre sont structurelles en ce qu’elles prennent leur racine dans les représentations sexuées et manifestent la prégnance de la domination masculine »37. En effet, réfléchir en termes de stéréotypes de genre permet de constater que certaines inégalités de genre existent et se renforcent à cause de visions stéréotypées que l’on a des personnes selon leur sexe. Si les femmes ont pu être exclues du bénéfice de certaines prestations de sécurité sociale, ce n’est peut-être pas parce que le législateur entendait ainsi les discriminer, mais parce qu’il n’envisageait pas qu’une femme puisse être la pourvoyeuse de revenus de son ménage et nécessiter, le cas échéant, une intervention de la sécurité sociale en cas de perte de son revenu professionnel. La discrimination n’est pas toujours intentionnelle : elle peut résulter d’une vision tronquée et sexiste de la réalité. Les représentations que l’on a de ce que sont ou devraient être une femme et un homme influencent inévitablement ce que l’on attend de chacun des deux sexes et ce que le législateur peut anticiper sur leurs besoins supposés.
La lutte contre les stéréotypes de genre est une lutte contre la vision essentialisante des sexes qui voudrait que les femmes et les hommes aient naturellement des penchants, des comportements et des manières de penser qui soient féminins ou masculins et que, de cette nature essentiellement différente, découleraient logiquement des réalités de vie distinctes38. Une bonne raison de s’intéresser aux stéréotypes de genre quand on réfléchit à la puissance et aux limites du droit de l’égalité et de la non-discrimination est que ceux-ci permettent une réflexion plus globale et moins individuelle sur la discrimination. Par ailleurs, la lutte contre les stéréotypes de genre « dépasse le cadre de la seule égalité / non-discrimination ; bien plus, elle s’inscrit dans un projet autonomiste reconnaissant aux personnes la faculté de faire des choix individuels, sans qu’une norme (qu’elle soit culturelle, sociale ou juridique) ne leur réduise a priori le champ des possibles »39.
En somme, cette approche critique révèle non seulement l’existence de discriminations souvent invisibles, mais met également en lumière les limites structurelles du droit de l’égalité et de la non-discrimination. Si ce droit ne tient pas compte des stéréotypes de genre, il risque de rester ancré dans des cadres normatifs traditionnels, incapable de répondre pleinement aux défis contemporains des inégalités de genre.
Cet article propose une analyse critique de la jurisprudence de la CJUE portant sur la directive 79/7/CEE. Notre démarche s’organise en deux étapes. Dans un premier temps – qui constituera la seconde partie de cette étude – nous reviendrons sur les législations soumises à l’appréciation de la Cour. Notre but sera d’identifier des stéréotypes de genre dans les législations elles-mêmes ainsi que dans les arguments avancés par les États membres pour les justifier. Plus concrètement, nous nous appuierons sur la méthodologie développée par Rebecca J. Cook et Simone Cusak dans leur ouvrage de référence Gender Stereotyping, Transnational Legal Perspectives. Leur méthode consiste, face à une législation, une politique ou une pratique, à répondre à deux questions. La première est « comment une loi, une politique ou une pratique stéréotype-t-elle les hommes ou les femmes ? » et la seconde, « comment l’application, la mise en œuvre ou la perpétuation d’un stéréotype de genre dans une loi, une politique ou une pratique nuit-elle aux femmes ? »40. L’objectif est donc d’identifier le stéréotype de genre afin d’en révéler les éventuels effets nuisibles. Notre démarche a donc consisté à identifier si, derrière les législations à l’origine de l’affaire et argumentations devant la CJUE, se trouvaient une ou plusieurs « préconceptions sur les caractéristiques, rôles et attributs »41 des femmes et des hommes. Nous avons ensuite cherché à démontrer en quoi l’appui sur ces stéréotypes de genre pouvait porter préjudice aux femmes. Dans un second temps – la troisième partie de cet article – nous nous sommes intéressée au raisonnement de la Cour de justice et à sa capacité, ou non, à débusquer les stéréotypes de genre. Dans les décisions étudiées, la CJUE ne fait aucune mention explicite des stéréotypes de genre. Or, le « raisonnement juridique compte » 42. En effet, même lorsque la Cour de justice conclut qu’une législation est discriminatoire sur la base du genre, l’absence de reconnaissance des stéréotypes dans les arguments des États membres invisibilise ces derniers et minimise sinon nie leur importance et leur impact43. Nous avons choisi de traiter ces deux étapes séparément car il nous a semblé que les stéréotypes de genre véhiculés par les législations nationales et le raisonnement juridique de la CJUE constituaient deux objets d’analyse distincts. D’un côté, un travail de mise au jour des représentations genrées intégrées aux normes ; d’un autre côté, une analyse de la manière dont ces normes sont appréhendées juridiquement par la Cour. En les distinguant, nous avons souhaité approfondir les enjeux propres à chaque démarche, et faire apparaître les éventuels écarts entre les stéréotypes en jeu et la manière dont le droit de l’Union les saisit.
Dans cette seconde partie, nous nous efforcerons de démasquer les stéréotypes de genre qui sous-tendent les législations nationales soumises à l’examen de la CJUE et qui, par elles, sont perpétués. Comme indiqué précédemment, notre examen s’est focalisé sur les 23 affaires où la Cour a considéré qu’il existait bien un traitement défavorable des personnes d’un sexe par rapport à l’autre. Notre analyse de ces 23 affaires nous conduit à considérer que dans 19 d’entre elles, le traitement défavorable reposait sur un stéréotype de genre44.
Simone Cusak et Rebecca J. Cook soulignent l’importance qui s’attache au fait de désigner explicitement les stéréotypes de genre, que ce soit pour les révéler, mieux les combattre ou pour comprendre les « expériences collectives des femmes » qu’ils provoquent45. Eva Brems et Alexandra Timmer, qui partagent cette approche, expliquent que « [n]ommer les stéréotypes, c’est identifier les croyances sur les groupes de personnes qui sont en jeu dans une affaire, et c’est aussi exposer les préjudices que ces croyances causent. Nommer les stéréotypes les rend visibles. Nommer les stéréotypes est une condition préalable pour les changer »46. En vue d’identifier les stéréotypes de genre, nous reprendrons la « woman question », qui interroge la nature sexuée d’une loi ou d’une pratique en se demandant si celle-ci suppose une caractéristique spécifique aux femmes ou encore un rôle social qu’elles accomplissent ou devraient accomplir47. Cette question permet de dévoiler l’implicite : ce que la loi présuppose sur les femmes.
Nous tenterons ensuite de montrer le préjudice que peuvent subir les femmes du fait de la perpétuation des stéréotypes de genre. Si tous les stéréotypes de genre ne sont pas automatiquement négatifs ou préjudiciables48, nous montrerons que c’est bien le cas de ceux étudiés dans le cadre de cette contribution. Rebecca J. Cook et Simone Cusak distinguent différents types de préjudices (harms) engendrés par les stéréotypes : ceux qui portent atteinte à la dignité et à la reconnaissance des individus (« effets de reconnaissance ») et ceux qui affectent l’équité dans la répartition des ressources publiques (« effets de distribution »)49. Plus spécifiquement, les autrices nous invitent à nous poser trois questions pour identifier le préjudice que pourraient subir les femmes en raison d’un stéréotype de genre : le stéréotype de genre les prive-t-il d’un avantage (i), leur impose-t-il un fardeau (ii) ou les dégrade-t-il, diminue-t-il leur dignité, ou les marginalise-t-il (iii) ?50.
De notre examen des décisions de jurisprudence, il ressort que les législations nationales reposent souvent sur quatre stéréotypes de genre. Nous avons nommé le premier, basé sur la réduction du genre au sexe biologique assigné à la naissance : On naît femme, on ne le devient pas (1). Le second stéréotype que nous avons identifié concerne la valeur moindre qui est attribuée aux formes de travail typiquement féminines. Ainsi, nous le nommerons : Le travail des femmes vaut moins que celui des hommes (2). Le troisième stéréotype identifié est celui relatif aux rôles des hommes et des femmes dans la famille, soit la promotion d’un male breadwinner model (3). Enfin, nous avons choisi de nommer le quatrième stéréotype : les femmes méritent une protection particulière, entre autres rôles, dans celui de mère (4). Pour chaque stéréotype, nous l’identifierons et l’illustrerons à l’aide des jurisprudences pertinentes de la Cour de justice, puis montrerons en quoi sa persistance nuit aux femmes.
Certaines législations ou pratiques étatiques définissent les femmes exclusivement comme des personnes qui ont été désignées comme femmes à la naissance, reflétant une vision essentialiste du genre, où le sexe assigné à la naissance est perçu comme une composante fixe et immuable de l’identité de la femme. Cela nous a conduit à identifier ce premier stéréotype de genre, nommé On naît femme : on ne le devient pas, en écho à la célèbre phrase de Simone de Beauvoir51. Ce stéréotype repose sur l’idée que l’identité d’une femme est intrinsèquement liée à son sexe biologique.
Selon les typologies des stéréotypes de genre exposées précédemment, ce stéréotype peut être qualifié de « sex stereotype », car il repose sur la perception que les différences entre hommes et femmes sont avant tout physiques et biologiques52. Il s’agit également d’un stéréotype statistique, car même s’il est vrai que, pour une grande majorité de personnes, le sexe assigné à la naissance correspond à celui qu’elles conserveront tout au long de leur vie, ce n’est pas le cas pour toutes53.
Parmi les décisions étudiées, ce stéréotype s’est manifesté dans les affaires Richards (2006) et GC (2018) concernant le droit de femmes trans à pouvoir bénéficier de leur pension de retraite à l’âge prévu pour les femmes. La législation britannique prévoyant que les femmes pouvaient bénéficier de leur retraite à 60 ans et les hommes à 65 ans, il avait été refusé aux femmes trans de bénéficier des mêmes droits qu’une femme n’ayant pas changé de genre54. En perpétuant le stéréotype selon lequel l’identité de genre est intrinsèquement liée à la biologie, ces législations refusent de reconnaître le vécu et les droits des personnes trans. Cela nuit aux femmes qui ne sont pas reconnues dans leur identité de genre et leur autonomie. Il en résulte non seulement un déni de reconnaissance de leur dignité (« effets de reconnaissance »), mais également une atteinte à leur droit de percevoir certaines prestations ou droits spécifiques à des moments déterminants de leur vie (« effets de distribution »). Si la seconde atteinte est facile à identifier (impossibilité d’accéder à la retraite à 60 ans comme les autres femmes), la première doit être explicitée. Pour ce faire, reprenons ce que Cusak et Cook ont écrit au sujet du déni de reconnaissance des femmes par les stéréotypes de genre : « Lorsqu’un stéréotype de genre ne respecte pas les choix fondamentaux que les femmes ont faits (ou voudraient faire) concernant leur propre vie, lorsqu’il interfère avec leur capacité à façonner ou à sculpter leur propre identité, lorsqu’il réduit les attentes à leur égard ou, par exemple, lorsqu’il a un impact négatif sur leur perception d’elles-mêmes, leurs objectifs et / ou leurs projets de vie, il les dégrade »55. C’est exactement cela que fait la loi britannique en refusant aux femmes trans la possibilité de s’identifier à un autre sexe que celui qui leur a été biologiquement assigné à la naissance.
Le deuxième stéréotype est plus difficile à identifier dans les législations comme dans les arguments que les États membres avancent pour les justifier. La raison en est simple : il ne concerne pas directement les femmes, mais plutôt des formes de travail majoritairement exercées par elles. Ce ne sont alors pas les femmes elles-mêmes, ni leur travail, qui sont directement stéréotypés, mais des types d’emplois spécifiques, soit dans un secteur particulier – celui du travail à domicile par exemple –, soit en raison des modalités de travail – à temps partiel le plus souvent56. Étant donné que ces formes de travail sont très majoritairement féminines, il nous paraît pertinent de mettre en lumière les perceptions négatives qui leur sont associées. En réalité, les idées reçues sur ces types de travail sont bien des préjugés sur la valeur attribuée au travail des femmes. C’est pourquoi nous avons choisi d’appeler ce second stéréotype le travail des femmes vaut moins que celui des hommes.
Ce stéréotype apparaît régulièrement dans les affaires que nous avons eu à connaître. Dès lors que la sécurité sociale est construite largement sur le travail, une telle récurrence ne surprend pas. En effet, ce stéréotype engendre une dévaluation systématique du travail effectué par les femmes, créant ainsi un déséquilibre entre travail des hommes et travail des femmes. Si dans cette contribution, nous nous focalisons sur le travail rémunéré tel qu’il donne accès aux prestations de sécurité sociale, ce stéréotype de genre se manifeste également dans l’absence de reconnaissance des rôles de soin et de tâches domestiques, souvent attribués aux femmes sans reconnaissance ni compensation économique. Ce stéréotype s’appuie sur la division traditionnelle des rôles de genre, qui repose, selon Danièle Kergoat, sur deux principes fondamentaux : le principe de séparation, qui attribue certaines tâches exclusivement aux hommes et d’autres aux femmes, et le principe hiérarchique, qui valorise le travail des hommes par rapport à celui des femmes57. Dans ce cadre, le travail des femmes est souvent perçu comme un travail d’appoint, produisant un revenu qui n’est que complémentaire à celui de l’homme. Cela entraîne une invisibilité des contributions financières et professionnelles des femmes.
Danièle Kergoat a démontré que, bien que la liste des tâches considérées comme féminines ou masculines varie selon les époques et les cultures, la hiérarchie qui en découle demeure constante. Elle affirme ainsi que « la hiérarchie entre la valeur du travail masculin et la valeur du travail féminin ne se modifie jamais. Toutes les sociétés reconnaissent au travail des hommes, aussi semblable soit-il à celui des femmes ou de certaines femmes, une valeur supérieure »58. Ce stéréotype contribue à maintenir les inégalités de genre en limitant la reconnaissance et la valorisation du travail des femmes.
Le stéréotype selon lequel le travail des femmes vaut moins que celui des hommes peut être considéré comme un stéréotype de rôle (sex role stereotype), reposant sur l’idée que leur travail est lié à des rôles perçus comme secondaires ou de soutien, souvent associés à des compétences moins valorisées économiquement, comme les soins ou les tâches domestiques. Il peut également être qualifié de faux (false stereotype), car il repose sur une perception biaisée sans fondement objectif, et de prescriptif, car il impose implicitement aux femmes de se cantonner à des rôles ou activités perçus comme « naturels », tels que le soin ou les tâches domestiques.
Alors que l’objectif d’une rémunération égale entre les femmes et les hommes est prévu dès le traité de Rome en 195759, un nombre important d’affaires jugées par la CJUE au sujet de la directive 79/7/CEE illustre la prégnance de la dévalorisation du travail des femmes dans les législations nationales et son impact important sur leurs droits sociaux. Dans certaines affaires où, selon nous, le stéréotype est à son paroxysme, le travail effectué par les femmes n’est quasiment pas considéré comme du travail, en étant exclu du champ d’application de certaines prestations de sécurité sociale. C’est par exemple le cas des affaires Megner et Scheffel (1995) et Nolte (1995) qui concernent la législation allemande. Celle-ci prévoit l’exemption de différentes cotisations de sécurité sociale pour les travailleur·ses qui exercent un emploi qualifié de « mineur ». Un emploi est « mineur » lorsqu’il s’exerce moins de 15 heures par semaine et que la rémunération due est faible. Sans paiement de cotisations, les travailleuses concernées ne peuvent bénéficier de prestations de sécurité sociale si elles perdent leur emploi. Le message qui sous-tend ces législations est que le travail effectué en trop petite quantité ne justifierait pas l’octroi de droits similaires, pas même au prorata, à ceux générés par le travail à temps plein. Le travail de ces femmes, parce que trop mineur, n’est pas du tout reconnu alors qu’on aurait pu imaginer, par exemple, un système où leurs droits à des prestations seraient proportionnels, au prorata du travail effectué. Dans ce scénario, une personne travaillant moins de 15h par semaine aurait droit à des prestations de sécurité sociale à concurrence des cotisations payées sur ce volume horaire60.
Par ailleurs, au-delà de la législation en elle-même, les arguments soutenus par le gouvernement allemand pour en asseoir la légalité démontrent le peu de considération à l’égard du travail à temps très partiel (des femmes). Le gouvernement allemand avance ainsi qu’en cas de suppression du régime des emplois mineurs, « il y aurait une augmentation des emplois illégaux (travail dit ‘au noir’) et un surcroît de manœuvres de contournement (par exemple des faux indépendants), au vu de la demande sociale des emplois mineurs »61. La messe est dite : s’il fallait rémunérer et protéger ces emplois de la même manière que les autres types d’emploi, personne n’embaucherait légalement. Autrement dit, l’Allemagne préfère priver de droits certaines travailleuses que de prévoir un arsenal juridique pour contrer le travail au noir62.
Presque deux décennies plus tard, en 2022, le même argument est soutenu par l’Espagne dans l’affaire CJ, dans laquelle la législation mise en cause exclut du champ d’application personnel de l’assurance chômage la catégorie des « employés de maison », composée à plus de 95 % de femmes. L’Espagne avance que si ces travailleuses devaient bénéficier de l’ensemble de la sécurité sociale, cela engendrerait un coût trop élevé et pourrait « se traduire par une baisse des niveaux d’emploi dans ce domaine de travail, sous la forme d’une réduction des nouvelles embauches et des cessations d’emploi, ainsi que par des situations de travail illégal et de fraude sociale »63. Cet argument pourrait être avancé pour n’importe quel type de travail, mais il est ici spécifiquement dirigé contre le travail à domicile. Le sous-entendu est clair : s’il fallait rémunérer comme n’importe quel autre travail celui des travailleuses à domicile, personne ne le ferait et on verrait une explosion du travail frauduleux apparaître. L’Espagne ajoute en outre que l’employeur·se des employées de maison ne tirerait « pas profit du travail »64. Cet argument illustre la négation totale de la valeur du travail effectué à domicile, comme si l’absence de valeur marchande suffisait à empêcher de reconnaître l’existence du travail. Cette exclusion, justifiée par une prétendue faible valeur économique du travail à domicile, s’inscrit non seulement dans un stéréotype sexiste, mais également raciste : les employé·es de maison sont très majoritairement des femmes racisées, souvent migrantes. En dévalorisant ce travail, la législation espagnole perpétue une hiérarchie des emplois profondément marquée par le genre et la race65.
Dans d’autres affaires, les législations n’excluent pas une catégorie de travailleuses du champ d’application de certaines prestations de sécurité sociale, mais elles retiennent un mode de calcul des prestations de sécurité sociale qui leur est défavorable. Ce biais ne résulte pas nécessairement d’une intention explicite de discriminer les femmes : les critères mobilisés – comme le niveau de revenu ou le volume d’activité – relèvent d’une logique assurantielle, historiquement fondée sur un modèle d’emploi continu et à temps plein. Toutefois, le maintien de ces critères dans un marché du travail profondément structuré par le genre produit aujourd’hui des effets discriminatoires importants à l’égard des femmes. Même si le recours au temps partiel ne concerne pas exclusivement les femmes, son association persistante à des trajectoires féminines conduit à une moindre reconnaissance de ce type d’emploi dans les mécanismes de protection sociale. Le fait de perpétuer cette hiérarchie implicite entre formes d’emploi contribue ainsi à reproduire un stéréotype de genre, selon lequel les parcours professionnels majoritairement féminins justifieraient moins de protection sociale.
Cette logique transparaît dans plusieurs affaires où le calcul des prestations de sécurité sociale trahit une moindre reconnaissance du travail à temps partiel, ou de certaines carrières typiquement féminines. Ainsi, dans l’affaire Ruzius-Wilbrink jugée en 1989, une législation néerlandaise prévoit que le montant des indemnités pour incapacité de travail est calculé sur la base d’un revenu minimal, sauf pour les travailleur·ses à temps partiel, dont l’indemnité est fixée en fonction de leur revenu professionnel réel. Les autorités néerlandaises justifient cette mesure en affirmant qu’il serait « injuste de leur [les travailleur·ses à temps partiel] accorder une allocation supérieure aux revenus antérieurement perçus »66. Si l’argument convainc au regard du caractère contributif du régime, une analyse plus approfondie de la législation révèle une incohérence. En effet, la même législation permet à des catégories telles que les étudiant·es sans revenus antérieurs ou les travailleur·ses indépendants à faibles revenus de percevoir une indemnité forfaitaire non liée à leurs revenus passés. Dans ce contexte, le traitement réservé aux travailleur·ses à temps partiel interroge : leur perte d’emploi semble considérée comme moins « assurable », moins digne de compensation. Ce traitement contribue, de fait, à une moindre valorisation d’une forme d’emploi historiquement et statistiquement associée aux femmes, à l’inverse d’un travail plus typiquement masculin, comme le travail indépendant67.
Dans d’autres affaires, le fait que le mode de calcul des prestations est doublement (négativement) impacté par l’emploi à temps partiel démontre la dévalorisation de celui-ci et l’idée subséquente qu’il n’est pas nécessaire de prévoir une prestation de sécurité sociale au prorata du travail effectué. Ainsi, dans l’affaire Villar Láiz de 2019 concernant le calcul de la pension de retraite espagnole, les travailleur·ses à temps partiel sont doublement impactés à la baisse au moment de bénéficier de la retraite, celle-ci prenant en considération leur revenu réel (et donc plus faible qu’un·e travailleur·se à temps plein) mais en y appliquant en plus un coefficient correcteur pour tenir compte du volume de travail effectivement réalisé68. Le fait que seule une partie de leur rémunération soit prise en compte accentue l’inégalité, en traduisant un modèle où les contributions des travailleur·ses à temps partiel – et donc des femmes – sont considérées comme étant de moindre valeur69.
D’autres affaires démontrent encore une moindre valorisation du travail des femmes. En 2010, dans l’affaire Brouwer, il était question de la prise en compte des périodes de travail effectuées à l’étranger pour le calcul des retraites. La législation prévoyait explicitement que les salaires fictifs pris en compte pour le calcul de la pension de retraite étaient fixés à des montants inférieurs pour les femmes que pour les hommes. Le gouvernement belge justifie cette différence par la « différence notable de rémunération entre les travailleurs masculins et féminins, employés dans des secteurs différents, avec souvent un plan de travail réduit pour les femmes »70. Cette justification repose sur un stéréotype statistique qui reflète les inégalités salariales et la concentration des femmes dans des emplois à temps partiel ou moins rémunérés. En se basant sur cette situation inégalitaire, la législation belge minimise délibérément l’importance du travail féminin dans le calcul des pensions, perpétuant ainsi le stéréotype selon lequel le travail des femmes, en raison de sa nature ou de sa durée, serait moins digne d’être valorisé sur le long terme. Il s’agit ici d’un exemple flagrant de dévalorisation systémique du travail féminin, justifiée par des inégalités préexistantes que le législateur ne se propose pas de corriger.
L’affaire Brachner de 2011 concernait quant à elle un supplément de pension autrichien, ayant comme objectif de maintenir le pouvoir d’achat par rapport à l’évolution des prix à la consommation, qui était proportionnellement plus élevé pour les personnes ayant une pension supérieure à la pension minimale en comparaison avec celles touchant une pension plus faible. Le gouvernement autrichien tente de justifier ce système en avançant que les femmes partent plus tôt à la retraite, qu’elles perçoivent une pension plus faible parce qu’elles ont moins travaillé, et qu’elles bénéficient plus longtemps de leur pension en raison de leur espérance de vie plus longue71. Ces justifications reposent sur une série de stéréotypes de genre profondément ancrés. En associant le moindre montant de la pension au fait d’avoir « moins travaillé », le législateur autrichien nie les réalités structurelles du travail féminin, à savoir que si les femmes connaissent une plus grande occupation à temps partiel et des interruptions de carrière, c’est souvent parce qu’elles assurent à côté d’autres formes de travail qui ne sont pas reconnues.
Le stéréotype de genre selon lequel le travail des femmes vaut moins que celui des hommes est particulièrement nocif pour les concernées. Ce second stéréotype prive en effet les femmes de divers avantages en ne reconnaissant pas pleinement la valeur de leur travail et leur contribution au financement de la sécurité sociale (« effet de redistribution »). Sa perpétuation impose un fardeau spécifique aux femmes. Ce fardeau découle de l’absence de reconnaissance des responsabilités domestiques, majoritairement assumées par les femmes, dans les systèmes de sécurité sociale. Ce cumul de charges crée une double pression, en vertu de laquelle les femmes doivent à la fois répondre aux attentes de la sphère privée et satisfaire aux conditions fixées par des législations insensibles à ces réalités72. Enfin, ce stéréotype marginalise le travail des femmes en réduisant leur contribution à des rôles considérés comme secondaires ou moins valorisés. Cette marginalisation ne se limite pas à une sous-évaluation économique ; elle affecte également la manière dont les femmes sont perçues et traitées socialement (« effet de reconnaissance »). Ce stéréotype « porte atteinte à la dignité des femmes en ne reconnaissant pas leur valeur intrinsèque et égale en tant qu’êtres humains »73.
Nous avons nommé modèle du « male breadwinner and female caregiver » le troisième stéréotype de genre que nous avons identifié. Ce stéréotype repose sur cette double idée que l’homme et la femme ont des rôles essentiellement différents dans la famille nucléaire : tandis que l’homme est celui qui doit pourvoir aux besoins financiers de sa famille (breadwinner), la femme doit répondre aux besoins de soins de celle-ci (caregiver). Historiquement, ce modèle trouve ses racines au XIXe siècle, avec le passage d’une économie familiale à une économie capitaliste, marquée par la séparation entre la sphère de production (dominée par les hommes) et la sphère de reproduction (reliée aux femmes)74. Ce modèle stéréotypique de la famille nucléaire renforce l’idée que l’accès des hommes à la citoyenneté sociale passe par leur participation au marché du travail rémunéré, tandis que celui des femmes reste dépendant de leur statut matrimonial75. Ce type d’organisation des droits sociaux correspond à ce que Marie-Thérèse Letablier nomme une « convention de genre », c’est-à-dire une manière d’organiser l’accès aux prestations autour d’une répartition sexuée des rôles dans la famille, attribuant aux hommes la fonction de pourvoyeur et aux femmes celle de soutien domestique76. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné que l’idée que « ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants [primary child-carers ] et plutôt les hommes qui travaillent pour gagner de l’argent [primary breadwinners] »77 peut « perpétuer les stéréotypes liés au sexe et constitue un désavantage tant pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes »78.
Malgré l’entrée massive des femmes sur le marché du travail dans les années 1960, le modèle du male breadwinner persiste à travers diverses formes. Bien que de nombreux couples bénéficient aujourd’hui de deux revenus, la répartition des tâches domestiques et des soins reste largement inégale. Même si les femmes contribuent désormais à l’économie de manière plus visible, elles continuent de prendre en charge une part disproportionnée des responsabilités familiales, consolidant ainsi la survivance de ce stéréotype79. Ainsi, toujours aujourd’hui, « derrière la travailleuse se profilent l’épouse et la mère »80.
Ce stéréotype peut être qualifié de stéréotypes de rôle (sex role stereotype), attribuant aux sexes des rôles rigides : l’homme comme pourvoyeur principal et la femme comme responsable des enfants et des tâches domestiques. Nous pourrions également le classer comme prescriptif, car il impose des comportements spécifiques qui influencent choix professionnels et rôles familiaux. Enfin, il s’agit d’un stéréotype statistique car, à une certaine époque, la répartition effective des rôles correspondait à ce modèle81.
Plusieurs affaires de la CJUE reflètent, selon nous, l’existence de ce stéréotype de genre dans la confection et la justification de certaines législations. Dans l’affaire Drake, en 1986, il était question de la législation britannique qui prévoyait le paiement d’une « allocation pour soins à personne invalide » pour le bénéficiaire qui soignait à titre principal une personne invalide et n’avait pas d’autre activité rémunérée. Néanmoins, ne pouvaient bénéficier de cette allocation d’aidant proche ni la femme mariée ni celle qui vit en concubinage82. Cette exclusion illustre le stéréotype de genre qui associe le soin principalement aux femmes, tout en les empêchant de bénéficier de protections sociales, renforçant ainsi leur dépendance économique par rapport à leur conjoint. Imprégnée de ce stéréotype, la législation ne considère pas qu’une femme mariée ou en concubinage a besoin, en pareille circonstance, d’une quelconque allocation car elle pourrait (et devrait) se reposer économiquement sur son conjoint. Par ailleurs, le fait de prendre soin découle d’une qualité qui serait intrinsèque au genre féminin et qu’il ne s’agirait donc pas de travail dans le chef des femmes. Ce stéréotype est d’autant plus sexiste que l’exception miroir n’existe pas pour les hommes : que ceux-ci vivent en concubinage ou soient mariés, ils auront droit à l’allocation.
Dans les affaires Teuling de 198783 et Commission c. Belgique de 199184 – qui concernaient les Pays-Bas d’une part et la Belgique d’autre part – des législations prévoyaient des montants plus élevés de prestations de sécurité sociale – en matière d’incapacité de travail et de chômage – pour les travailleur·ses ayant un conjoint ou des enfants à charge. Ces réglementations entendaient ainsi se préoccuper des besoins plus concrets des bénéficiaires, partant du principe qu’une personne assumant une charge de famille sera confrontée à des besoins plus importants qu’une personne célibataire ou vivant avec un conjoint disposant de revenus. Bien que ces législations apparaissent formellement neutre du point de vue du genre, elle promeuvent implicitement un modèle familial traditionnel avec un soutien financier principal – souvent l’homme – et un pourvoyeur secondaire – souvent la femme. Les législations qui intègrent une logique familiale peuvent, dans certains cas, favoriser les femmes qui vivent seules ou qui ont des enfants à charge en leur permettant de percevoir des montants de prestations plus élevés que dans le cas d’une législation purement individualiste. Cependant, dans d’autres cas, il s’agit de diminuer le montant des prestations en raison de la vie avec une personne bénéficiant de revenus plus importants. Le ménage est alors considéré comme une unité solidaire, sans prise en compte des éventuelles inégalités économiques entre partenaires. Cette approche peut renforcer la dépendance économique des femmes et consolider une vision du foyer fondée sur l’idée que le revenu de l’homme couvre les besoins de la femme. Dans ce cas, la structure familiale devient le support d’une inégalité de traitement, sans égard pour l’autonomie des droits sociaux individuels. Il serait pourtant possible d’imaginer des prestations fondées uniquement sur le passé professionnel ou le revenu perdu et, le cas échéant, sur la charge d’enfants, sans tenir compte de l’existence d’un conjoint ou de ses revenus. Les législations en cause renforcent ainsi l’idée que les besoins économiques doivent être appréciés à l’aune de la structure familiale dans son ensemble, ce qui désavantage potentiellement les femmes qui, en raison de leur rôle traditionnel, sont moins susceptibles de bénéficier des mêmes montants que les hommes, alors même qu’il s’agit de prestations financées sur la base de leurs revenus professionnels individuels85.
Montrons désormais comment la perpétuation de ce stéréotype peut nuire aux femmes. Outre la dénégation de certains droits (« effet de distribution ») – directement dans l’affaire Drake, indirectement dans les autres –, ce stéréotype de genre se révèle préjudiciable aux femmes (et aux hommes) de nombreuses manières. D’abord, ce stéréotype fait porter un fardeau domestique quasi exclusivement sur les femmes et un fardeau économique quasi exclusivement sur les hommes. Chaque sexe semble en charge d’une partie de la vie du ménage, mais l’un est valorisé – le travail productif payé – tandis que l’autre ne l’est pas – le travail domestique, non productif et non rémunéré (« effet de reconnaissance »). La perpétuation du modèle du male breadwinner et de la female caregiver à l’heure où l’emploi des femmes est très fréquent semble donc exonérer grandement l’homme de sa part des tâches domestiques : « [l]es stéréotypes sur le rôle domestique des femmes sont renforcés par des stéréotypes parallèles présumant l’absence de responsabilités domestiques chez les hommes (…). Ces stéréotypes, qui se renforcent mutuellement, ont créé un cycle de discrimination qui s’accomplit de lui-même (…) »86. Ainsi, même si la femme travaille, les législations basées sur ce modèle familial risquent de faire peser sur elle – voire exclusivement sur elle – l’ensemble des tâches domestiques. En effet, « [l]’entrée des femmes dans le salariat n’a pas été compensée par un investissement accru des hommes dans la sphère familiale »87.
Enfin, ce stéréotype de genre entretient selon nous la dépendance économique des femmes par rapport aux hommes. En effet, les législations qui prévoient des montants de prestations de sécurité sociale sur la base d’un modèle familial, avec une personne ayant charge de famille et une personne dépendante financièrement de cette dernière, perpétue voire pourrait accentuer la dépendance économique des femmes. Ainsi, l’économiste féministe Hélène Périvier a pu écrire que ce type de politiques publiques « rétribue le travail domestique et familial. Mais il assujettit les femmes en organisant leur dépendance auprès de l’État social et auprès de leur conjoint »88, pointant par ailleurs qu’« [e]n cas de ruptures conjugales, les femmes supportent une perte de niveau de vie plus importante que celle des hommes, ce qui est dû pour l’essentiel à la spécialisation des rôles qui prévalait dans le couple »89.
Le quatrième stéréotype de genre que nous avons identifié dans la jurisprudence de la CJUE relative à la directive 79/7/CEE et que nous avons nommé les femmes méritent une protection particulière repose sur l’idée que les femmes, en raison de leur nature ou de leur rôle social, doivent bénéficier de protections spécifiques. Ce stéréotype est « bienveillant » dans le sens où il attribue aux femmes des qualités perçues comme positives, telles que la douceur, l’empathie ou la capacité naturelle à prendre soin des autres, tout en renforçant l’idée qu’elles ont des besoins particuliers nécessitant une protection, notamment en raison de leur fragilité supposée. Bien qu’il semble valoriser les femmes, ce stéréotype les enferme dans des rôles spécifiques et perpétue des inégalités, car il justifie souvent des traitements différenciés qui, en réalité, limitent leur autonomie et leurs choix90.
L’interdiction du travail de nuit des femmes, qui ne reposait sur aucune justification objective, est souvent citée pour illustrer ces stéréotypes bien intentionnés. Communément vu par certains comme une protection des femmes, l’interdit visait plutôt à renforcer leur « vocation "familiale" » 91 et perpétuait le modèle du male breadwinner et female caregiver. En effet, comme l’écrit Sylvie Schweitzer au sujet du travail de nuit, et du travail dans les mines plus particulièrement : « [e]st invoquée alors non point la pénibilité du travail, mais la nuit éternelle des fonds de mines, cette obscurité censée permettre d’offenser les bonnes mœurs, de favoriser la débauche. Ainsi, épouse et mère avant tout, la femme mariée est tenue d’assurer le service nocturne de la maison ; une mère au travail, le soir, la nuit, c’est pour le père la nécessité de partager les tâches intérieures et la liberté extérieure »92. Ces stéréotypes « bien intentionnés » révèlent une tension entre la lutte contre les stéréotypes de genre et la prise en compte des inégalités structurelles. Certaines protections juridiques ont historiquement permis de pallier des désavantages auxquels les femmes sont confrontées, notamment sur le marché du travail. Par exemple, des mesures réservant aux femmes certains droits liés à la parentalité reflètent à la fois une vision traditionnelle et une tentative de répondre aux responsabilités familiales qui leur incombent de manière disproportionnée. Cependant, ces protections, si elles ne sont pas réévaluées dans une perspective d’égalité substantielle, risquent de figer des inégalités en renforçant la division des rôles sociaux entre les sexes93. Comme le propose Sophia Ayada, cette approche de l’égalité permet de dépasser l’approche formelle, en tenant compte des pressions structurelles qui orientent les comportements individuels94. Il ne s’agit donc pas de supprimer ces protections, mais de les inscrire dans une dynamique de transformation des rôles, plutôt que de les cristalliser comme des attributs naturels de la condition féminine.
On l’a compris : les stéréotypes de genre bien intentionnés ne sont pas à l’origine de législations qui défavorisent directement les femmes. Au contraire, ils sont à la base de mesures qui se veulent positives ou protectrices à leur égard, mais tout en perpétuant des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, leur supposée fragilité et leur besoin de protection.
Le stéréotype selon lequel les femmes méritent une protection particulière peut donc être qualifié de « sex role stereotype », car il repose sur l’idée que les femmes, en raison de leur nature supposée plus fragile ou vulnérable, doivent être traitées différemment des hommes. Ce stéréotype enferme les femmes dans des rôles traditionnels et les exclut d’une égalité réelle avec les hommes95. Il s’agit aussi d’un stéréotype prescriptif, car il impose une norme sociale qui veut que les femmes soient protégées de manière spéciale, particulièrement dans des domaines tels que le travail ou la maternité, en raison de leur vulnérabilité perçue. Enfin, il s’agit également d’un stéréotype erroné (false stereotype), car il repose sur l’idée non fondée que toutes les femmes sont fragiles ou vulnérables, indépendamment de leur situation, de leur âge, ou de leur santé.
Dans l’affaire Integrity de 1990, la législation belge prévoyait que les femmes mariées, veuves ou étudiantes pouvaient être exemptées de cotisations sociales lorsqu’elles ne tiraient qu’un faible revenu de leur activité professionnelle en tant qu’indépendantes, sans perdre le bénéfice des prestations sociales prévues par le régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants96. L’arrêt de la CJUE ne précise pas les raisons de cette différence de traitement, mais la mesure semble viser la protection des femmes considérées comme vulnérables. Ce type de protection repose sur l’idée que les femmes dans ces situations spécifiques nécessitent une forme d’épargne particulière, ce qui renforce une représentation de la femme comme étant économiquement dépendante ou moins apte à supporter les mêmes obligations que les hommes. Certes bien intentionnée, cette approche tend à maintenir les femmes dans un rôle subordonné sur le plan économique.
Dans l’affaire X, en 2014, la Cour a eu à conntraître d’une législation finlandaise qui prévoyant l’octroi d’une indemnité pour préjudice permanent à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Cette indemnité était forfaitaire et le montant octroyé variait selon le sexe des bénéficiaires, ce que le législateur national justifiait par le fait que les hommes et les femmes ont statistiquement une espérance de vie différente. Ce système était présenté comme favorable aux femmes : ayant, en moyenne, une espérance de vie plus longue que les hommes, elles devaient toucher une indemnité plus élevée97. Cette législation, bien qu’avantageuse en apparence, reposait donc sur un stéréotype statistique généralisé et sur une simplification des facteurs pertinents à prendre en considération pour évaluer l’espérance de vie.
Enfin, la troisième affaire, WA jugée en 2019, concerne une législation espagnole relative à un complément de retraite versé exclusivement aux femmes ayant eu au moins deux enfants. Le législateur espagnol justifiait l’octroi de ce complément par la « contribution démographique »98 des femmes à la sécurité sociale et « vis[ait] à réduire l’écart entre les montants de pension des hommes et ceux des femmes, résultant des différences de parcours professionnels »99. Si cette mesure visait à protéger les femmes des conséquences négatives de la maternité sur leur retraite, elle perpétue l’idée selon laquelle ce rôle reproductif est principalement une responsabilité féminine, et non une question parentale partagée100. Cette approche, bien intentionnée, renforce donc des stéréotypes de genre qui circonscrivent les femmes à la sphère domestique et reproductive101. En ce sens, dans une autre affaire concernant le refus d’obtenir une place en garderie pour l’enfant à naître d’un homme fonctionnaire – alors qu’une femme fonctionnaire aurait pu obtenir une place – la Cour de justice a eu l’occasion d’indiquer qu’« une mesure (…) qui se veut destinée à abolir une inégalité de fait pourrait néanmoins également risquer de contribuer à perpétuer une distribution traditionnelle des rôles entre hommes et femmes »102.
Certains préjudices peuvent par ailleurs découler de la perpétuation de stéréotypes bien intentionnés : enfermement dans des rôles spécifiques, traitements différenciés qui limitent l’autonomie des femmes, perpétuation des inégalités. Dans cette affaire WA, il résultait de la législation en cause un préjudice direct et monétaire affectant les pères, qui se voyaient sont privés de percevoir une prestation (« effet de distribution »). Néanmoins, indirectement, ce sont les deux sexes qui sont atteints dans leur reconnaissance. En effet, alors que le rôle des femmes en tant que mères est survalorisé, celui des pères est complètement méconnu. Cela impose un fardeau sur les femmes et marginalise le rôle des pères dans l’éducation des enfants.
Cependant, il est important de reconnaître que les mesures reposant sur des stéréotypes bienveillants peuvent aussi produire des effets positifs, de sorte que les supprimer purement et simplement peut s’avérer contre-productif pour l’égalité des sexes. Comme l’explique Elsa Fondimare, « [s]upprimer les dispositifs de protection des femmes au nom d’une égalité entendue comme indifférenciation et d’une lutte contre les stéréotypes de genre entre les sexes revient à nier les inégalités réelles qui existent entre les hommes et les femmes, concernant l’attribution des rôles sociaux »103. Il est indispensable de mettre en place des mécanismes qui protègent effectivement les femmes des discriminations indirectes, en tenant compte des réalités sociales et économiques auxquelles elles sont confrontées. En même temps, il convient de veiller à ce que ces mesures ne renforcent pas, de manière involontaire, les stéréotypes de genre, afin d’éviter de perpétuer les inégalités que le droit cherche précisément à combattre.
Après avoir épinglé et contesté quatre stéréotypes de genre sous-jacents aux réglementations et aux argumentations développées par les États membres devant la CJUE, il s’agit désormais d’examiner dans quelle mesure la Cour de justice parvient à les reconnaître et à s’en distancier. Si certaines réponses jurisprudentielles témoignent d’une prise en compte croissante de ces enjeux, d’autres illustrent encore des limites structurelles, tenant notamment à la qualification juridique des discriminations et au régime de justification applicable.
D’emblée, coupons court à tout suspens : la notion de stéréotype de genre n’apparaît dans aucun des arrêts de la CJUE sur la directive 79/7/CEE. Ceci n’étonnera pas : même si la CJUE connaît cette notion, elle ne l’utilise guère104. Pour autant, nombre de ses raisonnements sont empreints de la notion ; comme l’écrit Diane Roman, on trouve dans sa jurisprudence « l’idée selon laquelle il convient de combattre certains stéréotypes de genre »105. Ainsi par exemple, dans le domaine du travail, on peut noter l’arrêt Marschall qui concernait la directive 76/207/CEE du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Dans cette affaire, la législation allemande prévoyait que, sous certaines conditions, à compétences égales, les femmes avaient priorité pour accéder à un emploi supérieur. Acceptant la nécessité de cette législation, la Cour de justice indique que « même à qualifications égales, les candidats masculins ont tendance à être promus de préférence aux candidats féminins du fait, notamment, de certains préjugés et idées stéréotypées sur le rôle et les capacités de la femme dans la vie active et de la crainte, par exemple, que les femmes interrompent plus fréquemment leur carrière, que, en raison des tâches ménagères et familiales, elles organisent leur temps de travail de façon moins souple ou qu’elles soient plus fréquemment absentes en raison des grossesses, des naissances et des périodes d’allaitement. Pour ces raisons, le seul fait que deux candidats de sexe différent aient des qualifications égales n’implique pas à lui seul qu’ils ont des chances égales »106.
La Cour de justice conclut plus facilement au caractère discriminatoire d’une législation lorsque celle-ci repose sur certains stéréotypes. La Cour de justice semble ainsi éprouver quelque difficulté à condamner des raisonnements qui perpétuent le modèle familial du male breadwinner et certaines législations qui déqualifient le travail des femmes, alors qu’elle n’en éprouve guère à condamner les législations sous-tendues par le stéréotype de genre qui veut qu’une femme naît femme ou par les stéréotypes de genre bienveillants107. Cela peut s’expliquer non seulement par la nature des stéréotypes eux-mêmes, mais aussi par la manière dont ces stéréotypes orientent la qualification juridique de la discrimination, directe ou indirecte. L’ancienneté de certaines affaires joue aussi certainement un rôle important.
Certains stéréotypes semblent en effet davantage associés à des discriminations directes. Ainsi, les stéréotypes de genre biologisants ou bienveillants se retrouvent systématiquement dans des discriminations directes. Ces dernières, soumises à un régime juridique strict, laissent moins de latitude aux États membres pour justifier des différences de traitement. La CJUE précise, dans sa jurisprudence au sujet de la directive 79/7/CEE, qu’« une dérogation à l’interdiction, énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, de toute discrimination directe fondée sur le sexe n’est possible que dans les cas énumérés exhaustivement par les dispositions de cette directive »108. Si une justification d’une différence de traitement ne correspond pas à l’une des dérogations prévues par la directive, dans ses articles 4 – mesures relatives à la protection de la maternité – ou 7 – exceptions liées entre autres à l’âge de retraite différent ou aux droits dérivés –, elle ne pourra l’accueillir favorablement109. La CJUE, face à ce cadre juridique strict, a une démarche d’analyse relativement simplifiée : lorsque la Cour constate une différence de traitement fondée directement sur le sexe, elle n’a qu’à vérifier si cette distinction est justifiée par l’une des exceptions spécifiquement mentionnées dans la directive. Si aucune exception ne s’applique, la Cour constate automatiquement le caractère discriminatoire de cette distinction. Une fois le constat de la discrimination établi, le raisonnement de la Cour s’arrête, sans qu’elle cherche à analyser les stéréotypes de genre pouvant inspirer la législation en question (A). En revanche, les discriminations indirectes, plus couramment associées à des stéréotypes liés au modèle familial du male breadwinner (B) ou à la déqualification du travail des femmes (C), offrent une marge de justification plus large aux États membres. Ceux-ci peuvent en effet invoquer un but légitime et des moyens appropriés et nécessaires pour parvenir à ce but. Cette latitude réduit la capacité de la Cour à qualifier ces législations de discriminatoires, rendant leur condamnation plus difficile. Ce lien entre stéréotype et nature de la discrimination s’avère déterminant dans la capacité de la Cour à condamner une législation. Ce n'est pas tant le stéréotype en lui-même qui détermine l’issue, mais la manière dont il contribue à orienter la qualification juridique de la discrimination, en tant que directe ou indirecte. Or cette qualification est décisive: parce que le droit de l’égalité et de la non-discrimination prévoit un contrôle plus strict des discriminations directes que des discriminations indirectes, elle conditionne la possibilité même de reconnaître juridiquement une discrimination. Enfin, l’ancienneté de certaines affaires doit également être prise en compte. Les justifications empreintes de stéréotypes sexistes autrefois acceptées par la CJUE pourraient ne plus l’être aujourd’hui. Le contrôle opéré par la Cour en matière de discriminations indirectes s’est ainsi progressivement affiné. Ainsi, les conclusions de la CJUE reflètent non seulement la nature des stéréotypes et des discriminations, mais aussi l’évolution des standards juridiques en matière d’égalité entre les sexes.
Toutes les affaires dont la CJUE a eu à connaître dans lesquelles nous avons identifié la perpétuation du stéréotype de genre selon lequel on naît femme, on ne le devient pas ou celui selon lequel les femmes méritent une protection particulière se sont conclues par la reconnaissance d’une discrimination. La CJUE n’a pas été sensible aux arguments avancés par les gouvernements des États membres pour justifier leur législation, même si elle ne s’est pas prononcée sur les stéréotypes de genre qui les sous-tendaient.
Jugées respectivement en 2006 et 2018, les affaires Richards et MB concernent la non-reconnaissance du changement de sexe opéré pour un départ à la retraite au même âge que pour toutes les autres femmes, la Cour de justice a considéré que la différence de traitement trouvait « son origine dans la conversion sexuelle »110/111. Si dans la première affaire, la CJUE n’avait pas précisé la nature, directe ou indirecte, de la discrimination, elle l’a fait dans la seconde. On peut néanmoins supposer qu’elle considérait déjà en 2006 la discrimination comme directe dès lors qu’elle n’a pas examiné de possibles causes de justification externe à la directive. La Cour de justice a conclu que la directive 79/7/CEE s’oppose à une quelconque différence de traitement entre, d’une part, une femme n’ayant pas changé de sexe et, d’autre part, une femme ayant changé de sexe112. Quelques années plus tard néanmoins, dans une affaire concernant cette fois deux femmes n’ayant pas changé de sexe, la CJUE a considéré que « la notion “discrimination fondée sur le sexe” (…) ne peut concerner que les cas de discrimination entre des travailleurs de sexe masculin, d’une part, et des travailleurs de sexe féminin, d’autre part »113. Si la Cour ne s’est pas arrêtée sur l’existence ou non d’un stéréotype de genre à la base des réglementations britanniques, il apparaît néanmoins qu’en considérant comme comparables la situation d’une femme ayant changé de sexe et celle d’une femme n’ayant pas changé de sexe, la Cour censure la vision biologisante du sexe qui voudrait que le sexe de naissance définisse effectivement l’appartenance au genre féminin. Mais cette analyse doit être tempérée par le constat que le vocabulaire qu’elle emploie et l’emphase qu’elle met sur les modifications corporelles liées au changement de sexe démontrent une vision très médicale de la transidentité et binaire des sexes114. Comme le notent Marjolein van den Brink et Peter Dunne, « [l]es références constantes au fait que les requérants ont entrepris un processus de transition chirurgicale encadrent l’égalité des personnes trans comme étant conditionnée à une transition médicale. Cela remet en question l’utilité et l’applicabilité des garanties européennes de non-discrimination pour le grand nombre de citoyens trans de l’UE qui ne peuvent ou ne veulent pas accéder à des soins de confirmation de genre. Ces personnes sont-elles privées de recours au niveau européen, même lorsqu’elles subissent une discrimination comparable à celle des individus ayant modifié leur corps physiquement ? »115.
Concernant les trois affaires dans lesquelles nous avons identifié des stéréotypes bienveillants, la CJUE a, à nouveau, considéré que les législations en cause contenaient des discriminations directes interdites. Cela n’étonne pas : se fondant presque expressément sur des stéréotypes assumés, ces législations différenciaient directement les hommes et les femmes, déniant aux hommes le bénéfice de certains avantages. Dès lors que les stéréotypes de genre étaient à ce point visibles dans ces affaires, il est regrettable que la Cour de justice ne les ait pas explicitement identifiés. Notons néanmoins que sans jamais employer le terme « stéréotype de genre », certains raisonnements tenus par la CJUE ou par son avocat·e général·e s’apparentent à une réflexion à propos des stéréotypes sexistes. Ainsi, dans l’affaire X concernant l’octroi d’un montant de prestation plus élevé pour les femmes en raison de leur espérance de vie plus longue, l’avocate générale avait indiqué qu’il était « indéfendable au regard des valeurs de l’Union d’invoquer, sous la forme d’une donnée statistique sommaire, le sexe d’une personne comme critère de remplacement, en quelque sorte, pour d’autres facteurs de différenciation plus difficiles à identifier mais, en définitive, réellement pertinents en matière d’assurances », déplorant que les facteurs pertinents au regard de l’espérance de vie soient « rattachés schématiquement à l’appartenance à l’un ou l’autre sexe » 116. Par cette analyse, l’avocate générale cherchait à réfuter que, par facilité, des caractéristiques qui n’ont parfois rien à voir avec celui-ci soient rattachées. Ce faisant, elle paraissait bien dénoncer l’attribution de certaines caractéristiques figées aux femmes et aux hommes. La Cour a suivi ces conclusions en jugeant contraire à la directive une « telle généralisation » et « l’absence de certitude qu’une assurée ait toujours une espérance de vie supérieure à celle d’un assuré »117.
Dans l’affaire Integrity concernant une exemption de cotisations de sécurité sociale pour les femmes mariées percevant un faible revenu professionnel en tant qu’indépendante, la Cour a conclu à l’existence d’une discrimination directe sur la base du sexe118. Mais on trouve dans les conclusions de l’avocat général un raisonnement particulièrement intéressant. L’avocat général considère ainsi que « les hypothèses sur lesquelles [la législation] est fondée – à savoir que, dans tous les couples, c’est le mari qui apporte l’essentiel des revenus du ménage, toute activité professionnelle rémunérée de la femme n’étant qu’accessoire – sont elles-mêmes discriminatoires. Elles ne tiennent pas compte des couples qui souhaitent organiser leur vie sur des bases alternatives. »119. Le terme de stéréotype de genre ou de stéréotype sexiste n’est pas employé, mais les raisonnements tenus par l’avocat général fustigent les préjugés qui fondent les législations critiquées.
Dans l’affaire WA, au sujet d’un complément de retraite qui n’était attribué qu’aux femmes ayant eu plus de deux enfants et était justifié par le gouvernement espagnol comme récompense pour leur effort démographique et pour compenser les effets négatifs de la maternité sur le montant de cette retraite, la Cour a manqué l’opportunité d’employer le terme de stéréotype de genre120. Tout son arrêt est pourtant construit autour de cette idée, sans pour autant que la Cour l’assume par une formulation expresse. Ainsi, la CJUE constate que le rôle d’un père et celui d’une mère sont tout aussi nécessaires s’agissant de « récompenser la contribution démographique (…) à la sécurité sociale »121. Sur les effets négatifs de la maternité sur le montant de la retraite, la Cour juge qu’il s’agit là d’une généralité sexuée sur le rôle de la mère – « la situation d’un père et celle d’une mère peuvent être comparables en ce qui concerne l’éducation des enfants »122 – et relève en outre que la législation traite de manière identique toutes les mères, en octroyant le même complément de retraite pour les femmes qui ont adopté un enfant ou celles qui en ont eu avant de commencer à travailler. La Cour de justice considère qu’il n’existe « aucun élément établissant un lien entre l’octroi du complément de pension en cause et la prise d’un congé de maternité ou les désavantages que subirait une femme dans sa carrière en raison de son éloignement du service pendant la période qui suit l’accouchement »123. Par ailleurs, la Cour indique que le simple octroi d’un bonus au moment de la retraite, « sans porter remède aux problèmes qu’elles [les femmes] peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle (…), n’apparaît pas comme étant de nature à compenser les désavantages auxquels seraient exposés les femmes en aidant celles-ci dans cette carrière et, ainsi, à assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle »124. Il semble donc que la Cour ne soit pas dupe des stéréotypes de genre qui sous-tendent la législation espagnole, qu’il s’agisse d’une récompense à un effort démographique ou d’une compensation pour le fait d’avoir eu plusieurs enfants.
La tension ainsi mise en lumière – entre une reconnaissance nécessaire des effets de la maternité et une assignation implicite à des rôles parentaux sexués– traverse également d’autres législations nationales. Ainsi, Alexis Zarca, à propos de la bonification pour éducation des enfants dans le régime de retraite des fonctionnaires français, distingue deux justifications possibles : si l’avantage vise à compenser les contraintes liées à l’éducation des enfants, le principe d’égalité s’oppose à ce qu’il soit réservé aux mères ; s’il vise à compenser les contraintes biologiques liées à la maternité, il peut être justifié125. Dans cette perspective, l’argument avancé par le gouvernement espagnol selon lequel le complément de pension récompense un « effort démographique » féminin illustre bien une confusion entre ces deux logiques : la mesure semble davantage entériner une répartition sexuée des rôles sociaux qu’agir en faveur de l’égalité réelle. Or, cette ambivalence traverse également le raisonnement de la Cour, qui, tout en déconstruisant certains stéréotypes de genre, affirme dans le même arrêt la nécessité de protéger les « rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à l’accouchement », convoquant ainsi un autre stéréotype essentialisant126. S’il est évident que la grossesse et l’accouchement relèvent d’une réalité biologique propre aux femmes, la nature exclusive de ce lien particulier après la naissance mériterait d’être interrogée, tant elle tend à invisibiliser l’implication possible des pères dans les soins apportés aux enfants. Sous cette dernière réserve, la Cour de justice et son avocat·e général·e semblent parfaitement aptes à condamner les réglementations des États membres qui perpétuent une vision biologisante de la femme ou qui entretiennent des stéréotypes certes bienveillants mais néanmoins essentialisants. Ces affaires impliquaient systématiquement des discriminations directes fondées sur le sexe. La structure du droit de l’égalité et de la non-discrimination, qui encadre strictement les justifications admissibles en cas de discrimination directe, facilite grandement l’identification et la condamnation de telles législations par la CJUE.
Dans les affaires où la Cour fait face à des législations qui promeuvent le modèle familial du male breadwinner et female caregiver, elle a généralement refusé d’y voir des discriminations, sauf en cas de discrimination directe. En effet, dans l’affaire Drake qui empêchait les femmes mariées ou vivant en concubinage d’obtenir une prestation de sécurité sociale quand un homme placé dans la même situation y aurait eu droit, la Cour a logiquement conclu qu’il existait une discrimination directe. Il faut dire que le gouvernement britannique n’avait même pas tenté de justifier la pertinence de la différence de traitement127.
Dans les autres affaires, la Cour n’a pas pu se départir d’une vision stéréotypée de la cellule familiale et de la place spécifique de l’homme – pourvoyeur principal des revenus – et de la femme – pourvoyeuse principale de soins.
Ainis, dans les affaires Teuling et Commission c. Belgique concernant la familialisation des montants de prestations de sécurité sociale, la Cour a validé les arguments tant des Pays-Bas que de la Belgique, qui entendaient lier les prestations de sécurité sociale « à la situation familiale de l’intéressé, qui peut soit être confronté à des besoins supplémentaires dus à des personnes à charge, soit, au contraire, bénéficier du revenu d’un conjoint »128, et jugé que « la circonstance que ces majorations bénéficient à un nombre nettement plus élevé d’hommes mariés que de femmes mariées n’est pas suffisante pour conclure que l’octroi de telles majorations comporte une violation de la directive »129. Ce faisant, la Cour a toutefois, selon nous, manqué deux points. Tout d’abord, dans l’affaire Teuling, elle s’est arrêtée au fait que les femmes percevaient moins souvent que les hommes les majorations de prestations, sans envisager la législation dans son ensemble – et notamment le fait qu’auparavant, chacun·e avait droit à une prestation équivalent à 100 % du revenu minimum ; ce n’est que suite à une réforme du système que seuls les chefs de ménage maintenaient un droit à 100 %, contre 70 % pour les autres. La Cour – et l’Avocat général – se sont focalisés uniquement sur la situation actuelle, sans apparemment réaliser que celle-ci constituait un recul pour l’individualisation des droits et donc, une régression de l’indépendance de la femme dans la famille. Comme le notent Pascale Vielle et Nathalie Wuiame, « [d]ans tous les cas où des formes de familialisation des droits en référence à certains concepts problématiques (“chef de famille” ou concepts analogues) entraînent des discriminations indirectes (…), la Cour refuse de condamner les discriminations constatées en invoquant des “justifications objectives” »130. Au-delà du non-constat de discrimination indirecte, ni la CJUE ni l’Avocat général n’ont émis, à l’occasion de ces affaires, une quelconque réflexion critique sur le modèle familial promu par ces politiques familialistes ou sur la dépendance au conjoint que ce modèle induit. De la même manière, ils n’ont pas exprimé de quelconque réserve sur le principe même d’octroyer un revenu qui ne soit pas lié à un droit individuel mais à la place dans la famille d’un individu.
Comment expliquer cette réticence voire cette incapacité de la Cour à condamner les législations qui perpétuent le modèle familial du male breadwinner ? Au-delà de l’ancrage profond de ce stéréotype de genre dans nos sociétés et de la difficulté de s’en départir, peut-être cela est-il dû à la nature indirecte des discriminations en jeu. Comme indiqué auparavant, la structure même du droit de l’égalité et de la non-discrimination, en accordant aux États membres une marge de manœuvre plus importante pour justifier ce type de différences de traitement, complique l’identification et la condamnation de ces discriminations par la Cour. Laure Camaji développe l’idée que lorsque l’enjeu porte sur « la convention de genre inhérente au système de protection sociale », c’est-à-dire sur le « modèle de carrière ‘masculin’ privilégié », les juges éprouvent davantage de difficultés à reconnaître l’existence d’une discrimination indirecte131.
Enfin, il faut également tenir compte de l’ancienneté de ces affaires dont a eu à connaître la Cour – 1987 et 1991. On peut dès lors raisonnablement espérer qu’aujourd’hui ni la CJUE ni l’avocat général ne devraient valider aussi facilement de telles législations et les justifications avancées par les États membres. En effet, dans une affaire récente concernant un autre sujet – l’exclusion des allocations de chômage des « employés de maison » (voir infra, n°48) – l’Avocat général a clairement indiqué dans ses conclusions qu’il fallait vérifier si « certains objectifs de politique sociale invoqués pour justifier la différence de traitement des personnes de sexe féminin sont ancrés dans des rôles stéréotypés ou des stéréotypes de genre pouvant se trouver à l’origine de discriminations indirectes ou systémiques ». Et d’ajouter qu’il existe « de nouvelles formes de structures familiales, notamment les familles monoparentales, qui ne répondent plus au modèle classique de famille », dénonçant au passage les formes de « familialisation des droits »132. On le voit : cet avocat général n’est pas dupe de l’existence des stéréotypes de genre, de la place attendue par certaines législations de la femme dans la société, ainsi que du phénomène critiquable de familialisation des prestations de sécurité sociale.
Le bilan de la CJUE en matière de législations basées sur une dévalorisation du travail des femmes est plus nuancé. Sur dix affaires dans lesquelles apparaissait le stéréotype selon lequel le travail des femmes vaut moins que celui des hommes, la Cour a tout de même conclu à huit reprises à l’existence d’une discrimination et à deux reprises à l’absence de discrimination.
Dans l’affaire Brouwer en 2010, la discrimination était directe, ce qui a simplifié le travail de la Cour, qui a jugé discriminatoire la mesure prévoyant une rémunération fictive inférieure aux femmes par rapport aux hommes pour les périodes de travail à l’étranger dans le calcul de la pension de retraite. Il faut dire que la Belgique, au moment de l’audience, ne contestait plus la discrimination, se contentant de demander la limitation de la décision dans le temps, ce qu’a refusé la CJUE133.
Toutes les autres affaires concernaient l’existence d’une discrimination indirecte, laissant ainsi aux États membres la possibilité de justifier le traitement défavorable dont sont victimes les femmes. Ainsi, les affaires dont eu à connaître la CJUE concernant un mode de calcul de prestations de sécurité sociale qui impactait négativement les femmes se sont soldées par la reconnaissance d’une discrimination.134.
La Cour de justice a en effet jugé à chaque fois qu’« une mesure qui aboutit à réduire le montant d’une pension de retraite d’un travailleur d’une manière plus que proportionnelle à la prise en compte de ses périodes d’activité à temps partiel ne saurait être considérée comme objectivement justifiée par le fait que la pension est, dans ce cas, la contrepartie d’une prestation de travail moins importante »135/136. Dans le même sens, elle a considéré dans l’affaire Ruzius-Wilbrink qu’il n’était pas cohérent que seul·es les travailleur·ses à temps partiel en incapacité de travail se voient octroyer un montant en lien avec les revenus précédemment gagnés alors que tous les autres se voyaient octroyer un montant fixe137. Dans l’affaire Brachner, enfin, la Cour a jugé discriminatoire le fait que seules les pensions minimales soient exclues d’une augmentation de pensions qui s’apparente à une indexation, considérant que « cet ajustement ne constitue pas une prestation qui représente la contrepartie des cotisations versées » mais bien une mesure « consistant à garantir le maintien du pouvoir d’achat des pensions »138. Ni la CJUE ni son Avocat général n’ont cependant, à l’occasion de ces affaires, pris des positions qui pourraient s’apparenter à une dénonciation quelconque de la dévalorisation du travail des femmes. C’est plutôt sur le terrain de l’incohérence des mesures que s’est situé leur raisonnement. Néanmoins, ces condamnations de la CJUE empêchent, concrètement, la perpétuation de ce stéréotype sexiste qui dévalorise le travail des femmes.
Dans les affaires où il s’agissait moins du mode de calcul de la prestation en elle-même que des conditions d’ouverture d’un droit à prestation, la Cour présente un bilan plus mitigé du point de vue de sa capacité à déclarer discriminatoire des législations reposant sur un stéréotype de genre. Sur cinq affaires dont elle eut à connaître, elle a considéré par trois fois qu’il y avait une discrimination indirecte et par deux fois qu’il n’y en avait pas.
Dans une première affaire, la CJUE a invalidé la législation espagnole qui exigeait « une durée de cotisation proportionnellement plus importante pour accéder (…) à une pension de retraite de type contributif dont le montant est proportionnellement réduit en fonction de leur temps de travail », en considérant que les travailleur·ses à temps partiel finançaient le système de pension et que, dans tous les cas, ils percevraient un montant de pension « proportionnellement réduit en fonction du temps de travail et des cotisations payées ». La Cour a ainsi jugé que l’exclusion pure et simple du système de pension n’était pas une mesure nécessaire pour atteindre l’objectif de « sauvegarde du système de sécurité sociale de type contributif »139.
Dans une deuxième affaire Roks de 1994, ce sont les raisons invoquées par le gouvernement néerlandais qui n’ont pas convaincu la CJUE de la pertinence du traitement défavorable des femmes. En effet, de simples « raisons budgétaires » ne peuvent justifier une législation qui prévoit que l’octroi d’une prestation d’incapacité de travail soit lié à la perception d’un certain revenu dans l’année précédente. De manière intéressante, la Cour a indiqué dans cet arrêt qu’« admettre que des considérations d’ordre budgétaire puissent justifier une différence de traitement entre hommes et femmes qui, à défaut, constituerait une discrimination indirecte fondée sur le sexe (…) impliquerait que l’application et la portée d’une règle aussi fondamentale du droit communautaire que celle de l’égalité entre hommes et femmes puissent varier, dans le temps et dans l’espace, selon l’état des finances publiques des États membres »140. Désormais, les États membres ont évidemment compris que la simple invocation de « raisons budgétaires » n’est pas suffisante ; aussi justifient-ils à présent ces différences de traitement par des motifs budgétaires explicités, telle que la nécessité de « maintenir la viabilité du régime de sécurité sociale »141.
Enfin, la troisième affaire, CJ 2022 – dans laquelle la Cour offre son raisonnement le plus intéressant – concernait la législation espagnole qui excluait du champ d’application de l’assurance chômage les « employés de maison »142. Les justifications avancées par le gouvernement espagnol apparaissaient particulièrement problématiques : absence de « profit » pour l’employeur·se, difficulté de contrôle au sein d’un domicile privé ou risque d’augmentation du travail au noir s’il fallait payer des cotisations de sécurité sociale. Dans cette affaire, la CJUE a considéré que la mesure n’était pas mise en œuvre de manière cohérente dès lors que « d’autres catégories de travailleurs dont la relation de travail se déroule à domicile pour des employeur·ses non professionnels, ou dont le domaine de travail présente les mêmes spécificités en termes de taux d’occupation, de qualification et de rémunération que celui des employés de maison, telles que les jardiniers et les chauffeurs particuliers ou les travailleurs agricoles et les travailleurs employés par des entreprises de nettoyage, sont toutes couvertes par la protection contre le chômage, et ce malgré des taux de cotisation parfois inférieurs à ceux applicables aux employés de maison »143. A nouveau, c’est donc sur le terrain de l’incohérence de la mesure que la CJUE s’est située. De son côté, l’avocat général Maciej Szpunar tenait un raisonnement plus approfondi, considérant qu’au-delà de l’incohérence de la mesure, les objectifs mêmes avancés par le gouvernement espagnol posaient question. Il indiquait ainsi qu’« il convient d’examiner, lors de l’examen de ‘la justification objective’, si certains objectifs de politique sociale invoqués pour justifier la différence de traitement des personnes de sexe féminin sont ancrés dans des rôles stéréotypés ou des stéréotypes de genre pouvant se trouver à l’origine de discriminations indirectes ou systémiques. Ce modèle, dans lequel perdurent des stéréotypes au regard du rôle des hommes et des femmes dans la société, ne correspond plus à la réalité de la société en Europe. En effet, les femmes intègrent aujourd’hui le marché du travail à tous les niveaux, la position des mères et des pères tend à être comparable en ce qui concerne la parentalité et l’éducation des enfants, ou il y a de nouvelles formes de structures familiales, notamment les familles monoparentales, qui ne répondent plus au modèle classique de famille »144. Concernant les motifs invoqués par le gouvernement espagnol, il indique ainsi que l’exclusion prévue par la législation conduit « à renforcer la conception sociale traditionnelle des rôles en permettant, en outre, non seulement d’exploiter la position structurellement plus faible des personnes qui intègrent le secteur des employés de maison, mais également de sous‑estimer la valeur du travail des employés de ce secteur, qui devrait, au contraire, être reconnu et valorisé par la société »145. L’ensemble du raisonnement tenu par l’Avocat général cité ici trop brièvement est circonstancié : tenant compte des stéréotypes de genre et de la dévalorisation du travail féminin, il réfute une à une chaque tentative du gouvernement espagnol de justifier sa législation.
Enfin, dans les affaires Megner et Scheffel et Nolte jugées en 1995, la CJUE a en revanche accepté les arguments du gouvernement allemand pour justifier l’exclusion des emplois dits « mineurs » de certaines prestations de sécurité sociale. Tant la CJUE que son Avocat général ont épousé parfaitement l’argumentaire allemand. Ce dernier considère même que s’il était nécessaire de payer des cotisations de sécurité sociale « normales » pour ces travailleur·ses, « la capacité d’embauche serait très réduite », ce qui mènerait au chômage et à « l’augmentation du travail au noir », concluant que « le système actuel a l’avantage d’intégrer une certaine partie de la population à la population active, qui s’en trouverait probablement exclue autrement »146. Faire partie de la « population active », mais de manière résiduelle : les personnes occupant ces emplois dits « mineurs » sont rattachées au monde du travail sans pour autant bénéficier des protections qu’il garantit normalement. Cette exclusion, bien qu’inscrite dans la tradition des régimes assurantiels, produit aujourd’hui des effets clairement genrés, dans un marché du travail où les emplois dits mineurs sont massivement occupés par des femmes. En validant cette distinction, la Cour entérine une forme de citoyenneté sociale à deux vitesses, sans interroger l’impact différencié de cette exclusion sur les femmes, alors même que le critère d’un travail à temps partiel recoupe des lignes de genre bien établies.
Ces deux affaires sont anciennes. Au vu des conclusions de l’avocat général en 2020 au sujet de l’exclusion des employés de maison espagnols de la sécurité sociale et du verdict de la Cour, il n’est pas certain que de tels arguments seraient encore accueillis aujourd’hui favorablement par la CJUE. Au-delà du type de stéréotype de genre et de la structure du droit de l’égalité et de la non-discrimination, c’est aussi peut-être l’évolution de la société qui explique que certaines affaires – plus anciennes – n’ont pas connu la même résolution que d’autres.
Les deux inquiétudes formulées dans la citation placée en ouverture – celle d’un foyer déserté par les femmes et celle d’un travail masculin menacé – n’ont pas disparu du paysage juridique. Elles subsistent sous des formes renouvelées, parfois bienveillantes, parfois indirectes, dans les législations sociales analysées. Loin d’être anecdotiques, ces représentations continuent d’influencer la manière dont les normes sont construites, justifiées, et parfois maintenues. Notre tour d’horizon de la jurisprudence de la CJUE sur la directive 79/7/CEE, abordée sous l’angle des stéréotypes de genre, a permis de dresser une cartographie des différents stéréotypes qui sous-tendent les législations en matière de sécurité sociale et d’analyser comment la CJUE se positionne face à ces législations.
En nous appuyant sur la méthodologie de Rebecca J. Cook et Simone Cusak qui permet d’identifier et de dénoncer les stéréotypes de genre sous-jacents aux législations, un des principaux résultats de cette contribution est l’identification de quatre stéréotypes de genre qui reviennent fréquemment dans les législations relatives au droit de la sécurité sociale : on naît femme, on ne le devient pas, le travail des femmes vaut moins que celui des hommes, le modèle du « male breadwinner and women caregiver » et les femmes méritent une protection particulière. Nous avons pu mettre en évidence que ces stéréotypes influencent non seulement le contenu des législations en cause, mais aussi la nature des discriminations – directes ou indirectes – et, par conséquent, la marge de manœuvre de la CJUE pour juger ces législations. La qualification de la discrimination conditionne en effet le régime de justification applicable, plus strict en cas de discrimination directe, ce qui renforce la capacité de la Cour à condamner certains types de stéréotypes plutôt que d’autres. En effet, les discriminations directes, associées aux stéréotypes biologisants et bienveillants, laissent peu de latitude aux États pour les justifier, ce qui facilite leur condamnation. À l’inverse, les discriminations indirectes, plus souvent liées à la dévalorisation du travail des femmes ou au modèle du breadwinner, sont plus difficiles à sanctionner en raison des justifications que les États peuvent invoquer. Nous avons tenté de mettre en lumière cette interaction entre le type de stéréotype, la nature de la discrimination et les limites du cadre juridique européen, en montrant que la structure du droit assure une lutte plus effective contre certains stéréotypes.
Bien que cette analyse soit limitée à la seule jurisprudence de la CJUE relative à une unique directive, elle offre un éclairage sur deux fronts : d’une part, elle montre que les stéréotypes de genre, bien qu’implicites, sont largement présents dans les législations de droit de la sécurité sociale ; d’autre part, elle illustre les limites du droit de l’égalité et de la non-discrimination lorsqu’il s’agit de combattre ces stéréotypes. En mobilisant une approche interdisciplinaire et un critère externe au droit – les stéréotypes de genre – cette étude s’inscrit dans une littérature juridique critique, soucieuse de mettre en lumière les biais sexistes présents dans le droit de la sécurité sociale et d’interroger la capacité du droit de l’égalité et de la non-discrimination à réduire les inégalités de genre.
Il convient de souligner une évolution prometteuse : les conclusions de l’Avocat général Maciej Szpunar dans l’affaire CJ jugée en 2022, qui dénoncent explicitement les stéréotypes de genre en jeu, laissent espérer une reconnaissance plus explicite des biais sexistes dans la jurisprudence future. Enfin, analyser la jurisprudence de la CJUE sur la directive 79/7/CEE sous le seul angle des stéréotypes de genre laisse forcément des questions ouvertes. D’autres aspects méritent d’être explorés et évalués, comme les limites aux champs d’application matériel et personnel de la directive ou les contours donnés aux objectifs considérés comme légitimes par la CJUE. D’autres aspects également mis de côté dans la présente étude pourraient être examinés, comme l’interaction avec les actions positives ou comprendre pourquoi certains États, comme l’Espagne récemment, sont impliqués beaucoup plus fréquemment dans des affaires liées à la directive 79/7/CEE. Chacun de ces aspects mérite, sans aucun doute, une étude approfondie147.
Juliette Gilman, assistante-doctorante, Centre de droit public et social, Université libre de Bruxelles.
Références
Ernest Fournier de Flaix, « Vie de la société. Procès-verbal de la séance du 20 novembre 1895 », Journal de la Société de statistique de Paris, Tome 36, 1895, p. 405.↩︎
Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, J.O.C.E., L 6, 10 janvier 1979. Ci-après « directive 79/7/CEE ».↩︎
Voir par exemple (en ordre chronologique) : Pascale Vielle, La Sécurité sociale et le coût indirect des responsabilités familiales. Une approche de genre, Bruylant, 2001 ; Joanne Conaghan, « Work, Family and the Discipline of Labour Law », in Joanne Conaghan et Kerry Rittich dir., Labour Law, Work and Family. Critical and Comparative Perspectives, Oxford University Press, 2005 ; Hedwige Peemans-Poullet, Un bon mari ou un bon salaire ? Féminisme en sécurité sociale, une si longue marche…, Université des femmes, 2009 ; le numéro spécial « Genre et protection sociale » de la Revue de droit sanitaire et social, 2009, n° 6 ; le numéro spécial de la Revue française des affaires sociales, 2012, n° 2 et 3, coordonné par Jeanne Fagnani et Florence Thibault ; les contributions de Diane Roman, Laure Camaji et Alexis Zarca, in Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman dir., La loi & le genre. Etudes critiques de droit français, CNRS Éditions, 2014 ; Christiane Marty, L’enjeu féministe des retraites, La Dispute, 2023 ; Odile Merckling, Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat, Syllepse, 2023.↩︎
Leurs conclusions ne lient pas la Cour, mais visent à éclairer son raisonnement par une analyse impartiale et indépendante des faits et du droit, conformément à l’article 252 du TFUE. Si la CJUE n’est pas tenue d’y adhérer, nous faisons dans notre texte régulièrement référence à ces conclusions car elles permettent de mieux saisir certains aspects du litige. Plusieurs argumentations développées par les États membres ne figurent pas dans les arrêts eux-mêmes, mais apparaissent dans les conclusions, ce qui permet d’identifier plus largement les préjugés sexistes susceptibles d’influencer les justifications étatiques.↩︎
Voir néanmoins les références en note 3.↩︎
Rebecca J. Cook, Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, University Press of Pennsylvania, 2010.↩︎
Les deux autres directives, plus connues, sont la directive 75/117/CEE du Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (J.O.C.E., L 45, 19 février 1975) et la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail (J.O.C.E., L 39, 14 février 1976).↩︎
Voir Sophie Jacquot, L’égalité au nom du marché ? Émergence et démantèlement de la politique européenne d’égalité entre les hommes et les femmes, P.I.E. Peter Lang, 2014, et plus spécifiquement sur la période 1957-1992 et les directives prises à l’époque à la suite du Programme d’action sociale p. 65-76.↩︎
Sur l’activation de l’article 119 et l’activisme qui a mené à l’intégration de l’égalité de genre comme politique européenne à part entière, voir : Catherine Hoskyns, Integrating Gender : Women, Law and Politics in the European Union, Verso, 1996, mais également Sophie Jacquot, ibidem. Voir aussi au sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes en matière de sécurité sociale en droit de l’Union européenne : Mies Westerveld, « Women and social security », in Frans Pennings, Gijsbert Vonk dir., Research Handbook on European Social Security Law, Edward Elgar, 2015, pp. 257-280.↩︎
Sur la directive, voir : Anja Eleveld, Erik Wesselius, Gender equality in statutory social security : the future of Directive 79/7, European network of legal experts in gender equality and non-discrimination, European Commission, DG for Justice and Consumers, 2025. Voir également : Ismaël Omarjee, Manuel de droit européen de la protection sociale, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2021 et plus spécifiquement pp. 347-353 ; et Frans Pennings, European Social Security Law, 7e éd., Intersentia, 2022, spéc. pp. 409-430. Pour un commentaire de la directive et de la jurisprudence de la Cour de justice : Miguel de la Corte-Rodriguez, « Recent cases and the future of Directive 79/7 on equal treatment for men and women in social security : How to realise its full potential », European Journal of Social Security, 2021, vol. 23, n° 45, pp. 44-61.↩︎
L’effet direct de la directive est rappelé régulièrement par la Cour de justice, et ce, depuis son entrée en vigueur. La Cour de justice considère en effet que la règle de l’article 4 prévoyant l’interdiction des discriminations directes et indirectes est « suffisamment précise et inconditionnelle pour pouvoir être invoquée ». Voir, par exemple CJUE, 4 décembre 1986, État néerlandais, C-71/85, § 18 ; CJUE, 24 mars 1987, McDermott et Cotter, C-286/85, § 11 ; CJUE, 24 juin 1987, Borrie Clarke, C-384/85, § 11.↩︎
Il est à noter que la directive n’envisage pas du tout la question du travail domestique non rémunéré.↩︎
Directive 79/7/CEE, article 2.↩︎
CJUE, 27 juin 1989, Achterberg-te Riele e.a, C-48/88, § 13.↩︎
CJUE, 11 juillet 1991, Johnson, C-31/90, § 23.↩︎
Directive 79/7/CEE, article 3, 1., a).↩︎
Directive 79/7/CEE, article 3, 1., b).↩︎
Directive 79/7/CEE, article 3, 2 et article 4, 2.↩︎
Ainsi, la CJUE a par exemple jugé que n’étaient pas couverts par la directive ni une allocation de logement (CJUE, 4 février 1992, The Queen, ex parte Smithson, C-243/90) ni le droit à une réduction du prix du transport en commun (CJUE, 11 juillet 1996, Atkins, C-228/94).↩︎
Il s’agit, sans aucun doute, de l’une des limites importantes de notre étude. Dès lors que nous avons choisi de nous concentrer sur la jurisprudence relative à la directive 79/7/CEE, notre analyse, de la même manière que cette directive, n’intègrera pas le congé de maternité, expressément exclu de son champ d’application. Celui-ci constitue pourtant une branche de la sécurité sociale particulièrement perméable aux stéréotypes de genre. A ce sujet, voir Roberta Guerrina, « Equality, difference and motherhood : the case for a feminist analysis of equal rights and maternity legislation », Journal of Gender Studies, 2001, vol. 10, n° 1, pp. 33-42. Pour une critique des limites de la directive, voir Miguel de la Corte-Rodriguez, « Recent cases and the future of Directive 79/7 on equal treatment for men and women in social security : How to realise its full potential », op. cit., p. 46.↩︎
Voir par exemple CJUE, 28 septembre 1994, Bestuur van het Algemeen burgerlijk pensioenfonds, C-7/93.↩︎
Directive 79/7/CEE, article 4.1.↩︎
Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (J.O.U.E., L 204, 26 juillet 2006).↩︎
Pour un renvoi à la définition de la discrimination directe, voir par exemple : CJUE, GC, 26 juin 2018, M.B., C-451/16, § 6 et 34. Pour un renvoi à la définition de la discrimination indirecte, voir par exemple : CJUE, 8 mai 2019, Villar Láiz, C-161/18, § 7 et 37.↩︎
Directive 79/7/CEE, article 7.2.↩︎
Pascal Vielle, Nathalie Wuiame, « Évaluation de la mise en œuvre de la directive 79/7/CEE relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale », Recherche réalisée à la demande de la Commission européenne (DG V), 1999, p. 42.↩︎
Notons cependant que la Cour ne juge pas directement si une législation est ou non contraire à la directive 79/7/CEE. En effet, comme le note la Cour dans l’arrêt CJUE, 21 novembre 1990, Integrity, C-373/89, § 9 : « il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de l’article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité d’une réglementation nationale avec le droit communautaire, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d’apprécier cette comptabilité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie ». Ainsi, la CJUE limite son examen à une interprétation de la législation nationale au regard du droit de l’Union et laisse au juge national le soin de l’appliquer.↩︎
CJUE, 14 avril 2015, Cachaldora Fernández, C-527/13 ; CJUE, 17 novembre 2015, Plaza Bravo, C-137/15.↩︎
CJUE, 24 juin 1986, Drake, C-150/85 ; CJUE, 21 novembre 1990, Integrity, C-373/89 ; CJUE, 27 avril 2006, Richards, C-423/04 ; CJUE, 29 juillet 2010, Brouwer, C-577/08 ; CJUE, GC, 26 juin 2018, M.B., C-451/16 ; CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18.↩︎
CJUE, 11 juin 1987, Teuling, C-30/85 ; CJUE, 7 mai 1991, Commission c. Belgique, C-229/89 ; CJUE, 19 novembre 1992, Molenbroek, C-226/91 ; CJUE, 14 décembre 1995, Nolte, C-317/93 ; CJUE, 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C-444/93 ; CJUE, 8 février 1996, Laperre, C-8/94 ; CJUE, 1er février 1996, Psthuma-van Damme et Oztürk, C-280/94 ; CJUE, 21 janvier 2021, INSS, C-843/19.↩︎
Rebecca J. Cook, Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, op. cit., p. 9.↩︎
Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : vieilles lunes ou nouvelles perspectives pour le droit ? », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Mathias Möschel et Diane Roman dir., Ce que le genre fait au droit, Dalloz, 2013, p. 94.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc.., p. 25.↩︎
Alexandra Timmer, « Judging Stereotypes : What the European Court of Human Rights Can Borrow from American and Canadian Equal Protection Law », American Journal of Comparative Law, 2015, vol. 63, n° 1, p. 255.↩︎
Alexandra Timmer, « Gender Stereotyping in the case law of the EU Court of Justice», préc., p. 39.↩︎
Ibid.↩︎
Elsa Fondimare, « Le genre, un concept utile pour repenser le droit de la non-discrimination », La Revue des droits de l’homme, 2014, vol. 5, n° 6, p. 9 [en ligne].↩︎
A ce sujet, voir Marie-Xavière Catto et al., « Questions d’épistémologie : les études sur le genre en terrain juridique », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Mathias Möschel et Diane Roman dir., Ce que le genre fait au droit, préc., p. 19.↩︎
Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : vieilles lunes ou nouvelles perspectives pour le droit ? », préc., p. 118.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 42. Traduction personnelle.↩︎
Alexandra Timmer, « Gender Stereotyping in the case law of the EU Court of Justice », European Equality Law Review, 2016, n° 1, p. 37.↩︎
Alexandra Timmer, « Judging Stereotypes : What the European Court of Human Rights Can Borrow from American and Canadian Equal Protection Law », préc., p. 243.↩︎
Dans cet article, nous adoptons une méthodologie qui s’inscrit dans un point de vue « externe modéré », tel que défini par François Ost et Michel Van de Kerchove (« Comment concevoir aujourd’hui la science du droit ? », Déviance et société, 1987, vol. 11, n° 2, pp. 187-189). Ce cadre méthodologique permet de confronter le droit à des concepts issus d’autres disciplines, ici la notion de stéréotype – venue originellement de la psychologie sociale et des travaux de Walter Lippman (voir, Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : vieilles lunes ou nouvelles perspectives pour le droit ? », préc., 94) – tout en ayant une bonne connaissance du droit positif.↩︎
Notons que sur les quatre affaires restantes, une s’est soldée par la reconnaissance d’une discrimination indirecte à l’encontre des femmes. Ceci achève de convaincre qu’une législation discriminatoire n’est pas toujours basée sur un stéréotype de genre – ou en tout cas sur un stéréotype de genre facilement identifiable – et que la lutte contre les discriminations qui affectent les femmes ne peut se limiter à une lutte contre les stéréotypes de genre. Voir CJUE, 30 juin 2022, KM, C-625/20.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 41.↩︎
Eva Brems et Alexandra Timmer, « Introduction », in Eva Brems, Alexandra Timmer dir., Stereotypes and Human Rights Law, Intersentia, 2016, p. 4.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 57.↩︎
Alexandra Timmer, « Gender Stereotyping in the case law of the EU Court of Justice », préc., p. 38.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 59.↩︎
Ibid., p. 60.↩︎
Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (tome 2) – L’expérience vécue, Gallimard, 2014, p. 13.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 25.↩︎
Alexandra Timmer, « Judging Stereotypes : What the European Court of Human Rights Can Borrow from American and Canadian Equal Protection Law », préc., p. 257.↩︎
Voir les affaires : CJUE, 27 avril 2006, Richards, C-423/04 ; CJUE, 26 juin 2018, M.B., C-451/16.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., pp. 64 et 65. Traduction personnelle.↩︎
La question du travail à temps partiel est souvent au cœur des législations contestées devant la CJUE. Le travail à temps partiel reste majoritairement féminin aujourd’hui. Ainsi, au sein de l’Union européenne, en 2023, près de 28% des femmes travaillaient à temps partiel, contre moins de 8 % pour les hommes. Chiffres Eurostat, disponibles : https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Part-time_and_full-time_employment_-_statistics.↩︎
Danièle Kergoat, « Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe », in Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré, Danièle Senotier dir., Dictionnaire critique du féminisme, 2e éd., Presses universitaires de France, 2004, p. 36.↩︎
Danièle Kergoat, « La division du travail entre les sexes », in Jacques Kergoat, Josiane Boutet, Henri Jacot et Danièle Linhart dir., Le monde du travail, La Découverte, 1998, p. 324.↩︎
Traité de Rome, art. 119 et, aujourd’huiTraité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), art. 157.↩︎
Dans le même sens, voir l’affaire CJUE, 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C-385/11, où il s’agissait d’exiger « une durée de cotisation proportionnellement plus importante pour accéder, le cas échéant, à une pension de retraite de type contributif dont le montant est proportionnellement réduit en fonction de leur temps de travail ».↩︎
CJUE, 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C-444/93, § 28 ; v. aussi CJUE, 14 décembre 1995, Nolte, C-317/93.↩︎
Dans le même sens, voir CJUE, 24 février 1994, Roks e.a., C-343/92. Dans cette affaire, est analysée la législation néerlandaise qui prévoit l’octroi d’une indemnité d’incapacité de travail conditionnée à la perception d’un certain revenu professionnel dans l’année précédant l’incapacité. Si cette mesure semble neutre du point de vue du genre, elle affecte en réalité bien plus les femmes. En subordonnant l’ouverture du droit à l’indemnité à un seuil de revenu minimal – plutôt que d’adopter un calcul au prorata du travail réellement effectué – la législation néerlandaise exclut de nombreuses femmes, souvent employées à temps partiel ou dans des secteurs moins rémunérateurs, de tout droit à un revenu de remplacement en cas d’incapacité de travail. Le seul argument avancé par les autorités est celui des nécessités budgétaires. Cela montre, une fois de plus, que le travail des femmes est perçu comme moins ‘valable’ ou moins légitime pour leur permettre de s’ouvrir des droits de sécurité sociale, et qu’il devient ainsi une cible facile pour des mesures d’austérité.↩︎
CJUE, 24 février 2022, CJ, C-389/20, § 54.↩︎
Ibid., § 53.↩︎
Sur la dimension racialisée du travail domestique, voir notamment : Nicole Constable, Maid to order in Hong Kong. Stories of Filipina Workers, Cornell University Press, 1997 ; Grace Chang, Disposable Domestics. Immigrant Women Workers in the Global Economy, South End Press, 2000 ; et Caroline Ibos, Qui gardera nos enfants ? Les nounous et les mères, Flammarion, 2013.↩︎
CJUE, 13 décembre 1989, Ruzius-Wilbrink, C-102/88, § 16.↩︎
En 2020, seules 9,3 % des travailleuses en France avaient le statut d’indépendantes, contre 15,3 % des travailleurs selon l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047735?sommaire=6047805.↩︎
CJUE, 8 mai 2019, Villar Láiz, C-161/18.↩︎
Dans le même sens, voir CJUE, 9 novembre 2017, María Begoña Espadas Recio, C-98/15, où il s’agissait d’un mode de calcul qui impactait particulièrement négativement les travailleur·ses à temps partiel dit vertical (soit les personnes exerçant leurs prestations sur certaines journées et non sur toute la semaine) car la durée du chômage était fonction du nombre de jours travaillés et non du nombre d’heures prestées. V. également CJUE, 17 novembre 2015, Plaza Bravo, C-137/15, où il s’agissait d’allocations de chômage. Dans cette dernière affaire cependant, la CJUE a conclu en l’impossibilité de démontrer l’existence d’une différence de traitement défavorable aux femmes.↩︎
CJUE, 29 juillet 2010, Brouwer, C-577/08, § 20. ↩︎
CJUE, 20 octobre 2011, Brachner, C-123/10.↩︎
Sur la manière dont les avantages familiaux de retraite peuvent à la fois compenser des inégalités structurelles et renforcer des assignations genrées : Laure Camaji, « Avantages familiaux de retraite : quelle(s) égalité(s) pour la retraite entre les femmes et les hommes ? », Regards, 2016, vol. 2, n° 50, pp. 137-146.↩︎
Rebecca J. Cook et Simone Cusak, Gender Stereotyping. Translational Legal Perspectives, préc., p. 65. Traduction personnelle.↩︎
Hélène Périvier, « De madame Au-Foyer à madame Gagne-Miettes. État social en mutation dans une perspective franco-états-unienne », in Margaret Maruani dir., Travail et genre dans le monde, La Découverte, 2013, p. 311.↩︎
Marc Bessin, « La présence sociale et les temps sexués du care pour repenser la solidarité », in Robert Castel et Claude Martin dir., Changements et pensées du changement. Échanges avec Robert Castel, La Découverte, 2012, p. 263. Voir également Diane Roman, « Care et protection sociale », Regards, 2016, vol. 2, n° 50, pp. 30-34 ; et Hélène Périvier, « Une lecture genrée de la Sécurité sociale, soixante-dix ans après sa fondation : quel bilan pour l’égalité des femmes et des hommes ? », Informations sociales, 2015, vol. 3, n° 189, pp. 107-114, spéc. p. 109.↩︎
Marie-Thérèse Letablier, « Régimes d’État-providence et conventions de genre en Europe », Informations sociales, 2009, vol. 1, n° 151, pp. 103- 104. Sur la manière dont se répartissent les obligations familiales et les activités professionnelles entre les hommes et les femmes en Europe, voir également Annie Fouquet, Annie Gauvin et Marie-Thérèse Letablier, « Des contrats sociaux entre les sexes différents selon les pays de l’Union Européenne », in Conseil d’analyse économique, Égalité entre les femmes et les hommes :aspects économiques, La Documentation française, 1999, pp. 105-131.↩︎
Cour EDH, GC, 22 mars 2012, Konstantin Markin c. Russie, n°30078/06, § 143.↩︎
Ibid., § 141.↩︎
Dominique Méda, « Pourquoi et comment mettre en œuvre un modèle à « deux apporteurs de revenu/deux pourvoyeurs de soins ? », Revue française de socio-économie, 2008, n° 2, p. 122.↩︎
Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, La Découverte, 2008, p. 5.↩︎
Alexandra Timmer, « Gender stereotyping in the case law of the EU Court of Justice», préc., p. 38.↩︎
C.JUE, 24 juin 1986, Drake, C-150/85.↩︎
CJUE, 11 juin 1987, Teuling, C-30/85.↩︎
CJUE, 7 mai 1991, Commission c. Belgique, C-229/89.↩︎
Dans le même sens, voir CJUE, 19 novembre 1992, Molenbroek, C-226/91. Dans cette affaire, la législation néerlandaise prévoyait la possibilité pour une personne ayant atteint l’âge de la retraite de bénéficier d’un complément de pension au titre du conjoint n’ayant pas encore atteint l’âge de la pension. Les hommes étant en moyenne plus âgés dans le couple, ce sont eux qui bénéficient surtout de ce complément. Cette situation illustre comment, bien que la législation soit neutre du point de vue du genre, les structures de pension ont été conçues sur la base de présupposés qui favorisent le modèle du male breadwinner, en établissant une dynamique où l’homme, plus âgé et souvent perçu comme le principal pourvoyeur financier, et la femme, plus jeune et considérée comme un soutien économique secondaire, se voient attribuer des droits qui reflètent cette inégalité sous-jacente.↩︎
Cour suprême des Etats-Unis, Nevada Department of Human Resources v. Hibbs, 538 U.S. 721 (2003), p. 136.↩︎
Hélène Périvier, L’économie féministe, préc., p. 164.↩︎
Ibid., p. 161↩︎
Ibid., p. 165.↩︎
Ainsi, au sujet des retraites, Hélène Périvier écrit, sur « la tension entre incitation et protection : ne pas tenir compte dans l’acquisition des droits à la retraite du fait que les femmes réalisent encore l’essentiel des tâches domestiques et familiales conduirait à un appauvrissement relatif des femmes retraitées ; mais compenser les inégalités issues de la division sexuée du travail contribue à l’entretenir et entérine une inégalité de fait » : Hélène Périvier, « Une lecture genrée de la Sécurité sociale, soixante-dix ans après sa fondation : quel bilan pour l’égalité des femmes et des hommes ? », préc., p. 111.↩︎
Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : ‘vieilles lunes’ ou nouvelles perspectives pour le droit ? », préc., p. 111.↩︎
Sylvie Schweitzer, Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Odile Jacob, 2002, p. 35. Sur l’ambivalence des premiers dispositifs protecteurs à l’égard des femmes concernant le travail de nuit : Jean-Pierre Nandrin, Hommes et normes, Presses universitaires de Saint-Louis Bruxelles, 2016, pp. 443 à 480.↩︎
Sur la tension entre, d’une part, la lutte contre les stéréotypes de genre et la promotion d’une égalité formelle entre les sexes et, d’autre part, la lutte pour l’égalité substantielle, voir Julie C. Suk, « Are Gender Stereotypes Bad for Women ? Rethinking Antidiscrimination Law and Work-Family Conflict », Columbia Law Review, 2010, vol. 110, n° 1, pp. 1-69. Sur le cas de la Belgique, voir Elise Dermine, « Tendre vers une égalité effective entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. Arguments juridiques en faveur de l’allongement du congé de naissance », Tijdschrift voor Sociaal Recht / Revue de droit social, 2021, n° 1 et 2, pp. 29-74, spéc.pp. 41- 42. Sur le sujet, voir également Roberta Guerrina, « Equality, difference and motherhood : the case for a feminist analysis of equal rights and maternity legislation », préc. Voir également sur les différentes acceptions de l’égalité : Christopher McCrudden, Sacha Prechal, The Concepts of Equality and Non-discrimination in Europe : A practical approach, European Commission, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Equal Opportunities, Unit G.2., 2009.↩︎
Sophia Ayada précise que cette approche de l’égalité substantielle ne peut rester cantonnée à la sphère profesionnelle, mais doit aussi englober les responsabilités de soin. Elle souligne qu’une telle perspective suppose de s’affranchir de la stricte séparation entre sphère publique et sphère privée: Sophia Ayada, From contesting gender stereotypes to questioning anti-stereotyping : a critical analysis of the CJEU gender equality jurisprudence, thèse de doctorat, European University Institute, 2022, p. 31.↩︎
Ce constat ne remet pas en cause les protections fondées sur des justifications objectives, comme la santé des femmes dans le cadre du congé de maternité. Il s’agit plutôt d’attirer l’attention sur les usages restrictifs ou paternalistes de certaines mesures. Comme le souligne Sophia Ayada, même des dispositifs conçus pour protéger les femmes peuvent, en les réduisant à un rôle domestique ou en les infantilisant, contribuer à renforcer les inégalités entre les sexes ; Ibid., p. 204.↩︎
CJUE, 21 novembre 1990, Integrity, C-373/89.↩︎
CJUE, 3 septembre 2014, X, C-318/13.↩︎
CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18, § 14.↩︎
CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18, §48.↩︎
Pour une analyse des arrêts Griesmar et Leone, dans lesquels la CJUE a invalidé des avantages familiaux de retraite français, respectivement directement et indirectement réservés aux mères, en raison de la conception stéréotypée des rôles parentaux qu’ils véhiculaient, voir Laure Camaji, « Avantages familiaux de retraite : quelle(s) égalité(s) pour la retraite entre les femmes et les hommes ? », préc..↩︎
Notons que nous aurions pu choisir de catégoriser cette affaire comme relevant du stéréotype de genre du modèle familial du male breadwinner et de la female caregiver. En effet, réserver un avantage lié à la charge familiale aux seules femmes perpétue un modèle familial où seule la femme est en charge de la sphère domestique et des enfants. Néanmoins, dès lors que le gouvernement espagnol a justifié sa mesure par la volonté de protéger les femmes contre les effets néfastes de la charge d’enfants sur leur carrière, il nous a semblé plus opportun de mentionner cette affaire dans cette section.↩︎
CJUE, 19 mars 2002, H. Lommers, C-476/99, § 41.↩︎
Elsa Fondimare, « Le genre, un concept utile pour repenser le droit de la non-discrimination », préc., p. 11. Par exemple, sur l’importance des avantages familiaux pour les pensions des femmes, voir Catherine Bac et Vincent Poubelle, « Les avantages (ou droits) familiaux en matière de retraite dans le régime général », RDSS, 2009, n° 6, pp. 1024-1035.↩︎
Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : ‘vieilles lunes’ ou nouvelles perspectives pour le droit ? », préc., p. 101.↩︎
Ibid., p. 102.↩︎
CJUE, 11 novembre 1997, Marschall, C-409/95, § 29 et 30.↩︎
Sur la manière dont les juridictions réagissent différemment face à des règles perpétuant certains stéréotypes de genre, voir Alexis Zarca, « Le retour du genre dans le droit des pensions de la fonction publique ou les vicissitudes d’un stéréotype bien intentionné », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman dir., La loi & le genre. Études critiques de droit français, CNRS Éditions, 2014 p. 429-446.↩︎
CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18, § 54.↩︎
En ce sens, voir CJUE, 26 juin 2018, M.B., C-451/16, § 50.↩︎
CJUE, 27 avril 2006, Richards, C-423/04, § 30.↩︎
Pour un commentaire sur l’affaire C-451/16, voir Hélène Payancé, « Discrimination due à la contrainte d’annuler son mariage, après un changement de sexe, pour bénéficier d’une pension de retraite », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2019, n° 2, pp. 118-122. Pour deux commentaires de ces arrêts, dans le contexte de la lutte contre les discriminations envers les personnes trans, voir : Pieter Cannoot, Sarah Ganty, « Protecting Trans, Non-Binary, and Intersex Persons Against Discrimination in EU Law », European Equality Law Review, 2022, p. 43 ; et Marjolein van den Brink, Peter Dunne, Trans and intersex equality rights in Europe – a comparative analysis, European Commission, 2018, pp. 51-54.↩︎
CJUE, 26 juin 2018, M.B., C-451/16, § 44.↩︎
CJUE, 6e ch., 12 mai 2021, YJ, C-130/20, § 21.↩︎
Marjolein van den Brink, Peter Dunne, Trans and intersex equality rights in Europe – a comparative analysis, préc., pp. 53-54 ; Pieter Cannoot, Sarah Ganty, « Protecting Trans, Non-Binary, and Intersex Persons Against Discrimination in EU Law », préc..↩︎
Marjolein van den Brink et Peter Dunne, Trans and intersex equality rights in Europe – a comparative analysis, préc., pp. 53-54.↩︎
CJUE, 3 septembre 2014, X, C-318/13, conclusions de l’Avocate générale Juliane Kokott, § 50 et 51.↩︎
CJUE, 3 septembre 2014, X, C-318/13, § 38.↩︎
CJUE, 21 novembre 1990, Integrity, C-373/89.↩︎
CJUE, 21 novembre 1990, Integrity, C-373/89, v. Concl. de l’Avocat général Francis Jacobs, § 14.↩︎
Sur cette affaire et le refus de la CJUE d’envisager la mesure au titre d’action positive compensatoire permise par l’article 157, § 4 du TFUE, voir : Sarah Ganty, Germain Haumont, « Droit de l’égalité et de la non-discrimination (chronique), Journal européen des droits de l’homme, 2021, n° 3, pp. 293- 294 ; Sabine Mair, « Why less is not always more : Mother’s pensions and parenthood in WA », Common Market Law Review, 2021, n° 58, pp. 201-221. Pour un commentaire plus général sur cette affaire, voir Miguel De la Corte-Rodriguez, « Recent cases and the future of Directive 79/7 on equal treatment for men and women in social security : How to realise its full potential », préc., pp. 50-53 ; Hélène Payancé, « Complément de pension contributive espagnole et discrimination directe au detriment des pères », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2020, n° 2, pp. 134-137.↩︎
CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18, § 46.↩︎
Ibid., § 51.↩︎
Ibid., § 57.↩︎
Ibid., § 65.↩︎
Alexis Zarca, « Le retour du genre dans le droit des pensions de la fonction publique ou les vicissitudes d’un stéréotype bien intentionné », préc., p. 436-437.↩︎
CJUE, 12 décembre 2019, WA, C-450/18, § 56.↩︎
CJUE, 24 juin 1986, Drake, C-150/85, § 30.↩︎
CJUE, 7 mai 1991, Commission c. Belgique, C-229/89, § 20.↩︎
CJUE, 11 juin 1987, Teuling, C-30/85, § 18.↩︎
Pascale Vielle et Nathalie Wuiame, « Évaluation de la mise en œuvre de la directive 79/7/CEE relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale », préc., p. 35.↩︎
Laure Camaji, « L’argument de la discrimination indirecte en raison du sexe confronté à la retraite des femmes », préc., p. 425.↩︎
CJUE, 24 février 2022, CJ, C-389/20, § 77 et 78.↩︎
CJUE, 29 juillet 2010, Brouwer, C-577/08.↩︎
Laure Camaji, « L’argument de la discrimination indirecte en raison du sexe confronté à la retraite des femmes », préc., p. 425.↩︎
CJUE, 8 mai 2019, Villar Láiz, C-161/18, § 51. Pour trois commentaires courts concernant cette affaire, voir Sarah Ganty, Germain Haumont, « Droit de l’égalité et de la non-discrimination (chronique), préc., pp. 294-295, Miguel De la Corte-Rodriguez, « Recent cases and the future of Directive 79/7 on equal treatment for men and women in social security : How to realise its full potential », préc., pp. 47-50 ; et Sophie Robin-Olivier, « Politique sociale de l’Union européenne. 2018-2019 », RTD Eur., 2019, p. 698. Mais également, dans le même sens que cette affaire, CJUE, 9 novembre 2017, María Begoña Espadas Recio, C-98/15 concernant le travail à temps partiel vertical dans laquelle l’Avocate Générale Eleanor Sharpston a pu considérer que : « cela crée une anomalie illogique et punitive qui désavantage les travailleurs à temps partiel ‘vertical’. Les travailleurs à temps partiel qui occupent des emplois à rémunération relativement faible, comme les femmes de ménage, peuvent avoir peu de choix en ce qui concerne leurs conditions de travail » (§ 60).↩︎
Voir dans le même sens : Laure Camaji, « L’argument de la discrimination indirecte en raison du sexe confronté à la retraite des femmes », préc., p. 425 où l’auteure souligne que la reconnaissance d’une discrimination indirecte, lorsqu’elle permet de « ’démasquer la sous-valorisation de métiers, de professions ou de statuts d’emploi majoritairement occupés par des femmes », permet au juge d’éviter que « l’institution de protection sociale ne fasse siens ces stéréotypes de genre ».↩︎
CJUE, 13 décembre 1989, Ruzius-Wilbrink, C-102/88.↩︎
CJUE, 20 octobre 2011, Brachner, C-123/10, § 79 et 98.↩︎
CJUE, 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C-385/11, § 28, 34 et 35.↩︎
CJUE, 24 février 1994, Roks e.a., C-343/92, § 36.↩︎
CJUE, 21 janvier 2021, INSS, C-843/19.↩︎
Sur cet arrêt et la réponse espagnole à celui-ci, voir : Sarah Ganty, Germain Haumont et Pieter Cannoot, « European Anti-Discrimination Case Law in 2021-2022 : A Tour d’horizon of Crucial Developments », préc. ; Hélène Payancé, « Exclusion des employés de maison de la protection contre le chômage et discrimination indirecte fondée sur le sexe », préc..↩︎
CJUE, 24 février 2022, CJ, C-389/20, § 63.↩︎
CJUE, 24 février 2022, CJ, C-389/20, Concl. de l’Avocat général Maciej Szpunar, § 77.↩︎
Ibid., § 82.↩︎
CJUE, 14 décembre 1995, Nolte, C-317/93 ; et CJUE, 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C-444/93, Concl. de l’Avocat général Philippe Léger, § 74.↩︎
L’auteure remercie les deux évaluateur·rices de la revue pour leurs remarques stimulantes et constructives, qui lui ont permis d’affiner et d’améliorer significativement son texte. L’auteure remercie également chaleureusement ses collègues du Centre de droit public et social de l’ULB pour leur aide, leurs conseils et leurs relectures dans la rédaction de cet article, en particulier Elise Dermine, Daniel Dumont, Camille Lorgeoux et Jean-François Neven. Elle exprime également sa gratitude à Sarah Ganty et Pierre Pichault pour leur lecture attentive d’une première version de ce texte et leurs précieux conseils.↩︎