Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines

Julien Damon, Presses de Sciences Po, 2023

Stéphanie Hennette Vauchez






I. Pour une politique de la dépendance

  1. En 1988, la philosophe Carole Pateman publiait Le contrat sexuel1, ouvrage dans lequel elle propose une relecture fondamentale – et fondatrice de nombreux travaux dans son sillage – des théories classiques du contrat social (Hobbes, Locke et Rousseau) pour mettre en lumière la manière dont elles sont profondément ancrées dans l’inégalité entre les sexes. Dans le récit qu’elles proposent, l’individu rationnel et autonome renonce à certains de ses droits naturels pour conclure un pacte social, donnant ainsi naissance à une puissance souveraine (le Léviathan chez Hobbes, le pouvoir législatif chez Locke, la volonté générale chez Rousseau) en mesure de gouverner pour l’intérêt général. Or, explique Pateman, cet individu « rationnel et autonome » qui conclut le contrat social, c’est un homme. Alors que le fil narratif des théories contractualistes prétend que tous les sujets ont la liberté de se livrer au travail productif et politique, Pateman démontre que « la figure de l’individu délesté de toute détermination sociale, religieuse, etc. (…) achoppe sur la différence des sexes »2. Prise au sérieux, cette dernière amène à prendre conscience de ce que ceux qui peuvent s’activer dans la sphère publique ne sont en mesure de le faire que parce que le contrat social présuppose et masque un autre contrat, le contrat sexuel3, qui fonde la distinction entre une sphère privée (où se livre le travail reproductif) et une sphère publique (où peut se déployer le travail productif et politique) : « le contrat social est une histoire de liberté ; le contrat sexuel est une histoire d’assujettissement »4. Pateman nous amène donc à réaliser que les sujets qui évoluent dans la sphère publique et politique ne peuvent jouir de la liberté de le faire que parce que, en amont, leur dépendance (et notamment, la reproduction) est gérée par autrui – les femmes.

  2. Ce renversement de perspective consistant à mettre en avant non pas l’autonomie mais la dépendance fondamentale du sujet comme caractéristique première de la condition humaine trouvait bientôt un très large écho dans la théorie politique et juridique féministe. En particulier, les théoricien·nes du care proposent elles et eux aussi une rénovation des cadres fondateurs de la théorie politique, de façon à mettre la dépendance, entendue comme caractéristique première de la condition humaine, au premier plan5. Le travail de Joan Tronto, notamment, a joué un rôle capital dans le façonnage du concept de care comme concept politique et critique. Pour elle, le care permet de désigner de manière générique toutes les activités auxquelles nous nous livrons pour « maintenir, perpétuer et réparer notre monde »6. Elle mobilise le concept de care comme permettant à la fois de renouveler la réflexion sur la justice sociale et de fournir un outil critique du libéralisme politique en tant qu’il repose sur la « fiction d’un sujet libre, autonome, socialement décontextualisé et supposé susceptible de choisir »7. Au total, la théorie politique féministe a donc très largement contribué à mettre en lumière le fait que, loin de la figure qui peuple et agit la philosophie politique libérale classique, l’individu est dépendant8. Elle souligne la dimension mythique de l’indépendance ou de l’autonomie individuelles9 – dans la mesure où tout ce que l’individu parvient à faire dans la vie économique, politique, sociale, repose, en dernier ressort, sur une condition préalable : la prise en charge et la gestion, ailleurs (dans la sphère privée), par d’autre(s) personne(s), de ses dépendances multiples (nourriture, soins, reproduction etc.).

  3. Par extension ou commutation, on peut d’ailleurs penser la dépendance comme caractéristique de la condition humaine au-delà de l’échelle individuelle : les communautés politiques, en ce sens, peuvent elles aussi être vues comme dépendantes. La crise pandémique mondiale du Covid-19 aura d’ailleurs agi comme un puissant, bien que fugace, révélateur : à l’heure de prendre les mesures les plus drastiques pour diminuer sinon faire cesser les contacts susceptibles d’être contaminants, ce sont bien les activités de prise en charge de la dépendance qui ont été, dans une remarquable inversion des valeurs ordinaires, désignées comme essentielles : ramassage des ordures, acheminement et vente des aliments, métiers de la santé, activités de nettoyage10. Et l’on voit, depuis, un regain de l’intérêt conceptuel du care – jusques et y compris au cœur de la théorie constitutionnelle11, où nombre de réflexions cherchent à tirer les leçons juridiques de cette expérience qui aura révélé que, tout comme l’individu ou la famille, les communautés politiques sont, radicalement et existentiellement, dépendantes de toute une série d’activités qui assurent leur maintien et leur perpétuation. En France, les récents débats ayant présidé à l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’avortement ont également été l’occasion de rompre avec l’invisibilisation de la valeur publique, sociale – politique – des questions reproductives12.

  4. C’est dans le sillage de ces perspectives ouvertes par la théorie politique féministe qu’il est tout particulièrement intéressant de s’attarder sur l’ouvrage consacré par Julien Damon aux toilettes publiques13. En tant qu’elle répond à une des dimensions les plus immédiates et universelles de la dépendance comme caractéristique de la condition humaine, la disponibilité et l’accessibilité de toilettes entre en effet immédiatement en écho avec ce paradoxe au cœur de la modernité politique qui tient à l’invisibilisation de toutes ces conditions essentielles au fonctionnement et à la perpétuation de la société telle qu’on la connaît : les toilettes sont un sujet à la fois crucial et largement tabou, sinon tu – même si ce silence est largement situé, et prévalent notamment dans les sociétés où le développement urbain et sanitaire le permet ; comme le note l’auteur, dans les pays en voie de développement comme l’Inde ou la Chine, le sujet des toilettes publiques occupe au contraire au plus haut niveau de l’État. Partout, cependant, la question des toilettes est « au cœur de problématiques majeures, dont celle de l’égalité entre les hommes et les femmes » ; étant entendu que, plus largement, « touristes, personnes handicapées, sans-abri, personnes âgées, chauffeurs de taxi, livreurs, représentants de commerce, routiers etc. sont également concernés »14.

II. Logiques de classe et de genre dans le développement de l’accès aux toilettes

  1. Dans son étude qui se déploie au prisme de la question urbaine – puisque c’est particulièrement lorsqu’une certaine densité de population se vérifie que la question des toilettes devient cruciale, pour des motifs tenant tant à l’hygiène qu’au confort ainsi qu’à la bienséance15 –, Julien Damon montre que le développement du tout-à-l’égout qui se déploie au 19ème siècle dans les grandes villes comme Londres ou Paris, opère d’abord selon une logique de classe : « les réseaux d’égouts desservent d’abord les quartiers riches, ignorant les zones les plus défavorisées ». Ce n’est que progressivement que le maillage s’étend et que la puissance publique « rend les connexions obligatoires »16.

  2. Elle opère aussi selon une logique de genre. Les toilettes publiques n’ont en effet historiquement pas été mises à disposition de toustes. Ainsi, les vespasiennes qui se sont déployées de manière pionnière à Paris à partir de la monarchie de Juillet (on en compte près de 500 vers 1840, 1 300 en 1930) étaient d’usage exclusivement masculin, n’offrant en réalité que des urinoirs ; ce n’est que vers la fin du XIXème siècle, et de manière plus marginale, que des solutions accessibles et utiles aux deux sexes apparaissent17. L’urinoir constitue, d’ailleurs, une matérialisation de la réalité de la domination masculine. Il l’exprime dans son existence (l’absence de toilettes publiques pour femmes énonçant le scripte selon lequel, si elles se déplacent dans l’espace public, les femmes doivent savoir se retenir) ainsi que, plus tard, dans le parallélisme qui caractérise les toilettes pour hommes et les toilettes pour femmes, offertes en proportion égale et exprimant ce faisant « des normes trop égalitaires » pour « des physiologies et des comportements inégaux »18 – d’où le phénomène bien connu des longues files d’attente imposées aux femmes19, d’abord pour des raisons anatomiques qui leur imposent un passage plus long aux lieux d’aisance, mais aussi pour des raisons physiologiques (grossesses et menstruations nécessitant des passages plus fréquents et, derechef, plus longs, aux toilettes20) et sociales (« sans en avoir le monopole, ce sont celles qui, aux toilettes et ailleurs, s’occupent le plus des enfants »21). Diverses initiatives visent à compenser ces inégalités entre les sexes face à l’accès aux toilettes. Ainsi par exemple, au Canada et aux Etats-Unis, il arrive que la réglementation impose un ratio supérieur de toilettes féminines22.

  3. De manière plus contemporaine encore, la question de l’identité de genre percute de plein fouet la partition des deux sexes en matière de toilettes, historiquement et profondément ancrée, qui se caractérisait notamment déjà les thermes romains23. Depuis peu, des personnes trans, non-binaires, intersexes, questionnent l’affectation binaire des lieux d’aisance24, désormais requalifiée comme une forme de ségrégation. Julien Damon liste à ce propos les différentes options rencontrées et discutées : toilettes dégenrées (accessibles à toustes, indifféremment du genre), toilettes sexuées mais en plus grand nombre pour les femmes, ou création d’une troisième catégorie de toilettes – neutres au genre. Il rappelle que, indépendamment des débats et crispations suscitées par le fait que la question est portée par des revendications LGBTQI+, la neutralité des toilettes est déjà fort commune : dans les avions, les trains ou encore de nombreux restaurants par exemples, il n’y a pas de toilettes réservées selon le sexe ; en outre, les toilettes accessibles aux personnes handicapées ne distinguent généralement pas non plus de ce point de vue. Aux Etats-Unis, plusieurs États ont adopté des lois prescrivant que les toilettes publiques soient accessibles à toustes, indépendamment de l’identité ou de l’expression de genre25 – même si, typiquement, elles ont souvent suscité d’intenses batailles juridiques, bien que la Cour suprême ait pour l’heure refusé de se pencher sur la question26.

III. Accès aux toilettes et politiques de l’espace public

  1. Parce que Julien Damon s’intéresse surtout aux toilettes publiques, sa recherche se situe dans le sillage d’une réflexion capitale sur les enjeux liés à la gouvernance de l’espace public27 : la détermination de ce qui y est interdit et ce qui y est autorisé pèse en effet de manière particulièrement forte sur toutes celles et ceux qui n’ont que l’espace public comme lieu de vie : les sans-abris ainsi que toutes celles et ceux qui vivent dans de l’habitat précaire et dégradé (bidonvilles etc.). Comme l’avait bien montré le philosophe du droit Jeremy Waldron dans son étude remarquable de 1992, celui qui n'a pas de domicile (pas d'accès à un espace ou domicile privé) est en effet dépendant, radicalement, de la possibilité d'accéder à des espaces publics : il a besoin d'y accéder pour « accomplir des activités humaines élémentaires telles qu'uriner, se laver, dormir, cuisiner, manger et se tenir »28. Il en va de son existence même : ce qui est en cause, ce n'est pas sa liberté d'aller et venir ou ses droits sociaux mais, bien plus fondamentalement, sa liberté d'être. Waldron invite donc, pour penser la liberté, à prêter attention aux règles juridiques qui ne s'appliquent qu'à certains espaces particuliers – et notamment, aux espaces publics – à l'instar de celles qui prohibent de manger dans le hall d'un musée, de dormir dans un parc ou d'utiliser les toilettes d'un restaurant. Pour les sans-abris, les toilettes des cafés, restaurants, musées ou encore bibliothèques29 jouent un rôle crucial – à condition d’y être admis·es.

  2. Pour autant, Julien Damon documente comme une des mutations profondes des dernières décennies la diminution de l’offre de toilettes publiques – notamment, la « raréfaction des toilettes autrefois disponibles dans les gares » – qui s’accompagne en outre de l’« automatisation et [la] déshumanisation partielle des services, avec mise au chômage ou passage à la retraite de nombreuses ‘dames pipi’ (terme consacré reflétant bien un certaine distribution des rôles sociaux) »30. De ce point de vue, le mouvement contemporain de raréfaction des toilettes publiques (alors même que, par hypothèse, les besoins perdurent) peut bien être lu comme « une politique publique visant les sans-abri »31 – à l’instar de toutes sortes d’aménagements (ou non-aménagements) urbains (« l’urbanisme agressif »32) explicitement dirigés contre les pauvres et les vagabonds (disparition des bancs publics, installation de pics anti-clochards, politiques de gestion des indésirables…33). La question des SDF n’est certes pas le seul facteur de la raréfaction de l’offre. A partir des années 1930, la chute drastique du nombre de toilettes publiques a aussi eu à voir avec le fait que les pissotières pour hommes, forme prévalente des toilettes publiques, se mit à générer un mouvement de réprobation du fait de leur évolution en lieux de rencontres homosexuelles34. Si, après la seconde guerre mondiale, la disparition des vespasiennes et autres édifices comparables est fugacement compensée par un effort d’aménagement de toilettes-relais dans les gares et stations de métro, ce modèle-là, éminemment différent car payant, fait long feu. Assurément, cette évolution va de pair avec la raréfaction, puis l’interdiction, des logements privatifs sans WC35. Mais elle va aussi avec une politique de l’espace public : « plus les besoins privés semblent couverts, plus les besoin et l’offre publics sont laissés de côté. Les lieux de rassemblement et d’attente (gares, parcs et jardins) se débarrassent à leur tour de leurs commodités ou en restreignent l’accès par des tarifications obligatoires »36. Cette décrue du nombre de toilettes publiques durera jusqu’à la « révolution Decaux », du nom de l’entreprise qui entreprend, à partir du début des années 1980, de proposer des sanitaires publics à entretien automatique, désormais accessibles à tous (hommes et femmes, mais aussi aux personnes à mobilité réduite). La ville de Paris est ici encore pionnière (on y compte environ 450 sanisettes en 2020) – mais le modèle s’exporte vite. Économiquement, cependant, le modèle repose sur une redevance acquittée par l’usager – pour qui l’accès aux toilettes n’est plus gratuit ; ces mobiliers urbains deviennent alors « un enjeu industriel, financier et électoral »37 - même si, aujourd’hui, nombre de villes reviennent à un modèle de la gratuité (Paris comprise, depuis 2006, suite notamment à la mobilisation de l’association de défense des sans-abri La raison du plus faible38). L’enjeu est de taille. Julien Damon calcule que, pour un sans-abri allocataire du RSA, quatre passages quotidiens en sanisette à 50 centimes d’euros par passage représentent, par mois, 60 euros – soit 10% du montant de l’allocation39. D’ailleurs, le passage à la gratuité à Paris a entraîné une augmentation considérable de l’usage des sanisettes, de 2,5 millions à 8 millions de passages par an40.

  3. Mais l’espace public ne se réduit pas à la rue. Gares et stations de métro, certains services publics, mais aussi des lieux privés ouverts au public tels que les cafés et les restaurants, contribuent aussi au parc des toilettes publiques. Là encore, cependant, on note des tensions et hésitations contemporaines. Dans les gares, notamment, le modèle des toilettes payantes se généralise – la SNCF ayant notamment contracté avec l’entreprise néerlandaise 2theLoo pour le service des toilettes publiques. De sorte qu’au total, les toilettes publiques de nombre d’espaces urbains occidentaux paraissent destinées aux touristes plus qu’aux sans-abris ou au « nouveau prolétariat serviciel de la livraison »41 : l’offre dans les aires d’autoroutes, les gares et aéroports, ou les centres commerciaux dépasse, en qualité et en quantité, celle de l’espace public en général42.

IV. Une question globale

  1. Surtout, la question des toilettes publiques se pose aujourd’hui bien différemment selon les endroits du globe. Une large part du monde, et notamment dans ce qui est désormais appelé le Sud global, est largement « un monde sans toilettes »43 ; selon l’UNICEF et l’OMS, plus d’un milliard de personnes sont contraintes à la défécation en plein air et « environ un demi-million d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année en raison d’infections contractées au contact des eaux usées »44. La mobilisation des grandes organisations internationales est visible. En 2010, les Nations Unies ont adopté une résolution relative au « droit à l’eau potable et à l’assainissement » comme droit fondamental, « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’Homme »45 ; et les objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015, reprennent l’idée. De grandes ONG, à l’instar de la World Toilet Organization, ont également fait du sujet de l’accès aux toilettes leur priorité46. Et le 19 novembre a désormais été consacré comme la journée mondiale des toilettes ; le 19 novembre 2021, le secrétaire général de l’ONU Antonio Gutterres exhortait ainsi : « à l’occasion de la journée mondiale des toilettes, tenons notre promesse et faisons en sorte que tout le monde bénéficie de services de santé et d’installations sanitaires »47. Bien que la tâche reste immense, des progrès sont réalisés. La mobilisation des grandes organisations économiques, de même que la multiplication d’études établissant qu’investir dans les sanitaires était économiquement rationnel (les bénéfices escomptés dépassant de loin le coût de l’investissement) n’y sont pas pour rien48 comme l’atteste, par exemple, l’implication de la fondation Bill and Melinda Gates dans ce programme49. Elle passe aussi par l’innovation technologique, le modèle occidental du tout-à-l’égout apparaissant en partie comme inadapté au déploiement à l’échelle massive nécessaire, et dépassé par des questions écologiques – liées tant à la rareté de la ressource en eau qu’à l’intérêt que représentent diverses techniques de toilettes sèches, lombricompostage etc.50.

V. Un droit aux toilettes ?

  1. L’ouvrage de Julien Damon se conclut par un plaidoyer en faveur d’un droit aux toilettes publiques, formulé de manière à faire peser une exigence correspondante sur les autorités publiques51 articulée autour des principes de gratuité, propreté, et sécurité (GPS). Plus avant, il invite à réfléchir à la formalisation du rôle joué par les établissements privés ouverts au public dans cet enjeu primordial qu’est l’accès aux toilettes : il propose ainsi « l’élaboration d’une sorte de délégation de service public » aux cafés, restaurants et autres fast foods52 (voire, de tous les établissements recevant du public53), qui seraient alors subventionnés en contrepartie d’une obligation de moyens. Il s’agirait selon lui d’une forme simple de « partenariat public privé »54, déjà expérimentée, au demeurant, dans certaines villes allemandes ou suisses55. Ce faisant, l’auteur propose une piste intéressante – et dont la portée théorique n’est pas mince. Car, comme il l’observe d’ailleurs, « aujourd’hui, un café ou un restaurant est tout à fait fondé à refuser l’accès à ses toilettes si un client ne consomme pas »56. C’est qu’en effet, les cafés et restaurants (mais aussi les musées, boutiques, centres commerciaux etc.) sont le plus souvent des lieux de propriété et de gestion privée ; or, le droit de propriété est défini, de façon quintessentielle, comme englobant le droit de décider qui peut pénétrer dans l’espace considéré – et donc, le droit d’exclure. L’impact de la catégorisation comme « établissement recevant du public » n’est pas toujours très clair, notamment au regard du libre accès – comme l’attestent, notamment, nombre de règlements intérieurs de centres commerciaux (ou parcs d’attraction) qui se réservent le droit de refuser l’entrée à toute personne qui ne se conformerait pas à certaines normes de comportement, voire d’apparence57. C’est, en somme, la question d’un droit à l’espace public qui, derrière la proposition de Julien Damon relative aux toilettes publiques, est posée ; il en va là d’une question centrale aux études de genre (ainsi qu’à tous les travaux intéressés aux questions d’(in)égalité et d’inclusion), qui cherchent à analyser la mesure dans laquelle la délimitation des espaces sociaux, et leur réglementation, produit, conforte ou perpétue des inégalités et affecte la liberté.

Stéphanie Hennette Vauchez, Université Paris Nanterre, CREDOF

Références