Mobilisation masculine du droit antidiscriminatoire sur le fondement
du sexe au Royaume-Uni (1986-2006)
Sophia Ayada
Résumé :
Malgré la résonance contemporaine des études critiques des masculinités, et les nombreuses analyses critiques mettant en exergue l’ineffectivité du droit antidiscriminatoire, la manière dont les hommes se sont saisis du droit antidiscriminatoire sur le fondement du sexe pour défendre leurs intérêts n’est que rarement étudiée. Se saisissant de cet impératif, cet article étudie deux groupes d’hommes britanniques, impliqués dans le lobbying et la mobilisation du droit antidiscriminatoire devant des juridictions nationales et européennes. À travers l’étude d’archives britanniques, cet article apporte un éclairage nouveau sur la mobilisation du droit antidiscriminatoire par des hommes, et met en exergue deux types d’institutionnalisation de leurs actions juridiques et politiques. Il conclue que ces organisations ont participé du cadrage des revendications masculinistes comme légitimes et nécessaire, dans le Royaume-Uni des années 1980 et 1990.
Mots-clés : droit antidiscriminatoire sur le fondement du sexe, masculinismes, approche historique, mobilisation juridique, lobbying
Abstract:
The question of how men mobilised antidiscrimination law, albeit involving considerable reasonable in contemporary struggles and when assessing the effectiveness of antidiscrimination policy actions, is considerably under-explored. Against this backdrop, this article sheds light on two men’s organisations involved in lobbying on and mobilisation of EU and British antidiscrimination, with the perspective of defending men’s rights. Mainly through archival research, and building on critical masculinities studies and critical legal theory, this contribution sheds lights on two different forms of institutionalisation and legal strategies, both successful in obtaining legal changes, and in framing men’s discrimination as a social and legal issue that needed to be fought for in 1980s and 1990s United Kingdom.
Keywords: sex discrimination law, men’s rights, historical approach, legal mobilisation, political lobbying, masculinities
En France, les contestations à la suite de la publication du livre de Pauline Harmange Moi les hommes, je les déteste en 2022 ont mis en lumière des tensions sociales autour de la légitimité des luttes féministes. Un sexisme à l’encontre des hommes serait ainsi mécaniquement engendré par les luttes féministes, selon 33 % des hommes interrogés par le Baromètre Sexisme 2023 du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) pour lesquels « le féminisme menace la place et le rôle des hommes dans la société ». 29 % des hommes interrogés par le HCE estiment quant à eux que « les hommes sont en train de perdre leur pouvoir, chiffre qui grimpe à 38 % dans les villes à droite, ou ayant une appartenance religieuse »1.
Pour lutter contre ce « nouvel ordre social », des hommes protestent et se mobilisent notamment devant les tribunaux, et leurs actions juridiques ont pu être associées, devant et hors du prétoire, à des discours réactionnaires et/ou conservateurs, que recensent régulièrement les médias. En droit social, de nombreux recours juridiques sont intentés contre les discriminations au travail au motif que leurs « premières victimes sont les hommes », comme titrait en décembre dernier le journal conservateur Le Point2 à propos des contentieux britanniques, mais comme l’analysait également l’Observatoire des inégalités français selon lequel « les hommes sont victimes de "sexisme inversé" et subissent plus de pression au travail que les femmes »3.
Contre ces injustices perçues, le langage, l'autorité et la force du droit ont ainsi pu être mobilisés dans différents systèmes juridiques. Au Royaume-Uni, dès les années 1980, plusieurs groupes d’hommes luttent pour les droits des hommes en mobilisant le droit antidiscriminatoire, et en particulier le Sex Discrimination Act de 19754. L’un d’entre eux, l’Equality Squad au slogan « Equality : yes! Feminism : no ! », obtenait ainsi devant le tribunal des prud’hommes de Leicester l’annulation dans l’ensemble du comté d’un horaire d’ouverture des bibliothèques limité aux femmes, visant à y accroitre la présence des fillettes de confession musulmane orthodoxe. Un second groupe, CESPA (« Campaign for the Equal State Pension Age », Campagne pour un âge d’accès à la retraite égal), obtenait des autorités britanniques l’annulation d’un certain nombre de mesures de discrimination dite positive alors accordées aux femmes, ainsi que l’égalisation de l’âge de l’accès à la retraite à 65 ans pour les femmes et les hommes. Mais quelles ont été les modalités d’organisation, les stratégies juridiques et discursives, et les effets normatifs de ces deux instances de mobilisation d’une règle de droit à destination des femmes, et comment leurs discours, affects, et compréhension des structures sociales sont incorporés dans le droit ? Pour répondre à cette question, cet article se fonde sur un matériau empirique riche – principalement des archives collectées aux Archives Nationales britanniques (Kew National Archives) et au centre d’archives de Hull (Hull History Centre), et composées majoritairement du fond de l’Equal Opportunities Commission (1975-2006) et du CESPA (1986-2006). Des archives de presse5, ainsi que des entretiens d’histoire orale6, ont également été collectés, et l’ensemble de ces matériaux ont été analysés via le logiciel de recherche qualitative NVivo. En comparant les stratégies juridiques et idéologiques de ces deux groupes d’hommes britanniques7 par la mobilisation des études critiques des masculinités et les études des mouvements sociaux (1), cet article met en lumière les modalités de mobilisation du droit antidiscriminatoire « en tant qu’hommes », et dans une moindre mesure les conséquences sur le droit de ces mobilisations. Après une brève présentation de ces deux organisations (2), cet article se concentre sur deux modalités de mobilisation distinctes : l’exploitation du droit européen afin de contourner les blocages nationaux, contraint toutefois par l’exigence de ressources propres aux membres de l’organisation (3), et l’usage des médias afin de faire accepter la légitimité du combat des deux groupes (4). Cette contribution examine dans une dernière section la mobilisation du droit antidiscriminatoire par des hommes comme permettant le développement d’une conscience de classe masculine (5), et appelle ainsi à penser plus largement la nécessaire opération de « genrer » les acteurs masculins du droit antidiscriminatoire pour comprendre son inefficacité à atteindre une égalité réelle.
Dès leur première introduction dans le droit, les traitements préférentiels, qui sont un type de mesure de discrimination positive, ont été contestés. Certains chercheurs vont même jusqu’à soutenir que l'utilisation de la notion de « traitement préférentiel » pour décrire les programmes d’action positive est de fait indicative de la victoire de leurs opposants, dans la mesure où ce concept ne reflète pas les privilèges des groupes sociaux dominants mais les dissimule davantage. À travers son examen de « l’histoire [du concept], du contexte dans lequel [il] a évolué, des débats sur [sa] formulation et de la manière dont [il] a été transposé d'un contexte à un autre »8, Bacchi propose une généalogie convaincante qui a suscité l’intérêt de cette contribution pour l’analyse de groupes ayant « lutté contre » ces mesures dans des régimes juridiques variés.
La question de la nature conservatrice de la mobilisation des hommes contre l’égalité femmes / hommes structure cet article. Sur ce sujet, la recherche sociojuridique a interrogé de nombreux aspects de cette forme spécifique de mobilisation du droit. Ont été analysés la nature élitiste de ce type de mobilisation9, les relations entre les avancées en matière d'égalité femmes / hommes par le biais du droit et la résistance contre celles-ci10, l’influence des normes procédurales sur l’efficacité de la mobilisation, ou encore les modalités de financement du mouvement anti-genre11. De surcroît, les recherches conduites sur la « conservative legal mobilisation » (« mobilisation juridique conservatrice ») étatsunienne sont particulièrement enrichissantes.12 En particulier, analysant le contentieux contre des mesures d'action positive devant les tribunaux fédéraux américains, Burstein théorise les résistances à l’égalité en matière d’emploi devant les juridictions étatsuniennes comme résultant d’un mouvement social composé d’organisations et d'individus ayant collectivement lutté juridiquement et politique contre la politique de l’Equal Employment Opportunity Commission (Commission pour l'égalité des chances en matière d'emploi)13. Les membres de ce « conservative legal movement », principalement composé d’hommes blancs (relativement) riches14, se positionnent contre ce qu’ils estiment être une forme de discrimination à rebours qui menacerait des corps professionnels qu’ils dominent, notamment la justice, la médecine, la police et les métiers qualifiés. Ses membres se mobilisent alors pour protéger leurs privilèges, et ont trouvé chez les juges fédéraux une ressource particulièrement utile. En utilisant des « tactiques d'outsiders », ils sont ainsi parvenus à influencer le développement de la doctrine juridique, comme l’attestent les récentes décisions de la Cour suprême étatsunienne jugeant la prise en compte de la race par les universités comme inconstitutionnelle car discriminatoire envers les étudiants non-noirs15.
Dans le contexte européen, la littérature sur les mobilisations conservatrices en est à ses balbutiements. Malgré l’importance que revêt ce thème de recherche, qui se situe à l’intersection de plusieurs franges de la recherche juridique et sociologiques, le rôle des hommes critiques des idéaux d’égalité dans la mobilisation du droit de la non‑discrimination sur le fondement du sexe fait l’objet d’un sous-développement académique. Cette question est en effet abordée de manière minimaliste par la littérature académique sociologique francophone, tant en sociologie des mouvements sociaux16 qu’en sociologie des rapports sociaux de sexe17, ainsi qu’en sociologie des masculinités, cette question étant encore moins analysée par des juristes francophones (à l’exception notable d’Annie Junter18). La littérature anglo‑saxonne reste également silencieuse sur la question, qu’elle aborde souvent en négatif19.
Toutefois, au niveau européen les recherches portant sur les groupes d’intérêts (ou lobbys), définis comme des organisations cherchant à influer sur l’élaborations des politiques publiques et de la législation sont plus développée et seront également source d’inspiration, et notamment la variété des perspectives développées pour analyser leurs rôles. Dans leur pluralité, les perspectives développées pour analysées les rôles des groupes d’intérêts (qu’elles soient pluraliste20, corporatiste21 ou bien clientéliste22) permettent l’étude des rapports de ces groupes avec le pouvoir politique afin de comprendre leurs ambitions politiques et la manière dont elles peuvent être réalisées. Sans entrer dans l’étude des relations des groupes d’intérêts avec l’État, cet article s’inspire plus précisément des recherches conduites en sciences politiques portant sur les répertoires d’action des groupes d’intérêts et des facteurs déterminant leur influence23.
Pour comprendre véritablement ces luttes par le droit au-delà d’un mouvement uniquement conservateur, il appartient en outre de les genrer, en tant que luttes menées par des hommes. Les études critiques des masculinités, qui ont déplacé la focale des études féministes vers les hommes et leurs rôles dans la domination masculine, apparaissent être un champ théorique important.
Penseuse fondatrice de ce champ de recherche, Raewyn Connell propose une notion de masculinité hégémonique, définie comme l’ensemble des pratiques légitimant et perpétuant la domination masculine et justifiant la subordination des femmes24, qui peut être utilisée comme outil heuristique permettant ainsi de créer une distinction analytique entre, d’une part, les hommes souhaitant renforcer leur position de pouvoir, et d’autre part, les hommes ne visant pas – du moins explicitement – une telle finalité , ce qui permet à cet article de délimiter le corpus étudié en fonction du caractère protestataire des mobilisations juridiques. Les concepts de masculinité hégémonique et d’hégémonie des hommes, mais également les liens tissés par ce cadre théorique entre pouvoir, privilège, et masculinités, ont ainsi été développés comme des grilles de lectures utiles pour appréhender les résistances masculines, qui peuvent prendre à la fois un niveau microsociologique de « phénomènes de freins répétés au quotidien [… via] des pratiques individuelles des hommes et tendant à protéger leurs privilèges et les bénéfices qu’ils tirent personnellement de l’exploitation collective et individuelle du travail des femmes », mais également des obstructions plus globales à l’encontre de législations visant à l’égalité entre femmes et hommes25.
L’étude critique des masculinités a été incorporée dans la recherche juridique par la recherche étatsunienne de Jeff Hearn et Nancy Dowd, qui ont notamment appelé à s’emparer de la question du gain et du maintien du privilège masculin en droit et grâce au droit. Nancy Down invite ainsi à mettre en lumière les procédés par lesquels les hommes parviennent à gagner et maintenir leurs privilèges, en les considérant comme des acteurs genrés dotés d’intérêts de classe de sexe spécifiques. Dans la continuité de ces travaux, et en se fondant sur des archives de presse et les archives des organisations étudiées, cet article interroge conjointement les masculinités et le processus de mise en œuvre d’un régime juridique qu’est le droit de la non-discrimination entre femmes et hommes, afin de comprendre leurs interactions et tensions. Cet article prend également en compte les autres éléments des identités des acteurs examinés, afin de comprendre les intrications entre le genre, les origines ethniques et raciales, et la classe sociale, afin de comprendre comment ces éléments participent de la stratégie contentieuse.
En interrogeant l'utilisation de la résistance juridique à l'égalité femmes / hommes contre une volonté politique de reconnaître les privilèges, cet article examine ainsi comment les mobilisations juridiques des hommes contre les mesures d’action positive servent l’hégémonie des hommes. La notion d’hégémonie des hommes, forgée par Hearn et faisant écho au concept de masculinité hégémonique développé par Connell, souligne le contexte de pouvoir dans lequel les masculinités sont mises en œuvre. En particulier, Hearn aborde la domination des hommes en prenant en compte « la double complexité selon laquelle les hommes sont à la fois une catégorie sociale formée par le genre en tant que système et également des agents collectifs et individuels, souvent dominants, reproduisant des pratiques sociales »26.
Une analyse des mouvements contestant les mesures de discrimination positive à l’aune des études critiques des masculinités apparaît important, comme le souligne d’ailleurs le sociologue étatsunien Michael Kimmel27. Présenter les mesures de discriminations positives comme des discriminations à rebours contre les hommes, qui peuvent éventuellement être justifiées si nécessaires et proportionnées, est un argument mis en avant par les mouvements masculinistes étatsuniens, analyse Kimmel. Dans l’esprit de cette analyse, et se saisissant de la proposition de Hearn, cet article examine comment deux organisations britanniques ont lutté contre des mesures de discriminations positives prévues pour les femmes, au cours des années 1980 et 1990. Il explore les techniques juridiques28 employées par les hommes pour maintenir le statu quo, leurs stratégies utilisées pour défendre leurs positionnements politques, et les récits sous-jacents justifiant leurs actions, dans la sphère politico-juridique.
CESPA a été créé en 1986 dans le but initial d’obtenir l’égalisation de l’âge de l’accès à la retraite des hommes et des femmes et des prestations connexes. Même si la Communauté économique européenne n’est pas compétente pour légiférer en matière de retraite (car ce domaine était initialement exclu de la Directive sur la sécurité sociale29, laissant aux États membres le soin de déterminer l'âge de la retraite30), l’accès aux institutions européennes pour défendre les droits des hommes était une ambition de l'organisation dès ses origines31.
La naissance de CESPA en 1986 était en soi un produit européen. En effet, sa création a suivi étroitement l’affaire Marshall32, dans laquelle la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait été appelée à examiner le licenciement d'une femme qui avait atteint l’âge de la retraite pour les femmes, alors fixé à 60 ans par la législation britannique. Dans son jugement, issu d’une question préjudicielle posée par la House of Lords, la CJCE a constaté que dans une situation similaire, un homme n’aurait pas été licencié avant d'avoir atteint ses 65 ans, concluant ainsi que la demanderesse avait été discriminée en raison de son sexe. En reconnaissant que la discrimination fondée sur l'âge de la retraite (au sens large) pouvait être incluse dans le champ d'application du droit de l’UE, et que la différence d’accès à l’âge de la retraite pouvait être considérée comme une discrimination fondée sur le sexe, cette décision a inspiré à la fois David Yarwood et David Lindsay à contester l’âge de la retraite plus élevé des hommes sur les mêmes bases. Sans se connaître à l'époque, ces deux hommes ont envoyé des courriers qui ont été publiés respectivement dans le Guardian et le Times. Rejoints par trois autres hommes qui estimaient également avoir été discriminés en raison de leur sexe et qui avaient contacté la Equal Opportunities Commission (EOC, Commission pour l’égalité des chances)33 après la publication de ces lettres pour être mis en relation avec Yarwood et Lindsay, ces individus organisent le 3 juillet 1986 une « première réunion [avec] un certain nombre de personnes ayant manifesté un intérêt actif pour la lutte contre la discrimination de sexe institutionnalisée »34. Au final, avec ceux qui deviendraient alors les quatre autres membres du comité directeur de l'organisation, et grâce à une subvention de l'EOC, Yarwood crée CESPA35.
Comme le précise sa « constitution », CESPA est créé « pour garantir l'élimination de toute discrimination fondée sur le sexe dans la fourniture de la pension de retraite d’État, que ce soit en ce qui concerne l’âge d'ouverture des droits, les niveaux de prestations, la responsabilité des cotisations ou autre »36. Si cette revendication n’est pas en soi masculine ni masculiniste – et on le remarque dans les archives de l’organisation grâce à des tentatives d’alliances avec des organisations féministes autour de la question des retraites plus largement – cette première revendication permet aux membres de l’organisation de conscientiser leur statut de victime de discrimination, mais également de réaliser la possibilité pour les hommes de se saisir du droit antidiscriminatoire sur le fondement du sexe, et bénéficier d’une rétribution.
Avec le slogan « Oui à l'égalité : Non au féminisme », l’Equality Squad, créé en 1996, défend l’idée que « ces 25 dernières années, il y a eu une tendance au dénigrement des hommes » (« radical men bashing »)37. Les membres de ce « squad », des hommes originaires de la région de Leicester, estiment que « les femmes ont été réprimées politiquement, économiquement et socialement, mais que l’équilibre a été rétabli. [Ils veulent] désormais obtenir l’égalité pour les femmes et les hommes »38. Leur campagne, « pour ‘l’égalité réelle’, implique de confronter les espaces non-mixtes avec le Sex Discrimination Act de 1975 ».39
La première victoire du groupe a été la suspension des horaires d’ouverture des bibliothèques du comté de Leicester réservés aux femmes (ciblant notamment les jeunes filles musulmanes orthodoxes), considérant que « les horaires d’ouvertures réservées aux femmes ne font qu'accentuer la division entre les sexes ». En termes juridiques, les horaires de visite réservés aux femmes étaient considérés comme des discriminations sur le fondement du sexe contre les hommes, incompatibles avec la Section 29 du Sex Discrimination Act qui garantit la fourniture non-discriminatoire de biens, de services, et d’installations.
En mettant en avant le caractère potentiellement raciste de telles mesures, qui pourraient « justifier la fourniture exclusive de services publics uniquement pour les noirs ou les blancs » (là encore, deux catégories sociales présentées comme équivalentes et dépourvues d’un caractère minoritaire ou majoritaire), ces hommes arguent du fait que d’autres groupes pourraient également bénéficier d’horaires d’ouvertures spécifiques, comme le justifierait « le besoin écrasant d’encourager l'utilisation des bibliothèques par les jeunes hommes blancs pauvres qui sont maintenant universellement reconnus comme souffrant de désavantages éducatifs »40. Si aucun élément explicitement xénophobe n’apparaît à première vue dans les archives médiatiques relatives à l’organisation, il appartient nécessaire de mettre en avant les idéaux politiques de ces deux membres principaux. En effet, la mesure du conseil de Leicester visait à permettre un accès plein et entier aux fillettes de confession musulmane orthodoxe des bibliothèques municipales. Clive Potter, l’un des deux membres fondateurs, était toutefois en parallèle un fervent défenseur de l’identité chrétienne blanche. Notamment, il lutte pour l’enseignement de l’ancien anglais, ainsi que pour « l’identité blanche britannique »41, mais également dénonce « l’establishment libéral et les extrémistes multiculturalistes qui souhaitent nous priver de notre identité, de notre culture et de notre patrimoine »42. Les idées réactionnaires des membres du groupe font d’ailleurs l’objet de plusieurs courriers de lecteurs du Loughborough Mail, qui demandent aux éditeurs du journal « Aucune publicité pour l’Equality Squad », estimant que « l’Equality Squad n’est pas aussi inconséquent qu’il le semble », et que l’organisation utilise « des tactiques bien connues des militants d’ultra droite en introduisant des enjeux raisonnables et bien argumenté, pour rameuter dans leurs rangs les personnes naïves politiquement ».43
Encadré n°1 – Les compositions de CESPA et Equality Squad
Alors que CESPA naît en 1986 sous l’impulsion d’hommes issus de milieux socio-économiques élevés, l’Equality Squad est fondée en 1996 par des hommes moins favorisés, une différence qui modèlera les modalités d’action des deux organisations. A la tête de CESPA, deux hommes semblent particulièrement actifs : David Yarwood et David Lindsey. Le premier est secrétaire honoraire de l’organisation, le second conseiller juridique et également juriste de profession, et la majorité des membres de CESPA adhère aux idées du parti conservateur britannique. Tant dans leur trajectoire politique que juridique, la classe sociale des membres de CESPA a été un atout nécessaire. La connaissance du français de David Yarwood, par exemple, lui a permis de communiquer aisément à l’oral et à l’écrit avec des acteurs français, tant au sein de la Commission européenne que de l’administration française. Les membres du CESPA avaient donc « le savoir-faire (the know-how) pour tirer parti » du droit de l’UE44. L’efficacité de la stratégie de CESPA dépendait ainsi tant des ressources que de l’habitus des membres de CESPA, d’ordre économique, mais aussi culturel, linguistique, juridique et de réseau.
Au contraire, les membres de l’Equality Squad que les archives mentionnent étaient au chômage et dépourvus de ressources économiques et culturelles nécessaires à un lobbying politique actif. Clive Potter, l’un de ses membres fondateurs, est également connu pour sa qualité d’ufologue, mais également pour son engagement politique au sein du parti nationaliste britannique des National Democrats, et son implication dans une organisation nommée « Silent Majority (Majorité silencieuse) » et opposée à la tenue d’une « gay pride » à Leicester. Les membres d’Equality Squad se cantonnent à des contentieux locaux – des horaires d’ouvertures pour les femmes au sein de bibliothèques ou piscines municipales par exemples – couverts médiatiquement mais sans résonnance politique large, ni soutien d’acteurs politiques locaux ou parlementaires.
CESPA intervient dans une série de débats législatifs européens, tels que celui concernant la proposition de directive prévoyant l’égalité de traitement dans les régimes de sécurité sociale et de retraite46. Les membres de CESPA ont en effet correspondu avec et rencontré plusieurs fonctionnaires européen·ne·s, sur ce sujet, notamment avec des membres de l'unité « Sécurité sociale et actions sociales » de la DG V de la Commission européenne47, tels qu’Odile Quintin48 et Dimitrios Kontizas, ainsi que Jean-Claude Seché et Nicholas Khan du service juridique de la Commission. CESPA a également cherché à être représenté au sein du Comité consultatif de la Commission sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes49, ainsi qu’à obtenir un soutien financier au nom du « traitement inégal … des hommes et des femmes âgés au Royaume-Uni, résultant des différents âges de la retraite applicables, [étant] une discrimination majeure, qui ne recevait que peu de publicité »50. CESPA a également exercé des pressions sur les députés européens pour questionner les commissaires européens sur l’égalisation de l’âge de la retraite et a directement pétitionné le Parlement européen sur cette question, tant en ce qui concerne la question plus large de la discrimination fondée sur le sexe dans les pensions que le contexte spécifique du Royaume-Uni.
Ce lobbying actif n’a pas conduit à un résultat direct, car la proposition de directive n’a finalement jamais été adoptée. Conçue comme la troisième partie d’un trio d'actes de sécurité sociale (aux côtés des Directives de 1978 et 1986), la « Directive finale » aurait complété les deux premières en s’appliquant « à l’ensemble de la population active, y compris les personnes ayant cessé leur activité, les membres de la famille, les survivants et autres personnes à charge ». Plus précisément, cette troisième directive impliquait l’égalisation de l’âge de la retraite des femmes et des hommes, ainsi que des prestations de retraite égales associées à l’éducation des enfants ou à la prise en charge d’adultes dépendants, indépendamment du sexe du bénéficiaire. Bien que cette législation n’ait jamais été adoptée (vraisemblablement parce qu’elle aurait été une extension supplémentaire et inacceptable des pouvoirs de l’UE dans le domaine traditionnellement régalien de la sécurité sociale)51, le lobbying de CESPA sur cette question a indirectement contribué à façonner le droit de l’UE, dans la mesure où les idées et concepts promus par CESPA ont été transmis aux institutions européennes par le biais de la CJUE, cette dernière ayant mise en œuvre la quasi-totalité des dispositions de la troisième directive avortée par l’interprétation des deux premières directives.
Au-delà de la question de l’âge d’accès la retraite, CESPA a rapidement élargi son champ d’intervention politique et juridique aux programmes d'action positive plus globalement, en élaborant des documents utilisés lors de la négociation d’instruments juridiques politiques, y compris les principales directives de l'UE et les révisions des traités. L’objectif (réussi) de CESPA était de faire reconnaître aux autorités politiques l’existence de discriminations contre les hommes. CESPA a d’abord fait pression contre l’introduction d’une disposition sur les actions positives dans le contexte de la révision de la Directive refonte sur l'égalité de traitement52, qui autorisait des mesures visant à « promouvoir l’égalité des chances entre hommes et femmes ». En revanche, le nouveau traité d’Amsterdam, signé en 1997, exigeait des États membres souhaitant mettre en œuvre des programmes d’action positive de « viser d’abord à améliorer la situation des femmes dans la vie professionnelle ». Les représentants de CESPA ont correspondu sur la formulation de la nouvelle proposition à de nombreuses reprises avec plusieurs fonctionnaires européens, et ont finalement obtenu le remplacement, dans la nouvelle directive, du terme « femmes » par celui de « sexe sous-représenté », comme l’a reconnu Pàdraig Flynn, alors commissaire européen aux affaires sociales en poste à l’époque :
« Permettez-moi de vous rassurer immédiatement : la Commission a fait une proposition pour amender la Directive 76/207 afin de préciser que les actions positives - à l'exception des quotas rigides - sont légales, mais sa proposition précise que cela peut s'appliquer aussi bien aux hommes qu'aux femmes... [V]ous observerez que, de votre point de vue, c’est une nette amélioration par rapport au texte existant qui ne concerne que les inégalités touchant les femmes. »53
Allan Larsson, alors Directeur général de l’unité « Emploi, Affaires sociales et Égalité des chances » de la Commission, note de la même manière que « les préoccupations exprimées par [le président du CESPA] M. Yarwood... lors de la préparation de la proposition d’amendement au sein de la Commission, et lors de discussions ultérieures au Parlement européen et au Conseil », qui ont « clarifié que les actions positives peuvent également être dirigées vers les hommes dans des domaines où ils sont sous-représentés »54.
Après cette première réussite, CESPA a exprimé sa préoccupation constante concernant la promotion par l’Union des programmes d'action positive. Dans un courrier précédant l’adoption du traité de Maastricht, le commissaire européen Pàdraig Flynn a rassuré les membres de CESPA sur la portée limitée des programmes d’action positive qui seraient autorisés en vertu de l’Accord sur la politique sociale (qui devait être annexé au traité de Maastricht). Flynn souligne en effet que « l’article 6(3) ne concerne pas les pensions d’État, qui ne sont pas considérées comme des ‘rémunérations’ au sens du droit communautaire »55. De plus, « le libellé de la section en question indique clairement que toute forme de différenciation qui favorise les femmes ne sera pas admissible : le traitement spécial en question doit viser à aider les femmes à travailler ou à prévenir ou compenser les désavantages dont elles souffrent dans leur vie professionnelle »56.
Sur la lettre de Flynn, un membre du CESPA a ajouté le commentaire manuscrit suivant : « [C]omme quoi ? Qu’en est-il des désavantages subis par les hommes, par exemple, les pères célibataires, les handicapés ? »57. Par cette question rhétorique se dessine l’ambition politique plus large du groupe : que les hommes, parce que hommes, soient également reconnus comme désavantagés sur la sphère professionnelle.
En outre, CESPA a saisi la CJUE et la CEDH à propos de réductions diverses liées à l’âge de la retraite, sous la forme d’allocations financières ou d’avantages pécuniaires auxquels certaines femmes âgées de 60 à 64 ans pouvaient prétendre, ayant atteint l'âge de la retraite, mais qui n’étaient pas accessibles aux hommes du même âge. La première affaire a été intentée par Cyril Richardson, à propos de l’exonération du paiement des frais médicaux accordée aux travailleurs retraités, et donc non aux hommes âgés de 60 à 64 ans58. Se présentant dans la presse comme « une sorte de Don Quichotte [qui] déteste les injustices »59, Richardson était membre du CESPA depuis les premiers jours de sa retraite et avait déjà remporté une première bataille judiciaire sur les frais de piscine contre le conseil de Walsall devant la Chambre des Lords. Une deuxième affaire, introduite par Stanley Atkins, soutenue par l’organisation travailliste britannique Liberty et également couronnée de succès, concernait l’octroi de réductions sur les tarifs de transport public liés à l’âge de la retraite60. Enfin, un autre membre du CESPA, John Taylor, a contesté le fait que les allocations de chauffage en hiver n’étaient pas disponibles pour les hommes âgés de 60 à 64 ans61. Dans ces trois affaires, la CJUE a conclu que les demandeurs - tous des hommes - avaient été discriminés en raison de leur sexe. Les membres de CESPA ont soulevé des préoccupations similaires concernant les concessions de voyage devant la CEDH ; l’affaire la plus notable était l’affaire Matthews, dans laquelle la CEDH a conclu que les laissez-passer gratuits pour les transports publics liés à l’âge de la retraite discriminaient les hommes62. À la suite de cette affaire, le Parlement britannique a adopté la loi sur les concessions de voyage de 2002, selon laquelle toute personne de plus de 60 ans est éligible pour recevoir des concessions de voyage.
Dans ces affaires, CESPA ciblait les inégalités « évidentes » de traitement à travers des affaires susceptibles d’attirer une large couverture médiatique sans nécessairement conduire à un gain financier substantiel. Certaines de ces affaires portaient sur des avantages négligeables, parfois aussi peu que 5 £, ce qui suggère que ces revendications juridiques n’étaient pas motivées par des avantages financiers. Dans le cas de Taylor, par exemple, une affaire qui a pris près de dix ans pour être terminée et a consommé des ressources financières considérables, l’enjeu était un paiement de 100 £ pour le chauffage en hiver. On peut donc voir ces actions juridiques comme symboliques et politiques, comme Taylor lui-même l'a déclaré dans une interview avec le Mirror : « Je l’ai fait pour le principe et pour le million et quart d’hommes âgés de 60 à 64 ans dans ce pays qui ne reçoivent pas ces paiements. »63
Cette utilisation symbolique du droit de l’UE suggère également que CESPA s’est engagé dans une mobilisation juridique définie dans son sens plus étroit, comprise comme un litige stratégique d’expertise et de haut profil qui utilise « le droit de manière explicite et consciente par l’invocation d’un mécanisme institutionnel formel »64 afin de promouvoir le changement social. En fait, le CESPA a souvent formé des « affaires-tests » (« test cases ») pour reprendre la terminologie du groupe au niveau national, principalement contre des clubs de football pour leurs tarifs genrés. Les membres de CESPA ont également contesté à plusieurs reprises les frais d’entrée genrés pour divers espaces publics. En particulier, Cyril Richardson a « convaincu le conseil municipal métropolitain de Walsall d’abolir les coûts d’entrée des piscines municipales pour les hommes de plus de 60 ans et a également contraint le conseil à revoir sa politique en matière de frais d’éducation permanente pour les retraités »65.
La mobilisation du droit européen par CESPA met ainsi en exergue ses spécificités en matière de stratégie juridique, mais met également en lumière les facteurs économiques et sociaux derrière le choix de l’organisation de se concentrer sur l’échelle européenne. La littérature existante a souvent mis en lumière de tels facteurs et ce que la mobilisation juridique du droit européen pouvait apporter aux citoyens européens. En particulier, l’arène européenne crée des « opportunités uniques » en raison des « caractéristiques multi-niveaux de l’ordre juridique de l’UE... qui peuvent permettre à des groupes et à des individus d’utiliser le droit de l’UE comme un nouveau site de mobilisation juridique et politique »66. Dans le contexte de l’activisme du CESPA également, il peut être également noté comment la politique nationale et la jurisprudence ont été contournées par l'arène européenne.
Cette volonté de créer une unité masculine est présente dans de nombreuses archives de journaux locaux et nationaux britanniques recensant et médiatisant les actions de l’Equality Squad. L’un des articles, sur-titré « Unir nos forces pour lutter contre la discrimination contre les hommes ... » (« Teaming up to fight discrimination against men… ») est explicite à cet égard69. Cette idée est également mentionnée par Clive Potter, membre fondateur de l’Equality Squad, dont l’action visait au démantèlement des politiques sociales mises en place par la ville de Leicester, que les membres du groupe surnommaient « Politically Correctsville UK » : il s'est trouvé être « en croisade », « aspirant à voir naître l’ère de l’homme libre et légalement éclairé, qui n’est plus sur la défensive mais offensif»70. Edward Crabtree, l’un des deux membres fondateurs du groupe, a ainsi « réalisé [« I became conscious »] qu’il y avait une tendance dans les médias à dénigrer les hommes pour simplement être des hommes. « Si un autre groupe de la société était soumis à ce genre de traitement, cela serait perçu comme du sexisme ou du racisme, mais parce que ce sont des hommes, c’est OK »71.
L’idée est ainsi de participer à la conscientisation d’autres hommes, pour ensuite les inciter à se saisir du droit antidiscriminatoire pour protéger leurs intérêts de classe de sexe. Les deux membres fondateurs de l’Equality Squad notent ainsi que : « les gens ne réalisent pas l’importance de [ce contentieux] en termes juridiques. On a une loi pour veiller que ça n’arrive pas. Ce n’est que le début »72. Dans ce même article, ils notent également que « si nous gagnons, cela va créer un précédent important ». À la suite de leur première action juridique contre le conseil municipal de Leicester, d’autres hommes se sont d’ailleurs effectivement mobilisés contre des cours de natation et des cours de sécurité en non-mixité73. Cette conscientisation est d’ailleurs remarquée par le leader du mouvement des hommes britannique, mouvement qui au même moment lançait une campagne de diffamation contre l’EOC, perçue comme inactive et insensible face aux inégalités juridiques dont les hommes souffriraient. Comme le rapporte un journaliste du Guardian en février 1997, « un groupe d’activistes appartenant à l'UKMM bombarde l’Equal Opportunities Commission de plaintes concernant le traitement des hommes dans le but d’exposer ce qu’ils perçoivent comme le refus hypocrite de l’EOC de lutter contre les inégalités contre les hommes »74.
De la même manière, plusieurs journaux locaux vont publier des courriers de lecteurs les invectivant à continuer à médiatiser l’action du groupe. En particulier, le Loughborough Mail publie le courrier d’un lecteur intitulé « Ne silenciez pas l’Equality Squad ! »75, courrier dans lequel l’auteur relate les éléments attestant selon lui la légitimité des actions de l’Equality Squad. Il écrit :
« Pendant bien trop longtemps, dans cette prétendue ‘ère éclairée’, les femmes se sont vu accorder des droits excessivement concédés et protecteurs, et il est certainement dans la nature humaine que certaines d’entre elles commencent maintenant à ressentir du ressentiment envers une organisation visionnaire et sérieuse qui espère désormais attirer l’attention du public sur certains de ces paradoxes discriminatoires jusqu’alors incontestés. Presque tout le monde, s’il est sincère envers sa propre conscience, peut se rappeler des situations dans son milieu de travail où un comportement féminin volatil ou incivil a été attribué avec compassion au ‘SPM’ [sydrome pré-menstruel]. En revanche, des situations abondent où la disposition accommodante d’un gestionnaire masculin envers une nouvelle venue féminine lui a valu l’épithète de ‘vieux dégueulasse’ dans le dos des travailleuses féminines »76.
De nombreux articles de presse ont renforcé la valeur symbolique et politique des victoires juridiques de l’organisation, ainsi que la légitimité de l’activisme pour les droits des hommes en matière d’égalité des sexes. Comme l’a soutenu Leachman, « le cadrage juridique [« legal framing »] est un acte qui a des ramifications symboliques pour les publics internes et externes du mouvement »77, et cet article illustre également les ramifications symboliques de l’introduction de telles revendications. Dans le cas de Richardson, le Telegraph a publié un article décrivant la campagne comme mettant « un terme à une terrible injustice contre les hommes »78. Richardson a été cité dans l’article comme disant : « [Avec] le plus grand respect pour les dames, je ne pouvais pas comprendre pourquoi les hommes ne devraient pas être égaux à elles quand il s’agissait de payer pour la médecine. Cela semblait être une terrible injustice et je suis ravi que cela ait été corrigé. »79
De même, après la décision de la CJUE dans l’affaire Taylor, plusieurs journaux ont salué une « victoire pour les hommes » et ont présenté Taylor comme une « victime de discrimination sur le fondement du sexe »80, heureux d'avoir « remporté la bataille [bien que] pas encore la guerre »81. Ainsi, les actions juridiques du CESPA ont souvent conduit à une couverture médiatique pour un public général, au-delà des politiciens et des avocats, suggérant que la publicité des contentieux était un résultat souhaité par CESPA, mais aussi que ses membres avaient la capacité d’attirer l’attention des principaux quotidiens nationaux. Cet élément a d’ailleurs été explicitement reconnu dans le « Plan d'action » de CESPA de 1988 : « Nous devons essayer de lancer une croisade, de trouver quelqu’un dans chacun des médias pour soutenir nos objectifs de manière très personnelle. Cela sera difficile à réaliser, et je devrai utiliser mes contacts personnels »82. Une couverture médiatique supplémentaire a été organisée par les membres de l’organisation individuellement, David Lindsay ayant lui-même envoyé près de 100 lettres aux rédacteurs en chef, publiées dans divers journaux nationaux, dans lesquelles le point de vue du CESPA sur l'impact préjudiciable de la législation sur les pensions sur les hommes était souligné.
Par leurs contentieux et leur lobbying, les membres de CESPA ont pu faire reconnaitre juridiquement l’importance des discriminations contre les hommes, dans une société où les organisations féministes auraient prétendument « gagné ». Derrière cet objectif se dessine également une certaine logique de l’égalité de traitement comme principe purement individuel, plutôt que collectif : comme l’attestent les archives de l’organisation, « le principe d’égalité de traitement permet à un individu d’être traité sur la base de ses caractéristiques ‘individuelles’ (par exemple, son âge, ses moyens ou son statut professionnel / de retraite), et non sur la base de généralisations larges sur son sexe, généralisations qui peuvent ne pas être valables pour l'individu en question »84.
Un premier aspect de la stratégie développée par CESPA consistait donc à présenter les hommes comme des détenteurs de droits en matière d'égalité sur le fondement du sexe, en s’appuyant sur un cadrage individualiste de l’égalité85. Selon cette approche, « l’individu est l’entité méritant une protection juridique [et] l’identité du demandeur en tant que membre d’un groupe social devient secondaire par rapport à son identité en tant que citoyen de l’État »86. De plus, Leachman soutient que « les acteurs du mouvement qui déploient un cadre de droits individuels suppriment souvent de manière stratégique les différences entre les qualités ou besoins particuliers du demandeur... pour argumenter que le demandeur a autant droit à la protection que quiconque à qui la loi l’accorde »87. C’est effectivement le cas pour CESPA, qui minimisait les inégalités systémiques auxquelles les femmes étaient confrontées et mettait plutôt l'accent sur la valeur de l’universalisme et la protection individuelle par la loi, quel que soit le statut social de chacun. Ainsi, l’organisation ne mettait pas tant en avant la masculinité des hommes que le manque de reconnaissance de l’individualité des hommes.
Cette stratégie de cadrage a été utilisée à de nombreuses reprises pour s'opposer aux programmes d’action positive, de plus en plus promus, tant par les institutions de l’UE que du Royaume-Uni. Selon CESPA, les actions positives constituent en réalité une discrimination inverse contre les hommes et, à ce titre, devraient être interdites en vertu du principe d’égalité de traitement sur la base du sexe. Tout comme le Men’s movement a pu le faire, CESPA s’appuie sur des cas de discriminations à rebours pour donner l’impression au grand public que les discriminations contre les hommes sont un phénomène généralisé et répandu. En fin de compte, pour reprendre les mots de Burnstein employé pour décrire le mouvement étatsunien « conservative legal movement », ces actions collectives donnent aux hommes « un cadre pour interpréter leur expérience ainsi qu’un grief sur lequel ils peuvent agir »88. Les lettres envoyées à CESPA par ses membres et publiées dans ses newsletters suggèrent la pertinence de cette analyse également dans le contexte britannique. Chaque newsletter publiée par l’organisation comprend en effet une section « Members’ Forum » qui regroupe des courriers qui lui sont adressés par des adhérents, et illustre comment des membres, incités par l’organisation, se saisissent de questions identiques dans d’autres contextes géographiques britanniques89. Ainsi, CESPA a contribué à éveiller la conscience parmi les hommes britanniques de leur propre statut politique, juridique et social, et a finalement commencé à déposer des plaintes contre des acteurs publics ou privés pour traitement différencié entre hommes et femmes.
Selon Leachman, un second aspect du « individual right framing » tel que développé par CESPA est qu’il conduit souvent les « acteurs du mouvement à supprimer stratégiquement les différences entre les qualités ou besoins particuliers du demandeur »90. La prétendue neutralité de genre de CESPA illustre de manière frappante cet aspect de sa stratégie de cadrage juridique, profondément enracinée dans l’idéologie juridique libérale et renforçant « le sentiment que le statut social est sans importance dans l'analyse juridique ‘neutre’, et que les caractéristiques sociales sont sans importance dans la définition de l’individu bénéficiaire de droits »91. Bien que l’organisation se soit concentrée exclusivement sur l’égalité des droits pour les hommes, presque toutes ses productions étaient formulées en termes neutres en terme de sexe, afin de gagner en légitimité et de séduire une plus large partie de la population :
« Le mandat constitutionnel de [CESPA] devrait être formulé en termes neutres en matière de genre, tout comme devrait l’être toute constitution formelle et toute législation. Je pense qu'une emphase sur un seul sexe peut être contre-productive... Je pense que si CESPA... est perçu comme se préoccupant uniquement de la discrimination contre les hommes, il pourrait perdre beaucoup de sympathie et de soutien féminins, y compris ceux des épouses et des proches féminines des membres masculins de CESPA. Cela dit, presque tous nos efforts jusqu’à présent ont porté sur la discrimination contre les hommes »92
La nécessité de mettre l’accent sur la reconnaissance des hommes en tant que victimes de discrimination sexiste au Royaume-Uni est mentionnée à plusieurs reprises dans les documents d’archives concernant l’absence de soutien financier de la part de l’Equal Opportunities Commission pour les contentieux menés par CESPA. Bien que l’organisation ait été créé grâce à une subvention de l’EOC, et alors que les représentants du CESPA étaient invités régulièrement à des groupes de travail de l’organisme de promotion de l’égalité britannique sur les retraites et les prestations de sécurité sociale, l’organisation est devenue de plus en plus critique de l’EOC et son parti pris présumé contre les droits des hommes. En 1997, lors de sa participation à l’examen quinquennal de l’EOC, CESPA a ainsi exprimé :
« sa déception devant la réticence de l’EOC soit à prendre les devants, soit à se joindre à nous, pour travailler à l’élimination de la discrimination légale. Cette réticence a été d’autant plus surprenante au regard de ce qu’ils disaient et faisaient dans leurs premiers jours... Outre le refus de l’EOC de prendre en charge l’affaire des frais de prescription, ainsi que plusieurs autres affaires que nous estimions relever du champ d’application de la directive sur l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale, nous considérons que le soutien de l’EOC aux affaires-tests est critiquable ».94
Cette irritation face au manque présumé d’implication de l’EOC dans les « problèmes des hommes » est en contradiction avec l’analyse de Muriel Robison, l’ancienne responsable juridique de l’agence écossaise de l’EOC, qui a au contraire fait part d’un « véritable désir de soutenir les affaires pour les droits des hommes, de soutenir les affaires pour les hommes, de donner une impression d’une sorte d’équilibre »95.
Toutefois, la position de l’EOC à leur encontre est révélatrice de sa compréhension des inégalités femmes / hommes. Comme rapporté par la directrice des affaires sociales de l’EOC interviewée par le Guardian en 1995, « distribuer des ordonnances gratuites ou des laissez-passer de bus en fonction de l’âge revient à faire des déclarations généralisées sur les hommes et les femmes dans la soixantaine. Nous devons nous demander pourquoi nous accordons ces concessions et si les bonnes personnes y ont accès »96. La rhétorique de l’égalité permet ainsi à l’EOC et à des groupes d’hommes de se mobiliser avec succès, et plutôt que de lutter contre le féminisme, de lutter pour un égalitarisme incluant les droits des hommes. Comme l’écrit l’un des mandataires actuels de l’organisation (qui depuis s’est renommée PARITY) : « je suis fier de dire que je suis un féministe dans le sens premier du terme. Que les hommes et les femmes sont égaux mais pas identiques. Que les femmes méritent d’être traitées avec respect, gentillesse et équité. Que les hommes méritent la même chose ! »97.
L’Equality Squad se présente également comme une organisation dont « l’unique ambition est de voir les hommes traités de manière égale aux femmes. Nous ne sommes pas anti-femmes, nous sommes pro-hommes. Nous respectons assez les femmes pour vouloir être égaux à elles »98. Cette volonté de défendre les hommes rejoint celle des mouvements masculinistes plus connus, comme le « mouvement des hommes britanniques (UK Men’s Movement) », dont fait également parti Edward Crabtree, fondateur de l’Equality Squad. L’une des figures de proues du UK Men’s Movement de l’époque est d’ailleurs un journaliste, Neil Lyndon99, qui participe de la médiatisation du groupe en leur consacrant une double-page flatteuse danse un article du Guardian. Neil Lyndon y exprime en effet que « ce sont des activistes tels que Crabtree qui assureront la victoire ultime du mouvement »100. La raison pour laquelle cela est le cas, selon Lyndon, est principalement d’ordre démographique, dans la capacité du Equality Squad de rassembler les hommes aux delà de certains groupes sociaux : « jusqu’à présent, le mouvement a été dominé par les expériences individuelles d’hommes de la classe moyenne et d’âge moyen. Maintenant, nous constatons l’émergence d'un groupe croissant de jeunes hommes qui ne sont pas mariés et n’ont pas d’enfants »101.
L’émergence d’une classe de sexe des hommes, pour reprendre les termes de Nicole-Claude Mathieu102, apparaît plus clairement encore dans d’autres écrits de Lyndon. Dans « Bad Mouthing », il fait notamment référence au processus de création d’une classe des hommes : « Le travail le plus important auquel nos législateurs doivent faire face est de supprimer certains des désavantages systémiques pour les hommes afin d’améliorer leur position au sein de la famille et de la société dans son ensemble. Il existe un sens dans lequel les hommes, en tant que groupe et dans leur ensemble, peuvent être décrits comme une classe en Grande-Bretagne : dans une multitude de façons vitales, ils sont des citoyens de deuxième classe. »103
Au-delà de mettre en lumière les matériaux d'archives particulièrement riches de deux organisations qui n’ont pas encore été étudiées par les chercheurs en sociologie ou histoire du droit, et dont les membres sont clairement très différents de ceux des autres organisations ayant mobilisé le Sex Discrimination Act, cet article apporte trois éléments principaux.
En premier lieu, il met en lumière des éléments empiriques cruciaux sur les modalités d’action des hommes au moyen du droit de la non-discrimination. L’objectif des deux organisations étudiées, initialement implicite mais finalement explicite dans les deux cas, était d’assurer l’égalité de traitement dans les situations où une différence de traitement en faveur des femmes était, soit réelle, soit perçue. Elles ont poursuivi cet objectif d’éradication des différences de traitement explicites ou manifestes grâce aux tactiques juridiques conventionnelles des militants, notamment le lobbying, les litiges et le cadrage des enjeux (« legal framing »). En particulier, les membres du groupe de direction de CESPA correspondaient fréquemment avec les commissaires et les agents de l’EOC, ainsi qu’avec des député·e·s europée·nne·s, des secrétaires d’État et des commissaires européens. Son lobbying politique et les contentieux engagés l’ont finalement amenée à être reconnue comme une organisation légitime en matière d’égalité des sexes, mais lui ont également - et de manière peut-être encore significative – permis de décaler les principaux débats la retraite vers la question de l’âge de la retraite, plutôt que, par exemple, autour de celle de l’écart salarial entre les retraitées et retraités.
En deuxième lieu, cet article permet une compréhension plus complète du droit de l’Union européenne en matière d’égalité des sexes dans son contexte. D’une part, il a mis en lumière un aspect souvent sous-estimé de l’activisme européen pour l’égalité des sexes : l'existence d’opposants à l’égalité des sexes impliqués et légitimés par les cercles politiques et juridiques. La mobilisation juridique conservatrice en matière de discrimination sexuelle au niveau de l’UE reste largement à étudier ; de ce point de vue, cet article plaide en faveur d’une étude plus approfondie de ce phénomène. En particulier, les réseaux transnationaux des organisations de défense des droits des hommes européens ont été impliqués dans des controverses juridiques sur la conceptualisation du genre comme une construction sociale dans la Convention d’Istanbul. Enquêter sur les éventuelles coopérations au sein et entre les réseaux serait une voie potentielle pour de futures recherches, afin de mieux comprendre non seulement la nature et le fonctionnement des organisations de défense des droits des hommes, mais aussi le continuum entre les acteurs non conservateurs et conservateurs, et les processus par lesquels les mouvements sociaux donnent forme à une cause politique et aux stratégies pour motiver l'action collective.
Enfin, dans une perspective se rapprochant des études critiques des masculinités, cet article montre la capacité d’une mobilisation du droit comme un outil de conscientisation d’une classe de sexe. En effet, la mobilisation masculine du droit antidiscriminatoire, quand elle est couronnée de succès, reflète la reconnaissance par le droit de la nécessité de protéger des membres de groupes majoritaires, quand bien même ce régime juridique est né de la reconnaissance du traitement défavorable des femmes, notamment au travail. Cette conscientisation et ces usages du droit cristallisent toutefois la contradiction centrale entre les langages juridique et sociologique autour des notions d’égalité et de discrimination – les sociologues liant intrinsèquement la minorisation avec l’expérience de la discrimination104, les juristes analysant de manière symétrique les discriminations subies par des membres de groupes majoritaires et minoritaires. Comme l’a soutenu Scordato, « [l]orsque l’application d'une doctrine existante à un litige en cours produit un résultat satisfaisant, la sagesse, et donc l’exactitude, de la règle est affirmée et son statut de common law est renforcé. [...] Au fil de milliers de cas et de décennies de décisions, la common law d’une juridiction devrait s’améliorer de manière significative et évoluer toujours plus près de l’idéal, de la loi naturelle abstraite »105. Cette loi idéale et abstraite à laquelle Scordato fait référence est, dans le cas de CESPA et de l’Equality Squad, celle d’une égalité entre les individus comprise comme l’absence de traitements préférentiels pour les femmes.
Sophia Ayada
Docteure en Droit
Institut Universitaire Européen
Haut Conseil à l’Égalité, Rapport annuel 2003 sur l’état du sexisme en France, 2023, p. 31.↩︎
Cory Clark, « Discriminations au travail : les premières victimes sont les hommes », Le Point, 4 déc. 2023.↩︎
INSEE, Fiches thématiques Travail, emploi - Regards sur la parité, Insee Références, 2012.↩︎
La première norme de droit britannique qui prévoit l’interdiction des discriminations fondée sur le sexe ou l'état matrimonial en matière d'emploi, de formation professionnelle, d'éducation, de fourniture de biens et services, ainsi que de disposition de locaux.↩︎
Accessibles sur le site internet www.newspapers.com↩︎
Ces séjours de recherches et ces entretiens ont été financés grâce à une subvention de l’Arts and Humanities Research Council (subvention AH/V001175/1, Gender Equalities at Work – an Interdisciplinary History of 50 Years of Legislation).↩︎
Cette comparaison ne pouvant toutefois être stricte, du fait de différences fondamentales entre les matériaux empiriques accessibles pour les deux organisations : pour CESPA, l’ensemble des archives de l’organisation ont été déposées à Hull History Centre, alors que pour l’Equality Squad, aucun document interne n’a été archivé (seules des archives de presse recensant les activités de l’organisation ont pu être obtenues à ce jour).↩︎
Carol Bacchi, « Policy and Discourse : Challenging the Construction of Affirmative Action as Preferential Treatment », Journal of European Public Policy, 2004, vol. 11, p. 128, p. 131.↩︎
Sur les résistances contre les droits des membres de groupes LGBT, voir Benjamin Bishin et al., « Elite Mobilization : A Theory Explaining Opposition to Gay Rights », Law & Society Review, 2020, vol. 54, p. 233.↩︎
Thomas Keck, « Beyond Backlash : Assessing the Impact of Judicial Decisions on LGBT Rights », Law & Society Review, 2009, vol. 43, p. 151.↩︎
Joni Lovenduski, « Funding Anti-Gender Politics in Europe », The Political Quarterly, 2002, vol. 93, p. 530.↩︎
Paul Burstein, « “Reverse Discrimination” Cases in the Federal Courts : Legal Mobilization by a Countermovement », The Sociological Quarterly, 1991, vol. 32, p. 511 ; Paul Burstein, « Legal Mobilization as a Social Movement Tactic : The Struggle for Equal Employment Opportunity », American Journal of Sociology, 1991, vol. 96, p. 1201 ; Steven Teles, The Rise of the Conservative Legal Movement : The Battle for the Control of the Law, Princeton University Press, 2008.↩︎
L’homologue étatsunien de notre Défenseur des Droits.↩︎
Paul Burstein, « “Reverse Discrimination” Cases in the Federal Courts : Legal Mobilization by a Countermovement », op. cit., pp. 511-512.↩︎
Cour Suprême des États-Unis, Students for Fair Admissions v Harvard 600 U.S. 181 (2023) et Students for Fair Admissions v University of North Carolina 707 U.S. 21 (2023).↩︎
La sociologie des mouvements sociaux conservateurs s’est principalement concentrée sur les mobilisations autour des enjeux de sexualités et de droits reproductifs, notamment grâce aux travaux de Magali Della Sudda, Martina Avanza, et Aurélie Fillod-Chabaud. Toujours dans le champ de la sociologie des mouvements sociaux, les travaux de David Patternotte et de Daniela Antonovska sur les mouvements « anti-gender » sont également à noter.↩︎
En particulier les travaux d’Anne-Marie Devreux, « ‘Le Droit, c’est moi’. Formes contemporaines de la lutte des hommes contre les femmes dans le domaine du droit », Nouvelles Questions Féministes, 2009, vol. 28, p. 36.↩︎
Annie Junter, « L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : une exigence politique au cœur du droit du travail », Travail, genre et sociétés, 2004, vol 191, n. 12.↩︎
Dans la littérature anglo-saxonne, des juristes issus de la tradition des feminist legal studies ont examiné « en négatif » le rôle des hommes (principalement des pères) en droit de la non-discrimination, en prenant au sérieux l’appel de Sandra Fredman de « ramener les hommes dans le cadre de l’analyse » ; v. Sandra Fredman, « Reversing Roles : Bringing Men into the Frame », International Journal of Law in Context, 2014, vol. 10, p. 442. Voir aussi les travaux de Eugenia Caracciolo di Torella, « Men in the Work / Family Reconciliation Discourse : The Swallows That Did Not Make a Summer ? », Journal of Social Welfare and Family Law, 2015, vol. 37, p. 334 et aussi « Brave New Fathers for a Brave New World ? Fathers as Caregivers in an Evolving European Union », European Law Journal, 2014, vol. 20, p. 88.↩︎
Le paradigme pluraliste est développé par David Truman, The Governmental Process : Political Interests and Public Opinion, New York, Knopf, 1951. Cette approche est centrale dans les travaux britanniques ; v. par exemple les travaux de Wyn Grant, qui examine l’importance du lobbying européen pour les groupes d’intérêts britanniques, et notamment son ouvrage : Pressure Groups and British Politics, Palgrave, 2000.↩︎
Comme développé par Philippe Schmitter, « Still the century of corporatism ? », Review of Politics, 1974, nº 36, 1974. L’approche corporatiste se distingue de l’approche pluraliste en ce qu’elle prend en compte une série de variables (notamment le degré de centralisation et d’institutionnalisation du groupe d’intérêt, et la nature des intérêts défendus) pour remettre en question le caractère libre de la concurrence entre groupes d’intérêts.↩︎
Une approche qui se tente de penser ensemble les paradigmes pluraliste et corporatiste, mobilisée dans le contexte européen in Ural Ayberk, François-Pierre Schenker, « Des lobbies européens entre pluralisme et clientélisme », Revue française de science politique, 1998, vol. 48, n°6, pp. 725-755.↩︎
Principalement découlant des analyses de Sonia Mazey : voir en particulier Sonia Mazey, Jeremy Richardson, Lobbying in the European Community, Oxford University Press, 1993 ; et de Sophie Jacquot, « Les effets de l'européanisation dans le domaine social. Entre influence européenne et usages nationaux », Politique européenne, 2013, vol. 2, n° 40, p. 9-21.↩︎
Raewyn Connell, James Messerschmidt, « Hegemonic Masculinity : Rethinking the Concept », Gender & Society, 2005, vol. 19, p. 829.↩︎
Anne-Marie Devreux, « Les résistances des hommes au changement social : Émergence d’une problématique », Cahiers du genre, 2004, n°36, p. 5, p. 12.↩︎
Jeff Hearn, « From Hegemonic Masculinity to the Hegemony of Men », Feminist Theory, 2004, vol. 5, p. 49.↩︎
Tyson Smith, Michael Kimmel, « The Hidden Discourse of Masculinity and Gender Discrimination Law », Signs : Journal of Women in Culture and Society, 2005, vol. 30, p. 1827 ; Bethany Coston, Michael Kimmel, « White Men As the New Victims : Reverse Discrimination Cases and the Men’s Rights Movement », 2013, Nevada Law Journal, 2013, vol. 13, p. 368.↩︎
Définies comme l’ensemble des concepts, logiques, mais également formes, assemblages juridiques, et métaphores, en mobilisant ici la définition d’Annalise Riles développée en particulier dans son chapitre « Legal Knowledge », in David S. Clark, Encyclopedia of Law and Society, 2007, p. 885-888.↩︎
Directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.↩︎
Article 7, paragraphe 1 : « La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application : a) la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestation ».↩︎
Ce qui s’explique notamment par le contexte britannique et l’usage du droit européen par la EOC pour contrecarrer les limitations britanniques.↩︎
CJEU, 25 fév. 1986, M. H. Marshall c. Southampton et South-West Hampshire Area Health Authority (Teaching), aff. C-152/84.↩︎
L’organisme britannique de promotion de l’égalité des chances, instauré en 1976 en application du Sex Discrimination Act.↩︎
HHC, U DPY 1/2/1, Minutes de la première réunion du comité de direction, 3 juillet 1986.↩︎
HHC, U DPY 2/2/8, Lettre de PARITY à Jane Anderson (EOC), concernant l’examen de l’EOC pour son étude quinquennale [Review of EOC for Its Quinquennial Review], 1 juillet 1997.↩︎
HHC, U DPY 1/1/2, CESPA Constitution, art. 2(a)(1), p. 10.↩︎
Andrea Thompson, « The Equality Squad », Loughborough Mail, 22 février 1996, p. 3.↩︎
Ibid.↩︎
Ibid.↩︎
Neil Lyndon, « Eddie and Clive are angry », The Independent, 8 fév. 1997, p. 65.↩︎
http://www.thisisleicestershire.co.uk/Anti-English-discrimination/story-15332617-detail/story.html↩︎
Ibid.↩︎
Loughborough Mail, op. cit., 22 Aug 1996, p.6.↩︎
Mark Dawson et al, « A Tool-Box for Legal and Political Mobilisation in European Equality Law », in Dia Anagnostou dir., Rights and Courts in Pursuit of Social Change : Legal Mobilisation in the Multi-Level European System, Peters Books, 2014, p. 105.↩︎
Neil Lyndon, « Eddie and Clive are angry », The Independent, 8 fév. 1997, p. 86 : « Crabtree and Potter are taking their case to the County Court and then, perhaps, to the European version ».↩︎
HHC, U DPY 1/1/7, correspondance entre CESPA et le Comité de la House of Lords à propos de l’enquête sur le traitement égal des hommes et des femmes en matière de sécurité sociale et de retraite ([Inquiry into Equal Treatment for Men and Women in Social Security and Pension Schemes]) concernant la proposition de la Commission 9466/87 pour une directive, 10 octobre 1988. CESPA avait en effet été « invité à soumettre des éléments de preuve » par le sous-comité (U DPY 1/2/2), ce qui illustre qu’en 1988, seulement deux ans après la naissance de l’organisation, elle avait déjà acquis une certaine légitimité politique à s’exprimer sur ces enjeux.↩︎
Il s’agit d’une stratégie traditionnellement utilisée par les groupes d’intérêts en matière d’égalité de genre, comme l’analyse Sonia Mazey : « The Development of EU Equality Policies : Bureaucratic Expansion on Behalf of Women ? », Public Administration, 1995, vol. 73, p. 591.↩︎
Il est intéressant de noter qu’à l’époque, Odile Quintin avait déjà occupé le poste de directrice de la sous-unité Emploi et droits de femmes de la DG V de la Commission entre 1982 et 1983, et occupait à ce moment-là le poste de direction de la DG : Sophie Jacquot, Transformations in EU Gender Equality : From Emergence to Dismantling, Springer, 2015, not. pp. 58, 74–75, 77, 83, 122.↩︎
HHC, U DPY 2/2/2, Lettre de David Yarwood adressée à Richard Draperie (DG V), 1986.↩︎
HHC, U DPY 2/2/2, Lettre de David Yarwood adressée à Philippe Calderbank (DG V), 1986.↩︎
Margaret Foldes, « The Final Directive : Equal Social Security Benefits for Men and Women in the European Economic Community », Boston College International and Comparative Law Review, 1989, vol. 12, p. 437.↩︎
Directive 2006/54/Ce du Parlement Européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte).↩︎
HHC, U DPY 2/2/9, Lettre de Pàdraig Flynn à Henry Pantin (CESPA), 9 octobre 1996.↩︎
HHC, U DPY 2/2/9, Lettre de Alan Larsson (DG V) à John Stevens MP (Cons.) (qui lui avait transmis une lettre de David Yarwood), 11 février 1997.↩︎
HHC, U DPY 2/2/2, Lettre de Pàdraig Flynn adressée à CESPA, 27 juillet 1993.↩︎
Ibid.↩︎
Ibid.↩︎
CJUE, 19 oct. 1995, The Queen c. Secretary of State for Health, ex parte Cyril Richardson (Richardson), aff. C-137/94.↩︎
Clare Jenkins, « Equal Rights for Men at the Chemist’s’ », TES Magazine, 8 septembre 1995 : https://www.tes.com/magazine/archive/equal-rights-men-chemists↩︎
CJUE, 16 juillet 1996, Stanley Charles Atkins c. Wrekin District Council et Department of Transport (Atkins), aff. C-228/94.↩︎
CJUE, 16 déc. 1999, The Queen c. Secretary of State for Social Security, ex parte John Henry Taylor (Taylor), aff. C- 382/98.↩︎
CEDH, 28 nov. 2000, Michael Matthews v. UK, n°40302/98.↩︎
Patrick Mulchrone, « Victory for John over Heat Payout », Mirror, 24 septembre 1999.↩︎
Emilio Lehoucq, Whitney Taylor, « Conceptualizing Legal Mobilization : How Should We Understand the Deployment of Legal Strategies ? », Law & Social Inquiry, 2020, vol. 45, p. 166, p. 168.↩︎
Barbie Dutter, « The Man Who Cried Foul on Medicine Charges », Telegraph, 20 Octobre 1995.↩︎
Mark Dawson et al., ibid. note 45. V. également, sur le rôle joué par la CJUE dans l’évolution des politiques publiques sur l’égalité de genre : Rachel Cichowski, The European Court and Civil Society: Litigation, Mobilization and Governance, Cambridge University Press, 2007, p. 2.↩︎
Ellen Berrey, Steve Hoffman, Laura Beth Nielsen, « Situated Justice : A Contextual Analysis of Fairness and Inequality in Employment Discrimination Litigation », Law & Society Review, 2012, vol. 46, p. 1.↩︎
David Trubek, « Where the Action Is : Critical Legal Studies and Empiricism », Stanford Law Review, 1984, vol. 36, p. 575, p. 579.↩︎
Andrea Thompson, « The Equality Squad », Loughborough Mail, 22 février 1995.↩︎
Neil Lyndon, « Eddie and Clive are angry », The Independent, 8 fév. 1997, p. 85-86.↩︎
Stuart Millar, « Here comes trouble », The Guardian, 13 février 1997.↩︎
Ibid..↩︎
Ros Coward, « Happy birthday--now sort yourself out », The Guardian, 14 juin 1996.↩︎
Stuart Millar, « Here comes trouble », op. cit..↩︎
David E. Gillman, Loughborough Mail, 22 août 1996, p.6.↩︎
Ibid. Voir également le Oadby and Wigston Mail, 7 mars 1996, p.12, pour d’autres courriers de lecteurs.↩︎
Gwendolyn Leachman, « Legal Framing », UCLA Public law & Legal Theory Series, 2013, vol. 61, p. 25, p. 42.↩︎
Barbie Dutter, « The Man Who Cried Foul on Medicine Charges », op. cit..↩︎
Ibid.↩︎
Marion Fletcher, « Victory for Men on Winter Fuel May Cost £20m », Times, 24 septembre 1999.↩︎
James Deans, « Test Case Wins Men £100 Fuel Payments », Daily Mail, 17 décembre 1999.↩︎
HHC, U DPY 1/1/6, CESPA report and plan of action, by Glynne Jones, octobre 1988.↩︎
Elsa Dorlin, « De l’usage épistémologique et politique des catégories de ‘sexe’ et de ‘race’ dans les études sur le genre », Cahiers du Genre, 2005, n°39, p. 83.↩︎
HHC, U DPY 1/1/7, EC Proposal 9466/87 for a Directive Providing for the Equal Treatment between Men and Women in Social Security and Pension Schemes, evidence of CESPA, 10 October 1988.↩︎
Gwendolyn Leachman, « Legal Framing », op. cit..↩︎
Ibid., p. 37.↩︎
Ibid., p. 36.↩︎
Paul Burstein, « “Reverse Discrimination” Cases in the Federal Courts : Legal Mobilization by a Countermovement », op. cit., p. 514.↩︎
HHC, DPY 3.1.1.↩︎
Gwendolyn Leachman, « Legal Framing », op. cit., pp. 35–36.↩︎
Ibid., p. 37.↩︎
HHC, U DPY 1/2/4, Letter from David Yarwood to Alan Langmaid, 20 April 1997.↩︎
Cet élément apparaît explicitement dans des comptes rendus de réunions tenues par CESPA, voir par exemple HHC, U DPY 1/2/5.↩︎
HHC, U DPY 2/2/8, Letter from PARITY to Jane Anderson (EOC), concerning the Review of EOC for Its Quinquennial Review, 1 July 1997.↩︎
Entretien, 24 novembre 2022, National Life Stories, British Library.↩︎
Ian Wylie, « The right prescription to end sex discrimination anomaly », The Guardian, 21 octobre 1995, p. 35.↩︎
Neil Lyndon, « Eddie and Clive are angry », op. cit. p. 85-86.↩︎
Neil Lyndon a notamment publié en 1990 l’article « Bad Mouthing » dans le Sunday Times Magazine, considéré comme l’un des premiers écrits masculinistes britanniques largement relayés.↩︎
Stuart Millar, « Here comes trouble », op. cit.↩︎
Ibid.↩︎
Jules Falquet, « Pour une anatomie des classes de sexe : Nicole-Claude Mathieu ou la conscience des opprimé·e·s », Cahiers du Genre, 2011, vol. 50, n° 1, p. 193.↩︎
Neil Lyndon, « Badmouthing », Sunday Times Magazine, 1990.↩︎
Mickaëlle Provost, L’expérience de l’oppression. Une phénoménologie du sexisme et du racisme, PUF, 2023.↩︎
Marin Scordato, « Post-Realist Blues : Formalism, Instrumentalism, and the Hybrid Nature of Common Law Jurisprudence », Nevada Law Journal, 2007, vol. 7, p. 263.↩︎