Haro sur l’écriture inclusive !

Elsa Fondimare



















Résumé: Alors qu’une proposition de loi “visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture inclusive” a été adoptée au Sénat en octobre 2023, la présente analyse propose une réflexion critique sur les principaux arguments mobilisés par ses promoteurs. Elle démontre que pour se présenter comme venant en défense des principes de liberté et d’égalité, la proposition de loi dénie et occulte toute ambition comparable au projet même de l’écriture inclusive, et qu’en fait de neutralité, l’offensive qui sous-tend la proposition de loi est hautement idéologique.

Abstract: As a bill “aimed at protecting the French language from the abuses of inclusive writing” was passed by the Senate in October 2023, the present analysis offers a critical reflection on the main arguments mobilized by its promoters. It shows that, in order to present itself as defending the principles of freedom and equality, the proposed law denies and obscures any ambition comparable to the very project of inclusive writing; and that, while it claims to promote a norm of neutrality, the offensive underlying the proposed law is in fact highly ideological.

Mots-clefs: Écriture inclusive - neutralité - langue française - égalité -

  1. Liberté, égalité, neutralité : voilà ce qui semble être la devise de la proposition de loi Gruny visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite « inclusive » – pour reprendre la formulation initiale – adoptée par le Sénat le 30 octobre 2023 et actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale1. Alors que plusieurs tentatives avaient été initiées ces dernières années pour réglementer, voire bannir, l’usage de l’écriture inclusive, avec un champ d’application plus ou moins étendu2, la proposition de loi Gruny a recueilli de nombreux soutiens à droite, avec un appui indirect du chef de l’État. Le jour de l’adoption de la proposition de loi au Sénat, le président Macron a en effet proclamé, lors du discours d’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, à propos de la langue française, qu’il fallait en conserver « les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe, et ne pas céder aux airs du temps ». Et d’ajouter, avant d’insister sur l’unité du peuple : « Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y rajouter des points au milieu des mots ou des tirées ou des choses pour la rendre visible »3. Il y aurait donc urgence, semble-t-il, à agir contre cette forme d’écriture, parce que les dispositifs existant pour la réglementer, à savoir les circulaires de 20174 et 20215, seraient trop faibles, inefficaces et limités quant à leur sphère d’application. Cette « insécurité juridique »6 serait renforcée par la division de la jurisprudence administrative à propos de la légalité de l’emploi de cette forme de langage. Ainsi, en 2023, tandis que le Tribunal administratif de Grenoble annulait pour excès de pouvoir une délibération du conseil d’administration de l’Université Grenoble-Alpes rédigée en écriture inclusive7, celui de Paris refusait d’annuler la décision de la maire de Paris ayant rejeté la demande de retrait de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de Ville et gravées en écriture inclusive8.

  2. Pour mettre fin au prétendu « vide juridique »9, le législateur aurait ainsi pour mission d’intervenir pour protéger la langue française ; mais la protéger de quoi exactement ? L’écriture inclusive porterait atteinte, selon ses détracteur.e.s, aux principes énoncés en ouverture de cette contribution. Or, l’argumentaire utilisé pour justifier et soutenir la proposition de réforme souffre d’une forme de sophisme : d’une part parce qu’en s’appuyant sur les principes de liberté et d’égalité, il occulte et délégitime l’ambition libérale et égalitaire de l’écriture inclusive (1) ; d’autre part, parce qu’en prétendant agir en faveur de la neutralité de la langue française, il masque son propre positionnement idéologique et sa participation à un processus de normalisation de la langue française (2).

I. La protection de l’égalité et de la liberté

  1. En s’appuyant sur la liberté et l’égalité, les parlementaires ne font que reprendre ce qui est devenu un poncif des discours antiféministes : mobiliser à leurs propres fins des droits que les féministes souhaitent précisément promouvoir. Car l’usage du langage inclusif est bien avant tout porté, grâce au véhicule qu’est la liberté d’expression, dans une perspective de lutte contre les inégalités de genre. Libre en effet aux locuteurs et locutrices d’employer l’écriture inclusive pour s’exprimer dans un langage égalitaire. La liberté d’expression implique d’ailleurs, selon le Conseil constitutionnel, « le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers »10. Quant au principe d’égalité, tel qu’interprété par le législateur lui-même dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, il impose d’agir contre les inégalités dans toutes les politiques publiques (approche intégrée de l’égalité), et de s’atteler à la lutte contre les stéréotypes de genre et les biais sexistes, y compris ceux présents dans le langage et dans les représentations. Si l’écriture inclusive n’est pas appréhendée comme outil égalitaire dans la loi de 2014, il l’est dans les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qui, dans la lignée de la loi de 2014, a élaboré un guide « pour une communication publique sans stéréotypes de sexe » reposant sur le constat que l’usage du masculin générique participe de la construction des inégalités11. Il n’est pas question ici de discuter un tel constat ni même de rechercher les éventuels fondements juridiques du langage inclusif12, mais bien de pointer que la corrélation établie entre le langage inclusif, l’égalité et la liberté, fait l’objet d’une réappropriation discutable par les détracteur.e.s de l’écriture inclusive.

  2. L’égalité, d’abord, est au cœur des justifications de l’opposition à l’usage de l’écriture inclusive, en particulier lorsqu’il est employé dans les services publics. L’utilisation de cette forme de graphie irait à l’encontre de l’égalité compris ici de deux manières : l’universalité de l’accès au service public par le langage commun, et l’universalité du langage lui-même, neutre à l’égard du genre – le genre grammatical ne correspondrait pas à des catégories sexuées13.

  3. Une première conception de l’égalité universaliste entend protéger un langage commun et uniforme. L’usage de l’écriture inclusive heurterait frontalement ce principe car, réservé à une élite14, il aurait pour conséquence désastreuse d’exclure des personnes connaissant déjà des difficultés de lecture : personnes handicapées, illettrées, analphabètes ou encore étrangères15. Utilisée dans le service public de l’enseignement, il constituerait un frein important à l’apprentissage du français16, ajoutant de nouvelles règles grammaticales, jugées « erratiques » et « complexes »17, car sujettes à une hétérogénéité dans ses usages (féminisation des titres et fonctions, vocabulaire épicène, usage du point médian, de la double flexion, de pronoms non binaires, etc.)18. Pour le rapporteur et sénateur Cédric Vial, l’expression même d’écriture inclusive serait impropre, car elle « ne possède, dans les faits, aucun des ingrédients de l’inclusion ; elle en vient même à produire l’effet inverse ! »19 Et à en croire Jean-Louis Thiériot, son homologue à l’Assemblée nationale, il faudrait plutôt parler d’écriture « exclusive »20. Au nom de l’égalité, donc, « il ne faut pas faire d’accommodement avec ce qui exclut »21.

  4. La seconde critique formulée sur le fondement de l’égalité universaliste insiste quant à elle davantage sur la dimension idéologique et axiologique de cette pratique. Faisant appel aux idéaux républicains, plusieurs parlementaires invitent à considérer l’expansion de l’écriture inclusive comme une « dérive communautariste »22 ou « woke »23 qui, en mettant l’accent sur la différence entre les sexes dans le langage, servirait les intérêts des minorités de genre, et porterait ainsi atteinte directe à l’universalisme de la langue française reflétant elle-même « l’unité nationale »24. Si le « communautarisme » et le « wokisme » semblent aujourd’hui être l’obsession de la droite, y compris de la majorité présidentielle, l’argument de l’indifférenciation ne manque pas de contradiction lorsque l’on pense à la hargne avec laquelle les mêmes parlementaires s’étaient opposés en 2013 à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, précisément sur le fondement de la crainte d’une indifférenciation entre les sexes. Sans même relever le paradoxe, d’aucuns proclament qu’« en France, nous devons faire preuve d’indifférence à la différence »25. Le langage inclusif est donc ici majoritairement conçu comme une pratique opposée à l’égalité, et non comme un instrument égalitaire.

  5. En ce sens, sans nier intégralement les intentions égalitaristes portées par les locuteur.rice.s du langage inclusif26, la majorité des parlementaires le rejette comme outil pouvant servir l’égalité de genre. Non seulement il n’est jamais question dans les débats du rôle de certaines formes de langage inclusif pour l’inclusion des personnes non binaires mais, de plus, cette pratique est considérée comme ne servant aucunement une politique féministe – dont se réclame pourtant le rapporteur Thiériot27. Les arguments sont sur ce point disparates. Certaines mettent l’accent sur son inutilité pour servir la cause féministe, tantôt en estimant qu’« on ne lutte pas contre les inégalités entre les filles et les garçons avec des points médians »28, mais avec des politiques de lutte contre les violences et d’égalité salariale29, tantôt en pointant le fait que « certains pays sont neutres quant au genre et pourtant inégalitaires (Chine, Turquie) »30. D’autres estiment que l’écriture inclusive serait inégalitaire car elle conduirait à renforcer la hiérarchie entre les hommes et les femmes : pour Annick Billon, « ajouter un suffixe féminin à la fin du nom masculin, c’est ne présenter les femmes qu’à moitié, comme accessoires »31. On ne saurait néanmoins être surpris.e que le principe d’égalité soit majoritairement considéré dans ces débats comme au service de l’interdiction de l’écriture inclusive. Les interprétations du principe d’égalité sont en effet, de manière prédominante, au service de l’universalisme républicain, comme l’illustre encore l’arrêt du Conseil d’État du 28 février 2019 : alors que l’association requérante invoquait précisément le principe d’égalité pour contester la circulaire du 21 novembre 2017 interdisant de recourir à l’écriture inclusive pour la rédaction des textes publiés au Journal officiel, le Conseil d’État a écarté l’argument sans pour autant développer la question de l’application de ce principe32.

  6. La liberté, ensuite, serait menacée par l’écriture inclusive qui, « loin d’être marginale »33, se répandrait « rapidement »34, et tendrait à devenir une norme imposée35 dans certains milieux36. Plusieurs parlementaires s’indignent ainsi de l’expansion de l’écriture dans le milieu éducatif et universitaire, qui irait jusqu’à contraindre certains professeurs à utiliser ce langage sous peine de perdre leur fonction37, ou encore jusqu’à obliger les étudiant.e.s d’utiliser cette graphie sous peine d’être sanctionné.e.s lors de leur examen38. Pire, en prescrivant cette graphie, les défenseur.se.s de l’écriture inclusive imposeraient leur idéologie du « politiquement correct », en forçant « les individus à se positionner, dans le camp du ‘bien’ ou dans celui du ‘mal’ »39.

  7. Si la liberté d’expression des personnes ne souhaitant pas utiliser l’écriture inclusive apparaît ainsi menacée, la liberté d’expression des personnes adoptant ce type de langage serait, elle, en revanche, légitimement soumise à des restrictions. Ainsi, alors que des parlementaires (minoritaires) invoquent l’article 11 de la Déclaration de 1789 pour soutenir l’usage de l’écriture inclusive40, leurs collègues leur répondent que la liberté d’expression doit être conciliée avec l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi ou de la norme41. L’argument pourrait surprendre puisque l’écriture en question n’a pas nécessairement vocation à être utilisée pour la rédaction des textes normatifs, mais par des locuteur.rice.s divers.e.s. C’est pourtant bien le même fondement juridique de l’intelligibilité de la norme qui avait été utilisé par le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Grenoble pour s’opposer, respectivement, à la modification des statuts d’une association reconnue d’utilité publique qui emploieraient du point médian « afin de faire apparaître à l’intérieur d’une même séquence graphique l’existence d'une forme féminine »42, ou à la délibération du conseil d’administration de l’université Grenoble-Alpes approuvant les statuts du service des langues43. Ainsi, l’objectif d’intelligibilité de la loi, dont la conception apparaît ici très malléable, est interprété de manière extensive, non plus uniquement pour régir le processus légistique, mais « pour garantir par la loi l’intelligibilité et l’accessibilité des normes et communications intervenant dans le champ public »44. Bien qu’une réflexion sur l’existence – douteuse – d’une obligation générale d’intelligibilité du langage mériterait d’être conduite, elle semble dans les débats parlementaires parfaitement justifier les limites à la libre expression par le langage inclusif.

  8. À travers la mobilisation de l’égalité et la liberté, les partisan.e.s de la proposition de loi s’approprient une certaine définition de ces principes au service d’une politique conservatrice. Cette manière de procéder conduit à délégitimer les revendications libérales et égalitaires portées par les usager.e.s du langage inclusif, tout en masquant le caractère normatif de leur propre mobilisation de ces concepts. Plus encore, en se positionnant en défenseur.se.s de la neutralité axiologique de la langue française, ces discours occultent leur positionnement idéologique et le processus de normalisation de la langue française à l’œuvre.

II. Au secours de la neutralité axiologique de la langue française

A. La neutralité comme dogme

  1. Dissimuler son positionnement idéologique derrière une prétendue neutralité est, tout comme la mobilisation des droits et libertés, une stratégie devenue habituelle des discours conservateurs. Les porteurs de la proposition de loi Gruny – mais aussi d’autres textes – seraient ainsi les garants de la prétendue neutralité de la langue française : « L’intelligibilité et la neutralité axiologiques de la langue sont des valeurs qui dépassent tous les clivages politiques : elles sont les clés de la transmission de l’information et de la délibération démocratique »45. Cette neutralité serait mise en « péril »46 par les militant.e.s minoritaires de l’idéologie prônant l’écriture inclusive47. Le texte ne vise en effet pas uniquement à protéger l’intelligibilité de la langue française – même si cette considération est très présente dans les débats – mais ambitionne aussi de lutter contre une idéologie48, que certain.e.s désignent comme un « militantisme d’extrême-gauche très agressif et qu’il nous faut combattre »49. Avec comme source d’inspiration directe la lettre de l’Académie française contre l’écriture inclusive50, le vocabulaire martial est ainsi employé allégrement, de même qu’apparaissent au gré des débats des références au totalitarisme51 ou à la maladie52 ; de précieux ingrédients, en somme, pour élaborer une parfaite figure de l’ennemi commun. Peu importe que l’usage du langage inclusif soit recommandé par le Haut Conseil à l’égalité – et donc non pas seulement par une poignée de militant.e.s agressif.ve.s mais par une institution rattachée au Premier ministre –, le rapporteur Vial en vient à déconsidérer celui-ci en fustigeant les préconisations du HCE, notamment l’usage du point médian, qui contreviendraient à la circulaire de 201753.

  2. Cette stratégie discursive qui oppose, d’un côté, les garants de la neutralité axiologique de la langue française et, de l’autre côté, les militant.e.s revendiquant – ou plutôt imposant – l’usage de l’écriture inclusive, provoquent plusieurs effets sur la teneur du débat parlementaire.

  3. Premièrement, en partant du présupposé que la langue est axiologiquement neutre, les parlementaires en faveur de la réforme empêchent un éventuel débat constructif mettant en question la neutralité de la langue française quant au genre. Pour le rapporteur Vial comme pour d’autres, les valeurs et opinions ne s’exprimeraient pas « par la langue », mais « dans la langue »54. En distinguant le « signifiant et le signifié »55, cet argumentaire écarte instantanément l’idée que l’usage du masculin générique n’a rien de neutre et que cette règle grammaticale est elle-même une construction historique fondée sur un positionnement idéologique56.

  4. Deuxièmement, en se réclamant de la neutralité, les parlementaires dissimulent aussi leur propre positionnement. Les modifications successives du titre de la proposition de loi en commission, remplaçant « proposition de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive » par « proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive », puis par « proposition de loi visant à protéger l’intelligibilité de la langue française », montrent que les parlementaires entendent « mettre l’accent sur la protection de la langue française »57. Iels se placent ainsi non pas dans une posture d’opposition idéologique, mais dans celle de gardien.nes de la langue nationale. Le rapporteur Vial insiste dans ce sens sur l’ambition avant tout pratique de la loi : « Nous ne parlons pas ici de combat idéologique mais bien de difficultés pratiques, pour des millions de nos compatriotes qui ont déjà du mal avec l’usage de l’écrit »58. Les parlementaires de gauche ne sont toutefois pas dupes de ce qui se joue en termes politiques. L’un d’eux replace ainsi le débat sur le terrain idéologique en estimant que la vraie cible de la loi est l’égalité entre les femmes et les hommes59. Quant à Laurence Rossignol, elle dénonce précisément cette fausse neutralité : « Entre vous et moi, il y a une différence : je suis une militante et je le reconnais, tandis que vous êtes des militants et que vous ne le reconnaissez pas »60. Une telle stratégie n’a pas seulement pour effet de décrédibiliser les « militant.e.s » du langage inclusif et d’assurer une prédominance idéologique. Elle permet aussi de dissimuler le processus de normalisation auquel participe cette tentative de réforme.

B. Une entreprise de normalisation

  1. Car c’est bien une entreprise politique de normalisation de l’usage de la langue qui est ici à l’œuvre61. Celle-ci est caractérisée par deux desseins qu’il s’agit d’examiner successivement : l’uniformisation de la langue française et la régulation de l’expression dans l’espace public.

  2. L’uniformisation de la langue française. Le langage inclusif serait à bannir car il ne serait pas du « français » et constituerait un péril pour la langue française. La solution proposée par les auteur.e.s de la proposition de loi est de modifier la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française pour interdire l’usage de l’écriture inclusive partout où l’usage de l’anglais est interdit62. L’écriture inclusive n’est donc pas considérée comme une forme de grammaire française – contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal administratif de Paris63 – mais bien comme une langue étrangère. Cette stratégie permet aux parlementaires d’invoquer les règles existantes quant à l’usage obligatoire du français. Il n’existe en effet pas de lois imposant des normes grammaticales – c’est bien pour cela qu’une autre proposition de loi tendait à renforcer la position de l’Académie française64 –, mais il existe bien des normes imposant l’usage du français. Ils se réfèrent sur ce point à la loi Toubon de 1994 « dont le principal objectif était de renforcer et de conforter l’usage de notre langue face à la diffusion rapide de termes anglophones »65. Est également mobilisée la décision du Conseil constitutionnel de 1994 qui rappelle la règle énoncée par l’article 2 de la Constitution (« la langue de la République est le français ») et « qu’il est également loisible [au législateur] de prescrire, ainsi qu’il l’a fait, aux personnes morales de droit public, comme aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public l’usage obligatoire d’une terminologie officielle »66. En dissociant le langage inclusif de la langue française, les parlementaires justifient ainsi la restriction de son usage et participent par là même à une uniformisation de la langue française qui se voit amputée d’une forme particulière de sa pratique.

  3. Cette stratégie prête toutefois le flanc à la critique. La ministre de la Culture Rima Abdul-Malak estime que cette volonté de réglementer la grammaire française va à l’encontre de l’esprit de la loi Toubon67. Pour d’autres, cette police de la langue n’est pas acceptable, car il n’est pas de la compétence du législateur de réglementer les usages de la langue française68 qui appartient « aux locuteurs et locutrices francophones qui la font vivre ! »69 Les parlementaires se réfrènent d’ailleurs sur la contrainte imposée : la règle de la nullité de plein droit d’un acte juridique rédigé en écriture inclusive, intégrée avec la proposition de loi d’Étienne Blanc, disparaît lors de l’examen en commission à l’Assemblée nationale70.

  4. L’imposition de la norme de l’interdiction de l’écriture inclusive partout où l’anglais est interdit est d’autant plus problématique que la définition de l’écriture inclusive retenue par la proposition de loi est large. Elle désigne les « pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine »71. Or, alors que les rapporteurs semblent assez d’accord pour se concentrer sur la rédaction avec des points médians et des pronoms non binaires, sans remettre en cause des pratiques de féminisation de la langue déjà admises, comme la féminisation des fonctions (« madame la sénatrice ») et la double flexion (« les sénateurs et les sénatrices »), la définition de l’écriture inclusive adoptée semble paradoxalement inclure aussi ces pratiques72. On est alors face, non seulement à une « zone grise du texte »73, mais aussi à une argumentation parfois défaillante : il semble délicat de justifier l’interdiction de l’usage du point médian à l’écrit parce qu’il rendrait la lecture d’un texte difficile, alors qu’il n’est que l’abréviation de la double flexion à l’oral. Faudrait-il dès lors interdire l’usage de toute abréviation ?74 L’interdiction, telle que conçue par la proposition, suscite donc des interrogations quant aux usages qu’elle régit, mais encore davantage quant à son champ d’application.

  5. La neutralité de l’expression dans l’espace public. L’ambition de la proposition de loi, bien que le texte ait évolué au gré des amendements, est de contrôler l’expression dans l’espace public pour en assurer sa neutralité. Les parlementaires font d’ailleurs le rapprochement entre la limitation de l’expression des convictions religieuses dans l’espace public, à travers l’application extensive du principe de laïcité, et l’interdiction de l’écriture inclusive : « La langue doit, dans l’espace public, conserver une certaine neutralité propice au respect des convictions de chacun. Nous devons pouvoir appliquer la même neutralité dans le champ de la langue française que celle qui, dans l’espace des convictions religieuses, correspond à la laïcité »75. On voit ici se dessiner la même volonté d’extension de la règle de neutralité que celle qui gouverne désormais le principe de laïcité76. Le champ d’application des circulaires de 2017 et de 2021, respectivement limitées aux textes publiés au Journal officiel et au milieu de l’éducation, est ainsi considéré comme beaucoup trop restreint par les porteur.se.s de la proposition. L’enjeu est bien la régulation de la « sphère publique du langage, cet espace commun partagé de tous les Français »77, à travers un processus d’uniformisation de la langue qui s’étend à de nombreux espaces. Cependant, une telle extension de l’interdiction est loin de faire l’unanimité parmi les parlementaires. En effet, la proposition de loi prévoit un champ d’application extrêmement large de l’interdiction de l’écriture inclusive. Il est question de prolonger le principe de neutralité des agents publics, et donc d’appliquer la règle à la « sphère publique », « sphère recouvrant non seulement les documents administratifs, y compris ceux des personnes de droit privé investies d’une mission de service public, mais aussi les liens entre l’administration et le public (notamment les demandes d'un particulier à l’administration) »78. Mais il est aussi question d’imposer l’interdiction au domaine commercial, à l’entreprise, au transport, au milieu de la finance79. Les ardeurs des initiateur.rice.s de la réforme ont néanmoins été réfrénées lors des débats : plusieurs interventions, dont celle de la ministre de la Culture, ont fait valoir qu’interdire l’écriture inclusive dans certains écrits entre personnes privées porterait une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle80 ou à la liberté d’expression81. L’alinéa 4 de l’article 1 de la proposition de loi, qui établissait la nullité de plein droit de tout acte juridique faisant usage de l’écriture inclusive, a pour cette raison été supprimé82.

  6. Un espace demeure la cible privilégiée de l’entreprise de normalisation du langage : l’université83. La crainte d’y voir prospérer le langage inclusif « dans ses formes les plus extrêmes » est omniprésente dans les débats84 et se manifeste par l’obsession d’assurer la neutralité du service public de l’enseignement85. À ce propos, les parlementaires mobilisent le même exemple de manière itérative – comme si en définitive l’usage du langage inclusif n’était pas si fréquent – : la rédaction d’un sujet d’examen en écriture inclusive à Lyon 2. Quoi qu’il en soit, certain.e.s n’ont pas manqué de pointer le risque d’atteinte portée à la liberté d’expression dans des enseignant.e.s-chercheur.e.s protégée par l’article L. 952-2 du Code de l’éducation et de valeur constitutionnelle86. Les partisan.e.s de la proposition de loi ont dès lors établi une distinction entre la pratique de la recherche et celle de l’enseignement, qui serait seule concernée par l’interdiction (y compris, de manière surprenante, les thèses de doctorat). Il n’est pas question d’interdire les travaux de recherche sur l’écriture inclusive, mais d’interdire la pratique dans les enseignements, examens et concours, mémoires et thèses87. Les parlementaires ont ainsi renoncé à conditionner l’octroi de subventions publiques au respect par les publications, revues et subventions de l’écriture inclusive – une sorte d’« égaconditionnalité »88 inversée prévue au demeurant par d’autres propositions de lois89 – car cela aurait risqué de porter atteinte aux publications financées par l’ANR90. De manière générale, l’article 6 de la proposition de loi, dans sa nouvelle rédaction issue d’un amendement adopté par la commission de l’Assemblée nationale, exclut du périmètre de l’interdiction de l’écriture inclusive les établissements d’enseignement supérieur – y demeurent les écoles, collèges et lycées91.

  7. Mais ce qui constitue à première vue un frein est en réalité loin de constituer un renoncement à une généralisation de l’interdiction aux différents lieux d’expression du milieu universitaire. Le rapporteur insiste : « L’un des objectifs importants de cette proposition consiste à éviter que l’enseignement supérieur, public ou privé, ne soit pris en otage par des combats idéologiques liés à la langue »92. La réintroduction à l’article 6 de l’interdiction des pratiques de l’écriture inclusive dans les examens, les concours et les épreuves de contrôle continu dans l’enseignement supérieur par le biais d’un sous-amendement atteste une volonté forte de ne pas permettre au langage inclusif de pervertir les jeunes esprits en leur imposant cette pratique dévoyée de la langue93. A fortiori, toujours dans une logique d’étendre la normalisation du langage aux moindres interstices possibles de l’espace universitaire – sans aller dans un premier temps jusqu’à porter atteinte à la liberté des enseignant.e.s-chercheur.e.s –, le nouvel article 1er bis, introduit en commission, va encore plus loin en prévoyant l’interdiction pour les établissements d’enseignement supérieur, publics et privés, d’imposer à leurs personnels l’usage de l’écriture inclusive, ainsi que la nullité des sanctions qu’un refus d’usage de cette grammaire pourrait entraîner94. En rongeant peu à peu les espaces d’expression à l’université, la liberté de s’exprimer par le langage inclusif se trouverait ainsi réduite à peau de chagrin : la libre expression des chercheur.e.s. Mais, précisément sur ce point, l’intention de laisser intacte la liberté des enseignant.e.s-chercheur.e.s, qui semblait émaner des débats, se trouve, au gré des modifications du texte, sérieusement ébranlée. Les parlementaires soulignent bien que la liberté autorisée concerne les recherches sur l’écriture inclusive, ce qui dévoile leur frilosité à admettre des écrits universitaires rédigés en langage inclusif. Une disposition est dès lors introduite pour entraver la production de tels écrits : la proposition de loi (article 1, II) interdit ainsi l’écriture inclusive dans les publications, revues et communications diffusées en France, qui émanent d’une personne morale de droit public ou d’une personne privée exerçant une mission de service public. À la lecture de cette disposition, au champ d’application très large, il semblerait que les écrits produits par les chercheur.e.s soient concernés par l’interdiction. Comment les parlementaires peuvent-ils à la fois prôner la liberté d’expression des chercheur.e.s et imposer aux publications, revues et communications de respecter l’écriture inclusive ? La liberté académique ne concernerait-elle que les opinions contenues dans les écrits, et non le support de diffusion des idées ? La distinction entre « signifiant » et « signifié », chère aux opposant.e.s au langage inclusif, justifie-t-elle de contourner la liberté des enseignant.e.s-chercheur.e.s constitutionnellement reconnue ? L’argumentaire demeure sur ce point silencieux. Mais l’on voit combien les défenseur.se.s de la réforme tentent d’imposer une forme de langage, subrepticement, par le biais d’amendements et de sous-amendements, en rognant peu à peu sur l’un des espaces de prédilection de la liberté d'expression.

  8. Interdire une forme de graphie sous prétexte qu’elle serait imposée – ce qui est loin d’être le cas de l’écriture inclusive –, en s’appuyant sur la neutralité, l’égalité et la liberté, ne manque pas d’ironie. En procédant ainsi, les partisan.e.s de la proposition de loi réalisent exactement ce qu’iels reprochent aux locuteur.rice.s du langage inclusif : imposer une forme grammaticale de la langue française. Ce renversement n’échappe pas au sénateur Adel Ziane : c’est une « analogie trompeuse, ensuite, lorsque vous convoquez 1984, l’œuvre de Georges Orwell, pour légitimer vos propos. Dans cet ouvrage, c’est en effet l’État qui impose aux citoyens l’usage d’une langue appauvrie, qui empêche de penser le monde et ses évolutions »95. La limitation de la liberté d’expression par l’intervention législative semble bien plus problématique, du point de vue des droits et libertés, qu’un usage simplement souhaité, voire encouragé, mais non contraint, d’une forme de langage.

Elsa Fondimare

Maîtresse de conférences en droit public

Université Paris Nanterre

Membre du CREDOF, UMR 7074 Centre de théorie et analyse du droit



Références

  1. Proposition de loi n° 1816 visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive déposée le 26 janvier 2022 par la sénatrice Pascale Gruny et plusieurs de ses collègues (LR), adoptée par le Sénat le 30 octobre 2023 à 221 voix contre 82.↩︎

  2. Notamment : proposition de loi n° 834 d’Emmanuelle Anthoine (LR) visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par les administrations publiques, les personnes morales en charge d’une mission de service public et les bénéficiaires de subventions publiques, déposée 14 février 2023 à l’Assemblée nationale ; proposition de loi n° 777 de Bénédicte Auzanot, Roger Chudeau (RN) portant interdiction de l’écriture dite « inclusive » dans les éditions, productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux, déposée le mardi 31 janvier 2023 à l’Assemblée nationale ; proposition de loi n° 321 d’Anne-Laure Blin (LR) visant à sauvegarder la langue française et à réaffirmer la place fondamentale de l’Académie française déposée le 11 octobre 2022 à l’Assemblée nationale ; proposition de loi n° 385 d’Étienne Blanc (LR) visant à lutter contre l’écriture inclusive et protéger la langue française, déposé le 25 janvier 2022 au Sénat.↩︎

  3. Discours du président de la République à l’occasion de l’inauguration de la cité internationale de la langue française, 30 octobre 2023, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/30/inauguration-de-la-cite-internationale-de-la-langue-francaise-a-villers-cotterets.↩︎

  4. Circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française.↩︎

  5. Circulaire ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports du 5 mai 2021 sur les règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d’enseignement↩︎

  6. Rapport de Jean-Louis Thériot au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale du 29 novembre 2023, p. 5.↩︎

  7. TA Grenoble, 4ème Chambre, 11 mai 2023, no 2005367.↩︎

  8. TA Paris, 2ème Section, 1ère Chambre, 14 mars 2023, no 2206681/2-1.↩︎

  9. Rapport de Jean-Louis Thériot, op. cit., p. 5.↩︎

  10. Conseil constit., décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, loi relative à l'emploi de la langue française, cons. 6.↩︎

  11. HCEfh, Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe. Guide pratique, version actualisée 2022, https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/guide_egacom_sans_stereotypes-2022-versionpublique-min-2.pdf.↩︎

  12. Voir sur ce point les arguments développés par l’association GISS à l’occasion de son recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la circulaire du 21 novembre 2017 (CE, 2ème et 7ème Chambres réunies, 28 février 2019, no 417128). Voir pour un commentaire Benjamin Moron-Puech, « La grammaire peut-elle être illicite ? La réponse de l’arrêt GISS et Fourtic », Tribonien – Revue critique de législation et de jurisprudence, no 3, 2019, p. 124-143.↩︎

  13. Voir l’intervention de Pascale Gruny, à l’origine de la proposition de loi, lors de la séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, JORF, No 87 S. (C.R.), p. 7732.↩︎

  14. Rapport de Cédric Vial au nom de la Commission des affaires culturels et de l’éducation du Sénat, 25 octobre 2023, p. 36 : « Bien loin de susciter l’adhésion d'une majorité de contemporains, elle apparaît comme le domaine réservé d’une élite ».↩︎

  15. Ibid., p. 26 : « L’écriture dite inclusive menace l’intelligibilité et l’accessibilité des textes. Cette écriture se dit inclusive, mais elle est en réalité plutôt excluante pour la population illettrée ou analphabète, mais aussi pour les ‘dys’, en particulier les dyslexiques, et pour les malvoyants - tous ceux qui ont du mal à lire et dont les difficultés sont renforcées par cette écriture, ce qui pose le problème de l’accessibilité aux informations ».↩︎

  16. Exposé des motifs du texte n° 404 (2021-2022) de Pascale Gruny déposé au Sénat le 26 janvier 2022.↩︎

  17. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 10.↩︎

  18. Ibid., p. 10.↩︎

  19. Le rapporteur Vial, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7734.↩︎

  20. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 38.↩︎

  21. Le sénateur Jacques Grosperrin lors des travaux en commission (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 33).↩︎

  22. Le sénateur Aymeric Durox, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7739 : « Cette entreprise repose sur un confusionnisme linguistique, fondé sur la croyance naïve que le langage doit refléter ce qu’il désigne, sur une vision dévoyée de l’égalité entre les hommes et les femmes, sur un communautarisme rampant ou clairement proclamé qui ramène chacun à sa communauté d’appartenance au lieu de viser le sentiment d’appartenance à une humanité commune. En ce sens, l’écriture prétendument inclusive est un défi aux universaux de la République française ». Si les parlementaires du Rassemblement National apparaissent particulièrement attachés à cet argument, il n’est toutefois pas l’apanage de ce parti : certain.e.s parlementaires Les Républicains le mobilisent également (voir la sénatrice Gruny à l’origine de la proposition de loi : « C’est le communautarisme qui est dangereux ! », lors de la séance du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7754).↩︎

  23. Voir par exemple le sénateur Étienne Blanc (lui-même auteur d’une proposition de loi contre l’écriture inclusive), séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7738 : « L’écriture inclusive trouve ses racines dans une politique plus générale de reconnaissance de la primauté des identités. C’est une idéologie mortifère, imposée par les campus américains ou ceux d’Europe du Nord. Sous prétexte d’égalité des sexes, elle vise à détruire le français en s’inscrivant dans une culture woke, une culture qui vise plus largement à contester notre modèle de civilisation. Un exemple : pour les tenants du wokisme, la fonction neutre du masculin participe à l’occultation des femmes. Notre langue française serait donc sexiste ; par conséquent, il faut la détruire ».↩︎

  24. Le rapporteur Cédric Vial citant le Président Macron, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7733 : « ‘La langue française garantit l’unité de la Nation, elle est une langue de liberté et d’universalisme’, déclarait ce matin même le Président de la République lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts ».↩︎

  25. Le sénateur Bruno Retailleau, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7753.↩︎

  26. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 9  : « La proposition de loi ne prétend pas discuter les motivations des promoteurs de l’écriture inclusive, et celles-ci reposent souvent sur les meilleures intentions (parvenir à une société où les femmes seraient mieux représentées) ».↩︎

  27. Le rapporteur Jean-Louis Thiériot lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 30) : « Mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas un texte de combat : elle ne vise aucunement à aller contre la promotion indispensable de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il n’est ainsi nullement question d’aller contre la féminisation des titres et des fonctions, ou d’interdire le ‘Mesdames, messieurs’ ».↩︎

  28. La sénatrice Sabine Drexler lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 30).↩︎

  29. La sénatrice Cécile Cukierman, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7748.↩︎

  30. La sénatrice Annick Billon, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7740.↩︎

  31. Ibid., p. 7740.↩︎

  32. Précisions toutefois que le juge se fonde sur la portée limitée de la circulaire, et non sur une application formelle du principe d’égalité : CE, 2ème et 7ème Chambres réunies, 28 février 2019, no 417128 : « En prescrivant d’utiliser le masculin comme forme neutre pour les termes susceptibles, au sein des textes réglementaires, de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes et de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, la circulaire attaquée s’est bornée à donner instruction aux administrations de respecter, dans la rédaction des actes administratifs, les règles grammaticales et syntaxiques en vigueur. Eu égard à sa portée, elle ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes ».↩︎

  33. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 8.↩︎

  34. Ibid., p. 7.↩︎

  35. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 22 : « En ce sens, ce texte est véritablement un texte de liberté. Nos concitoyens peuvent, particulièrement dans certains milieux professionnels, se trouver embarrassés d’avoir à choisir entre utiliser ou non les procédés d’écriture inclusive. Faut-il les employer pour suivre la tendance, même lorsque leur pertinence leur échappe ? Faut-il les éviter, au risque de passer pour un opposant à l’égalité des sexes ? Et que dire des examens ou des lettres de motivation dans lesquels leur emploi ou leur absence conduit à situer le rédacteur, créant de fait un a priori favorable ou défavorable ? C’est pourquoi ce texte est un texte de neutralité : il ôte à nos concitoyens la préoccupation d’opter pour une solution ou une autre en réaffirmant un standard commun, sans brider d’aucune sorte la liberté d’expression. Il évite de devoir choisir, pour complaire à un interlocuteur, l’une ou l’autre forme grammaticale ».↩︎

  36. La sénatrice Pascale Gruny, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7732 : « Certains syndicats et enseignants affichent d’ailleurs publiquement leur résistance et leur détermination à en poursuivre la diffusion dans les classes. L’écriture inclusive devient la norme dans certains journaux ; on ne s’en étonne plus dans la communication des entreprises ni dans les publicités de marques grand public. On la retrouve même gravée sur des plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville de Paris ».↩︎

  37. Ibid. p. 7733 : « Son usage s’est répandu rapidement à l’université. Certains professeurs encouragent cette pratique en rédigeant des énoncés d’examen en écriture inclusive et en proposant à leurs étudiants d’y répondre de la même manière. D’autres ont déclaré qu’ils risquaient de perdre leur charge d’enseignement s’ils refusaient d’utiliser ce type d’écriture ».↩︎

  38. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 21 : « Il s’agit également de prévenir l’emploi de l’écriture dite inclusive dans des sujets d’examen pour ne pas créer de difficulté supplémentaire inutile, et d’empêcher la reproduction de situations – déjà arrivées – dans lesquelles un étudiant pourrait avoir à choisir entre l’emploi ou non de l’écriture inclusive dans ses réponses et possiblement subir une discrimination dans sa notation ».↩︎

  39. Le sénateur Jacques Grosperrin lors des travaux en commission (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 32).↩︎

  40. Le sénateur Yan Chantrel lors des travaux en commission (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 29) : « D’un point de vue juridique, il semblerait que cette proposition soit inconstitutionnelle, en ce qu’elle porte atteinte au principe de libre communication des pensées et des opinions consacré par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui avait déjà valu une censure partielle de la loi Toubon. Elle contrevient aussi aux engagements pris par la France en droit international, en particulier son engagement à assurer l’égalité et la liberté d'expression de chaque personne, comme l’a rappelé le juriste Benjamin Moron-Puech lors des auditions ».↩︎

  41. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 22 : « La proposition de loi vient conforter de façon opportune les objectifs de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, ainsi que le principe de sécurité juridique ».↩︎

  42. CE, Société Nationale de Protection de la Nature et d'Acclimatation de France, Section de l'intérieur, 15 juin 2021, no 402737.↩︎

  43. TA Grenoble, 11 mai 2023, précité.↩︎

  44. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 13.↩︎

  45. Ibid., p. 5.↩︎

  46. Exposé des motifs de la proposition de loi Gruny.↩︎

  47. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 9 : » Ce n’est donc pas une forme de langage neutre d’un point de vue politique : c’est une écriture militante ».↩︎

  48. La sénatrice Pascale Gruny, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7733 : « Inspirons-nous de ses mots pour combattre une idéologie qui met en péril la clarté et la distinction de notre langue ».↩︎

  49. Le sénateur Aymeric Durox lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 32).↩︎

  50. Académie française, Lettre ouverte sur l'écriture inclusive, 7 mai 2021, https://www.academie-francaise.fr/actualites/lettre-ouverte-sur-lecriture-inclusive : « En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe ».↩︎

  51. Les termes « idéologie », « violence », « réforme immédiate et totalisante », « arbitraire et non concertée » sont utilisés notamment par la députée Isabelle Périgault lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 33). Voir encore les interventions des sénateur.ice.s Étienne Blanc et Else Joseph lors de la séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7738 et p. 7743.↩︎

  52. Voir l’intervention très éclairante du député Julien Odul lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 31 : « L’écriture inclusive est un véritable cancer pour la langue française. Symbole de la déconstruction et du wokisme, elle est utilisée par des militants fanatiques pour détruire chaque jour un peu plus l’héritage de la France ainsi que son patrimoine culturel et naturel. Cette maladie de la déconstruction contamine jusqu’aux écoles et aux universités, elle sévit dans certains manuels scolaires et dans certains cours. Par soumission idéologique ou par effet de mode, certains vont même jusqu’à l’imposer au sein d’entreprises où les salariés sont contraints de capituler ».↩︎

  53. Séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7734.↩︎

  54. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 35 : « La liberté d’opinion est totale, elle s’exprime par la langue, et non pas dans la langue, la nuance est de taille ».↩︎

  55. Voir pour une remise en question étayée par le droit positif et par les travaux scientifiques existant sur le sujet : Benjamin Moron-Puech, « La grammaire peut-elle être illicite ? La réponse de l’arrêt GISS et Fourtic », op. cit., p. 124-143.↩︎

  56. Comme le soutiennent d’ailleurs plusieurs parlementaires de gauche durant les débats (le sénateur Yan Chantrel, la sénatrice Mathilde Ollivier, la sénatrice Laurence Rossignol ou encore la sénatrice Mélanie Vogel). Voir sur ce point les travaux d’Éliane Viennot, notamment Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, éditions iXe, 2014, 2017, nouvelle édition 2022.↩︎

  57. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 14.↩︎

  58. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 27.↩︎

  59. Le sénateur Yan Chantrel lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 29).↩︎

  60. Séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7750.↩︎

  61. Voir sur cette question : Benjamin Moron-Puech, Anne Saris, Léa Bouvattier, « La normalisation étatique de l’inclusivité du langage. Retour sur les différences franco-québécoises », Cahiers du Genre, 2020/2, n° 69, p. 151-176.↩︎

  62. Après l’article 19 de la loi n° 94‑665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, il est inséré un article 19‑1-I : « Les documents qui, en application de la présente loi, doivent être rédigés en français ne remplissent pas cette condition lorsqu’il y est fait usage de pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ».↩︎

  63. TA Paris, 14 mars 2023 précité. Pour le juge administratif, l’écriture inclusive relève bien de la langue française, il n’y a donc pas lieu d’en interdire son utilisation par l’administration.↩︎

  64. Proposition de loi n° 321 d’Anne-Laure Blin visant à sauvegarder la langue française et à réaffirmer la place fondamentale de l’Académie française.↩︎

  65. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 6.↩︎

  66. Conseil constit., décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, loi relative à l’emploi de la langue française, cons. 8.↩︎

  67. Séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7736.↩︎

  68. La députée Géraldine Bannier lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 33) : « La langue n’a simplement pas vocation à être réglementée. L’Académie française veille à la clarté de la langue ; elle est une vigie indispensable et reconnue. Malgré tout, le principe reste l’usage, et la liberté d’expression s’impose depuis toujours, l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 instaurant l’emploi de la langue française ‘et non autrement’ ».↩︎

  69. Le sénateur Yan Chantrel, séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7738.↩︎

  70. Amendement n°AC7 de Caroline Yadan (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 23).↩︎

  71. Définition inspirée de la circulaire de 2017, modifiée par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale (amendement n°AC2 de Caroline Yadan, rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 22).↩︎

  72. Ce problème est notamment souligné par Yan Chantrel lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 29).↩︎

  73. Le sénateur Pierre Ouzoulias lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 31).↩︎

  74. Cet argument est notamment défendu par la sénatrice Mélanie Vogel, séance du 30 octobre au Sénat, op. cit., p. 7752.↩︎

  75. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 22.↩︎

  76. Stéphanie Hennette-Vauchez, « Les nouvelles frontières de la laïcité : la conquête de l’Ouest ? », Revue du droit des religions, 4/2017, p. 19-32.↩︎

  77. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 6.↩︎

  78. Exposé des motifs de la proposition de loi Gruny.↩︎

  79. Voir l’exposé des motifs. L’interdiction s’imposait ainsi documents commerciaux, aux informations du public, aux documents distribués aux participants des colloques en France, aux contrats de travail, au règlement intérieur de l'entreprise, aux accords collectifs, aux documents distribués aux représentants des salariés, aux avertissements sur le fonctionnement des machines, aux documents à fournir aux membres d'un équipage, aux instructions de sécurité, aux documents d'information des émetteurs de titres négociables, aux statuts des organismes (OPCVM, sociétés de financement, fonds d'investissement...).↩︎

  80. La députée Caroline Yadan lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 42).↩︎

  81. Le député Stéphane Lenormand lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 36).↩︎

  82. Amendement n°AC7 de Caroline Yadan (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 23).↩︎

  83. Voir encore la récente proposition de résolution n° 2212 Invitant le Gouvernement à mesurer le périmètre et la profondeur d’infiltration de l’écriture dite « inclusive » au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 14 février 2024.↩︎

  84. Rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 9.↩︎

  85. Rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 21.↩︎

  86. Les député.e.s Jérémie Patrier-Leitus et Sarah Legrain lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 43-44).↩︎

  87. Voir Roger Chudeau lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 44 : « Il n’y a aucun problème dans le fait que les universitaires décident d’étudier la langue de près, y compris sous l’angle de l’écriture inclusive. Personne de cherche à s’en prendre aux libertés académiques ».↩︎

  88. « L’égaconditionnalité, défendue par le Haut conseil à l’égalité (HCE) depuis 2013, consiste à conditionner l’attribution de financements publics ou des autorisations administratives au respect de principes et de pratiques égalitaires entre les femmes

    et les hommes » (HCEfh, Pas d’argent public sans égalité. Plaidoyer pour un financement public au service de l’égalité, édition 2022, https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_pas_d_argent_sans_egalite_-_plaidoyer_pour_un_financement_public_au_service_de_l_egalite-2.pdf, p. 2.↩︎

  89. Proposition de loi n° 834 d’Emmanuelle Anthoine visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par les administrations publiques, les personnes morales en charge d’une mission de service public et les bénéficiaires de subventions publiques, déposée 14 février 2023 ; proposition de loi n° 321 d’Anne-Laure Blin visant à sauvegarder la langue française et à réaffirmer la place fondamentale de l’Académie française, déposée le 11 octobre 2022.↩︎

  90. Le sénateur Pierre Ouzoulias lors des travaux en commission au Sénat (rapport de Cédric Vial, op. cit., p. 37).↩︎

  91. Amendement n°AC13 de Jérémie Patrier-Leitus (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 23).↩︎

  92. Le rapporteur Thiériot lors des travaux en commission à l’Assemblée nationale (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 43).↩︎

  93. Sous-amendement n° AC 17 de Jean-Louis Thiériot (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 23).↩︎

  94. Amendement n°AC14 de Jérémie Patrier-Leitus complétant l’article L. 611-1 du Code de l’éducation (rapport de Jean-Louis Thiériot, op. cit., p. 23).↩︎

  95. Le sénateur Adel Ziane, séance publique du 30 octobre 2023 au Sénat, op. cit., p. 7745.↩︎