La construction de la protection constitutionnelle de l’avortement par la Cour constitutionnelle colombienne

Nicole Amaya Monroy

Catalina Martínez Coral












Résumé :

En Colombie, bien que le droit à l'avortement ne soit pas expressément reconnu par le texte de la Constitution, il jouit d’une telle protection grâce à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. qui a, dans plus de vingt arrêts, établi des normes garantissant l’accès à l'interruption volontaire de grossesse. L'arrêt historique C-055 de 2022 a ainsi dépénalisé l'avortement jusqu'à vingt-quatre semaines de gestation au nom du « droit à décider ». Pendant ce délai, les femmes, hommes trans et personnes non binaires peuvent donc accéder à cette prestation médicale librement. Cet arrêt, et plus largement la ligne jurisprudentielle défendue en la matière par la Cour constitutionnelle colombienne, permet d’affirmer que le droit à l’avortement en Colombie est un droit constitutionnellement garanti. La présente contribution se propose de mettre en lumière la manière dont le droit à l'avortement a été construit par la Cour constitutionnelle, qui l’a notamment fait découler d’autres droits fondamentaux, tels que le droit à la santé et les droits reproductifs.

Mots-clés : avortement, colombie, droit constitutionnel

Abstract:

In Colombia, although the right to abortion is not expressly recognized in the text of the Constitution, it enjoys such protection thanks to the jurisprudence of the Constitutional Court. which, in over twenty rulings, has established norms guaranteeing access to voluntary interruption of pregnancy. The landmark ruling C-055 of 2022 decriminalized abortion up to 24 weeks' gestation, in the name of the "right to decide". During this period, women, trans men and non-binary people can access this medical service freely. This ruling, and more broadly the line of jurisprudence defended by the Colombian Constitutional Court in this area, means that the right to abortion in Colombia is a constitutionally guaranteed right. The present contribution aims to shed light on the way in which the right to abortion has been constructed by the Constitutional Court, in particular by deriving it from other fundamental rights, such as the right to health and reproductive rights.

Introduction

  1. Récemment, le Congrès français a approuvé l'inscription de l'avortement dans la Constitution. S'il s'agit d'une avancée historique qui mérite d'être célébrée haut et fort, il est important de souligner que d'autres pays dans le monde ont déjà accordé une protection constitutionnelle à l’interruption de grossesse. C'est le cas de la Colombie où, bien que le droit à l'avortement ne soit pas expressément reconnu par le texte de la Constitution, il jouit d’une telle protection grâce à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

  2. En Colombie, la Cour constitutionnelle a, dans plus de vingt arrêts1, établi des normes garantissant l’accès à l'interruption volontaire de grossesse2. L'arrêt historique C-055 de 2022 a ainsi dépénalisé l'avortement jusqu'à vingt-quatre semaines de gestation au nom du « droit à décider ». Pendant ce délai, les femmes, hommes trans et personnes non binaires peuvent donc accéder à cette prestation médicale librement. Cet arrêt, et plus largement la ligne jurisprudentielle défendue en la matière par la Cour constitutionnelle colombienne, permet d’affirmer que le droit à l’avortement en Colombie est un droit constitutionnellement garanti. Il s’agit de démontrer ici l’existence de ce droit et de mettre en lumière la manière dont il a été construit par la Cour constitutionnelle, qui l’a notamment fait découler d’autres droits fondamentaux, tels que le droit à la santé et les droits reproductifs. Pour ce faire, nous nous appuierons sur quatre éléments.

  3. Premièrement, nous mettrons en lumière la trajectoire jurisprudentielle du droit à l’avortement entre 2006 (arrêt C-355) et 2022 (arrêt C-055) (I). Deuxièmement, nous aborderons les résistances de certains juges constitutionnels à la décision de 2022 et ses conséquences. En effet, l’une des chambres de la Cour constitutionnelle a décidé de ne pas respecter la décision de 2022 : elle a ignoré le précédent jurisprudentiel en la matière3. La décision rendue par cette chambre a suscité des inquiétudes quant à une éventuelle régression du droit à l’avortement en Colombie. Cependant, cette décision a été annulée par la « chambre plénière » de la Cour constitutionnelle qui a saisi l’occasion pour réaffirmer l’existence d’une protection constitutionnelle de l’avortement en Colombie (II). Dans la troisième section, nous soutiendrons que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle doit être lue et analysée comme consacrant un droit autonome à l'avortement. Cependant, même si l’autonomie de ce droit venait à être remise en cause, l'interruption volontaire de grossesse serait de toute façon protégée constitutionnellement, en tant que « composante » du droit à la santé et des droits reproductifs (III). Enfin, en guise de conclusion, nous soulignerons les tensions et ambivalences qui traversent l’encadrement juridique de l’avortement en Colombie. En effet, si ce dernier est protégé constitutionnellement, il n’en demeure pas moins toujours sanctionné par le code pénal. L’IVG est donc aujourd’hui encadrée non pas par le droit de la santé mais par le droit pénal. Or, il s'agit d'une contradiction qui, dans la pratique, affecte les droits fondamentaux des femmes et restreint leur autonomie et leur liberté personnelle.

I. La construction progressive d’un droit à l’avortement (2006-2022)

  1. La dépénalisation de l'avortement en Colombie s'est faite par le biais d’une succession de décisions rendues par la Cour constitutionnelle. On peut, de manière schématique, distinguer trois temps jurisprudentiels4 . Le point de départ est un arrêt de 2006. L’arrêt C-355 acceptait la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse dans trois situations : en cas de risque pour la vie ou la santé de la personne, en cas de malformation du fœtus incompatible avec la poursuite de sa vie, et lorsque la grossesse est le résultat d’un viol, d'un inceste ou d'une insémination artificielle non consentie5. Cet arrêt marquait les prémisses d’une appréhension de l’IVG comme une prestation médicale, comme un « service de santé ». Ces dispositions ont ensuite été consolidées par l'arrêt SU-096 de 2018 et, plus récemment, par l'arrêt C-055 de 20226. Dans ce premier mouvement jurisprudentiel, la Cour ne consacre pas un droit fondamental autonome à l'avortement, mais protège ses différentes dimensions en se référant à d'autres droits fondamentaux, tels que le droit à l'intégrité7, les droits des personnes handicapées8, le droit à la dignité humaine9, le droit à la santé10, les droits sexuels et reproductifs11 et le droit à la liberté12.

  2. Le deuxième temps se caractérise par une reconnaissance expresse de l'avortement comme un droit fondamental autonome. La Cour constitutionnelle a affirmé qu'il « est indéniable que, depuis l'arrêt C-355 de 2006, un véritable droit à l'interruption volontaire de grossesse est né en Colombie pour les femmes qui entrent dans les trois circonstances dépénalisées »13.

  3. Le troisième temps consiste enfin en une période une consolidation de la jurisprudence de la Cour, qui va jusqu’à imposer à l’État des obligations positives en la matière. En effet, dans cette troisième période, la Cour constitutionnelle colombienne a eu à traiter de litiges relatifs aux obstacles empêchant un accès effectif à l'interruption volontaire de grossesse. Dans l'arrêt SU-096 de 2018, elle affirme non seulement qu’il existe un droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse14 mais plus encore que ce droit impose une série d’obligations à l’État. En l’espèce, il s’agissait d'une femme qui s’était vue refuser l’accès à une IVG alors même qu’elle se trouvait dans un des cas de figure lui permettant, en théorie et conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, d’avorter puisque la poursuite de la grossesse mettait en danger sa santé et sa vie. Cependant, plusieurs centres de santé lui en avaient refusé l'accès, soit sans raison, soit parce qu'ils ne pouvaient pas mettre en œuvre les « protocoles nécessaires »15. La Cour constitutionnelle a ici décidé que le refus de pratiquer l'avortement constituait une violation des droits fondamentaux de la femme enceinte : droit à la santé, à la vie digne et droits reproductifs. La Cour a également établi les obligations de protection découlant du droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse. Par conséquent, la Cour a conclu que « s'agissant d'un droit fondamental, [le droit à l'avortement] oblige tous les fonctionnaires et organes de l'État, les prestataires de sécurité sociale publics et privés et les particuliers à le respecter et à le mettre en œuvre »16. L'arrêt de 2018 est donc décisif puisqu’il considère que le droit à l’avortement protège l’autonomie, la liberté et la liberté décisionnelle des femmes. En tant que « composante » des droits reproductifs, il jouit des mêmes garanties que ces derniers. Partant, l’arrêt fait découler du droit à l’avortement des obligations d’abstention et de prestation contraignantes.

  4. La Cour a consolidé cette jurisprudence dans une vingtaine de décisions, principalement en examinant des actions de protection (acciones de tutela) que les femmes ont présentées devant les juges pour garantir leur droit à avorter après avoir rencontré des obstacles dans l’accès à l’avortement17. À travers ces affaires, la Cour a progressivement reconnu que l'avortement – exercé dans les conditions prévues par l’arrêt de 2006 – était un droit fondamental de « protection immédiate », ce qui signifie qu'il peut être protégé par le biais d'une action de protection. Plus encore, elle a progressivement interdit les entraves à l’avortement constituées par des exigences procédurales supplémentaires (comités médicaux, autorisations de tiers, multiples certificats médicaux, etc.), des retards injustifiés, des mauvais traitements ou des commentaires désinvoltes de la part des professionnels de santé. Elle a ajouté que le service doit être disponible sur tout le territoire national. Nous constatons donc une large protection constitutionnelle du droit à l'avortement, dès lors qu’il est demandé dans l’un des trois cas de figure autorisés.

  5. Cependant, malgré cette protection les femmes colombiennes continuaient à peiner pour accéder à ce service de santé. Les barrières étaient encore plus évidentes pour les femmes vivant dans les zones rurales du pays, où l'accès au système de santé est généralement plus limité. Les freins à l’accès étaient – et continuent d’être – exacerbés lorsque les femmes sont susceptibles d’être discriminées en raison de leur origine ethnique ou de leur précarité. Ainsi, on estime qu’en 2016 en Colombie, 400.400 avortements étaient réalisés chaque année et seulement entre 1 % et 9 % – selon la source – de ces procédures étaient réalisées dans les trois conditions énoncées dans l'arrêt de 2006, majoritairement dans les principales villes du pays18. Le reste des femmes étaient obligées d’avoir recours à des avortements illégaux.

  6. C’est dans ce contexte d’absence d’accès effectif à l’avortement que cinq organisations19 ont déposé, en 2020, un recours constitutionnel, au nom du mouvement féministe Causa Justa20, contre l'article du code pénal qui prévoit le crime d'avortement. L’objectif était d'obtenir une décision de la Cour sur l’inconstitutionnalité d’un tel crime, et d’aboutir à une dépénalisation complète de l'avortement21. En réponse à ce recours, la Cour a rendu, en 2022, l'arrêt C-055 : celui-ci dépénalise l'avortement jusqu'à la vingt-quatrième semaine de grossesse, établissant un modèle mixte de protection. Pendant les vingt-quatre premières semaines de grossesse, la femme décide seule et librement d’interrompre sa grossesse. Après ce délai, l'accès n’est possible que dans les trois cas de figure énoncés par la Cour constitutionnelle dans son arrêt de 2006.

  7. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle a estimé que la pénalisation continue de l’IVG pendant toute la durée de la grossesse met en tension plusieurs droits et garanties constitutionnels. La Cour a analysé ces tensions et répondu à quatre des principaux griefs soulevés par le recours : (1) les garanties liées au droit à la santé et aux droits reproductifs, (2) la protection contre les discriminations des femmes en situation de vulnérabilité et en situation migratoire irrégulière, (3) la liberté de conscience et, finalement, (4) la finalité constitutionnelle de prévention générale de la peine et le caractère extrême du droit pénal qui ne doit être utilisé qu’en dernier recours.

  8. Le premier argument examiné est relatif à la protection du droit à la santé et des droits reproductifs. Sur cette question, la Cour constitutionnelle a considéré que le crime d'avortement, tel qu'il était formulé dans le code pénal, entrait en conflit avec le droit à la santé et les droits sexuels et reproductifs. En effet, elle estime que la pénalisation de l'interruption volontaire de grossesse, dans les termes prévus par l'ancienne réglementation pénale, encourage la pratique d’avortements clandestins, et partant, affecte la réalisation d’avortements (sanitairement) sécurisés22. Ces avortements non sécurisés constituent un danger pour la santé, l'intégrité et la vie des femmes, des filles et des personnes enceintes. De plus, la Cour estime que le droit à la santé inclut l'interruption volontaire de la grossesse, cette inclusion étant pensée comme une garantie de la vie, de la dignité et de la santé publique des avortantes23. Pour ces raisons, la réglementation dans le code pénal en tant que seul dispositif de régulation de l'avortement affecte le droit à la santé et les droits sexuels et reproductifs et, en outre, empêche de considérer des moyens alternatifs de régulation de l'interruption volontaire de la grossesse par le biais des services de santé reproductive24.

  9. Le deuxième argument examiné par la Cour constitutionnelle porte sur la protection contre la discrimination des femmes en situation de vulnérabilité et en situation migratoire irrégulière. À cet égard, la Cour constitutionnelle a souligné que les personnes qui souffrent le plus des conséquences sanitaires néfastes de la pénalisation de l'avortement sont les femmes et les filles qui vivent en conditions de vulnérabilité25. Selon la Cour elles « sont exposées à des facteurs intersectionnels de discrimination qui les rendent encore plus vulnérables » 26. Pour cette raison, l'État devrait promouvoir et garantir une politique de santé intersectionnelle et protectrice des questions de genre, plutôt que de recourir à la pénalisation comme première option de régulation.

  10. En ce qui concerne le troisième argument, la Cour constitutionnelle a considéré que le crime d'avortement (bien que l’acte soit consenti par la personne), tel qu'il était en vigueur à ce moment-là, entrait en conflit avec la liberté de conscience des femmes, des filles et des personnes enceintes, notamment en ce qui concerne leur possibilité d'agir conformément à leurs convictions et d’exercer leur autonomie reproductive. La Cour constitutionnelle a conclu ainsi que la liberté de conscience protège l'intégrité physique et émotionnelle, ainsi que la dignité de la personne qui la revendique et a affirmé que la décision de procréer ou non affecte le projet de vie des personnes et qu'il s'agit d'une « affaire très personnelle, individuelle et intransférable » 27. C’est avec ce raisonnement que la Cour a protégé l’avortement – à la seule demande de la personne enceinte – de façon libre jusqu’à la vingt-quatrième semaine de gestation.

  11. Le quatrième et dernier argument concerne la façon dont le crime d’avortement entre en conflit avec deux principes généraux du droit pénal. D’une part, il était question du principe constitutionnel de prévention générale de la peine, qui impose à l’infraction définie par le code pénal d’être « adéquate » c’est-à-dire de protéger efficacement les biens juridiques protégés et de dissuader les personnes de commettre les comportements qu'elle cherche à réprouver28. Dans le cas de la pénalisation de l'avortement, la Cour constitutionnelle a établi que, bien qu'elle semble vouloir protéger la vie en gestation, elle ne remplissait pas cet objectif car la pratique montre toujours la réalisation d'avortements, la plupart du temps clandestins et dangereux29. À cet égard, la Cour constitutionnelle a soutenu que la peine prévue pour le crime d'avortement n'est pas appropriée pour protéger le bien juridique de la vie en gestation, ni pour dissuader les personnes de recourir à l’avortement et, par conséquent, ne remplit pas la fonction dissuasive du droit pénal30. D’autre part, l’arrêt évoque la règle de l’utilisation du droit pénal comme mécanisme de dernier recours ou ultima ratio. Son objectif est de ne recourir au droit pénal qu’en dernier recours et de favoriser la mise en œuvre d'autres moyens de contrôle moins nocifs et moins restrictifs de liberté. Dans la mesure où d'autres mesures moins graves et moins restrictives des libertés auraient pu être utilisées pour encadrer l’avortement dans le système de santé au lieu du système criminel, la Cour tranche en faveur de la dépénalisation.

  12. Ainsi, l'avortement est actuellement autorisé sans motif jusqu'à la vingt-quatrième semaine de gestation et, après cette semaine, selon les trois motifs établis en 2006. L'interruption volontaire de grossesse est réglementée par la résolution 051 de 2023 du ministère colombien de la santé et de la protection sociale. Selon cette résolution, toutes les personnes peuvent avoir accès à ces soins sans aucune distinction fondée sur l'âge, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'ethnie ou le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'ethnie ou la nationalité, la langue, la religion, les opinions politiques ou philosophiques, la religion, les opinions politiques ou philosophiques, le handicap, le statut socio-économique, le statut migratoire ou toute autre situation susceptible d'entraîner une discrimination. L'avortement étant considéré comme un service essentiel et urgent, il doit être garanti sur tout le territoire national, immédiatement, dans un délai maximum de cinq jours et ne peut en aucun cas être suspendu. L'équipe de soins et d'intervention doit être composée d'au moins un professionnel compétent, capable d'assurer l'accès à la procédure, de guider et de conseiller la femme ou la femme enceinte si nécessaire. L'équipe peut comprendre des professionnels des soins infirmiers, de la médecine, de la médecine familiale, de la gynécologie, de la psychologie et du travail social. Il convient de noter que le fait de ne pas disposer de tous les moyens humains (ci-dessus listés) ne doit pas être un obstacle à la réalisation de l’avortement.

  13. Bien qu'elle représente une grande avancée, cette décision ne contribue pas à rendre l’appréhension juridique de l’avortement moins complexe : si la Cour a reconnu l’avortement durant la période des vingt-quatre semaines comme un service de santé garanti par les droits fondamentaux reconnus par la Constitution colombienne, l’arrêt de 2022 ne qualifie pas expressément l’avortement comme un droit fondamental. Or, en s’abstenant de reconnaître l’IVG comme un droit fondamental, elle a ouvert la porte à des interprétations restrictives de la part d'une faction conservatrice de la Cour constitutionnelle dans des décisions ultérieures.

II. Résistance et confirmation de l’existence d’un droit constitutionnel à l’avortement (2023)

  1. La décision C-055 de 2022 a été historique, non seulement pour son contenu mais aussi pour ses effets militants périphériques : en effet, elle a permis la consolidation du mouvement Causa Justa qui continue de travailler aujourd’hui pour la mise en œuvre effective de l’arrêt de la Cour. Cependant, les mouvements conservateurs qui s’opposent au droit à l’avortement continuent eux aussi de se consolider. Sur le plan juridique, ils cherchent à remettre en cause l’arrêt de 2022. C’est ainsi qu’une des chambres (composée de trois juges) conservatrices de la Cour constitutionnelle a rendu les arrêts T-430 de 2022 et T-158 de 2023, qui présentaient des arguments juridiques en contradiction avec la ligne jurisprudentielle de la chambre plénière (composée des neuf juges qui constituent l'ensemble de la Cour constitutionnelle). Toutefois, si ces deux décisions (rendues par la chambre conservatrice) ont pu faire craindre un recul de la garantie accordée à l’IVG en Colombie31, les ordonnances 2396 et 2397 (rendues par la chambre plénière) en 2023 ont éteint ces craintes : elles annulent les deux arrêts précédents et confirment le caractère fondamental du droit à l’IVG. Pour mettre en lumière cette confirmation, nous pouvons analyser un par un les arguments invoqués par les arrêts (de la chambre conservatrice) annulés et par les ordonnances d'annulation (de la chambre plénière).

  2. Les décisions de la chambre conservatrice de la Cour constitutionnelle ont tenté de réduire à néants les effets de la jurisprudence de la chambre plénière rendue en 2022. Tout d’abord, dans l’arrêt T-430 de 2022 32 il s’agissait du cas d'Iris, une jeune fille indigène d'une réserve située dans les départements de Cauca et Risaralda, tombée enceinte à l'âge de 12 ans, ce qui lui a causé de graves séquelles psychologiques. Les psychologues, les travailleurs sociaux et les gynécologues qui l'ont traitée à l'hôpital ont estimé qu'elle remplissait les conditions requises pour bénéficier d'une interruption volontaire de grossesse, mais son prestataire de soins de santé (« EPS »)33 et sa réserve indigène n'ont pas autorisé la procédure. Dans ce contexte, alors qu'Iris était enceinte de six semaines, sa mère a saisi le juge dans le cadre d’une « action de protection » contre l'EPS et la réserve afin de permettre l'interruption de la grossesse de sa fille. Le tribunal de première instance a refusé la protection, estimant que l'opposition de la réserve à l'avortement était couverte par l'autonomie décisionnelle dont jouissent les autorités ethniques, et les a invité, dans le cadre de leurs usages, coutumes et règlements internes, à mettre en place des mécanismes de prévention des grossesses non désirées, des méthodes de planification familiale et une assistance en matière de santé sexuelle et génésique, afin d'éviter à l’avenir des événements tels que ceux qui se sont produits en l'espèce.

  3. Dans l'arrêt T-158 de 2023 il s’agissait du cas d'Emma, une femme indigène qui s’est vue refuser l’interruption de sa grossesse par l’Entité de protection de la santé indigène (EPS-I) et par sa réserve car elle ne remplissait pas, selon eux, l’un des motifs énoncés dans l'arrêt C-355 de 2006. Emma a présenté une action de protection devant le juge afin de pouvoir accéder à l’avortement. Son recours a été rejetée en première instance en raison, à nouveau, de l'autonomie décisionnelle des groupes indigènes en la matière. Le juge a aussi mis en garde l'EPS-I en lui demandant par rapport à la procédure de l’avortement : « (i) d'évaluer de manière complète, certaine et exhaustive les raisons qui justifieraient l'exécution de l’avortement, en tenant compte des particularités de la situation, et (ii) si nécessaire, avec le consentement préalable et éclairé du demandeur, d'explorer des alternatives à l'avortement visant à garantir la protection de la vie pendant la grossesse en tant qu'objectif constitutionnel impératif et valeur transcendantale pour l'harmonie des peuples autochtones affiliés à l'EPS, sans affecter intensément le droit à la santé et les droits reproductifs des membres de la communauté »34.

  4. À propos de ces deux décisions de première instance (qui rejettent toutes deux les requêtes), la quatrième chambre de la Cour constitutionnelle a affirmé que les raisons, l'opportunité et les conditions de la pratique de l'avortement jusqu'à la vingt-quatrième semaine, en dehors des trois motifs qui régissaient avant cette avancée, n'avaient pas encore été définies par le législateur. Cette chambre avait l’intention de mettre en évidence un prétendu vide normatif à cet égard. Selon l'analyse faite dans ces arrêts, il n'était donc pas possible de déduire de l'arrêt C-055 de 2022 un droit fondamental à l'avortement, ni la légalisation de sa pratique ou l'obligation pour le système de santé de le fournir35.

  5. Par conséquent, selon cette chambre de la Cour, tant que le législateur ne réglemente pas la question, les institutions et les médecins auxquels l'avortement est demandé dans le délai des vingt-quatre semaines et pour des raisons autres que les trois motifs autorisés par l'arrêt C-355 de 2006, peuvent décider de refuser de réaliser un avortement. Pour ce faire, ils doivent concilier, au cas par cas, le devoir de protection graduelle et progressive de la vie pendant la gestation avec la dignité et les droits des femmes enceintes, en se fondant sur les raisons invoquées pour accéder à un l'avortement, l'état d'avancement de la grossesse et les implications pour la santé de la femme. Ces considérations, selon les juges, entendent également protéger l’autonomie de la communauté indigène pour laquelle la vie en gestation a une valeur importante.

  6. Cette approche « au cas par cas » ouvrait une brèche très dangereuse pour les droits des femmes en général et les droits des femmes indigènes en particulier. Le fait de demander aux médecins d’effectuer une pondération des droits et protections constitutionnelles en fonction des circonstances de l’espèce pouvait conduire à des décisions arbitraires sur l’opportunité de réaliser l’avortement. Le fait aussi de prioriser l’autonomie collective indigène sur l’autonomie individuelle des femmes indigènes pouvait avoir un impact disproportionné sur le droit à la santé, le droit à l’égalité, les droits reproductifs, le droit à la liberté de conscience et la dignité humaine des femmes, comme le montrent les cas d'Iris et d'Emma.

  7. En réponse à ces décisions, des demandes d'annulation ont été déposées par l'une des requérantes, par le Ministère de la santé et de la protection sociale, par le mouvement Causa Justa et par d’autres organisations d’autres pays. En conséquence, la chambre plénière de la Cour constitutionnelle, composée cette fois de neuf juges, a rendu les ordonnances d’annulation 2396 et 2397 de 202336. Ces ordonnances ont annulé les arrêts T430 et T159 de la quatrième chambre pour méconnaissance de l'autorité constitutionnelle de la chose jugée. Dans ces ordonnances, la Cour constitutionnelle a analysé la portée de l'arrêt C-055 de 202237 afin de définir la reconnaissance du droit à accéder à l'interruption volontaire de grossesse, l’obligation existante pour l’État et ses prestataires de santé de garantir l’accès à ce service et la garantie qu'aucune autorité ne peut réduire le degré de protection obtenu pour ce droit.

  8. Dans ces ordonnances d'annulation, la Cour a rappelé que la reconnaissance du droit à l'interruption volontaire de grossesse comporte deux aspects. Une facette négative (« de défense ») qui empêche d’interdire l'interruption volontaire de grossesse (sans motif spécifique jusqu'à vingt-quatre semaines de grossesse et avec un motif spécifique après ce délai) ; et une autre facette positive (« de prestation ») qui impose de garantir les conditions d'accès effectif au système de santé pour pouvoir interrompre sa grossesse et l'élimination corolaire des entraves à l'exercice des droits des femmes enceintes38. La Cour analyse la manière dont le droit à l'avortement trouve un fondement direct dans les dispositions constitutionnelles et internationales qui reconnaissent le droit à l'égalité, à la liberté personnelle, à la liberté de conscience et aux droits sexuels et reproductifs39. La Cour conclut ainsi que sa décision l'arrêt C-055 de 2022 est le reflet de la ligne jurisprudentielle qui s'est construite depuis 200640.

  9. Quant aux femmes indigènes, la Cour a rappelé qu’aucune autorité ne peut réduire à néant le degré de protection accordés aux femmes par l’arrêt C-055. Cela vaut également pour les autorités indigènes : puisque la décision d’accéder à un avortement est une décision individuelle, personnelle, elle ne peut pas être transférée, pas même à la communauté indigène. Admettre le contraire reviendrait à conférer aux femmes indigènes un degré de protection inférieur à celui accordé à toutes les autres femmes qui habitent le territoire national41.

  10. Plus particulièrement, la Cour constitutionnelle a repéré trois failles dans les arrêts de la quatrième chambre, ce qui lui a permis d’en prononcer l’annulation. Premièrement, elle a estimé que l'interprétation selon laquelle l'arrêt C-055 de 2022 n'implique que l'élimination d'une interdiction légale et pénale de l'interruption volontaire de grossesse avant vingt-quatre semaines est incorrecte, puisque - s’il est vrai qu’elle implique une interdiction de criminaliser l’avortement -, l’interprétation faite par la Cour implique aussi un devoir de l’État de garantir l’accès au service d’avortement42. Deuxièmement, la quatrième chambre a mal interprété les obligations imposées, par la Cour, au législateur : elle ne lui impose pas de déterminer les conditions d’accès à l’avortement avant la vingt-quatrième semaine43 ; elle lui impose de mettre en place une réglementation (excluant le recours au droit pénal) qui élimine les obstacles à l’accès à l’IVG et prend en compte l’absence de primauté de la vie anténatale sur la dignité et les droits des femmes. Troisièmement, affirmer qu'il existe un vide normatif qui oblige les professionnels de santé à effectuer une analyse au cas par cas pour estimer si la femme peut ou non accéder à l'interruption volontaire de grossesse, c'est ignorer l'existence de la pondération constitutionnelle qui a déjà été effectuée par la Cour en 202244. En outre, laisser l'accès à l'avortement à la discrétion du personnel de santé empêche d’éradiquer les avortements clandestins et dangereux, ce qui était l'objectif premier de la décision C- 055 de 202245. En plus, cela impliquerait de leur attribuer le pouvoir d'effectuer une analyse constitutionnelle non seulement interdite, mais qui plus est incompatible avec la dignité humaine. Enfin, la chambre plénière reconnaît que la décision d'assumer la maternité est une décision très personnelle, individuelle et non transférable, qui ne saurait être confiée à des tiers46.

  11. Les arrêts de la chambre plénière de 2023 réaffirment donc le droit à l'avortement comme un droit fondamental et autonome. De plus, la prétendue tension entre la protection de l’autonomie décisionnelle des communautés autochtones et l'autonomie des personnes qui souhaitent interrompre leur grossesse a été résolue, dans la mesure où l'interruption volontaire de grossesse a été confirmée comme un droit personnel, individuel et inaliénable. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle protège l’avortement à travers d'autres droits fondamentaux, c’est pourquoi, il continuerait de toute façon à être protégé, à titre subsidiaire, à travers d’autres droits.

III. La protection de l’avortement à titre subsidiaire par le droit à la sante et les droits reproductifs

  1. Malgré la reconnaissance d’un droit fondamental à l’avortement par la Cour, il ne cesse d’être remis en cause. Ces contestations nient notamment l’existence d’un droit fondamental autonome à l’avortement. Or, s’il n’est pas aisé en Colombie de procéder à un revirement de jurisprudence47, cela ne signifie pas qu’aucune régression de la protection constitutionnelle (ou légale) de l’IVG n’est possible : les risques d’une possible régression continuent d’exister. Il y a encore des personnes qui préconisent un retour à la pénalisation et il y a encore des obstacles à l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Il suffit de mentionner les dix-sept requêtes qui ont été déposées pour renverser l'arrêt C-055 de 202248 ou les référendums qui ont tenté de protéger la vie dès la conception en modifiant la Constitution49, entre autres tentatives de méconnaitre ce droit. Même si aucune de ces initiatives n’a prospéré50, des efforts continuent d’être déployées pour revenir sur la protection de l’VG. L’un des enjeux de ces tentatives est la reconnaissance consensuelle de l’absence de droit à l’avortement expressément reconnu par l’ordre juridique colombien.

  2. C’est pourquoi, même si la Cour constitutionnelle protège l’IVG en tant que « droit autonome », il demeure important d’analyser d’autres fondements subsidiaires à la protection constitutionnelle de l’avortement, comme le droit à la santé ou les droits reproductifs. Chacun de ces droits fait l'objet d'une jurisprudence solide et repose sur l'interprétation par la Cour de différents articles de la Constitution. Le droit à la santé, bien qu'il ne figure pas dans le chapitre sur les droits fondamentaux de la Constitution, mais plutôt dans la section sur les droits économiques, sociaux et culturels, a été établi par la jurisprudence comme protégeant d'autres droits fondamentaux, et a donc été traité comme tel. Les droits sexuels et reproductifs ne sont pas explicitement mentionnés dans la Constitution, mais la Cour constitutionnelle a dérivé leur signification d'articles connexes, développé leur contenu et les a encadrés en tant que droits fondamentaux.

  3. Ainsi, même si les détracteurs venaient à faire reconnaitre qu’il n’existe pas de droit autonome à l’IVG expressément reconnu par le droit colombien, ce droit demeurerait protégé, cette fois en tant que « composante » d’autres droits, comme le droit à la santé (A) ou les droits reproductifs (B).

A. Le droit à la santé comme fondement du droit à l’IVG

  1. Bien que l'avortement soit reconnu comme un droit fondamental autonome, il est également, selon l'interprétation donnée par la Cour constitutionnelle, protégé indirectement par le droit à la santé51. Or ce rattachement au droit à la santé est important car il fait peser des obligations de prestation sur l’État : en effet, le droit à la santé impose à la puissance publique une obligation positive de fournir la prestation d'interruption volontaire de grossesse. Le droit à la santé n'est pas expressément inscrit dans la Constitution colombienne, mais la Cour constitutionnelle l'a reconnu comme un droit autonome et fondamental et a adopté les normes internationales qui le reconnaissent en tant que droit humain. Ce droit a notamment été reconnu par la décision T-760 de 200852 qui constitue un jalon dans la protection du droit à la santé puisque dans cette décision la Cour le reconnaît comme « un droit fondamental autonome »53. À partir de 2008, la jurisprudence constitutionnelle a avancée « vers une conception des droits fondamentaux fondée sur la dignité des personnes et la pleine réalisation de l'État social de droit »54 de telle sorte que, progressivement, elle a reconnu que le droit à la santé devait être effectivement garanti, et il pouvait être exigé par le biais de l'action de protection de l’État (acción de tutela).

  2. Dans cette décision de 2008, la Cour constitutionnelle s'est fondée sur l'Observation générale n° 14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui énonce que « le droit à la santé est un droit fondamental et indispensable à l'exercice des autres droits humains »55. L'Observation établit trois types d'obligations découlant du droit à la santé pour les États, qui ont été reprises par la jurisprudence constitutionnelle : l'obligation de respecter, l'obligation de protéger et l'obligation de mettre en œuvre. Il couvre également les quatre composantes fondamentales du droit à la santé : la disponibilité, l'accessibilité, l'acceptabilité et la qualité.

  3. Conformément à ce qui précède, la jurisprudence constitutionnelle colombienne a étroitement lié l'interruption volontaire de grossesse au droit à la santé, de sorte que le refus de l'avortement implique une violation de ce droit. Par exemple, depuis la première dépénalisation de l’avortement en 2006, la Cour constitutionnelle a déterminé que l'interdiction pénale de l'avortement est contraire à l'ordre constitutionnel dans le cas où la poursuite de la grossesse constitue un danger pour la vie ou la santé de la femme. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a estimé qu'il serait inadmissible d'imposer « le sacrifice d'une vie déjà formée pour la protection d'une vie en devenir » et a déclaré qu’« il n'y a même pas d'équivalence entre le droit non seulement à la vie, mais aussi à la santé de la mère, et la sauvegarde de l'embryon »56. Ainsi, dans le contexte de la dépénalisation de l'avortement pour motifs spécifiques (dans trois cas de figure), la Cour constitutionnelle a donné un sens large et complet au droit à la santé, dans la mesure où il englobe non seulement la santé physique, mais aussi la santé mentale57.

  4. En outre, dans l'arrêt SU-096 de 2018, qui affirme l'existence d'un droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse, la Cour a considéré que le refus de pratiquer l'avortement constituait une violation des droits fondamentaux à la santé, à la vie digne et aux droits reproductifs. Elle a également précisé les devoirs de protection découlant du droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse en imposant notamment le devoir de fournir une information opportune, suffisante et adéquate sur les questions de reproduction ; le devoir de mettre à disposition les moyens nécessaires pour réaliser une interruption volontaire de grossesse dans tous les établissements de santé et à n'importe quel stade de la grossesse ; le droit à la vie privée en matière de reproduction et le devoir de confidentialité des professionnels de la santé ; le droit des femmes à décider sans contrainte de l'interruption volontaire de grossesse ; le droit à un diagnostic opportun et actuel de l'état et de la condition de leur grossesse ; l'interdiction de retarder la pratique de l'interruption volontaire de grossesse ; le droit des mineurs à décider de leur interruption volontaire de grossesse ; la réglementation du certificat médical et des délais pour la pratique de l'interruption volontaire de grossesse ; ainsi que la réglementation de l'objection de conscience58.

  5. Plus tard, dans l'arrêt de 2022, la Cour a réaffirmé que le droit à la santé inclut l'interruption volontaire de grossesse59 et que la pénalisation de l'avortement comme seule mesure de protection de la vie à naître affecte le droit à la santé60. À cet égard, la Cour constitutionnelle a fait valoir que « le devoir de l'État de respecter le droit à la santé implique, entre autres, le devoir de lever les obstacles qui entravent l'accès aux services nécessaires aux femmes et aux jeunes filles pour jouir de la santé reproductive », parmi lesquels figure l'avortement librement consenti61.

B. Les droits reproductifs comme fondement du droit à l’IVG

  1. Les droits reproductifs ont été reconnus par la Cour constitutionnelle dans le cadre d'une jurisprudence solide et ancienne, qui les associe intimement aux droits des femmes. Le développement du contenu des droits reproductifs découle de l'interprétation des articles 13, 42 et 43 de la Constitution, qui consacrent respectivement l'égalité des droits, le droit de décider librement et de manière responsable du nombre d'enfants, et proscrivent expressément la discrimination à l'égard des femmes. La Cour constitutionnelle en a fait découler la protection des droits reproductifs afin de reconnaître et de protéger le pouvoir des individus de prendre des décisions libres concernant leur sexualité et leur reproduction62. À cette fin, la Cour a pris en considération les droits à la dignité humaine et à l'autonomie individuelle, à la vie dans la dignité, à ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants63, à l'intimité personnelle et familiale, au libre développement de la personnalité, à la liberté de conscience et de religion, à la sécurité sociale et à la santé, entre autres64.

  2. La Cour constitutionnelle a reconnu deux dimensions aux droits reproductifs65. D'une part, une dimension d’abstention immédiate à l’égard d’éventuelles entraves, liée à la liberté, qui implique l'impossibilité pour l'État d'imposer des restrictions injustifiées aux choix de chaque personne. D'autre part, il y a une dimension de prestation, qui impose à l’État d'adopter des mesures positives pour parvenir à la satisfaction de ces droits (reproductifs). Il convient de noter que, bien que les droits reproductifs bénéficient à toutes les personnes, leur reconnaissance répond à la nécessité de faire face à la discrimination historique persistante à laquelle les femmes ont été confrontées et aux stéréotypes de genre qui ont facilité cette discrimination, ainsi qu'à la nécessité de leur réattribuer leur liberté et leur autonomie sexuelles et reproductives66.

  3. L'évolution jurisprudentielle des droits reproductifs a eu lieu dans des cas de procréation assistée67, de stérilisation forcée de personnes handicapées68 et, bien sûr, dans des décisions relatives à l'interruption volontaire de grossesse69. À titre d'exemple, depuis l'arrêt T-274 de 2015, les techniques de procréation assistée sont protégées et garanties. L'arrêt en question portait sur le cas d'une femme qui, avant de subir un traitement de chimiothérapie, a demandé à son prestataire de santé d'autoriser la congélation de ses embryons. Sa demande a été rejetée et la Cour constitutionnelle a réaffirmé sa jurisprudence qui considère les droits reproductifs comme des droits fondamentaux. À cet égard, la Cour a souligné que, sur la base de la Constitution, des traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Colombie et de la jurisprudence constitutionnelle, ces droits reconnaissent et protègent l'autodétermination en matière de procréation et l'accès aux services de santé reproductive70.

  4. C’est ainsi que deux dimensions des droits reproductifs ont été développées, à savoir l'autodétermination reproductive et l'accès aux services de santé reproductive. D'une part, l'autodétermination en matière reproductive est « le droit d'être à l'abri de toute forme d'ingérence dans la prise de décision en matière de procréation, y compris la violence physique et psychologique, la coercition et la discrimination, car on ne doit pas subir d'inégalité de traitement injustifiée sur la base de décisions en matière de procréation, que l'on choisisse d'avoir des enfants ou non »71. Cela inclut les grossesses, les stérilisations et les avortements forcées, et de manière plus générale toutes les situations dans lesquelles le consentement d'un tiers est nécessaire pour admettre la décision d'avoir ou non des enfants. D'autre part, en ce qui concerne l'accès aux services de santé reproductive, la Cour constitutionnelle a été guidée par les normes établies par le droit international. Par exemple, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a établi que le refus de fournir des services de santé reproductive aux femmes dans des conditions légales est discriminatoire72. De même, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a affirmé que les services de santé reproductive doivent être développés dans un souci de disponibilité, d'accessibilité et de qualité73.

  5. Le fait que l'avortement soit reconnu comme un droit reproductif et que, à leur tour, les droits reproductifs soient reconnus comme fondamentaux dans le système juridique colombien revêt une grande importance lorsqu'il s'agit de protéger le droit à l'interruption volontaire de grossesse. De cette manière, le droit à l'avortement a été protégé à travers les droits reproductifs dans plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle colombienne. Par exemple, l'arrêt SU-096 de 2018 concerne le cas d’une femme qui, après le diagnostic de malformation fœtale et la faible possibilité de survie extra-utérine du fœtus, a demandé un avortement74, qui lui a été refusé par trois institutions différentes. La longue durée de la procédure lui a causé une dépression et de l'anxiété. Pour cette raison, la requérante a déposé une action en protection contre son prestataire de soins et, bien qu'elle ait finalement réussi à avorter, la Cour constitutionnelle a sélectionné son cas pour révision75.

  6. Dans ce cadre, la Cour constitutionnelle a établi que « le droit à l'interruption volontaire de grossesse appartient à la catégorie des droits reproductifs et, par conséquent, partage leur orientation, leur fondement et leur contenu obligatoire »76. Bien qu'au moment du jugement de la Cour constitutionnelle, l'interruption volontaire de grossesse avait déjà été pratiquée, l'arrêt SU-096 de 2018 a consolidé le cadre constitutionnel et la portée des droits reproductifs et a confirmé que l'avortement relève de ces droits.

Conclusions sur les risques liés à la criminalisation persistante de l’avortement

  1. En résumé, l’accès à l'interruption volontaire de grossesse de droit fondamental apparaît protégé par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, comme un droit fondamental autonome. Cela découle des précédents jurisprudentiels établi par la Cour depuis 2006. En outre, l'annulation des arrêts qui refusaient l’accès à l'avortement (des femmes indigènes) sous prétexte que l'avortement n'était pas un droit fondamental, a permis de définir et préciser le sens et la portée juridique de l’arrêt historique de 2022 et la portée fondamentale du droit à l'avortement libre et sans conditions de motif dans un délai de vint-quatre semaines.

  2. Dès lors qu’il soit ou non considéré comme autonome, le droit à l’IVG est largement protégé dans la mesure où il a été reconnu comme faisant partie du droit à la santé et des droits reproductifs. Ainsi, l'interruption volontaire de grossesse est pleinement reconnue et protégée en vertu des normes constitutionnelles et internationales de protection qui ont été adoptées dans le système juridique colombien.

  3. Cependant, la réflexion sur le droit à l’avortement en Colombie serait incomplète si l'on ne tenait pas compte du risque latent de criminalisation et de restriction des droits des femmes qui persiste en Colombie. Le crime d'avortement n'a pas encore été supprimé du code pénal, la Cour constitutionnelle n'ayant rendu que des décisions impliquant une interprétation de ce crime. Cette persistance du crime dans le système juridique colombien crée un système double, selon lequel, d'une part, l'accès à l'interruption volontaire de grossesse est un droit fondamental protégé par des garanties constitutionnelles et, d'autre part, il est toujours considéré comme un comportement criminel lorsqu'il s'écarte des exception établies et qui sont constitutionnellement protégées (à la seule demande de la femme pendant les premières vingt-quatre semaines de gestation et, ensuite, dans trois cas de figure dégagés par l’arrêt de 2006)77. Ce cadre légal, bien qu’il produise des effets concrets, continue de produire des effets politiques, sociaux et symboliques ambivalents : il met en place une protection incomplète de la dignité des femmes et maintient une sanction sociale à l’égard de l’avortement78. En effet, la criminalisation persistante de l'interruption volontaire de grossesse stigmatise toujours l’avortement, ce qui peut complexifier la mise en œuvre des garanties reconnues au droit à l'avortement. Caractériser l'avortement comme un droit fondamental et, en même temps, le garder dans le code pénal est intrinsèquement contradictoire.

  4. La criminalisation de l'avortement doit être remise en question à la lumière du principe d’intervention minimale du droit pénal, qui limite l’utilisation du droit pénal aux seuls cas où il n'y a pas d’autres alternative. L'évaluation qui a été faite dans la jurisprudence colombienne, entre la protection de la vie pendant la grossesse et les droits des femmes, continue d'être effectuée dans le cadre du droit pénal, alors qu'elle devrait l'être dans le cadre du droit médical79. Bien qu'il existe actuellement un certain niveau de médicalisation de l'avortement en Colombie, comme le fait qu'il soit réglementé par la résolution 051 de 2023 du Ministère de la santé et de la protection sociale80, sa criminalisation demeure fortement problématique.

  5. Il est essentiel de considérer que la réglementation de cette question par le biais du droit médical permet non seulement une protection progressive et graduelle de la vie à naître, mais elle est également conforme au précédent établi par la Cour constitutionnelle et la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Artavia Murillo c. Costa Rica81. Par conséquent, toute protection accordée à l’échelle constitutionnelle continuera à être menacée jusqu’à ce que l’infraction soit complètement abolie et la question régulée par le droit à la santé. De cette manière, non seulement le droit à l'avortement dans son caractère autonome et fondamental sera garanti, mais en plus, le droit à la santé et les droits sexuels et reproductifs de toutes les femmes, filles, hommes trans et personnes non binaires seront mieux protégés.

Nicole Amaya Monroy (Université Los Andes, Colombie)

Catalina Martínez Coral (Directrice régionale Amérique Latine et Caraïbes du Center for Reproductive Rights)

Article édité par Eleonora Bottini et Laurie Marguet



Références

  1. Cour constitutionnelle de Colombie, arrêts : C-355 de 2006 ; T-171 de 2007 ; T-636 de 2007 ; T-988 de 2007 ; T-209 de 2008 ; T-946 de 2008 ; T-009 de 2009 ; T-388 de 2009 ; T-585 de 2010 ; T-841 de 2011 ; T-959 de 2011 ; T-636 de 2011 ; T-627 de 2012 ; T-532 de 2014 ; C-754 de 2015 ; C-274 de 2016 ; T-301 de 2016 ; C-327 de 2016 ; T-694 de 2016 ; T-697 de 2016 ; T-731 de 2016 ; C-341 de 2017 ; SU-096 de 2018 ; T-284 de 2020 ; C-055 de 2022 ; T-430 de 2022 ; T-158 de 2023 ; A2396 de 2023 et A2397 de 2023.↩︎

  2. La Cour constitutionnelle colombienne exerce un contrôle de conventionnalité à l’égard de la Convention Américaine des droits de l’homme, le Pacte International des droits civils et politiques et d’autres conventions des droits humains des Nations Unies, ainsi qu’à l’égard des décisions des Cours et Comités qui ont l’autorité d’interpréter ces instruments internationaux.↩︎

  3. Le précédent judiciaire a été défini par la Cour constitutionnelle de Colombie comme un jugement ou un groupe de jugements qui, en raison de leur similitude dans les problèmes juridiques résolus, doivent être pris en compte par les autorités lorsqu'elles rendent une décision. La Cour constitutionnelle a rappelé que toutes les autorités, y compris les autorités judiciaires, sont tenues de respecter les précédents établis par la Cour. Voir : Cour constitutionnelle de Colombie, deuxième chambre de révision, arrêt T-411 du 8 novembre 2018.↩︎

  4. Ces étapes ont été identifiées par la Cour constitutionnelle dans plusieurs décisions, telles que les arrêts 2396 de 2023 et 2397 de 2023.↩︎

  5. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-355 du 10 mai 2006.↩︎

  6. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022.↩︎

  7. Cour constitutionnelle de Colombie, 3e chambre de révision, arrêt T-171 du mars 2007. Cour constitutionnelle de Colombie, 3e chambre de révision, arrêt T-946 du 2 décembre 2008.↩︎

  8. Cour constitutionnelle de Colombie, 7e chambre de révision, arrêt T-988 du 20 novembre 2007.↩︎

  9. Ibid ; Cour constitutionnelle de Colombie, 8e chambre de révision, arrêt T-388 du 28 mai 2009.↩︎

  10. Ibid ; Cour constitutionnelle de Colombie, 9e chambre de révision, arrêt T-209 du 28 février 2008.↩︎

  11. Cour constitutionnelle de Colombie, 3e chambre de révision, arrêt T-946 du 2 décembre 2008.↩︎

  12. Cour constitutionnelle de Colombie, 8e chambre de révision, arrêt T-388 du 28 mai 2009. Cour constitutionnelle de Colombie, 3e chambre de révision, arrêt T-946 du 2 décembre 2008.↩︎

  13. Cour constitutionnelle de Colombie, 8e chambre de révision, arrêt T-585 du 22 juillet 2010, par. 19, traduit de l’espagnol : « resulta innegable que, a partir de la Arrêt C-355 de 2006, surgió en Colombia un verdadero derecho a la interrupción voluntaria del embarazo en cabeza de las mujeres que se encuentran incursas en las tres hipótesis despenalizadas » (toutes les traductions sont des autrices)↩︎

  14. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt SU-096 du 17 octobre 2018.↩︎

  15. La plaignante a déclaré lorsqu'elle a demandé la procédure : « à la Fundación Santa Fe (...) le médecin m'a examinée et m'a dit qu'ils ne pouvaient pas effectuer la procédure, de là ils m'ont envoyée à l'hôpital San José mais ils ne l'ont pas fait non plus parce que selon eux cet établissement n'a pas le protocole pour effectuer la procédure, je suis allée à Compensar EPS et ils m'ont informée que la procédure pouvait être effectuée à l'hôpital la Victoria mais ils n'ont pas voulu effectuer la procédure là non plus » (arrêt SU-096 de 2018, par. 127).↩︎

  16. Ibid., par. 37, traduit de l’espagnol : « al tratarse de una garantía ius fundamental, [el derecho a la IVE] compromete en su respeto y realización a todos los servidores y órganos del Estado, a los prestadores públicos y privados de seguridad social y a los particulares ».↩︎

  17. Parmi ces arrêts figurent les décisions de « tutela », permettant de résoudre des cas individuels de violation des droits, ainsi que d'autres actions en matière de constitutionnalité, qui permettent la contestation de normes du système juridique.↩︎

  18. La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, « Barreras de acceso a la Interrupción Voluntaria del Embarazo en Colombia », 2016, https://bit.ly/2IZqnTR.↩︎

  19. Center for Reproductive Rights, La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, Women’s Link Worldwide, El Grupo Médico por el Derecho a Decidir et Católicas por el Derecho a Decidir.↩︎

  20. Causa Justa est un mouvement composé d'organisations de femmes, de féministes et de défenseurs des droits de l'homme dont l'objectif est d'obtenir l'élimination du crime d'avortement du code pénal colombien. Plus d'informations ici : https://causajustaporelaborto.org/↩︎

  21. Le modèle de la dépénalisation totale de l'avortement a été adopté par des pays et des États fédéraux qui ont opté pour une réglementation sanitaire de ce droit. C'est le cas du Canada, avec l'arrêt R. c. Morgentaler ; du Territoire de la capitale australienne, en Australie, avec un amendement en 2002 ; et de l'État de New York, aux États-Unis, où le crime d'avortement a été supprimé du code fédéral, grâce à la « loi sur la santé génésique » de 2019. Voir Dávila Contreras, María Ximena et al, « Descriminalizar para proteger. Modelos alternativos de regulación del aborto: despenalización total y regulación sanitaria en Canadá, Australia y Nueva York. », Derecho en breve, n°14 (2021). https://www.dejusticia.org/publication/descriminalizar-para-proteger-modelos-alternativos-de-regulacion-del-aborto-despenalizacion-total-y-regulacion-sanitaria-en-canada-australia-y-nueva-york/.↩︎

  22. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022, par. 324.↩︎

  23. Ibid., par. 333.↩︎

  24. Ibid., par. 334-335.↩︎

  25. Ibid., par. 351-369.↩︎

  26. Ibid., par. 337 : « (…) las mujeres denunciadas por el delito de aborto consentido y quienes más graves consecuencias sufren en su salud están expuestas a factores interseccionales de discriminación que las hacen aún más vulnerables ».↩︎

  27. Ibid., par. 392 : « un asunto personalísimo, individual e intransferible ».↩︎

  28. Ibid., par. 427.↩︎

  29. Ibid., par. 435.↩︎

  30. Ibid., par. 427, et 435-443.↩︎

  31. Les médias colombiens ont ainsi annoncé les décisions de la Cour constitutionnelle et les implications qu'elles pourraient avoir, voir par exemple : Lewin, Juan Esteban et Díaz, Daniela, « Una sentencia de la Corte Constitucional amenaza el derecho al aborto », El País, 14 juin 2023 ; Albarracín, Mauricio et Tamés, Regina, « Ni un paso atrás: el aborto en Colombia bajo amenaza », El País, 23 juin 2023 ; Radio Nacional de Colombia, 13 juin 2023, « El aborto no es un derecho fundamental ».↩︎

  32. Cour constitutionnelle de Colombie, quatrième chambre de révision, arrêt T-430 du 30 novembre 2022.↩︎

  33. Les prestataires de soins de santé, connus sous le nom d'EPS en Colombie, sont les entités responsables de l'enregistrement et de l'affiliation des individus au système de soins de santé. Ils sont également autorisés à fournir les procédures requises dans le cadre du système de santé.↩︎

  34. Cour constitutionnelle de Colombie, quatrième chambre de révision, arrêt T-158 du 15 mai 2023, traduit de l’espagnol : « Valoren de manera completa, cierta y exhaustiva las razones que justificarían su realización, en atención a las particularidades de la situación, y (ii) de ser el caso, con el consentimiento previo e informado de la solicitante, exploren alternativas a la IVE dirigidas a garantizar la protección de la vida en gestación como finalidad constitucional imperiosa y valor trascendental para la armonía de los pueblos indígenas afiliados a la EPS, sin afectar intensamente el derecho a la salud y los derechos reproductivos de las comuneras ».↩︎

  35. En d'autres termes, elle ne ferait pas partie du système de soins de santé, de sorte que le paiement ne serait pas couvert par l'assurance maladie et que les établissements de soins de santé (tels que les hôpitaux et les cliniques) ne seraient pas obligés de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse.↩︎

  36. Même si les jugements de la Cour Constitutionnelle ont l’autorité de la chose jugée et qu'aucun appel n'est admis, le même tribunal a reconnu la possibilité de déclarer la nullité de ce qui a été décidé à condition que la décision implique une violation des procédures régulières. En ce sens, la chambre plénière de la Cour Constitutionnelle peut annuler, soit d'office, soit à la demande de l'une des parties, l'une des condamnations prononcées par l'une de ses chambres. Voir Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, ordonnance 2396 du 11 octobre 2023.↩︎

  37. La Cour a fait une analyse des points examinés dans l'arrêt C-055 de 2022 : le droit à la santé et les droits reproductifs, le droit à l'égalité des femmes en situation de vulnérabilité et en situation migratoire irrégulière, la liberté de conscience, la finalité préventive de la peine et l'appréciation par la Cour constitutionnelle des droits constitutionnels en question.↩︎

  38. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, ordonnance 2396 du 11 octobre 2023, par. 104 et 106.↩︎

  39. Ibid., par. 108 et 120. La Cour a constaté que les arrêts protection tutelle cherchaient à limiter la portée de l'arrêt C-055 de 2022 à une question strictement pénale. Cependant, cela est incompatible avec les prémisses sur lesquelles la décision était fondée, à savoir que des normes constitutionnelles qui reconnaissent les droits fondamentaux, le droit à la protection de l'État est dérivé dans le but de garantir les conditions d'accès au système de santé pour la pratique de l'avortement et l'élimination correspondante des obstacles à l'exercice de cette pratique. En outre, dans les arguments relatifs à l'inconstitutionnalité de l'intervention de l'État dans une sphère de décision qui échappe à la femme enceinte pendant une période qui s'étend jusqu'à la vingt-quatrième semaine de gestation incluse. Elle est également incompatible avec la pratique interprétative consolidée de la Cour, qui a commencé avec l'arrêt C-355 et a été consolidée dans l'arrêt C-055. Par conséquent, le champ d'application du dispositif de l'arrêt C-055 a été soumis à une restriction inacceptable dans les arrêts incriminés, ce qui est ouvertement contraire à l'article 243 de la Constitution.↩︎

  40. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, ordonnance 2396 du 11 octobre 2023, par. 108 et 120.↩︎

  41. Ibid., par. 112 et 124.↩︎

  42. Ibid., par. 118-127 ; 130-141.↩︎

  43. Ibid., par. 128-138 ; 142-150.↩︎

  44. Ibid., par. 139-147 ; 151-158.↩︎

  45. Ibid., par. 156.↩︎

  46. Ibid., par. 146 et 157.↩︎

  47. Les arrêts qui ont consolidé la jurisprudence de la Cour colombienne sur le droit à l’avortement sont protégés par l'autorité constitutionnelle de la chose jugée, ce qui implique que ce qui y est décidé est immuable, contraignant et définitif (Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, ordonnances 2396 et 2397 du 11 octobre 2023). Pour que la Cour puisse, exceptionnellement, réexaminer la constitutionnalité de l'article du code pénal qui criminalise l'avortement et prononcer une nouvelle condamnation dans un sens différent de celui de l'arrêt C-055, l'une des trois circonstances suivantes doit se produire : i) un changement dans les normes qui ont constitué le point de référence pour juger de la constitutionnalité de la norme contestée ; ii) un changement dans le sens matériel de la Constitution découlant de changements sociaux, économiques ou politiques, ou iii) lorsque la norme déjà examinée est intégrée dans un nouveau contexte normatif ou lorsque le système normatif dans lequel elle est inscrite a été modifié (Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022).↩︎

  48. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, ordonnance 243 du 1° mars 2023.↩︎

  49. Registre national de l'état civil, résolution n° 10109 du 17 mai 2023, par laquelle est archivée l'initiative citoyenne visant à promouvoir le référendum constitutionnel d'approbation dénommé « Referendo Provida », déposée sous le numéro RCA-2022-02-003 de 2022.↩︎

  50. Les demandes d'annulation présentées contre l'arrêt C-055 de 2023 ont été rejetées par la Cour constitutionnelle par le biais de l'ordonnance 243 de 2023. De leur côté, les deux référendums constitutionnels ont été refusés par les Résolutions du Registre national de l'état civil nos 10109 de 2023 et 26655 de 2023.↩︎

  51. Ce lien entre le droit à la santé et l'IVG est mis en évidence dans une ligne de jurisprudence qui commence avec l'arrêt C-355 de 2006 et comprend d'autres arrêts qui seront mentionnés tout au long de cette section.↩︎

  52. Cour constitutionnelle de Colombie, 2e chambre de révision, arrêt T-760 du 31 juillet 2008.↩︎

  53. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022, par. 292 : « se avanzó definitivamente desde la concepción prestacional del servicio a la salud a considerarlo como un derecho fundamental autónomo ».↩︎

  54. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022, par. 290.↩︎

  55. Cour constitutionnelle de Colombie, 2e chambre de révision, arrêt T-760 du 31 juillet 2008, par. 3.4.↩︎

  56. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-355 du 10 mai 2006, par. 10.1, traduit de l’espagnol : “el sacrificio de la vida ya formada por la protección de la vida en formación”; “no hay ni siquiera equivalencia entre el derecho no sólo a la vida, sino también a la salud propio de la madre respecto a la salvaguarda del embrión”.↩︎

  57. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-355 du 10 mai 2006.↩︎

  58. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt SU-096 du 17 octobre 2018.↩︎

  59. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a considéré que : « le devoir de respect du droit à la santé incombant à l'État implique, entre autres, le devoir de lever les obstacles normatifs qui empêchent l'accès aux services nécessaires pour que les femmes et les filles jouissent d'une santé reproductive. L'une de ces barrières est la forme actuelle de pénalisation catégorique et comme seule mesure de régulation sociale de la problématique sociale et de santé publique complexe que constitue l'avortement avec consentement. (...)“. par. 333 : « el deber de respeto al derecho a la salud a cargo del Estado implica, entre otras cosas, el deber de remover los obstáculos normativos que impidan el acceso a los servicios necesarios para que mujeres y niñas gocen de salud reproductiva. Una de dichas barreras la constituye la actual forma de penalización categórica y como única medida de regulación social de la compleja problemática social y de salud pública que supone el aborto con consentimiento. (…) ».↩︎

  60. Ibid.↩︎

  61. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022, par. 287 : « el deber de respeto al derecho a la salud a cargo del Estado implica, entre otras, el deber de remover los obstáculos que impidan el acceso a los servicios necesarios para que las mujeres y niñas gocen de salud reproductiva ».↩︎

  62. Cour constitutionnelle de Colombie, arrêts T-732 de 2009 ; T-585 de 2010 ; T-627 de 2012 ; T-274 de 2015 et C-093 de 2018, entre autres.↩︎

  63. La Cour constitutionnelle a déclaré que : « (...) les droits reproductifs découlent des protections du droit à la dignité, des articles 10 et 12 de la CEDAW, de l'article 12 du PIDESC et des droits à ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants et à l'intégrité personnelle en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme » ; Cour constitutionnelle de Colombie, cinquième chambre de révision, arrêt T-697 de 2016, 13 décembre 2016.↩︎

  64. Cour constitutionnelle de Colombie, arrêts C-533 de 2006, T-627 de 2012, T-697 de 2016 et C-093 de 2018, entre autres.↩︎

  65. Cour constitutionnelle de Colombie, Chambre plénière, arrêt SU-074 du 20 février 2020.↩︎

  66. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt SU-096 du 17 octobre 2018.↩︎

  67. La Cour constitutionnelle a revu la ligne jurisprudentielle sur la procréation assistée dans l'arrêt SU-074 de 2020.↩︎

  68. Par exemple, les arrêts de la Cour constitutionnelle colombienne T-573 de 2016 ; C-186 de 2016 ; T-665 de 2017 ; T-690 de 2016 ; T-239 de 2019 ; entre autres.↩︎

  69. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt C-055 du 21 février 2022.↩︎

  70. Cour constitutionnelle de Colombie, 6e chambre de révision, arrêt T-274 du 12 mai 2015, par. 4.3.3.↩︎

  71. Cour constitutionnelle de Colombie, 8e chambre de révision, arrêt T-627 du 10 août 2012, par. 34 : « el derecho a estar de libres de todo tipo de interferencias en la toma de decisiones reproductivas, incluida la violencia física y psicológica, la coacción y la discriminación, pues no se deben sufrir tratos desiguales injustificados por razón de las decisiones reproductivas, sea que se decida tener descendencia o no ».↩︎

  72. Dans l’arrêt C-055 de 2022, la Cour Constitutionnelle évoque le Comité CEDAW, « Recommandation générale n° 24 : Les femmes et la santé », 2 février 1999.↩︎

  73. Dans l’arrêt C-055 de 2022, la Cour Constitutionnelle évoque le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Observation générale n° 22 : Le droit à la santé reproductive », 2 mai 2016.↩︎

  74. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt SU-096 du 17 octobre 2018.↩︎

  75. Lorsque les citoyens introduisent une action en protection, celle-ci est examinée en première instance par une cour ou un tribunal. Tous les dossiers de tutelle sont renvoyés à la Cour constitutionnelle, mais tous ne sont pas examinés par elle. Une chambre de sélection choisit les affaires qui seront examinées par la Cour constitutionnelle. La sélection de l'affaire dépend de sa pertinence pour établir de nouvelles procédures ou affirmer la protection d'un droit fondamental.↩︎

  76. Cour constitutionnelle de Colombie, chambre plénière, arrêt SU-096 du 17 octobre 2018, par. 37 : « El derecho a la interrupción voluntaria del embarazo pertenece a la categoría de derechos reproductivos y, por tanto, comparte su orientación, fundamento y contenido obligacional ».↩︎

  77. Center for Reproductive Rights, “How would the elimination of the crime of abortion in Colombia benefit girls and adolescents?”, 2021, https://www.ninasnomadres.org/alza-la-voz/wp- content/uploads/2021/11/Como-beneficiaria-a-las-ni%C3%B1as-y-adolescentes-la-eliminacion-del-delito-de- aborto-en-Colombia.pdf, (en français: « Dans quelle mesure l’élimination du crime d’avortement en Colombie bénéficierait-elle aux filles et aux adolescentes ? »)↩︎

  78. La Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, “Causa Justa. Argumentos para el debate sobre la despenalización total del aborto en Colombia”, 2019, https://bit.ly/3koGWMb (en français : “Just Cause. Arguments pour le débat sur la dépénalisation totale de l'avortement en Colombie »).↩︎

  79. Dávila Contreras, et al. « Descriminalizar para proteger… », op. cit.↩︎

  80. Ministère de la Santé et de la Protection sociale, Résolution n° 051 de 2023, par laquelle est adoptée la réglementation unique pour les soins complets en réponse à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la section 4.2 des directives techniques et opérationnelles est modifiée. Itinéraire de soins de santé adopté par la résolution 3280 de 2018, 12 janvier 2023.↩︎

  81. Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme, Affaire Artavia Murillo et al. (« Fécondation in vitro ») c. Costa Rica, série 257, 28 novembre 2012.↩︎