Loreleï Morisseau-Leleux

Résumé :
À partir d’une enquête combinant des entretiens, des observations et une étude documentaire, cet article interroge les recompositions des frontières juridiques et spatiales de la rétention administrative. Dans un contexte de criminalisation croissante et en partie genrée des étranger·es et de durcissement des dispositifs migratoires, ce travail rend compte d’un double mouvement dans les centres de rétention administrative (CRA) en France hexagonale : les populations sortant de prison y sont grandissantes et les femmes, elles, sont mises à l’écart, au profit d’une assignation à résidence. Ces évolutions récentes se donnent à voir dans les textes et les actes, mais également dans les espaces et les vécus de ces lieux de privation de liberté.
Mots-Clés : Rétention administrative ; assignation à résidence ; criminalisation des étranger·es ; menace à l’ordre public
Abstract :
Based on a survey combining interviews, observations, and documentary research, this article examines the reshaping of the legal and spatial boundaries of administrative detention. Against a backdrop of increasing gendered criminalization of foreign nationals and stricter migration regulations, the article highlights a dual trend in administrative detention centers in France: a growing number of detainees are coming from prison, and women are increasingly being placed under house arrest instead of detention. These recent developments are evidenced not only by legal texts and practices but also by the spaces and lived experiences within these sites of confinement.
Keywords : Administrative detention; House arrest ; Criminalization of foreigners ; Threat to public order
Dès le début de leur institutionnalisation
dans les années 1980, la définition juridique des centres de rétention
administrative (CRA) a créé la polémique. L’affaire de l’entrepôt
d’Arenc, qui servait à la préfecture de police de Marseille à enfermer
des étranger·es sans aucune base légale, a été révélée avec le concours
de l’avocat Sixte Ugloni1. Dès lors, des tentatives se sont
succédé pour encadrer la rétention administrative, d’abord avec une
circulaire en date du 21 novembre 1977 demandant l’enfermement des
étranger·es dans des établissements pénitentiaires en vue de leur
expulsion, annulée par le Conseil d’État le 7 juillet 19782.
Après plusieurs tentatives de redéfinition, notamment autour du temps de
rétention, la loi « sécurité et liberté » du 2 février 1981 légalisa
ensuite le principe de rétention administrative des étranger·es
« pendant le temps nécessaire à leur départ ».
La création et la définition des frontières juridiques, temporelles et spatiales des centres de rétention s’inscrit dans des politiques migratoires françaises et européennes de plus en plus restrictives depuis les années 1970. La migration pour le travail s’essouffle et, peu à peu, les étranger·es perdent leur statut de travailleureuses à exploiter3, voire de victimes, pour devenir des « indésirables »4. Les hommes seuls, plus particulièrement sans papiers, deviennent « [les agresseurs] que les États ont pour mission d’éliminer »5. Ce basculement s’opère à travers un processus de criminalisation, dans lequel les logiques sécuritaires se mêlent à des représentations racialisées et genrées des migrant·es6. La figure du migrant « indésirable »7, désignant le plus souvent les étrangers non-occidentaux, est produite et renforcée par les discours politiques et médiatiques8. À l’inverse, la figure idéal-typique du réfugié apparaît comme un « récipiendaire mutique et victime reconnaissante »9. À ce titre, de nombreux dispositifs sont mis en œuvre afin de séparer les migrants sans-papiers que l’on veut renvoyer10 des réfugié·es, que l’on imagine corvéables à merci, les bon·nes migrant·es11.
C’est dans ce contexte de criminalisation des hommes étrangers non intégrés devenus une charge, inutiles à l’économie, que les différents dispositifs de contrôle des migrations voient le jour en Europe et utilisent de plus en plus l’enfermement (camps, zones d’attente, locaux de rétention administrative et plus récemment, renforcement de zones de filtrage et d’enfermement à l’entrée des frontières européennes12). En France, l’allongement de la durée maximale de la mesure de rétention administrative témoigne de ce mouvement : passée de sept à dix jours en 1981, puis de dix à douze jours en 1998, elle atteint quarante-cinq jours en 2011 puis quatre-vingt-dix jours en 201813, avant que son extension à 210 jours ne soit proposée, puis retoquée par le Conseil constitutionnel14. Au-delà, chaque année, de nouveaux CRA sont construits, l’objectif annoncé par les pouvoirs publics étant de parvenir à 3. 000 places disponibles15 au terme de l’année 2027.
À l’intérieur de cet espace, les questions de genre n’ont que rarement été abordées. Pourtant il existe un invariant aux CRA, comme aux prisons : la population féminine y est minoritaire et cette situation est préjudiciable aux femmes16. Les espaces de migration et de contrôle de migration n’échappent pas au continuum des violences sexuelles, structurelles et systémiques. Camille Schmoll constate ainsi que l’« une des caractéristiques de ces migrations forcées des femmes est l’omniprésence de la violence tout au long du voyage »17. L’autrice souligne ainsi à propos de Malte que les « politiques de rétention maltaises ont été genderblind, c’est-à-dire complètement inattentives aux besoins, nécessités et vulnérabilités spécifiques des femmes »18. En France, cela se vérifie dans la loi : les femmes ont toujours été présentes depuis la création et l’institutionnalisation des CRA, mais ne sont citées que depuis 2001 dans les textes juridiques de cadrage des CRA. Un arrêté du 24 avril 200119 précise ainsi les conditions d’application de l’article 17 du décret du 19 mars 200120, obligeant la création de lieux non-mixtes pour la nuit. Mais cela est aussi visible dans la pratique : cet arrêté a mis plusieurs années à être appliqué dans certains CRA21.
Cet article propose de démontrer que les lieux de contrôle des migrations, et plus particulièrement les centres de rétention administrative (CRA), produisent, reproduisent, voire confortent certaines assignations de genre : les hommes, majoritaires, et les femmes, minoritaires, ne sont pas soumis aux mêmes représentations (I). Ces assignations de genre sont engendrées et facilitées par le recours à certains instruments juridiques particuliers, que sont la « menace à l’ordre public » et l’assignation à résidence (II).
Méthodologie La criminalisation des étranger·es, différenciée selon le genre, en France comme en Europe, et le durcissement des dispositifs de contrôle de ces personnes, marquent le début de mes recherches sur les rapports de genre dans les CRA de France hexagonale22, lors d’une recherche déployée d’abord en master (entre 2021 et 2023), puis en thèse de géographie. Ces moments d’enquête ont coïncidé avec un changement de population dans les CRA, ouvrant mon terrain d’enquête aux nouvelles formes que prenait la rétention administrative et à l’utilisation de l’assignation à résidence des étranger·es visé·es par une mesure d’éloignement. Ce travail de recherche s’appuie sur un corpus combinant 43 entretiens lors de visites à des retenu·es dans trois CRA23, à distance puis en dehors du lieu de rétention ; des observations lors de ces temps de visites ainsi qu’au cours de 223 audiences du Juge des Libertés et de la Détention (JLD), réparties dans trois villes différentes ; 11 entretiens avec des personnes assignées à résidence ; des entretiens avec des acteurices agissant autour de la rétention (notamment salarié·es en rétention, associatifs et collectifs) réalisés de manière formelle ou informelle lors d’activités de bénévolat notamment, et enfin, la mobilisation d’un fond d’archives concernant les audiences du JLD dans une des villes, réduite pour le moment à la seule année 202424.
Figure 1 : Évolution de la part des personnes en CRA sortantes de
prison.
Si prisons et CRA sont à l’origine deux entités bien différentes, ce constat montre qu’il existe, et ce, de plus en plus, une continuité entre ces deux institutions. Le « tournant punitif »31 provoque la « hausse du recours à l’enfermement dans les États démocratiques ces dernières années »32 et renforce peu à peu le lien entre prison et CRA. Nicolas Fischer et Matilde Darley avancent que « le contrôle répressif de l’immigration est donc devenu un contentieux central, dont les instructions en matière de “réponse pénale” à apporter aux étrangers en situation irrégulière ne font qu’accentuer la centralité »33. Pourtant, les CRA sont bien distingués des prisons : « [Le CRA] n’est pas une prison car la privation de liberté ne relève pas d’une décision judiciaire. Le placement dans un CRA relève d’une décision administrative. La privation de liberté n’a pas un caractère coercitif. Il faut donc parler de rétention et non de détention ou d’emprisonnement »34. La loi distingue bien les deux entités, précisant que les retenu·es sont placé·es « dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire »35. Le vocabulaire aussi diffère : on ne parle pas de détenu·es mais de retenu·es ; pas de cellules mais de chambres ; pas de parloirs mais de salles de visite. Pourtant, de nombreux éléments, à commencer par les éléments architecturaux et de surveillance nous rappellent l’institution carcérale : les espaces cloisonnés par des murs, des barbelés, des sas et des espaces extérieurs accessibles à certains horaires selon un certain protocole36 ; les personnels policiers et les systèmes de vidéo-surveillance ; les chambres d’isolement pour les personnes retenues représentant un danger pour autrui ou pour elles-mêmes, etc. Ce rapprochement entre les CRA et des institutions à vocation punitive a déjà été relevé, notamment par Mary Bosworth, qui constate une « expansion de la détention [administrative] dans une culture du contrôle »37.
Si les liens entre la rétention et la prison ne sont donc pas nouveaux, la frontière s’estompe matériellement : nous assistons à une carcéralisation des CRA, traduction spatiale des nouvelles orientations prises pour la rétention administrative. Une salariée du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) appuie ce constat dans un entretien en 2022 : « il n’y a qu’à voir les nouveaux CRA construits, il y a beaucoup plus de concertina ou de barreaux dans les unités […] À Vincennes, il y a des grillages autour mais aussi par-dessus, les retenus vivent avec un grillage en permanence au-dessus de leurs têtes ». Cela se vérifie tout le long de mon enquête de terrain, des travaux changent les CRA : des barbelés voient le jour au-dessus des cours, les cours des bâtiments sont compartimentées et des horaires de promenade mis en place…
Journal de terrain, juin 2024 dans un centre de rétention J’arrive devant le CRA et je sonne. J’annonce la personne que je souhaite voir. Je patiente quelques minutes puis un couple de policières me fait entrer. Je donne ma carte d’identité et on m’emmène dans un tout petit préfabriqué où la fouille a lieu. La fouille est sommaire et j’entre avec ce que j’avais prévu d’amener : mon carnet, un crayon, un jeu de cartes, des gâteaux, des crayons de couleurs, des magazines, des cartes, des posters…
Journal de terrain, février 2025, dans le même centre de rétention Aujourd’hui j’ai fait une visite. Les travaux sont presque terminés, on voit du grillage partout. Le ciel est recouvert de grillage, les courettes sont recouvertes de grillage, absolument tout. Les retenus ont désormais des horaires de promenade, comme en prison alors qu’avant la cour était accessible le jour. Ils ne peuvent plus aller non plus dans les zones dites « administratives »38. J’attends quelques minutes avant qu’on m’ouvre et qu’on m’emmène à la fouille. La policière me fait enlever mes chaussures, mes chaussettes, regarde derrière mes oreilles, dans mes cheveux. On me dit que je ne peux rien emmener, juste laisser dehors le paquet de gâteaux et de cigarettes sous blister. Je les interroge « d’habitude je peux, il y a des nouvelles consignes ? ». « Ça, vous voyez, c’est des collègues qui laissent trop passer, nous on applique le règlement et après ça nous retombe dessus ». Le policier et la policière m’accompagnent en salle de visite et me posent beaucoup de questions : « pourquoi vous êtes là ? Comment avez-vous les noms des personnes que vous venez voir ? C’est avec une association ? »
Journal de terrain, juin 2024, retour d’une visite au CRA à un retenu sortant de prison « J’ai profité du moment de la fouille pour discuter avec la policière, il paraît que ça a été un peu tendu au CRA ces derniers temps entre les retenus et le policier·es. Elle me demande si je lui ai ramené des cigarettes, je lui dis que non, elle réagit et me dit que ça risque d’être compliqué. Je lui demande pourquoi : “Il sort de prison et il a plus de quoi s’en acheter, il est turbulent. Maintenant on a que ça des gens qui sortent de prison, ça change l’ambiance, c’est compliqué à gérer. Ils remuent et ils se battent tout le temps […] ’vous y allez toute seule ?”43 »
Depuis 2023, on constate que les centres de rétention administrative retiennent moins de femmes et surtout, que des secteurs “femmes” entiers sont fermés, alors que nous sommes dans un contexte d’ouverture de nombreux CRA. En 2024, les secteurs femmes de deux des CRA choisis pour mon terrain de thèse ont été fermés : le centre en travaux n’est plus rempli à sa capacité maximale et, quand il réouvre courant 2025, tous les bâtiments sont affectés aux hommes, le second suit la même logique. En France hexagonale, la part de femmes en rétention chute donc à 3,8 % de l’ensemble des retenu·es pour l’année 202448. Les secteurs femmes n’ont pas tout de suite été transformés en secteurs hommes mais ce fut le cas à l’automne et cela semble être une décision durable : « Je devrais pas vous le dire, mais il n'y aura plus de femmes au CRA. C'est une décision nationale »49.
Cependant, pour les femmes qui demeurent retenues en CRA, les inégalités de genre font partie intégrante de la vie quotidienne des retenu·es50, elles s’enchevêtrent à d’autres rapports d’oppression, comme la race ou les trajectoires, comme en témoignent les travaux de Gilles Chantraine sur les prisons51, transposables au CRA. Le premier texte qui encadre la présence de femmes date de 2001 et n’impose que la non-mixité des chambres52, bien que le CGLPL ait alerté sur les adaptations nécessaires à l’enfermement de femmes et de familles53 ainsi que l’harmonisation des pratiques en fonction des CRA. En pratique, cette non-mixité est étendue au-delà des zones de nuit et produit une inégalité d’accès à des aménagements dont bénéficient les hommes (comme les activités par exemple). De plus, la répartition géographique des CRA désavantage les femmes. En France hexagonale, sur les dix-neuf CRA existants, seuls trois possèdent à la fin de l’année 2024 des secteurs femmes ouverts : ceux de Metz, Rouen et du Mesnil-Amelot. En effet, les personnes enfermées en CRA le sont, en théorie, dans l’établissement le plus proche de l’endroit où elles sont arrêtées ou, si elles le demandent, peuvent être transférées plus près de leur lieu d’habitation. C’est ainsi que des femmes se retrouvent parfois retenues à plusieurs centaines de kilomètres de chez elles, les éloignant de potentiels cercles de solidarité (ami·es, familles, syndicats ou associations). Le verdict du CGLPL est sans appel : en CRA, être une femme expose davantage à la rupture du lien familial54. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré en 2022 Sarah et Daniela qui appuient ce constat.
Extraits d’entretien Daniela, 20 ans, au CRA depuis 39 jours : En prison, je voyais mes enfants. Maintenant que je suis là, c’est plus loin, ma sœur ne me les amène plus ». Sarah, 47 ans, au CRA depuis 3 mois : « Mes sœurs, elles venaient pour m’apporter des choses avant. Mais là elles ont trouvé un travail, c’est trop long pour elles, tu te rends compte, c’est au moins deux heures de trajet pour elles pour venir. Alors j’attends. Mais j’ai plus cette petite envie quand je savais quand elles arrivent ».
Le CGLPL soulève par ailleurs d’autres problèmes structurels liés à la rétention des femmes en CRA, dont certains sont énoncés dans l’avis du 25 janvier 2016 : « par ailleurs, [les femmes] sont hébergées dans des locaux plus exigus et souvent mal aménagés. Leur accès aux activités est moins facile du fait de la non-mixité des activités et de l'enclavement des lieux réservés aux femmes. […] La mixité doit ainsi être instaurée durant la journée s'agissant de l'accès aux services communs et aux activités. Seul l'hébergement des femmes seules doit être distinct de celui des hommes »55.
Deux problèmes semblent ainsi liés à la non-mixité. D’une part, cette non-mixité impacte l’expérience de l’enfermement et l’accès aux droits des retenues. Au CRA de Rouen par exemple, deux baby-foot étaient installés dans les bâtiments de rétention pour les hommes, mais rien pour les femmes retenues56. En région parisienne, un salarié soulignait lors d’un entretien en février 2022 que les femmes ne venaient pas (ou moins) dans les bureaux car elles se retrouvaient en promiscuité avec des hommes dans la salle d’attente. D’autre part, la non-mixité a un impact sur leurs conditions matérielles de rétention, et j’ajouterais à l’observation du CGLPL que le lieu de rétention et son architecture a un impact sur la situation. Par exemple, il est arrivé qu’il y ait des entorses au respect de la non-mixité, notamment pendant le pic de la pandémie de Covid-19 où des mises à l’isolement de femmes ont eu lieu dans des secteurs pour hommes.
C’est le cas de Diane, une retenue restée pendant presqu’un mois au CRA, avec qui je me suis entretenue au printemps 2023. Testée positive au Covid, elle avait fait l’objet d’une mesure de mise à l’isolement ; mais aucune chambre d’isolement n’était disponible, et toutes les autres chambres des bâtiments femmes et familles étaient occupées. Elle a donc été enfermée à clef dans une chambre du bâtiment destiné aux hommes pendant une semaine, tandis que ces derniers pouvaient aller et venir : « Au début ils [les hommes retenus] venaient taper [la porte] et rigoler, mais bon ils ont eu marre après. C’était pas drôle mais c’était pas ça le pire ; c’était que je pouvais pas sortir dehors ».
Outre l’aménagement de l’espace, facilement étudiable, les rapports interpersonnels entre retenu·es et policier·es sont également façonnés par les rapports de genre. S’il n’y a pas beaucoup de doute sur les violences symboliques, verbales et physiques subies par les retenu·es enfermé·es en CRA57, celles-ci sont rarement étudiées au prisme du genre, en raison notamment de la difficulté d’accès au terrain mais aussi de la composition des centres de rétention. Cependant, lors de mes différentes phases d’enquête, un constat s’est imposé : les femmes retenues semblent moins soumises à des violences physiques que les hommes58. Les femmes apparaissent plus souvent victimes de violences verbales, symboliques des humiliations et moqueries, tandis que les témoignages des hommes à propos de violences s’accordent autour de bagarres ou d’agressions physiques entre retenus ou avec les policiers.
Au cours de mon enquête, j’ai ainsi pu reccueillir des témoignages de violences relevant de cette distinction, liées plus particulièrement à des violences verbales, symboliques, des humiliations et moqueries pour les femmes, tandis que les témoignages des hommes à propos de violences s’accordent autour de bagarres ou d’agressions physiques entre retenus ou avec les policiers.
Extrait d’entretien avec Elena, présente au CRA depuis 12 jours, 2022. « J’aime bien être jolie quand je vais voir mes visites. Pour moi déjà, parce que c’est comme si je sortais, mais aussi pour eux, comme ça ils ne se doutent pas trop. Une fois j’y allais [aux visites] et le policier qui m’a ouvert m’a dit “à quoi ça sert que tu te prépares comme ça ? Tu sais que tu vas pas sortir, hein”. Puis il a rigolé ».
Témoignage anonyme, CRAzette n° 1, août 202159 « Un jour, je suis passée avec une copine dans le couloir, on était en train de prendre des gâteaux à la machine. À ce moment, un policier m’a dit, “mais toi, la grosse, pourquoi tu manges des gâteaux, vous êtes grosse, il faut faire un régime”. À ce moment-là, j’ai jeté le gâteau et j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Je n’ai pas pu sortir de ma chambre. C’était de la méchanceté gratuite. Il y a des petits détails, ou bien des petites choses que les gens disent sont normales ou pas graves. Mais pour quelqu’un qui n’est pas en liberté, qui est enfermé et qui passe un mauvais moment dans sa vie, même un petit mot ça compte pour lui. Ça peut détruire des choses. Les policiers font une guerre psychique, ils veulent vous détruire. C’est ce que j’ai vu là-bas. Je ne parle pas de tous les policiers bien sûr, mais il y a quelques-uns et quelques-unes qui sont connus par tous les retenus ».
Cette différenciation de la violence peut, sans doute, s’expliquer par la manière dont sont perçu·es les retenu·es et la différenciation genrée qui en découle. Là où les hommes étrangers sont plutôt perçus comme des menaces voire des criminels, les femmes sont généralement vues comme des victimes qui ne peuvent être menaçantes que malgré elles. Ainsi, les femmes ne représentent aux yeux des institutions qui organisent les dispositifs migratoires qu’une faible menace de délinquance ou de rébellion60. Dans ces attitudes violentes, le manque de formation des personnels est souvent mis en cause61. Expliquer les violences par le seul manque de formation du personnel est toutefois contestable. Cela revient en effet à individualiser le problème politique et sa solution, sans jamais poser la question du caractère intrinsèquement violent et disciplinaire des dispositifs migratoires. En cela, Mary Bosworth résume bien l’idée que « le contexte du postcolonialisme est essentiel pour comprendre les mouvements mondiaux de personnes et l’utilisation croissante du pouvoir pénal pour gérer la migration irrégulière »62. Il existe en effet bel et bien une essentialisation des comportements de la part des équipes policières. Camille Schmoll évoque un entretien avec un policier italien qui, en parlant des violences subies lors du parcours migratoire, décrit des « Nigériennes prêtes à tout pour de l’argent », des « Érythréennes conscientes » des difficultés, mais un parcours dur pour les Soudanaises et les Éthiopiennes63. Cette essentialisation n’est pas uniquement le fruit du manque de formation des personnels et ne peut s’y résumer. Elle est davantage la conséquence de l’intériorisation par les personnels de leur fonction disciplinaire et répressive, au nom de laquelle ils doivent constamment faire le tri entre les bon·nes et les mauvais·es étranger·es, défini·es donc par le genre mais également par la race.
Les femmes retenues ne sont en outre pas seulement victimes de violences psychologiques et symboliques de la part des personnels ; elles subissent également des violences de la part des hommes retenus.
Extrait d’entretien avec Sarah, 47 ans, au CRA depuis 3 mois, 2023. « En fait tout simplement, je revenais de La Cimade et puis du coup, bah moi je rentrais en zone femmes et puis ce jeune homme, il m'a interpellée. Seulement, il y avait la grille parce que, ben, il voulait m'embrasser. Il m'a dit “Embrasse-moi’” de force, et puis il appuie sur la grille. Donc moi j'ai un peu paniqué. Je lui dis non. Et du coup, ben après, il a fini par partir et puis bah, après, il y a le gradé qui est venu me voir et qui m'a dit ce qu’ils ont pris ma déposition, ils m'ont demandé mon nom, mon prénom, et “il vous a dit quoi ?”. Donc voilà donc, après je compte pas non plus porter plainte contre lui parce que je pense qu'il est déjà dans une situation assez critique, on va dire ouais ; je voulais juste quand même déclarer cet accident pour que ça puisse pas se reproduire ».
Cette forme de violence s’inscrit bien entendu dans l’ensemble des violences sexistes permises par l’ordre normatif. Cependant, dans un contexte de rétention, les « insécurités et les vulnérabilités des femmes sont souvent exacerbées par des conditions d’accueil inadéquates »64. Cela va encore plus loin puisque, de cette organisation du CRA, les moyens de résister ou au moins de demander justice pour ces violences impliquent de risquer de nuire à d’autres retenus. Ainsi, face à ce dilemme, les femmes retenues préfèrent le plus souvent changer leurs pratiques, notamment spatiales. C’est le cas notamment avec l’accès aux locaux de l’association intervenant pour l’accès au droit : lorsqu’elles y vont, c’est en groupe.
La rétention des femmes, par la rareté des CRA où il existe des secteurs qui leur sont dédiés, pose donc de réels enjeux. Ce double mouvement auquel nous assistons, privilégiant la rétention d’hommes sortant de prison tout en libérant les secteurs femmes amène à recomposer ces rapports de genre au prisme de la catégorisation des bon·nes et des mauvais migrants. Il entérine par la même que la distinction et, in fine, le tri qui s’opère entre ces bon·nes et les mauvais migrants prend une tournure explicitement genrée. Ainsi, je défends qu’il s’agit, au CRA, moins d’une différenciation que d’une accentuation de ce qui existe déjà dans les catégorisations des étranger·es en France, le point culminant de cette criminalisation étant, à mon sens, l’utilisation et l’instrumentalisation de la notion de menace à l’ordre public (MOP).
Un homme afghan de 40 ans, suite à une garde à vue sur dénonciation d’un voisin, sans poursuites et aucun antécédent judiciaire évoqué ;
Un homme ivoirien de 54 ans, en sortie d’écrou, 36 condamnations précédentes pour des faits de vols, d’amendes impayées et de consommation de drogues69 ;
Un homme malien de 27 ans, sans antécédents, pour avoir « regardé avec insistance l’intérieur d’une voiture puis avoir fait demi-tour à la vue des forces de l’ordre » ;
Un homme algérien de 26 ans pour les motifs de sa précédente détention ;
Un homme algérien de 30 ans, pour des violences conjugales, sans condamnation pénale.
Ces exemples montrent la diversité des situations dans lesquelles une personne peut être désignée comme constituant une menace grave pour l’ordre public. Les grandes absentes de ces exemples sont les femmes et cela s’explique par plusieurs raisons. En premier lieu, la temporalité de ces observations coïncide avec le moment où elles sont moins enfermées, comme évoqué plus haut. Même s’il est intéressant de noter que dans les archives des observations des audiences JLD réalisées par le Cercle des Voisins de Toulouse70, il n’est jamais fait mention d’une femme représentant une MOP. Cela relève des observations précédentes concernant la criminalisation des étrangers qui se porterait plus fortement sur les hommes et a fortiori sur ceux ayant des antécédents judiciaires. Comme le souligne Mary Bosworth, la rétention des personnes migrantes ne repose pas seulement sur leurs actes, mais sur ce qu’elles incarnent dans l’imaginaire national : une menace diffuse, construite racialement, culturellement et par le genre. Les personnes sont « détenues en raison de ce qu’elles sont (ou ne sont pas). Les similarités dans les représentations des détenus comme criminels, déviants et ‘à risque’ selon des critères de genre et de race »71.
Aux audiences du JLD, l’invocation de la MOP croît tout au long de l’année 2024, comme en témoigne la figure n° 2, réalisée à partir des rapports d’audience du Cercle des Voisins et retraçant 310 jours d’audience72. Les observations de ces comptes-rendus sont toutes saisies de la même manière : une présentation des retenu·es, la décision du JLD et des observations détaillées sur l’audience (paroles des parties retranscrites, observations de moments dans la salle). Une attention particulière est apportée à certaines tournures de phrases et notamment à cette question de la « menace à l’ordre public »73. Nous observons une augmentation générale de l’utilisation de la MOP en audience, tout au long de l’année ; on passe d’un résultat presque nul en janvier à 15 % en juin et entre 22 % et 27 % à l’automne 2024. L’invocation de la MOP et sa caractérisation constituent un critère d’exception permettant d’allonger la rétention au-delà de deux mois (JLD 3 et JLD 4). À la lumière du graphique ci-dessous, on constate que cette référence apparaît désormais de manière régulière dans toutes les phases de l’audience : les courbes correspondant aux JLD 1, 2, 3 et 4 suivent des dynamiques relativement proches. Ce qui ressort plutôt, c’est une montée progressive et continue du nombre total d’occurrences, avec un pic très net à l’automne. Même si les JLD 3 et 4 présentent ponctuellement des hausses plus marquées notamment en juin, octobre et novembre. L’usage de la MOP ne semble pas réservé aux décisions visant un prolongement exceptionnel de la rétention.
Les différenciations entre les différents JLD ne montrent pas une démarcation réelle entre les JLD 1 et 2 d’une part et JLD 3 ou 4 d’autre part. Alors même que la MOP caractérisée représente un critère d’exception permettant, une rétention au troisième mois on observe qu’elle n’est pas ici significativement plus invoquée à ce stade.
Figure 2 : Occurrences de la menace à l’ordre public par mois d'observation des audiences par l'association du Cercle
des Voisins. Traitement des données sur R.
L’utilisation de la notion de menace à l’ordre public participe de la criminalisation des étrangers, mais ne la circonscrit pas : elle est accentuée dans le temps et par d’autres méthodes, comme en témoigne la circulaire du 17 novembre 202274 demandant « d’inscrire systématiquement les personnes faisant l’objet de mesures d’éloignement au fichier des personnes recherchées ». Si cette phrase peut sembler anodine, elle ne l’est pas dans la construction de la criminalisation des étranger·es sans papiers : il suffit désormais de faire l’objet d’une mesure d’éloignement pour figurer sur ce fichier. C’est d’ailleurs l’un des moyens soulevés par la préfecture en audience pour montrer qu’il existe une menace à l’ordre public. La première évocation d’une menace à l’ordre public en dehors d’une condamnation judiciaire ou de ses suites dans la circulaire d’août 2022, précédemment citée, vient renforcer l’idée que les premières cibles de cette réorientation de l’utilisation de l’assignation à résidence sont les hommes sortants de prison. En revanche, nous l’avons vu, ceux-ci ont, pour la plupart, des antécédents qui datent parfois de plusieurs années et qui remettent donc en cause cette caractérisation d’une menace à l’ordre public immédiate et actuelle. En effet, l’instruction du 16 octobre 2017 du ministre de l’Intérieur détaille la notion de MOP comme n’étant pas restreinte à des « troubles à l’ordre public déjà constatés […], mais constitue une mesure préventive, fondée sur la menace pour l'ordre public, c'est-à-dire sur une évaluation de la dangerosité de l'intéressé dans l'avenir ». Enfin, la circulaire du 5 février 202475 insiste sur l’importance de la MOP : « vous pourrez vous appuyer sur cette menace à l'ordre public pour demander la prolongation de la rétention au bout des trente premiers jours (article L. 742-4 du CESEDA), en lieu et place d'une ‘menace d’une particulière gravité’, ainsi que pour les prolongations exceptionnelles de quinze jours (article L. 742-5 du CESEDA) ». La circulaire d’août 2022 indique également qu’« en cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les ESI sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence ». Ainsi, elle introduit l’utilisation d’un nouvel outil comme substitution à la rétention administrative : l’assignation à résidence. De fait, celles-ci augmentent progressivement : elles augmentent de 17 % entre 2021 et 2022, puis de 30 % entre 2022 et 202376.
La tentative d’extension de la rétention jusqu’à 210 jours par la loi du 11 août 202577, censurée en grande partie par le Conseil constitutionnel78, illustre la logique de durcissement : multiplier les lieux tout en allongeant la rétention ne signifie pas nécessairement éloigner davantage de personnes, mais crée surtout une contrainte permanente de faire de la place. Il s'agit dès lors de considérer que « la politique de contrôle des étrangers en situation irrégulière expulse quelques-uns et enferme tous les autres sur le territoire national »79 n'est pas substantiellement modifiée, ni dans sa dimension genrée, ni dans sa dimension sécuritaire : elle n'est que prolongée et à défaut de pouvoir les enfermer, elle les assigne à résidence. Ainsi, si la MOP concerne essentiellement les hommes et participe à leur représentation criminalisée, les assignations à résidence poursuivent un autre objectif : favoriser un enfermement des femmes au foyer et instaurer une continuité de l’enfermement des hommes reconnus comme une menace à l’ordre public.
L’enfermement des étranger·es est renforcé par un outil : l’assignation à résidence. L’article L. 731-1 du CESEDA autorise l’assignation à résidence de l'étranger·e qui ne peut pas quitter immédiatement le territoire français, mais « dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable ». L’assignation est utilisée à deux fins : la prolongation ou le substitut à la rétention en CRA, créant ainsi un continuum de l’enfermement80. La prolongation se fait en cas de menace à l’ordre public et si l’étranger n'a pas pu être éloigné. L’alternative à la rétention via l’assignation à résidence peut être proposée et accordée lors de l’audience JLD, s’il y a des garanties de représentation jugées suffisantes, c’est-à-dire le plus souvent une pièce d’identité valide et des justificatifs de domicile (attestation d’hébergement, factures etc.). Ici aussi, la suffisance des garanties de représentations est laissée à l’appréciation du magistrat en charge et est évalué au regard du risque de fuite que pourrait représenter la personne (notamment si elle s’est déjà soustraite à une mesure d’éloignement). L’assignation à résidence peut également êtr notifiée directement par arrêté de la préfecture à la suite de la mesure d’éloignement. Selon mes observations, lorsqu’elle est utilisée comme substitut à la rétention en CRA, l’assignation à résidence concerne des femmes dans une proportion importante81, tandis qu’elles sont très peu enfermées au CRA. Cela s’explique notamment par la présence de mères de familles. L’interdiction d’enfermer des mineur·es en CRA depuis janvier 2024 participe à ce mouvement mais n’y est pas circonscrit82. Cela renforce néanmoins l’idée développée plus haut : les femmes ne sont pas perçues comme représentant un grand danger. Désormais, l’assignation à résidence est de plus en plus utilisée comme complément à la rétention lorsque celle-ci n’a pas pu aboutir à un éloignement, permettant ainsi le maintien de l’étranger·e à l’intérieur d’un système de surveillance, articulé au contrôle de l’espace et du temps. Encouragé par les textes et notamment par l’Instruction du Ministère de l’Intérieur du 17 novembre 202283 demandant l’assignation à résidence « [systématique] [d]es étrangers sous OQTF non placés en rétention à une adresse fiabilisée permettant leur localisation et leur suivi [...] le temps de leur éloignement », ce changement participe au continuum de l’enfermement entre la prison et les CRA, y ajoutant l’assignation à résidence84. Cela est constaté par les différents acteurices sur le terrain (salarié·es en CRA, associatifs et avocat·es). J’ai moi-même, et à plusieurs reprises, eu des entretiens avec des personnes déjà retenues en CRA ou assisté à des audiences concernant des personnes pour lesquelles il s’agissait d’un nouveau placement. Enfin, le rapport annuel de 202485 des associations exerçant en CRA laisse apparaître une nouvelle catégorie : 2,9 % d’arrestations à domicile, possibles lorsque la personne est assignée à résidence. Il n’en est pas fait mention les années précédentes et ces expériences de terrain laissent présager que ce taux pourrait être supérieur cette année.
L’assignation à résidence des étranger·es est soumise à des mesures particulières. Les personnes sont en réalité assignées à une résidence ou à un périmètre (une ville, un département). Les personnes ne sont pas soumises au port d’un dispositif de type bracelet électronique, mais leur contrôle se fait par des pointages réguliers dans un commissariat de proximité ou aux Directions Zonales de la Police Aux Frontières, à raison d’une à sept fois par semaine. Les personnes assignées à domicile peuvent y être astreintes trois heures d'affilée sur une plage définie en amont et, en cas de menace à l’ordre public, celle-ci peut être allongée à dix heures86. À nouveau, nous voyons bien comment cet outil peut être utilisé pour contrôler les personnes.
Dans un premier temps, l’utilisation de l’assignation et son renfort dans l’outillage juridique et administratif de la rétention administrative crée de nouvelles situations de marginalisation. Si l’on imagine aisément les contraintes matérielles créées par l’obligation de pointage, celles-ci peuvent être assez inégales en fonction des conditions fixées par le jugement du JLD ou l’arrêté de la préfecture. En effet, la récurrence peut varier d’une fois par semaine à une fois par jour, et le lieu est normalement défini par le lieu d’habitation. Or les populations étrangères en situation irrégulière sont des populations précaires, y compris dans le logement. Dans l’une des villes étudiées par exemple, les personnes qui ne déclarent pas de domicile et qui sont assignées à un périmètre sont, de facto domiciliées au CRA, défini comme lieu de référence pour le pointage, qui se trouve être la Direction Zonale de la Police Aux Frontières (DZPAF). Ses locaux sont adjacents au CRA et situés entre l’aéroport, une zone commerciale, et le parc des expositions dans la commune. De fait, comme presque tous les CRA, cet établissement est éloigné du centre-ville et s’il est relativement accessible par la route, le rejoindre en transports en commun s’avère plus compliqué : le bus qui y passe n’est pas régulier et l’attente peut, hors heures de pointe, s’allonger à une heure. Il faut compter ensuite une petite dizaine de minutes à pied. C’est une contrainte que j’éprouve dans mon terrain et qui me permet aisément de discuter avec les personnes.
Journal de terrain, février 2025. J’attends à l’arrêt de bus du CRA ce matin, en direction du centre-ville. Les personnes qui viennent pointer viennent souvent entre 8h et 10h. D’autres plutôt entre 15h et 17h. Le bus de 8h35 arrive, une femme en sort et marche vite en direction du CRA et de la DZPAF. Je la vois revenir une dizaine de minutes plus tard, en courant. Je regarde le tableau des horaires, le prochain bus pour le centre-ville est à 8h49, celui d’après à 9h21. Le bus arrive avec deux minutes d’avance tandis que la femme n’est pas encore tout à fait arrivée. Je demande au chauffeur de l’attendre, ce qu’il fait. Elle monte et me remercie « j’aurais pas eu le temps de faire les courses après ».
« J’étais chez ma sœur et mon beau-frère, lui il a les papiers et ma sœur elle a un titre [de séjour]. Ils travaillent tous les deux et moi comme je suis restée là, je devais tout faire. Ils me laissaient même pas dormir des fois, le balai et la nourriture je devais faire. Et une fois, [mon beau-frère] il est rentré plus tôt et il a voulu m’obliger, il voulait faire une [mime une fellation]. C’est là je suis partie chez mon amie et elle m’a aidée avec l’association pour changer ».
Loreleï
Morisseau-Leleux, Université Paris Est Créteil, LAB’URBA
Références
Ed Naylor, « Arenc : le premier centre de rétention était clandestin », Plein droit, 2015, vol. 104, n° 1, p. 32.↩︎
CE, Ass., 7 juillet 1978, n° 10830 et 10569.↩︎
Stefan Le Courant, « Expulser et menacer d’expulsion, les deux facettes d’un même gouvernement ? Les politiques de gestion de la migration irrégulière en France », L’année sociologique, 2018, vol. 68, n° 1, pp. 211-232.↩︎
Marie Bassi, Shoshana Fine, « La gouvernance des flux migratoires ‘indésirables’ », Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, 2013, n° 1304, p. 77-83.↩︎
Claire Rodier, « Les camps d'étrangers, nouvel outil de la politique migratoire de l'Europe », Mouvements, 2003, vol. 5, n° 30, p.102-107.↩︎
Comme le montre Sara R. Farris dans son ouvrage, les hommes migrants sont plus fréquemment construits comme des menaces à la sécurité et à l’ordre public, quand les femmes migrantes construites comme victimes, et plus volontiers accueillies (tout en étant confinées dans des rôles subalternes et des voies d’intégration qui les assignent aux métiers du care) : Sara R. Farris, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism, Duke University Press, 2017.↩︎
Marie Bassi, Shoshana Fine, « La gouvernance des flux migratoires ‘indésirables’ », op. cit..↩︎
Ibid.↩︎
Henri Courau, « Sangatte. Plus on parle de réfugiés, moins on parle d’hommes », Revue Asylon(s), 2007, n° 2, p. 99, cité par Fatiha Belmessous, Elise Roche, « Accueillir, insérer, intégrer les migrants à la ville », Espaces et sociétés, 2018, n° 172-173, pp. 7-18.↩︎
J’écris ici volontairement sans écriture inclusive au vu de ce qui a été avancé sur la catégorisation des « mauvais migrants ».↩︎
Karen Akoka, « Réfugiés ou migrants ? Les enjeux politiques d’une distinction juridique », Nouvelle revue de psychosociologie, 2018, vol. 25, n° 1, pp. 15-30.↩︎
Parlement européen & Conseil de l’Union européenne, 14 mai 2024, Règlement (UE) 2024/1347 du 14 mai 2024 établissant une procédure commune de protection internationale dans l’Union, Journal officiel de l’Union européenne, L 134.↩︎
La durée maximale de rétention peut être portée jusqu’à 210 jours en cas d’activités terroristes.↩︎
La proposition d’étendre cette durée à 210 jours a été faite dans le cadre de la loi n° 2025-796 visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé cette durée non conforme à la Constitution : Cons. Const., 7 août 2025, n° 2025-895 DC.↩︎
Gérald Darmanin, 12 décembre 2024, Argumentation de la capacité des centres de rétention administrative : 3000 places d’ici 2027, Ministère de l’Intérieur, v. : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/augmentation-de-capacite-des-centres-de-retention-administrative.↩︎
Philippe Combessie, Sociologie de la prison, La Découverte, 2001.↩︎
Bien qu’il soit important de ne pas voir ces femmes migrantes seulement sous le prisme de victimes, au risque de ne pas considérer leurs luttes et leur capacité d’agir propre.↩︎
Camille Schmoll, Les damnées de la mer. Femmes et frontières en Méditerranée, La Découverte, Cahiers libres, 2020.↩︎
Arrêté du 24 avril 2001 précisant les conditions d'application de l'article 17 du décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention administrative, NOR : INTD0100221A.↩︎
Décret n° 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux centres et locaux de rétention administrative, NOR : INTD0100055D.↩︎
Cour des comptes, La rétention des étrangers en situation irrégulière, 2006.↩︎
La limite est donnée à la France hexagonale car la situation et les enjeux sont extrêmement différents en Outre-mer. Il s’agit également de la limite donnée à ma thèse.↩︎
Le choix a été fait d’anonymiser les lieux le temps du terrain de thèse pour deux raisons. D’une part, le travail de terrain qui est déjà entravé par les conditions d’accès aux lieux d’enquête pourrait l’être davantage ; d’autre part, la temporalité et le nombre de personnes retenues dans les différents CRA ne permettent pas de garantir une pseudonymisation suffisante aux personnes retenues. Les lieux d’observation d’audiences étant partiellement les mêmes, le principe identique a été retenu.↩︎
Il convient de noter que, depuis l’entrée en vigueur de la loi d’orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027 (article 44), le JLD n’est plus compétent en matière de rétention des étrangers. En revanche, les mêmes magistrats exercent depuis le début de mon terrain.↩︎
Entretien avec des salarié·es en CRA.↩︎
Instruction du ministère de l’Intérieur du 16 octobre 2017 relative à l'éloignement des personnes représentant une menace pour l'ordre public et des sortants de prison, NOR : INTK1701890J. Les instructions ou circulaires ministérielles, telles que celles émises par le ministère de l’Intérieur, ont une valeur purement interne. Elles guident l’action des services concernés, mais ne possèdent ni de valeur réglementaire ni normative.↩︎
V. figure n° 1 ci-dessous.↩︎
Compte rendu Mission d’information de la conférence des Présidents sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 (pouvoirs d’enquête), 22 octobre 2020.↩︎
Ibid.↩︎
Instruction du ministère de l’Intérieur du 17 novembre 2022 relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et au renforcement des capacités de rétention.↩︎
David Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford University Press, 2001.↩︎
Michalon Bénédicte, Bruslé Tristan, « L’ethnicité, la religion et le genre dans les institutions d’enfermement : processus et effets de catégorisation », Critique Internationale, 2016, vol. 3, n° 72, pp. 9-19.↩︎
V. le dossier « Le traitement de l’immigration, entre logique administrative et logique pénale », Champ pénal, 2010, vol 7, coord. Nicolas Fischer et Mathilde Darley.↩︎
Site de la direction générale des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur, consulté le 2 juin 2025 : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Archives/Les-archives-du-site/Archives-Immigration/La-lutte-contre-l-immigration-irreguliere/Les-centres-de-retention-administrative-CRA.↩︎
CESEDA, art. R. 551-2.↩︎
Notamment l’obligation d’avoir un accompagnement du personnel d’encadrement.↩︎
Mary Bosworth, Gavin Slade, « In search of recognition: Gender and staff-detainee relations in a British immigration removal centre », Punishment & Society, 2014, vol 16, pp. 169-186.↩︎
Infirmerie, local de La Cimade, infirmière, réfectoire, machine à boisson.↩︎
Ce fut par exemple le cas pour presque la moitié d’entre eux dans un des CRA étudié.↩︎
Bénédicte Michalon, Djemila Zeneidi, L’expérience de l’enfermement : Camps, commissariats, prisons, Presses universitaires François-Rabelais, 2021.↩︎
Entendre ici les policiers et policières ainsi que les gendarmes travaillant en CRA.↩︎
Ces discours proviennent d’échanges avec des policier·es lors des moments de fouilles et d’attente. Bien qu’informels et non soumis en tant que tels à notre méthodologie de recherche, ils participent à la démonstration d’un changement de regard sur les transformations du public retenu en CRA.↩︎
Cette remarque serait intéressante à étudier, et si je n’en n’ai pas la possibilité ici, elle invite cependant à se poser quelques questionnements dans les relations de genre liées à l’enquête et plus largement aux projections des personnels sur leur fragilité ou solidité des visiteurs et visiteuses extérieur·es face aux retenus, notamment au regard de leur genre et de leur âge.↩︎
Lors d’échanges avec des policier·es sur les moments de fouille et d’attente. Bien que ces moments soient informels et que leur étude ne soit pas suffisamment poussée (pas de méthodologie précise appliquée sur ces moments, pour les différencier d’une simple opinion par exemple), ils participent à mon sens à montrer ce changement de discours vis-à-vis du changement de populations en CRA.↩︎
Il s’agit d’extraits de discours entendus lors de participation à des activités d’associations et de collectifs différents et agissant dans plusieurs villes françaises ayant pour but commun la défense et l’aide des sans-papiers.↩︎
Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.↩︎
La Cimade, Centres et locaux de rétention administrative, rapport rétention 2012, 2013.↩︎
La Cimade, Centres et locaux de rétention administrative, rapport rétention 2024, 2025.↩︎
Extrait d’une conversation échangée avec un policier en septembre 2025 lors d’une observation à l’audience JLD du tribunal d’une des villes dans laquelle le secteur femmes du CRA a fermé.↩︎
Natacha Chetcuti-Osorovitz, Sandrine Sanos, Le genre carcéral : Pouvoir disciplinaire, agentivité et expériences de la prison du XIXe au XXIe siècle, Ed. des maisons des sciences de l’homme associées, 2022.↩︎
Gilles Chantraine, Par-delà les murs Expériences et trajectoires en maison d'arrêt, Presses Universitaires de France, 2004.↩︎
CESEDA, art. R. 553-3, entré en vigueur le 1er mars 2005, abrogé par le décret n° 2020-1734 du 16 décembre 2020.↩︎
Avis du 25janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté, NOR : CPLX1604501V ; il y est question notamment d’un accès égalitaire aux activités et aux infrastructures, ou encore d’ouvrir des secteurs femmes dans tous les CRA afin de densifier le maillage territorial.↩︎
Ibid.↩︎
Ibid.↩︎
CGLPL, Rapport de visite Centre de rétention administrative de Rouen Oissel, 2009.↩︎
Marc Bernardot, « Une tempête sous un CRA Violences et protestations dans les centres de rétention administrative français en 2008 », Multitudes, 2008, vol. 35, n° 4, pp. 215-224.↩︎
Sur 25 entretiens avec des femmes, seuls trois relatent des faits de violences physiques de la part de personnel, alors qu’ils sont quasiment systématiques lorsque je m’entretiens avec des hommes retenus. Cette affirmation est cependant à remettre en contexte pour ce qui est de la violence entre retenu·es : la plupart des bâtiments étant non mixtes ou surveillés, cette forme d’expression de la violence est très limitée.↩︎
La CRAzette est publiée par l’équipe de la Cimade qui intervient au Mesnil-Amelot, elle recueille des témoignages de personnes retenues lors d’entretiens avec elles.↩︎
Camille Schmoll, Les damnées de la mer, op. cit.↩︎
Catherine Puzzo, « Femmes refugiées dans les centres de rétention administrative en Grande-Bretagne », Caliban. French Journal of English Studies, 2010, n° 27, pp.91-106.↩︎
Mary Bosworth, Gavin Slade, Slade, « In search of recognition: Gender and staff-detainee relations in a British immigration removal centre », op. cit..↩︎
Camille Schmoll, Les damnées de la mer, op. cit.↩︎
Jane Freedman, « Gender and Asylum in International Law – The Geneva Convention Revisited », in Jane Freedeman, Gendering the International Asylum and Refugee Debate, 2015, Palgrave Macmillan, pp. 69-107.↩︎
Circulaire du ministère de l’Intérieur du 5 février 2024 relative à l’admission au séjour des ressortissants étrangers justifiant d'une expérience professionnelle salariée dans des métiers en tension, NOR : IOMV2402701.↩︎
V. supra.↩︎
Sur 223 audiences auxquelles j’ai assisté, 37 demandes de prolongation ne sont pas justifiées par l’utilisation de la menace à l’ordre public. 35 d’entre elles concernent des JLD 1 ou 2.↩︎
Emmanuel Aubin, note sous CE, 1er octobre 2014, n° 365054, AJDA, 2015, p. 64, cité par Lisa Carayon, « Menace à l’ordre public et expulsion d’un ressortissant étranger souffrant de troubles psychiatriques : quand le soupçon prévaut sur la protection », note sous CE, 7 mai 2015, n° 389959, RDSS, 2015, p. 843.↩︎
Ces délits sont en réalité à mettre en lien avec la situation d’irrégularité et de précarité des personnes qui sont condamnées, car ils y sont directement liés.↩︎
Le Cercle des Voisins est une association toulousaine qui observe et informe sur les pratiques d’enfermement des étranger·es. Ses membres assistent notamment aux audiences publiques du JLD de Toulouse et produisent des archives de ces observations. Je remercie ses membres de la confiance accordée pendant ce travail de thèse, en me permettant d’y avoir accès.↩︎
Mary Bosworth, Gavin Slade, « In search of recognition: Gender and staff-detainee relations in a British immigration removal centre », op. cit. [ma traduction].↩︎
Le creux de l’été est à interpréter avec prudence, car il y a eu moins d’audiences observées – seulement la moitié environ. Nous ne pouvons pas ainsi savoir précisément s’il y a eu un pic de la mobilisation de la MOP en juin liée aux Jeux Olympiques, ou si la tendance s’est poursuivie en été.↩︎
Le traitement des occurrences s’est fait ici avec le logiciel R et le choix du calcul de l’occurrence du mot « ordre » pour parler de la menace à l’ordre public s’est peu à peu imposé à moi : il y avait peu de double sens et ceux-ci ont été écartés avant leur calcul.↩︎
V. supra.↩︎
V. supra.↩︎
Budget général mission ministérielle – Immigration et asile, rapports annuels des performances. Étude des rapports publiés par la mission ministérielle entre 2022 et 2025.↩︎
Loi n° 2025-796 du 11 août 2025 visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.↩︎
Cons. Const., 7 août 2025, n° 2025-895.↩︎
Stefan Le Courant, « Expulser et menacer d’expulsion, les deux facettes d’un même gouvernement ? Les politiques de gestion de la migration irrégulière en France », op. cit.↩︎
L’article 43 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 permet d’abaisser le délai entre deux placements CRA de sept jours prévus initialement prévus par le CESEDA à seulement 48h. Cela constitue un levier supplémentaire à ce continuum de l’enfermement.↩︎
C’est ce que s’accordent à dire les quatre avocates avec qui j’ai pu m’entretenir à ce propos. Cela est également cohérent avec le nombre de femmes que j’ai vues se rendre à des pointages, ainsi que le nombre de décisions en open data.↩︎
En 2012, un premier décret avait drastiquement fait baisser le nombre d’enfants retenu·es en CRA (iels représentaient 1,28 % de la population retenue en CRA en 2011 contre 0,42 % et 0,37 % en 2012 et 2013. Si on étudie le nombre de femmes et d’enfants enfermé·es en CRA, les tendances à l’augmentation ou à la diminution se suivent, sans pour autant être identiques.↩︎
Instruction du 17 novembre 2022 du ministère de l’Intérieur, préc..↩︎
Et ce, d’autant plus que depuis le début d’année 2025, les salarié·es intervenant dans quatre CRA différents observent de plus en plus d’allers-retours entre des périodes d’assignation à résidence puis de placement en CRA. Je partage ce constat à la suite de l’étude du fond d’archives du Cercle des Voisins et de mes propres observations aux audiences du JLD.↩︎
La Cimade, Centres et locaux de rétention administrative, rapport rétention 2024, 2025.↩︎
Direction de l’information légale et administrative, Assignation à résidence d’un étranger renvoyé de France : https://www.service-public.gouv.fr/particuliers/vosdroits/F20127 [consulté le 3 octobre 2025].↩︎
V. not. le travail d’Émilie Adam-Vézina, « Parcours migratoires de femmes d’Afrique subsaharienne : les épreuves de la violence », Revue européenne des migrations internationales, 2020, vol. 36, n°1, pp.75-94.↩︎
Evangelina San Martin, La dimension spatiale de la violence conjugale, thèse pour le doctorat en géographie, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2019.↩︎
Marion Tillous dir., Espace, genre et violences conjugales. Ce que révèle la crise de la Covid-19, Presses universitaires de Vincennes, coll. « GéoTraverses », 2022.↩︎