Liberté vestimentaire des personnes trans incarcérées

Benoît David


















Résumé :

Dans une décision du 31 août 2023 (disponible ici), le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision d’une maison centrale qui avait refusé à une personne trans, incarcérée dans un secteur masculin, de se procurer des vêtements féminins afin de les porter en cellule. La décision est importante en ce qu’elle qualifie la liberté vestimentaire de liberté fondamentale dès lors qu’elle participe au « droit à affirmer une définition sexuelle de la personne ». Cependant, dans cette affaire, la décision est annulée en raison d’un défaut de motivation, l’administration pénitentiaire n’ayant pas jugé bon de fonder textuellement sa décision. Du fait de cette annulation pour illégalité externe, le tribunal n’a pas discuté l’affaire au fond – et ne le fera pas puisque la maison centrale, réexaminant la demande qui lui était adressée, a consenti l’accès aux vêtements demandés.

Intersections. Revue semestrielle genre et droit a donc souhaité donner à lire l’argumentaire mobilisé au fond dans cette affaire, celui de Maître Benoît David, avocat de la partie demanderesse. Le mémoire récapitulatif ici reproduit, avec l’accord de son auteur, détaille les moyens d’illégalité interne invoqués devant le Tribunal administratif au soutien de l’annulation. Ces écritures donnent notamment à voir la diversité des sources invocables par les justiciables placé·es dans cette situation (des sources internationales aux « petites sources » du droit pénitentiaire). Le lectorat s’étonnera peut-être du fait que la partie requérante soit ici genrée au masculin, mais ceci s’explique par le fait que la personne n’avait pas fait modifier son état civil – raison pour laquelle elle était incarcérée dans un secteur masculin – et était donc désignée par son identité civile dans le cadre de la procédure. De la même façon, l’utilisation du terme « transsexuel·le » s’explique essentiellement par la reprise des termes utilisés dans les documents produits à l’époque par l’administration pénitentiaire. La rédaction attire l’attention du lectorat sur la publication, depuis cette affaire, d’un nouveau référentiel national de prise en charge des personnes LGBT+ placées sous main de justice, commenté notamment dans la chronique « État civil » du présent numéro.

Mots‑clefs : personne trans ; prison ; liberté vestimentaire.

REQUÊTE EN EXCÈS DE POUVOIR

POUR :

X

Maison centrale de Z

Sollicitant le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire

CONTRE :

L’État, pris en la personne du Ministre de la Justice et des Libertés

DÉCISION CONTESTÉE :

Décision de la direction de maison centrale de Z du 2 février 2021 de refus d’autorisation d’achat et de port de vêtements féminins.

PLAISE AU TRIBUNAL

SECTION I – LES FAITS

X est incarcéré à la maison centrale de Z. Il a compris qu’il était atteint d’une dysphorie de genre et a entamé un parcours de transition afin que son genre devienne féminin. X a sollicité de la direction de la maison centrale dans laquelle il est détenu l’autorisation de porter des sous-vêtements féminins, ce qui lui a été autorisé.

Le 11 janvier 2021, X a sollicité de la direction de la maison centrale l’autorisation de procéder à l’achat de vêtements féminins et de pouvoir les porter en cellule.

Par un courrier du 22 janvier 2021, la direction de la maison centrale de Z, a refusé cette autorisation au requérant aux motifs que :

« l’achat puis le port de vêtements féminins serait d’une toute autre nature. En effet, si X dit, pour l’heure, s’engager à ne les porter qu’en cellule, rien ne peut pour autant le garantir. Le port de ces vêtements dans la détention pourrait troubler le bon ordre de l’établissement et engendrer des incidents.

Enfin et pour rappel, lors des ouvertures de porte de cellule, X peut avoir face à lui, outre les agents pénitentiaires, des personnes détenues travaillant à la distribution du repas notamment ».

Cette décision de refus, contestée dans le cadre du présent recours en annulation, ne faisait l’objet d’aucune notification des voies et délais de recours. Elle sera annulée pour les motifs ci-après développés.

SECTION II – DISCUSSION (…)

I. Sur la recevabilité du recours et les griefs causés par la décision attaquée

La décision portant refus d’autorisation de procéder à l’achat et au port de vêtements féminins opposée au requérant est une mesure faisant grief. C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Nantes, dans un arrêt rendu le 2 juillet 2015, n° 14NT01022, a admis qu’une note de service prise par la direction d’un centre de détention interdisant à un détenu de porter des vêtements féminins hors de sa cellule était susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Cet arrêt est transposable à la présente espèce, et la recevabilité du présent recours sera admise. (…) En effet, ladite décision porte atteinte à l’identité sexuelle de X, compris par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme comme l’un des aspects les plus intimes de la vie privée d’une personne, relevant ainsi du droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH, 12 juin 2003, Van Kück c. Allemagne - 35968/97).

Aussi, le recours de X est donc recevable. (…)

II. Sur l’illégalité interne

A. Sur l’erreur d’appréciation dans le cadre de l’application de l’annexe de l’article R. 57-6-18 du code de procédure pénale

L’annexe à l’article R. 57‑6‑18 du code de procédure pénale qui fixe le règlement intérieur type des établissements pénitentiaires dispose en son article 10 :

« Les vêtements

I.- Chaque personne détenue porte les vêtements qu'elle possède, qui lui sont apportés par ses proches ou qu'elle acquiert par l'intermédiaire de l'administration, à moins qu'il n'en soit décidé autrement par le chef d'établissement pour des raisons d'ordre, de sécurité ou de propreté.

Elle peut demander à l'administration de lui fournir les effets vestimentaires nécessaires si elle craint la détérioration de ses vêtements personnels soit par un usage trop fréquent soit à l'occasion du travail.

Lorsque ses ressources sont insuffisantes, elle peut demander à ce que des vêtements lui soient fournis.

II.- Les vêtements et sous-vêtements laissés ou fournis à la personne détenue sont appropriés au climat et à la saison. Ils doivent être maintenus propres et en bon état. Les sous-vêtements doivent être lavés avec une fréquence suffisante pour assurer leur propreté.

Les vêtements retirés à la personne détenue qui a manifesté le désir de porter ceux fournis par l'administration sont inventoriés, nettoyés, désinfectés et remis au vestiaire de l'établissement. Au moment de sa libération, les vêtements remisés lui sont restitués contre décharge.

Aucun vêtement ayant servi à une personne détenue ne peut être réutilisé sans avoir été préalablement nettoyé ou désinfecté suivant le cas. »

La restriction au choix des vêtements que peut porter une personne détenue consiste uniquement dans les « raisons d’ordre, de sécurité ou de propreté ».

La décision litigieuse est motivée par le fait que rien ne peut garantir le fait que X respecte son engagement de ne porter ses vêtements féminins qu’en cellule et que le port de ces vêtements dans la détention pourrait troubler le bon ordre de l’établissement et engendrer des incidents.

Or X s’est engagé, en connaissance de cause, à ne porter ses vêtements féminins que dans sa cellule, où il est affecté seul, afin de ne porter ces vêtements que dans son intimité.

X a toujours eu un bon comportement en détention et n’a pas fait l’objet de sanction disciplinaire. Rien ne permet à la direction de la maison centrale de retenir que celui-ci ne respecterait pas ses engagements. En tout état de cause, la direction de la maison centrale ne précise pas quels pourraient être les troubles et les incidents causés par le fait que le requérant soit vu dans l’enceinte de la détention alors qu’il porte des vêtements féminins. La justification de la restriction de la liberté du choix de vêtements de X par de simples éventualités n’est pas suffisante au regard de l’importance des enjeux pour ce dernier de pouvoir porter des vêtements féminins.

De même, l’argumentaire selon lequel X pourrait se trouver, alors qu’il porte des vêtements féminins, face à des agents pénitentiaires ou des personnes détenues travaillant à la distribution du repas lors de l’ouverture des cellules devra être écarté.

X ne risque nullement de troubler le bon ordre de l’établissement et d’engendrer des incidents en portant des vêtements.

Il ne fait aucun doute que les agents de l’administration pénitentiaire s’abstiendront de l’agresser ou de l’invectiver du fait du port de vêtements féminins. Quant aux autres personnes détenues, celles-ci seront en mesure de faire l’objet de poursuite disciplinaire si elles insultent ou agressent X en raison du fait qu’il porte des vêtements féminins. Il est parfaitement inéquitable de faire porter le poids de l’intolérance sur les épaules de X tout en cautionnant les actes des autres personnes détenues ou des agents pénitentiaires.

En tout état de cause, l’ouverture des cellules tout comme la distribution des repas consistent en un moment fugace où X ne sera vu que pendant quelques secondes pendant ces interlocuteurs, réduisant à néant la possibilité d’un incident ou d’un trouble au bon ordre de l’établissement.

Par ailleurs, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans un avis du 30 juin 2010 relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées, a préconisé :

« 9. Le droit à l’intimité et à la vie privée devant être respecté, il convient que, dans l’enceinte de sa cellule, la personne concernée puisse porter des vêtements et utiliser des produits d’hygiène et de beauté en adéquation avec le sexe désiré. Par conséquent, elle doit être en mesure de cantiner de tels biens et produits ».

La décision contestée ne respecte pas les préconisations du CGLPL pour la prise en charge des personnes transsexuelles en prison.

La décision contestée, entachée d’une erreur de droit, sera donc annulée à tout le moins sur ce fondement.

B. Sur la violation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice.

Le livre 2 du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice prévoit que :

« L’affectation des personnes transsexuelles s’effectue au mieux des intérêts de la personne (encellulement individuel, affectation dans un secteur de détention favorisant la prise en charge des personnes vulnérables, placement à l’isolement) et des impératifs de gestion des établissements pénitentiaires. Tout au long du parcours de soins, il convient de veiller à la protection de l’intégrité physique et psychique de la personne. Dans la mesure du possible, il convient de permettre aux personnes transsexuelles d’acheter en cantines exceptionnelles des produits (cosmétiques, etc.) ou des vêtements (sous-vêtements) marquant habituellement l’appartenance à un sexe autre que celui de l’état civil. Parmi ces derniers, les produits ostentatoires (maquillage, robes/jupes, lorsque la personne évolue en détention hommes par exemple) sont strictement prohibés en dehors de la cellule. »

Ce guide, publié sur le site du ministère de la justice, entre dans les catégories des documents administratifs dont les administrés peuvent revendiquer l’invocabilité.

Le code des relations entre le public et l’administration prévoit :

« Article L. 312-2 :

Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret.

Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la commission mentionnée au titre IV précise les autres modalités d'application du présent article.

Article L. 312-3 :

Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret.

Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée.

Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. »

Le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice fait l’objet d’une publication sur le site du ministère de la justice, conformément aux dispositions de l’article D. 312-11 du code des relations entre le public et l’administration :

http://www.justice.gouv.fr/art_pix/guide_methodo_2019_ppsmj_part1.pdf

Dès lors, X peut se prévaloir dudit guide méthodologique.

En refusant de se soumettre aux procédures indiquées dans le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous-main de justice, la direction de la maison centrale de Z a entaché sa décision d’une erreur de droit.

Elle sera annulée à tout le moins sur ce fondement.

C. Sur la violation de l’article 22 de la loi pénitentiaire et sur la violation du droit au respect de la vie privée et de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants

L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales stipule que :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

L’article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que :

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

L’article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire dispose :

« L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. »

L’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales prévoie que :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

La notion d'autonomie personnelle, que l'arrêt K. A. et A. D. a empruntée à l'arrêt Pretty c/ Royaume-Uni (CEDH 29 avr. 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, req. n° 2346/02) suivant lequel elle reflète un principe important sous-tendant l'interprétation de l'article 8, a également joué un rôle déterminant pour la consécration des droits des transsexuels. C'est elle, en effet qui a justifié le spectaculaire revirement de jurisprudence opéré par les arrêts de Grande chambre I. et Christine Goodwin c/ Royaume-Uni (CEDH 11 juill. 2002, I. c/ Royaume-Uni, req. n° 25680/94 ; Christine Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n° 28957/95) qui posent en règle générale que, dans tous les pays européens – et plus seulement en France comme cela avait déjà été jugé par l'arrêt B. du 25 mars 1992, req. n° 13343/87 –, le refus de procéder à la modification de l'indication du sexe sur l'état civil d'un transsexuel ayant victorieusement subi une opération de conversion sexuelle, constitue une violation du droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Conv. EDH. La protection européenne de la vie privée des transsexuels a été complétée notamment, par un arrêt Van Kück c/ Allemagne (CEDH 12 juin 2003, Van Kück c/ Allemagne, req. n° 35968/97) et par un arrêt Schlumpf c/ Suisse du 8 janvier 2009 (req. n° 29002/06) qui ont fait jouer l'effet horizontal de l'article 8 pour stigmatiser le refus des compagnies d'assurance de rembourser les frais chirurgicaux engagés pour parvenir à un changement morphologique de sexe. La CJUE, de son côté veille, depuis son arrêt P. c/ S. et Cornwall Country Council du 30 avril 1996 (aff. C-13/94) à ce que la conversion sexuelle ne soit pas un motif, discriminatoire, de licenciement.

L'arrêt Y.Y. c/ Turquie (CEDH 10 mars 2015, Y. Y. c/ Turquie, req. n° 14793/08) a précisé, quant à lui, que les États faisant de l'incapacité de procréer une condition préalable à l'autorisation de subir une opération de changement de sexe portaient atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes concernées. Sans doute guidée par le principe de cohérence rendant difficilement concevable d'exiger des transsexuels une stérilisation préalable à une opération de conversion qui la provoque presque immanquablement, cette solution laissait entrevoir une autre question, intéressant directement les personnes transgenres. Il s'agit de celle de savoir si, comme dans une forte majorité des États membres du Conseil de l'Europe, une opération de changement de sexe peut encore être une condition préalable à la modification de l'état civil. Elle a été directement abordée par un arrêt rendu dans l'affaire A. P., Garçon et Nicot c/ France (CEDH 6 avr. 2017, A. P., Garçon et Nicot c/ France, req. nos 79885/12 , 52471/13 et 52596/13). La réponse qui lui a été apportée tient en un constat de violation de l'article 8 de la Convention parce que, avant l'introduction par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ajoutant au code civil les articles 61‑5 et 61‑6, le droit français assujettissait les personnes transgenres souhaitant obtenir la reconnaissance de leur identité sexuelle à la réalisation d'une opération stérilisante ou d'un traitement qui, par sa nature ou son intensité, entraînait une très forte probabilité de stérilité.

La Cour a également souligné que la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 de la Convention (voir Pretty c./ Royaume-Uni, n° 2346/02, § 61), ce qui l’a conduite à reconnaître, dans le contexte de l’application de cette disposition à la situation des personnes transsexuelles, qu’elle comporte un droit à l’autodétermination (voir, précités, Van Kück, § 69, et Schlumpf, § 100), dont la liberté de définir son appartenance sexuelle est l’un des éléments les plus essentiels (Van Kück, précité, § 73). Elle a de plus indiqué que le droit à l’épanouissement personnel et à l’intégrité physique et morale des personnes transsexuelles est garanti par l’article 8 (voir, notamment, précités, Van Kück, § 69, Schlumpf, § 100, et Y.Y. c./ Turquie, § 58).

Le Défenseur des droits a relevé que : « Si certaines personnes sont privées de leur liberté d’aller et venir, elles ne sauraient toutefois être privées de l’ensemble de leurs droits. L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. Le Défenseur des droits remarque que l’identité de genre et les droits des personnes transgenres privées de liberté ne sont pas toujours respectés par l’administration pénitentiaire. D’abord, certaines personnes se voient privées de leur traitement médical alors que l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que “la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population. Il est donc primordial que l’administration pénitentiaire assure la continuité des traitements médicaux des personnes transgenres tout au long de l’incarcération. Ensuite, l’affectation des personnes transgenres ne s’effectue pas toujours dans le secteur adéquat. Le Défenseur des droits rappelle que le choix de l’affectation en cellule relève du chef d’établissement et que cette décision doit être prise en tenant compte des éléments relatifs à la personnalité du ou de la détenu (âge, orientation sexuelle, identité de genre, situation médicale etc.). À titre d’exemple, le Défenseur des droits a récemment été saisi par une femme transgenre étrangère qui a été incarcérée dans le quartier des hommes pendant deux ans alors qu’elle avait obtenu un changement de la mention du sexe à l’état civil dans son pays d’origine. Cela a eu pour conséquence de l’exposer à des brimades et d’être fouillée par des surveillants de sexe masculin tout au long de sa détention. L’article R. 57-7-81 du code de procédure pénale prévoit pourtant que « les personnes détenues ne peuvent être fouillées que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ».

À cet égard, la cour administrative d’appel de Nantes est venue confirmer dans un arrêt du 2 juillet 2015 que seule la fouille intégrale d’une personne détenue réalisée par un surveillant de son sexe tel qu’établi par l’état civil était conforme à l’article R. 57-7-81 du code de procédure pénale. Dans ce contexte, le Défenseur des droits se félicite de l’instruction interministérielle du 19 décembre 2017 relative à la publication du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice. Le livre 2 de ce guide consacre une fiche aux « Droits s’appliquant à des personnes présentant une dysphorie de genre » (p. 123 à 125). Néanmoins, cette fiche contient peu de recommandations opérationnelles concernant la gestion de la détention et la prise en charge médicale des personnes transgenres. Il est nécessaire que le personnel pénitentiaire soit sensibilisé et formé à la transidentité. Les solutions apportées qui consistent à enfermer les personnes transgenres à l’isolement constituent des atteintes aux droits puisque, placé à l’isolement, le ou la détenue ne peut se rendre aux activités collectives, cantiner et subit une aggravation de peine.

Recommandation n° 10 : Le Défenseur des droits recommande que les personnes transgenres incarcérées soient affectées dans un établissement ou un quartier correspondant à leur identité de genre dès lors que ces dernières en expriment la volonté et sont engagées dans un parcours de transition sans attendre que le changement d’état civil soit intervenu. Les fouilles devraient alors être réalisées par des agents du même genre, préalablement sensibilisés à la transidentité. Enfin, le Défenseur des droits rappelle que les personnes détenues qui manifestent leur sentiment d’appartenir à l’autre sexe doivent pouvoir bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée et que l’administration pénitentiaire doit garantir la continuité et la régularité des extractions médicales aux personnes déjà engagées dans un parcours de soins ».

Le livre 2 du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice prévoit que :

« L’affectation des personnes transsexuelles s’effectue au mieux des intérêts de la personne (encellulement individuel, affectation dans un secteur de détention favorisant la prise en charge des personnes vulnérables, placement à l’isolement) et des impératifs de gestion des établissements pénitentiaires. Tout au long du parcours de soins, il convient de veiller à la protection de l’intégrité physique et psychique de la personne. Dans la mesure du possible, il convient de permettre aux personnes transsexuelles d’acheter en cantines exceptionnelles des produits (cosmétiques, etc.) ou des vêtements (sous-vêtements) marquant habituellement l’appartenance à un sexe autre que celui de l’état civil. Parmi ces derniers, les produits ostentatoires (maquillage, robes/jupes, lorsque la personne évolue en détention hommes par exemple) sont strictement prohibés en dehors de la cellule ».

C’est ainsi qu’en refusant à X le droit de procéder à l’achat et au port de vêtements féminins dans sa cellule, la direction de la maison centrale de Z a violé le droit à la dignité et le droit au respect de l’identité sexuelle du requérant.

La décision contestée sera donc annulée à tout le moins sur ce fondement.

(…) CONCLUSIONS

Par tous ces moyens, ou autres à produire, déduire ou suppléer, ou au besoin même d’office, le requérant conclut à ce que le Tribunal Administratif de Poitiers :

ADMETTRE X au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

ANNULER la décision de la direction de maison centrale de Z du 2 février 2021 de refus d’autorisation d’achat et de port de vêtements féminins ;

ENJOINDRE à la direction de la maison centrale de Z d’autoriser X à procéder à l’achat de vêtements féminins et de les porter à l’intérieur de sa cellule ;

(…)

Benoît David, Avocat à la Cour