Quand le genre s’impose à la prison

Analyse sociologique et juridique des contradictions du droit et des politiques pénitentiaires en matière de discriminations fondées sur le genre

Ariane Amado

Coline Cardi


















Résumé :

La dimension sexospécifique du droit et des pratiques pénitentiaires n’est pas nouvelle. Le fonctionnement de la prison « moderne » repose, dès son origine, pour partie sur des règles sexuellement différentielles, liées notamment au principe de non-mixité qui structure l’espace carcéral depuis le XIXe siècle et aux normes de genre qui gouvernent le traitement carcéral des femmes et des hommes détenu·es. Le droit pénitentiaire a progressivement pris en compte la spécificité de certains publics comme les femmes et les minorités de sexe et de genre incarcérées, mais le « genre en prison » n’a pour autant pas été construit comme un problème public. Les évolutions ici analysées sous un angle à la fois sociologique et juridique montrent qu’il s’est en fait imposé à l’administration pénitentiaire qui y a répondu a minima, de façon très pragmatique, entraînant une forme de reproduction des rapports sociaux de sexe et des traitements différenciés préjudiciables aux personnes concernées. Cela s’observe à trois niveaux. Au plan, d’abord, de la spécificité du traitement des femmes par l’appréhension de la maternité, des questions de surveillance et des fouilles. La norme d’égalité femmes-hommes a ensuite servi à introduire la mixité des activités carcérales, mais aussi la mixité du personnel de surveillance des établissements et quartiers réservés aux hommes, le tout dans le but affiché de réduire les discriminations entre les femmes et les hommes. Enfin, la question de l’enfermement des personnes trans s’est posée comme un problème particulièrement délicat, que l’administration pénitentiaire a choisi de régler par l’isolement afin de préserver l’ordre sexué en prison plutôt que de dégenrer l’institution carcérale.

Mots-clés : Genre ; prison ; politiques pénitentiaires ; pratiques pénitentiaires ; droit pénitentiaire ; maternité ; mixité ; transidentité ; socio-legal studies.

Abstract :

The sex-specific nature of penitentiary law and practices is not new. Since its origins, the operation of the "modern" prison has partly been based on sexually differential rules, notably in relation with the principle of sex segregation that has structured carceral space since the nineteenth century, and with the gender norms that govern the prison treatment of incarcerated women and men. Penitentiary law has progressively taken into account the specificity of certain populations such as incarcerated women as well as sex and gender minorities, but "gender in prison" has yet to be constructed as a public issue. The developments this contribution analyzes here from both a sociological and legal perspective show that it has in fact imposed itself on the prison administration, which has only minimally and pragmatically responded, thus favoring a form of reproduction of social relations of sex and differentiated treatments that are prejudicial to the people concerned. This can be observed at three levels. First, at the level of the specificity of the treatment of women through the apprehension of maternity, surveillance, and searches. The norm of sex equality then served to introduce co-ed prison activities, as well as the opening of supervision jobs to staff of both sexes in those facilities and sections reserved for male inmates – both in the name of the stated goal of reducing discrimination between women and men. Finally, the question of the incarceration of trans individuals arose as a particularly delicate problem, which the prison administration chose to resolve through isolation in order to preserve the gendered order in prison rather than degender the carceral institution.

Keywords : gender ; prison ; penal policies ; penal practices ; prison law ; maternity ; mixed prisons ; transidentity ; socio-legal studies.

Introduction

  1. La dimension genrée de l’institution carcérale s’impose à plusieurs titres et à différents niveaux. Au niveau de la population carcérale d’abord, à très large majorité composée d’hommes cisgenres : au 1er décembre 2024, ils représentaient en France 96,6 % des personnes détenues dans les prisons françaises1. Au niveau de l’organisation de l’espace carcéral ensuite : non-mixte, l’institution pénitentiaire repose sur le principe d’une stricte séparation et bicatégorisation des sexes. Enfin, parmi les personnels de surveillance, on compte une majorité d’hommes (78 %2) et les mandats professionnels sont sexuellement différenciés : les fouilles des détenu·es ne peuvent être réalisées que par une personne du même sexe, et l’exercice de la fonction de surveillant·e en quartiers et établissements pour femmes est réservé aux seuls personnels féminins.

  2. Pourtant, jusqu’aux années 2000, cette dimension genrée, historiquement située3, est restée à l’état d’évidence en France4. Les travaux en sciences sociales et en sciences juridiques, largement androcentrés, s’y sont intéressés tardivement. Le constat est le même si l’on considère les débats publics sur la prison et les politiques pénitentiaires. L’occultation de l’expérience et du statut des femmes incarcérées est à ce titre particulièrement significative. Les discours critiques sur la prison qui se sont développés à partir des années 1970 pour dénoncer les conditions carcérales et faire reconnaître les droits des personnes détenues n’ont que très peu porté la voix des femmes5. Les mouvements féministes se sont également peu intéressés au sort des femmes détenues et des femmes surveillantes6. Au plan du droit et des politiques pénitentiaires, enfin, aucune disposition du code de procédure pénale ne concernait spécifiquement les femmes avant 2009, hormis les anciens articles D. 400 et suivants consacrés aux mères et aux enfants en prison7, ce qui conduisait pour elles à un moindre accès aux soins, au travail et aux activités8. Ainsi, contrairement à d’autres institutions du maintien de l’ordre (la justice ou la police notamment9), la prison n’a pas fait l’objet des politiques publiques associées au féminisme d’État10.

  3. Il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que le ministère de la Justice et l’administration pénitentiaire (AP) commencent à prendre des mesures susceptibles de lutter contre les discriminations de genre en prison, voire à remettre en cause la dimension profondément genrée de l’ordre carcéral. La loi du 24 novembre 200911 et la création d’une section consacrée aux soins spécifiques des femmes détenues dans le code pénitentiaire12, l’adoption du décret du 16 novembre 2023 et de la circulaire du 24 novembre 2023 qui vise à renforcer le droit infantile en prison13, les nouvelles législations en termes de mixité de genre14, témoignent de ces évolutions. Il en va de même de la création, en 2019, à la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), d’un poste dédié à la prise en charge des femmes incarcérées et des publics dits « spécifiques » dont les personnes lesbiennes, gays, bisexuel·les, queer ou trans, de la mise en place d’un groupe de travail sur la grossesse en prison, ou encore de l’adoption d’un référentiel pénitentiaire LGBTQIA+15.

  4. Si on ne peut que saluer ces évolutions, il convient également d’en mesurer les ambivalences et les contradictions. C’est ce que nous nous attacherons à faire dans cet article, en croisant nos recherches de juriste et de sociologue, spécialistes de ces questions depuis le début des années 2000 à aujourd’hui et les récents travaux menés en sciences sociales sur la prison au prisme du genre. L’analyse des évolutions et de la mise en œuvre des textes de loi français consacrés aux femmes et aux minorités de genre en prison révèle que le « genre en prison » est loin d’avoir été constitué en « problème public »16 susceptible de modifier l’ordre carcéral. L’AP s’est saisie de la « question du genre » en adoptant une conception essentialisée de la différence des sexes et pour répondre en fait à des éléments d’ordre très pragmatique. Si l’on distingue les trois niveaux auxquels les politiques pénitentiaires et le droit (les textes, les jurisprudences et les pratiques mises en place dans les établissements) ont évolué, on observe en effet, non pas un processus qui pourrait permettre de dégenrer l’institution carcérale mais, au contraire, un mécanisme qui conduit à reproduire les rapports de genre et à invisibiliser d’autres rapports tout en introduisant de nouvelles formes de discriminations.

  5. C’est d’abord au nom d’une « spécificité féminine » que le droit pénitentiaire a historiquement introduit une dimension sexuée en matière de traitement carcéral. Ici, le genre féminin est considéré dans une dimension différentialiste et traditionnelle : biologisé et sexualisé, il suppose la mise en place de conditions carcérales spécifiques (I). De manière plus récente, c’est ensuite la norme d’égalité femmes-hommes en termes de travail et d’accessibilité qui a conduit à introduire la mixité, cantonnée dans un premier temps à la mixité du personnel de surveillance en établissement pour hommes, puis étendue dans un second temps à celle des activités à destination des détenu·es. Pour autant, ce processus de mixité n’a pas réellement donné lieu à une réflexion globale sur les rapports de genre dans l’institution. Très partiellement mise en œuvre en pratique, la mixité a davantage été introduite et instrumentalisée pour pallier des dysfonctionnements institutionnels (II). Enfin, de manière très contemporaine, la question de l’enfermement des personnes trans s’est posée comme un problème particulièrement délicat pour l’AP. Si la présence de personnes trans en détention n’est pas nouvelle, les évolutions du droit civil ont questionné, en termes de droits humains cette fois, les conditions de leur incarcération. Face à une situation qui vient troubler la binarité de genre qui structure l’institution carcérale, l’AP a plutôt fait le choix de régler le sort des personnes trans par l’isolement afin de préserver l’ordre sexué, et non de dégenrer la prison (III).

  6. Ainsi, l’institution carcérale, profondément genrée, est en mesure de gérer en ses murs la différence supposée des sexes via des règles et des pratiques sexo-spécifiques. Elle peut tendre également partiellement à mettre en place des politiques d’égalité entre les sexes (mixité des emplois, voire des activités). Mais ces évolutions restent marginales et ne remettent pas en cause l’ordre carcéral du genre. Les arguments essentialistes se doublent d’arguments sécuritaires pour réprimer les transgressions des frontières de la binarité de genre – qui fondent encore largement l’espace carcéral et ne cessent d’être réaffirmées.

I. Introduire des « spécificités féminines » : production et reproduction de la différence des sexes

  1. Loin de toute référence au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est d’abord au nom d’une « spécificité féminine » qu’un traitement pénitentiaire sexuellement différentiel a été introduit en milieu carcéral. La question de la gestion spécifique des femmes détenues n’est pas nouvelle : elle s’est posée dès la naissance de la prison moderne. Or, la manière dont cette « spécificité » a été pensée est révélatrice des rapports de genre et de la vision différentialiste qui dominent largement l’institution pénitentiaire et le traitement carcéral des femmes détenues d’hier à aujourd’hui.

  2. Les travaux historiques, sociologiques et juridiques montrent en effet comment, dans les établissements pénitentiaires pour femmes, le corps est notamment l’objet de toutes les attentions. Sexualisé et biologisé, il impose des modes particuliers de surveillance, de moralisation et de protection inscrits dans les règlements et les pratiques (A). C’est aussi le corps reproducteur des femmes qui est visé. La dimension sexospécifique des codes et règlements pénitentiaires, ainsi que les discours qui entourent l’incarcération des femmes révèlent combien les détenues demeurent avant tout pensées au regard du féminin maternel. Cette attention à la (bonne) maternité conduit à produire de fortes inégalités de traitement entre les femmes, entre celles qui répondent aux normes de genre et les autres (B).

A. Moralisation et protection des corps féminins

  1. « Chaque réforme nouvelle de la réglementation pénitentiaire, telle la loi du silence, la disciplinarisation croissante des Maisons Centrales par rapport aux Prisons Départementales, l’instauration du régime cellulaire, […] suscite des variantes de ce [même] questionnement : comment les femmes vont-elles s’adapter à ces réformes ? »17. Sur ce point, les discours des réformateurs du XIXe siècle relèvent d’une certaine conception du genre féminin : d’un côté, les femmes, de par leur nature (sensibilité et faiblesse physique), résisteraient moins bien à l’incarcération ; de l’autre, la réclusion, et notamment l’enfermement cellulaire, serait favorable à l’entreprise de leur moralisation. Cette conception d’une moindre adaptabilité supposée des femmes à l’univers carcéral, parce qu’elles sont jugées plus vulnérables sur le plan physique et psychique, demeure très présente aujourd’hui ?18 Les débats portent notamment sur la préservation de leur intimité. Les femmes détenues ont par exemple été les premières bénéficiaires de dispositifs destinés à améliorer les conditions carcérales comme, dans les années 2000, la mise en place du cloisonnement pour séparer les toilettes du reste de la cellule19. C’est aussi au nom de cette intimité à protéger qu’est aujourd’hui présentée la nécessité de maintenir l’entre-soi féminin qui structure les établissements et quartiers réservés aux femmes.

  2. Pensé comme plus vulnérable, le corps des femmes détenues est aussi largement sexualisé. Les travaux d’historiennes sur les lieux d’enfermement des femmes ont largement documenté le souci de moralisation des recluses, mineures comme majeures, dont la sexualité était jugée nécessairement déviante ou « à risque »20. L’histoire des prisons de femmes est ainsi marquée par la présence des religieuses21. La mise en place de la non-mixité des personnels au début du XIXe siècle a conduit à confier la surveillance des hommes à des gardiens, anciens soldats, et celle des femmes à des religieuses, main-d’œuvre peu coûteuse et qui permettait de satisfaire aux besoins de recrutement22. Les sœurs ont ainsi progressivement remplacé les gardiens dans les établissements et quartiers pour femmes et un règlement pour leur service dans les maisons centrales a par la suite encadré leurs conditions d’intervention et précisé les contours de leurs missions23. Si l’instruction est confiée à des instituteurs laïcs dans les maisons centrales pour hommes, des religieuses assurent cette charge dans les maisons centrales pour femmes. L’enjeu est celui d’une conversion morale, plus qu’un amendement autour d’une formation éducative et professionnelle24. Suite à deux vagues de laïcisation de l’espace carcéral (1880-1889, puis 1900-1908), les religieuses ont peu à peu été remplacées par des surveillantes laïques25. Elles ont toutefois été autorisées, jusqu’à récemment, à intervenir en détention pour y occuper des postes d’infirmières, d’éducatrices, de psychologues et de lingères26.

  3. Jusqu’à la fin du XXème siècle, les religieuses ont donc joué un rôle déterminant dans nombre d’institutions pénitentiaires pour femmes, ce qui, encore aujourd’hui, n’est pas sans incidence sur la manière dont les femmes incarcérées sont considérées et traitées. Comme le montrent les récents travaux sur la sexualité des femmes en prison, et, plus largement, sur les femmes justiciables devant la justice pénale, leur sexualité est à la fois invisibilisée, voire niée et mise sous contrôle27. Les interdits liés aux attitudes corporelles et aux vêtements – qu’ils soient codifiés dans les règlements ou mis en place de manière plus informelle par les personnels – diffèrent également selon les lieux d’incarcération pour femmes ou pour hommes. L’analyse comparée des règlements intérieurs, couplée à des observations ethnographiques, révèle ainsi des règles bien plus importantes pour les femmes détenues quand il s’agit des pratiques vestimentaires et des usages du corps dans l’espace carcéral28. L’article 8 du règlement intérieur type (« Hors de sa cellule, la personne détenue doit conserver une tenue décente et appropriée »29) s’applique ainsi de manière différentielle : la « décence » est définie différemment selon le genre. Par exemple, même en cas de fortes chaleurs, les femmes détenues ne peuvent porter des vêtements jugés trop « dénudés » (brassières, crop tops, mini-jupes, shorts), quand les hommes détenus retirent souvent leur tee-shirt et sortent torse nu en cour de promenade30. La « spécificité » de la prise en charge des femmes détenues a également été construite en référence à leur travail reproductif.

B. La gestion carcérale des mères et des enfants

  1. Les femmes ont d'abord été l'objet de règles et politiques pénitentiaires non pas en tant que telles, mais en tant que mères – là où une majorité d’entre elles ne déclarent pourtant pas avoir d’enfant à charge à leur entrée de prison31. L’identification des catégories de « mères détenues avec leur enfant » et de femmes enceintes, est assortie, à l’instar des mineur·es, de dispositions législatives spécifiques. La présence d’enfants incarcérés avec leur mère en prison n’est pas nouvelle : on en trouve historiquement la trace depuis les premières incarcérations de femmes32. Ils ont d’ailleurs pu, en Angleterre ou au Pays de Galles, être présentés comme des leviers de redressement de leurs mères détenues. Les premières recherches sur les prisons pour femmes par les évangélistes du début du XIXe siècle comme Elizabeth Fry s’intéressent d’abord aux enfants accompagnant leurs mères en prison dans le but de les « redresser du vice et de la monstruosité » dans lequel vivent ces femmes33.

  2. Pour autant, la situation de ces mères et de ces enfants n’a fait l’objet de politiques pénitentiaires que tardivement, et d’abord au niveau international. Les premières réglementations internationales concernant les femmes incarcérées ont d’ailleurs principalement porté sur la grossesse et la maternité en prison avant de s’intéresser à d’autres enjeux. L’ensemble de règles minimales pour le traitement des détenus (aussi appelées « Règles Nelson Mandela ») adopté en 1955 par l’Assemblée des Nations Unies34 n’évoque l’enfermement des femmes qu’à deux titres : pour réaffirmer le principe de séparation des sexes et de surveillance non mixte des femmes35, et pour affirmer le besoin d’installations spéciales pour les femmes enceintes et les mères détenues avec leurs nourrissons36. Par la suite, en 2010, les Règles de Bangkok, qui visent à adapter les Règles Nelson Mandela aux conditions spécifiques de détention des femmes, ont considérablement étendu la règle 23 (1) pour développer une protection particulière pour les mères, leurs enfants, les femmes enceintes et les femmes allaitantes37.

  3. En France, il a fallu attendre les années 1980 et 1990 pour que le sort de ces enfants accueillis en prison soit véritablement questionné, au moment même où se développe la notion d’ « intérêt de l’enfant »38. La situation de ces mineurs commence alors à faire l’objet de rapports et de réunions de travail associant des membres de l’AP, du ministère de la Justice, des professionnels de la protection de l’enfance, des psychiatres et des psychologues39.

  4. Cette attention portée à la maternité a pour conséquence de dépolitiser le genre et de reproduire des inégalités : « Le genre trouve ici une fonction latente qui consiste à valoriser le discours sur les droits des femmes (légaliste) au détriment de la lutte (revendicatif) pour rendre ces droits effectifs » et conduit à « occulter les questions sociales essentielles qui consistent à détourner les personnes du rôle social de leur choix. Le concept de genre tel qu’il est alors utilisé est tronqué de ses fondements théoriques féministes et se réduit à sa définition institutionnelle : l’égalité des droits entre hommes et femmes »40. Aborder la question des femmes incarcérées exclusivement sous l’angle de la maternité revient à reproduire les rapports sociaux de genre, entraînant une triple conséquence : d’une part, la marginalisation d’autres dimensions essentielles de leur condition, telles que l’accès à l’emploi, à la formation ou la reconnaissance de leur sexualité ; d’autre part, la diffusion du stéréotype selon lequel toutes les femmes détenues seraient nécessairement mères ; enfin, la perpétuation de l’idée que leur expérience carcérale ne saurait être envisagée qu’au prisme de la maternité. Le droit reproduit ainsi une essentialisation des rôles de genre : par jeu d’opposition, il conduit à réduire les femmes au féminin maternel, tandis que, dans le même mouvement, les hommes sont généralement perçus au prisme d’une masculinité viriliste, violente et hégémonique et en dehors de leur éventuel rôle parental41.

II. Introduire la mixité des activités carcérales et de la surveillance : résoudre les discriminations entre les femmes et les hommes ?

  1. Si les rapports entre les hommes et les femmes se sont imposés à l’AP, c’est également au prisme de la (non)mixité. La stricte séparation des sexes n’a pas été remise en cause depuis le XIXe siècle. Elle fait d’ailleurs encore aujourd’hui largement consensus pour les acteur·ices du monde pénitentiaire : iels y voient une évidence impossible à interroger42. Pourtant, de récentes évolutions sociales et juridiques invitent à s’interroger sur les enjeux d’un déploiement possible d’espaces, de temps et d’interactions mixtes en prison. La non-mixité est en effet devenue plus problématique au regard des transformations sociales du point de vue du genre et de la mixité d’autres institutions comme l’école, la police ou l’armée. Une série de textes juridiques a ainsi remis en cause, au moins de manière partielle, la binarité sexuée qui fonde l’institution carcérale et a dessiné un autre champ des possibles : l’arrivée plus massive de femmes dans le corps de surveillance et dans les détentions hommes dans les années 1990 (A), la promotion d’activités mixtes entre détenu·es (B). Cependant, l’analyse par le droit et par les pratiques de cette politique récente de mixité volontaire montre qu’elle répond moins à un souci d’égalité des sexes (entre les surveillant·es hommes et femmes, entre les femmes et les hommes détenu·es) qu’à un besoin de pallier les carences de l’institution carcérale43.

A. La mise en place d’activités mixtes : une politique d’affichage

  1. Examinons d’abord ce qu’il en est des activités mixtes, envisagées et organisées depuis une dizaine d’années. La loi du 24 novembre 2009 admet que « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements et à titre dérogatoire, des activités [puissent] être organisées de façon mixte ». Le code pénitentiaire entré en vigueur le 1er mai 2022 maintient cette possibilité, d’ailleurs encouragée par l’ordonnance du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues44 qui élève la mixité des activités au rang de principe, tout en conservant la réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements. Le décret du 12 décembre 202345 poursuit l’œuvre législative entamée et vise à faciliter et sécuriser la mise en œuvre des activités en détention, et en particulier des activités mixtes. Si le principe de séparation des hommes et des femmes et l’interdiction de toute communication entre les uns et les autres est maintenu, l’article R. 211-1 du code pénitentiaire précise désormais que « les femmes et les hommes peuvent communiquer » « au cours et à l’occasion » d’activités mixtes. Ce même article prévoit une dérogation au principe de l’interdiction de la surveillance des femmes détenues par des surveillants hommes : « les personnels surveillant des activités organisées de façon mixte peuvent être des personnels tant féminins que masculins ».

  2. Ces évolutions législatives s’inscrivent dans un mouvement plus large de promotion des activités en prison et dans le souci de permettre leur accès égal aux hommes et aux femmes en rentabilisant les ateliers mis en place46. Compte tenu de la situation de minorité statistique des femmes, le faible nombre des quartiers femmes et leur enclavement au sein d’établissements mixtes, combinés aux principes de séparation des hommes et des femmes et de surveillance des femmes détenues par des personnes de leur sexe, l’égal accès des femmes et des hommes aux activités en détention a été compromis : les femmes ont accès à des activités en moins grand nombre et d’une moins grande diversité que les hommes. Le développement des activités en détention pour les hommes et les femmes incarcéré·es passe donc par la promotion des activités mixtes, qui permettent de mieux rentabiliser les activités organisées en détention en les ouvrant à l’ensemble des personnes détenues de l’établissement, quel que soit leur genre.

  3. Comme l’a montré un récent rapport de recherche sur la mixité47, l’étude des textes juridiques et de leur application dans les établissements pénitentiaires oblige à nuancer ce qui peut apparaître comme une évolution profonde de l’institution pénitentiaire. Plus qu’à un changement de paradigme, ces nouvelles dispositions répondent à une logique d’instrumentalisation de la mixité à des fins d’accessibilité d’une part et, d’autre part, visent à proposer des mesures d’ajustement pour faciliter et sécuriser les activités en détention, qu’elles soient mixtes ou non. En dépit des évolutions, les activités en mixité demeurent très marginales et ce, pour plusieurs raisons. D’abord pour des raisons d’ordre structurel, elles ne peuvent en effet être mises en place que dans les 54 établissements (sur les 188 existants) qui accueillent des femmes et hommes majeur·es et se trouvent de facto exclues dans plus de 70 % des établissements accueillant exclusivement des hommes ou, pour deux d’entre eux, exclusivement des femmes. De même, les activités en mixité sont exclues dans trois des six établissements pénitentiaires pour mineur·es et dans l’ensemble des quartiers mineurs, en ce qu’ils n’accueillent que des garçons. L’organisation de ces activités peut en outre être rendue compliquée par la configuration des lieux, notamment pour les établissements de grande taille dans lesquels le quartier des femmes est parfois très éloigné des salles d’activité.

  4. Ensuite, ces activités sont perçues comme des activités « à risque » sur le plan sécuritaire. Cela tient à des raisons organisationnelles, mais également à une représentation très sexualisée et hétéronormée des relations carcérales. Au plan organisationnel, les activités mixtes sont associées par les acteur·ices à des mouvements plus importants, et donc à une gestion des flux jugée chronophage et difficile. Ces difficultés semblent redoublées dans un contexte déjà tendu de surpopulation carcérale et de manque de personnel pénitentiaire. À ces difficultés organisationnelles s’ajoutent le maintien de l’ordre carcéral, rendu, selon les agent·es, plus difficile à l’occasion de ces activités : les temps en mixité sont perçus par les personnels hostiles comme porteurs en eux-mêmes de désordres et de « débordements », notamment de potentielles relations sexuelles et de violences sexistes entre personnes détenues. De manière plus ancienne, la mixité des personnels de surveillance de l’AP a été développée, sans pour autant qu’aucun texte de loi n’ait été adopté, signe, d’emblée, d’une absence de réflexion collective.

B. Des femmes surveillantes dans la « maison des hommes » ?

  1. L'introduction de surveillantes au sein de quartiers ou d'établissements réservés aux hommes a eu pour objectif principal de pallier des dysfonctionnements institutionnels dans une logique très pragmatique : pourvoir aux besoins de recrutement et aux attentes de mobilité professionnelle. La mixité des personnels procède ainsi d’une politique de ressources humaines déterminée et imposée par l’administration centrale48. Cette mixité est néanmoins relative, marquée par une différenciation sexuée : elle ne concerne que les établissements pénitentiaires pour hommes. Dès la première moitié du XIXe siècle, les textes ont imposé que la surveillance des femmes soit exclusivement confiée à des personnes de leur sexe49. Encore aujourd’hui, l’article R. 211-1 du code pénitentiaire50 dispose que « les femmes détenues ne sont surveillées que par des personnels féminins ». Les personnels masculins ne sont autorisés à assurer que des fonctions d’encadrement en tant que gradés au sein des quartiers femmes. Jusque dans les années 1990, les hommes détenus ne pouvaient être surveillés que par des hommes. À partir des années 1990, les pratiques d’affectation ont été infléchies et des surveillantes ont été progressivement admises en détention hommes pour répondre, d’une part, aux demandes de rapprochement de conjoints pour les surveillantes et, d’autre part, aux besoins de recrutement de l’AP51. Cette féminisation est toutefois restée limitée pour tenir compte des conditions d’exercice des fouilles corporelles : selon l’article R. 225-4 du code pénitentiaire, les hommes détenus ne peuvent être fouillés « que par des agents de leur sexe ».

  2. Ainsi, l’arrêté du 20 août 200752 fixe le pourcentage de femmes et d’hommes pouvant être nommé·es en qualité d’élèves surveillant·es à respectivement 15 % et 85 % à chaque concours. Le jury de concours établit à chaque fois deux listes de candidat·es admis·es, une pour les femmes et une pour les hommes. Pragmatique, l’arrêté de 2007 prévoit toutefois que, par dérogation, la limitation ne s’appliquera pas lorsqu’elle aurait pour effet de ne pas permettre de procéder à l’ensemble des recrutements prévus. La liste complémentaire des femmes permet ainsi d’affecter les postes non pourvus au concours par les hommes. La dérogation est donc devenue la règle et les promotions comportent aujourd’hui en moyenne 30 % de femmes, tant les effectifs des hommes admis ne parviennent pas à combler les besoins importants de recrutement : « finalement, la féminisation du personnel de surveillance est déterminée en creux au regard des besoins en personnels masculins »53.

  3. En pratique, l’entrée des femmes surveillantes dans la « maison des hommes » ne s’est pas faite sans heurts, comme le rappellent les travaux de Guillaume Mallochet54. Aujourd’hui, cette mixité du personnel de surveillance, en l’absence de toute formation aux questions de genre à l’ENAP et pour des raisons structurelles, reste perçue comme perturbatrice pour l’ordre carcéral et ne reste acceptable qu’au prix d’un discours sur une stricte division sexuelle du travail. Dans les faits, les femmes participent tout autant aux activités de maintien de l’ordre que les hommes, y compris quand il s’agit d’user de la force physique (en cas d’incidents par exemple). Ce travail des surveillantes est pour autant invisibilisé. Les acteur·ices du monde carcéral, pour légitimer la présence des femmes aux postes de surveillance dans les détentions réservées aux hommes, insistent sur la complémentarité genrée des compétences (aux hommes surveillants le travail de sécurité, aux femmes surveillantes le travail relationnel)55, sous-tendue par une vision essentialiste du masculin et du féminin56.

III. Résoudre le trouble à l’ordre carcéral57 : isoler des publics LGBTQIA+ justifié pour les « protéger »

  1. À l’instar du traitement des femmes et des enfants en prison, la prise en charge des personnes trans en prison interroge l’administration pénitentiaire comme un problème de gestion de la détention particulièrement épineuse à résoudre. En l’occurrence, la transition de genre et les personnes ayant transitionné troublent l’ordre des sexes instauré en prison (A) qu’il convient de résoudre par la « gestion » de ces publics plutôt que par la remise en question du système (B).

A. L’incarcération des minorités de sexe et de genre ou le bouleversement de l’ordre en prison

  1. À l’instar de la protection des enfants en prison, les identités de genre non conformes à l’assignation à la naissance se sont imposées à l’AP comme une difficulté à gérer, particulièrement depuis que, suite à la loi de 2016, le sexe à l’état civil et la transition chirurgicale ont été juridiquement décorrélés58. Plusieurs arrêts de la CEDH et un avis du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) datant de 202159 continuent de pointer les graves atteintes aux droits fondamentaux que subissent les personnes concernées dans le cadre de leurs incarcérations en France comme dans d’autres pays. Or le problème central posé par les personnes trans à l’AP tient au fait qu’il remet en cause la dimension structurelle de la séparation stricte au fondement de l’organisation carcérale, qui repose sur la mention de sexe à l'état civil. S’agissant des orientations sexuelles minoritaires cette fois, l’homosexualité, et plus généralement la peur des pratiques sexuelles entre hommes détenus est ancienne : elle avait motivé, dès 1875 l’adoption du principe de l’encellulement individuel pour remplacer les dortoirs collectifs et ainsi éviter une trop grande promiscuité entre les hommes60. Si les pratiques homosexuelles ont fait très vite l’objet de réponses par l’AP pour s’efforcer de les « éradiquer »61, les travaux existants ont montré qu’elles sont en fait répandues et largement tabous en prison. La notion d’« homosexualité situationnelle », développée dans les années 1940-1950 dans des travaux de criminologues, a d’ailleurs permis de ne pas remettre en question l’ordre hétéronormatif en prison62.

  2. Plus encore, les viols entre hommes en prison ont toujours fait partie intégrante de ce qui se déroulait en prison sans jamais bouleverser l’ordre carcéral, sans que les victimes parviennent à porter plainte ou à lever les mécanismes de silenciation voire de légitimation de ces viols qui opèrent de manière très puissante en prison63. Or, la violence sexuelle n’a pour autant jamais été au centre des préoccupations de l’AP, y compris s’agissant des victimes violées parce que leur expression de genre présumait une homosexualité. Les quelques réponses pénitentiaires ont été de l’ordre de l’isolement ou du changement d’affectation vers des établissements pénitentiaires qui sont devenus spécialisés dans l’accueil des publics perçus comme homosexuels ou trans, comme celui du Centre pénitentiaire de Caen64. A contrario, c’est véritablement l’identité de genre différente de celle assignée à la naissance qui a préoccupé l’AP et conduit à la création de quartiers spécifiques principalement dédiés aux personnes trans. Ces mêmes quartiers sont aussi réservés aux auteurs d’infraction à caractère sexuel, aux personnes médiatiques ou aux hommes politiques, ce qui révèle encore plus le manque de politique spécifique de prise en charge de chacun de ces publics bien distincts.

B. La « gestion de la détention » des personnes trans

  1. Si le droit français a évolué timidement pour répondre aux exigences de respect des droits fondamentaux des personnes trans incarcérées, cette évolution est passée par la petite porte. Les enjeux liés à l’incarcération des personnes trans ont fait l’objet d’un référentiel infranormatif produit par la direction de l’administration pénitentiaire sur la « prise en charge des personnes LGBTQIA+ » plutôt que d’une modification du code pénitentiaire ou de l’adoption d’une circulaire Justice. En d’autres termes, il ne s'agit que de préconisations dénuées de toute transformation structurelle de l’ordre carcéral qui visent à mieux aider les personnels pénitentiaires à la « gestion de la détention »65 de ces publics.

  2. D’une part, les notions de « sexe » et d’« identité de genre » coexistent dans le Code pénitentiaire depuis l’ajout récent de cette dernière à l’article L. 6, qui garantit la dignité et le respect des droits de toute personne détenue « en tenant compte de l’âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité » ce qui contribue à entretenir une confusion entre les deux66. Aucune actualisation des règles pénitentiaires n’a été effectuée ; en particulier, l’article R. 211-1 du Code pénitentiaire relatif à la séparation des hommes et des femmes, demeure inchangé. D’autre part, les quelques évolutions observables se sont situées du côté de la gestion de la détention. Un poste “publics spécifiques” a ainsi été créé en 2019 à la Direction de l’administration pénitentiaire pour être dédié aux spécificités de l’enfermement des femmes et des minorités de genre (dont l’enjeu de l’affectation des personnes trans). Si la création de ce poste constitue une première avancée dans la reconnaissance du droit des personnes LGBTQIA+ dans son ensemble, il est regrettable que l’ensemble de ces publics (aussi différent·es qu’iels soient) soit incorporé dans un « portefeuille commun ». Cette personne unique à la DAP a en effet à connaître autant du traitement des fausses couches en prison que de la prise d’hormones de personnes en transition par exemple. En outre, regrouper tous ces publics autour de l’intitulé « publics spécifiques » contribue à les invisibiliser et à créer une sorte de fourre-tout des personnes qui posent des problèmes de gestion de la détention, de la même manière que la catégorie juridique de « personnes détenues particulièrement vulnérables ». Enfin, le référentiel adopté sur la prise en charge des publics LGBTQIA+ placées sous main de justice recommande : « Dans le cas où des risques de violences à l’encontre de la personne visée sont identifiés au sein du quartier / établissement d’accueil et si le risque est élevé et avéré, une affectation au sein d’un quartier pouvant accueillir des personnes vulnérables est à privilégier »67. Certes, selon le référentiel, l’affectation des personnes doit se faire principalement dans le quartier ou l’établissement pénitentiaire correspondant à leur identité de genre en dépit d’une identité différente à l’état civil. Néanmoins, il préconise, lorsque cela est nécessaire, le maintien du placement dans ces quartiers spécifiques qui protègent autant qu’ils isolent les personnes concernées68. Ces quartiers révèlent la manière dont l’AP tente de protéger les personnes concernées sans jamais remettre en cause l’ordre sexué ou les violences de genre structurelles engendrées par l’incarcération. Nous sommes bien face à une “gestion de la détention” au sens strict c’est-à-dire une façon d’apporter une réponse précise à un problème posé à l’ordre pénitentiaire dénuée de toute réflexion politique.

Conclusion

  1. Cette contribution a permis de saisir les stratégies et les impensés qui sous-tendent l’absence de problématisation du genre en prison : le genre s’est de facto imposé à la prison parce qu’il s’agissait de traiter ce qui s'apparentait à des problèmes de surveillance ou de sécurité carcérale des femmes ou des personnes trans. Comment incarcérer une mère avec son bébé ? Où enfermer une femme trans alors que son état civil correspond encore à celui du sexe assigné à sa naissance ? L’AP s’est appropriée la question des rapports hommes-femmes dans une dimension différentialiste. Il conviendrait à présent de poursuivre ce travail de réflexion autour de la notion de « personnes détenues particulièrement vulnérables » qui s’est progressivement imposée en droit européen, puis en droit français. À l’instar des « publics spécifiques », cette notion a permis à l’AP de regrouper les femmes, les personnes LGBTQIA+ ou encore les personnes en situation de handicap sans jamais remettre en question l’ordre carcéral que ces publics viennent pourtant très largement perturber.

Coline Cardi, maîtresse de conférences, Université Paris 8, CRESPPA-CSU

Références


  1. Soit 78 016 personnes désignées « hommes » à l’état civil, contre 2 776 personnes désignées « femmes » à l’état civil (Ministère de la justice, Statistiques des établissements et personnes écrouées en France au 1er décembre 2024, en ligne : https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-12/statistique_etablissements_personnes_ecrouees_01122024_1.pdf (consulté le 27 septembre 2025).↩︎

  2. « Sécurité et société », Insee références, édition 2021.↩︎

  3. La non-mixité genrée des établissements pénitentiaires et la sexuation des mandats professionnels sont en effet relativement tardifs : ils datent du 19ème siècle (Amélie Imbert, Anne Jennequin, « Surveiller les femmes incarcérées en maison centrale. La construction d’une différenciation de la surveillance pénitentiaire au XIXe siècle »,Criminocorpus, 2025, n°27 [en ligne]. De plus, la proportion des femmes détenues parmi la population carcérale a été historiquement bien plus importante : elles représentaient plus de 30 % des individus détenus à la fin du XVIIIe siècle (Michelle Perrot, 2002, « Ouverture », in Christine Bard, Frédéric Chauvaud, Michelle Perrot, Jacques-Guy Petit, Femmes et justice pénale, XIXe -XXe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2002, pp. 9-21.↩︎

  4. Coline Cardi, Geneviève Pruvost, « La violence des femmes : un champ de recherche en plein essor », Champ Pénal/Penal Field, 2011, vol. VIII.↩︎

  5. Kelly Hannah-Moffat, « Gendering Dynamic Risk : Assessing and Managing the Maternal Identities of Women Prisoners », in Kelly Hannah-Moffat, Patricia O’Malley (dir.), Gendered Risks, Glasshouse Press, 2007, pp. 229-247 ; Coline Cardi, La déviance des femmes. Délinquantes et mauvaises mères : entre prison, justice et travail social, thèse de doctorat, Université Denis Diderot, Paris 7, 2008 ; Corinne Rostaing, La relation carcérale : Identités et rapports sociaux dans les prisons de femmes, PUF, Coll. Le lien social, 1997 ; Pat Carlen, Women’s Imprisonment, A study in social control, Routledge and Kegan, 1983, not. p. 155.↩︎

  6. Coline Cardi, Geneviève Pruvost, « Introduction générale. Penser la violence des femmes : enjeux politiques et épistémologiques », in Coline Cardi, Geneviève Pruvost, Penser la violence des femmes, La Découverte, 2012, pp. 13-64.↩︎

  7. Ariane Amado, L’enfant en détention en France et en Angleterre. Contribution à l’élaboration d’un cadre juridique pour l’enfant accompagnant sa mère en prison, Mare & Martin, 2020 ; Martine Herzog-Evans, « Le séjour du petit enfant avec sa mère en détention », in Loïc Cadiet et al. (dir.), Figures de femmes criminelles, de l’Antiquité à nos jours, Publications de la Sorbonne, 2010, pp. 205-221.↩︎

  8. Maïté Saulier, « Les femmes enfermées : femmes invisibles, discriminations invisibles ? », in Jérémy Houssier et Maïté Saulier (dir.), Les femmes et le droit. Les discriminations invisibles, Dalloz, 2024, p. 137 ; Ariane Amado, Quentin Markarian, Olivia Nederlandt, « Le traitement des femmes et des personnes trans en prison : Une approche comparée en droit belge, français et suisse », Revue de droit pénal et de criminologie, 2024, vol. 4, p. 333 ; Anne Jennequin et al., « La (non-)mixité genrée en détention : révolution en cours ou simples ajustements ? Réflexions sur les modifications apportées au code pénitentiaire par le décret du 12 décembre 2023 », Revue de science criminelle et de Droit pénal comparé, 2024, n°3, pp. 565-578.↩︎

  9. Geneviève Pruvost, Profession : policier. Sexe : féminin, Éditions de la MSH, 2007 ; Juliette Rennes, Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l'accès des femmes aux professions de prestige 1880-1940, Fayard, 2007.↩︎

  10. Anne Revillard, La cause des femmes dans l’État. Une comparaison France-Québec, Presses universitaires de Grenoble, 2016.↩︎

  11. Notamment les articles 38 et 52 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 qui ont consacré l’organisation du séjour de l’enfant en prison par les services publics départementaux en partenariat avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation ainsi que l’interdiction du port de menottes et entraves lors des examens gynécologiques et accouchement ; v. Ariane Amado, L’enfant en détention en France et en Angleterre, op.cit., § 229 et § 324.↩︎

  12. Art. L. 322-9 et 10 du Code pénit. ; v. Ariane Amado, Quentin Markarian, Olivia Nederlandt, « Le traitement des femmes et des personnes trans en prison : Une approche comparée en droit belge, français et suisse », op.cit., 2024, p. 333.↩︎

  13. Décret n° 2023-1044 du 16 novembre 2023 et circulaire Justice relative à la prise en charge des enfants vivant avec leur mère en détention : NOR JUSK2315651C ; v. Ariane Amado, « Vers la fin de la séparation systématique des mères et des enfants en prison lors de leur prise en charge médicale en urgence ? », AJ pénal, 2023, n° 12, p. 524.↩︎

  14. Notamment l’article L. 411-3 C. pénit., v. Anne Jennequin et al., « La (non-)mixité genrée en détention : révolution en cours ou simples ajustements ? Réflexions sur les modifications apportées au code pénitentiaire par le décret du 12 décembre 2023 », op.cit., pp. 565-578.↩︎

  15. Ce référentiel vise à proposer des solutions pour accompagner les publics LGBTQIA+ en prison : Ministère de la justice, Référentiel national de prise en charge des personnes LGBT+ placées sous main de justice, 2024 [en ligne] ; v. Maïté Saulier, « Les personnes trans incarcérées : l'ordre pénitentiaire troublé ? », Revue Juridique Personnes et Famille, 2025, n° 296 ; Morgan Pénitot, « Les personnes détenues transgenres : quelle prise en compte ? », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2024, n° 22, pp. 45-52.↩︎

  16. Emmanuel Henry, « Construction des problèmes publics », in Olivier Fillieule, Lilian Mathieu, Cécile Péchu (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, 2e éd., Presses de Sciences Po, 2020, pp. 152-158.↩︎

  17. Claudie Lesselier, Les femmes et la prison, 1815-1839, thèse pour le doctorat en histoire, Université Paris VII, 1982, dact., p. 138.↩︎

  18. Coline Cardi, « Le traitement carcéral des femmes détenues : une pénalité douce ? », in Natacha Chetcuti-Osorovitz, Julie Debroux, Patricia Paperman (dir.), Genre et monde carcéral : éthiques et pratiques de terrain, Revue Actes de la MSH, MSH Paris-Saclay Éditions, 2020.↩︎

  19. Dans l’ancienne prison de Loos, par exemple, (établissement très ancien dont les conditions de détention particulièrement dégradantes – y compris pour les femmes – ont été dénoncées au début des années 2000 par le Comité Européen de Prévention de la Torture), c’est d’abord dans le quartier femmes qu’a été mis en place le cloisonnement pour séparer les toilettes du reste de la cellule ; v. Coline Cardi, La déviance des femmes. op. cit..↩︎

  20. Coline Cardi, Véronique Blanchard, Vagabondes, Voleuses, Vicieuses. Adolescentes sous contrôle de la Libération à la libération sexuelle, Éd. François Bourin, 2019 ; Myriam Joël, La sexualité en prison de femmes, Presses de Sciences Po, 2017.↩︎

  21. Anna Le Pennec, « Cette catégorie d’êtres à jamais perdus ». Les femmes incarcérées dans les maisons centrales du sud de la France, XIXe-début XXe siècle, Thèse pour le doctorat en histoire, Université Toulouse 2, 2018 ; Claudie Lesselier, Les femmes et la prison, 1820-1939, op. cit.↩︎

  22. Claudie Lesselier, Les femmes et la prison, 1820-1939, op. cit.; Claude Langlois, « L’introduction des congrégations féminines dans le système pénitentiaire français (1839-1880) », in Jacques-Guy Petit (dir.), La prison, le bagne et l’histoire, Éd. Médecine et Hygiène, coll. Déviance et société, 1984, pp. 129-140, p. 129.↩︎

  23. Circulaire du 22 mai 1841 concernant le service des sœurs dans les maisons centrales.↩︎

  24. Jacques-Guy Petit, Histoire des galères, bagnes et prisons. XIXe-XXe siècle, Privat, 1991, p. 160.↩︎

  25. Claude Langlois, « L’introduction des congrégations féminines dans le système pénitentiaire français (1839-1880) », op. cit..↩︎

  26. Olivier Landro, La vie chrétienne dans les prisons de France au XXe siècle, Éd. du Cerf, coll. « L’histoire à vif », 2011, p. 300. Elles sont encore quelques-unes à animer des activités comme au centre pénitentiaire de Rennes. Elles n’interviennent plus à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis depuis 2024.↩︎

  27. Myriam Joël, La sexualité en prison de femmes, op. cit., pp. 134-135.↩︎

  28. Coline Cardi, « Le contrôle social réservé aux femmes : entre prison, justice et travail social », Déviance et société, 2007/1, vol. 31, p. 3.↩︎

  29. Article 8 du règlement intérieur type prévu à l’article R. 57-6-18 du code pénitentiaire.↩︎

  30. Observations ethnographiques menées dans le cadre du projet de recherche intitulé « Mères et bébés en prison : Développement de l'enfant, soins, autonomie et droit », coordonné par Édouard Gardella (sociologue, CNRS-LIER) et financé par la Ville de Paris dans le cadre du programme de financement EMERGENCE(S) ; v. aussi Coline Cardi, « Le traitement carcéral des femmes détenues : une pénalité douce ? », op. cit..↩︎

  31. Coline Cardi, « Les quartiers mère/enfant : l’“autre côté” du dedans ? Protection et surveillances des mères en prison de femmes », Champ Pénal, 2014, vol XI [en ligne].↩︎

  32. Circulaire du 10 mai 1861 ; Comte Bigot de Préameneu, rapport du Conseil Général de la Société Royale des Prisons, Octobre 1819. A. Foulquier, La Maternité en Milieu Carcéral. Evolution historique au Centre Pénitentiaire de Rennes, Thèse pour le doctorat en médecine, Université Rennes 1, 2009, dact., p. 18.↩︎

  33. Rebecca E. Dobash, Russell P. Dobash, Sue Gutteridge, The imprisonment of women, Londres, Blackwell Publishing, 1986, p. 43 ; Mary Carpenter, Our convicts, Londres, Longman, Green, Roberts & Green, 1864, vol. II, p. 226 ; Henry Mayhew, John Binny, Criminal Prisons of London, Londres, Griffin, Bohn and Company, 1862, pp. 189-191.↩︎

  34. Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus qui sont adoptées par l’Assemblée générale au premier Congrès des Nations unies (NU) pour la prévention du crime et le traitement des délinquants à Genève en 1955 et approuvées par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977.↩︎

  35. Règles 8 et 53.↩︎

  36. Règle 23 (1).↩︎

  37. L’Ensemble de règles concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes (Règles de Bangkok), Résolution 2010/16, ont été adoptées par l’Assemblée générale et approuvées par le Conseil économique et social des Nations-Unies (22 juillet 2010).↩︎

  38. Irène Théry, Le démariage, Odile Jacob, 1992.↩︎

  39. L’entrée de quelques professionnelles de la petite enfance en prison après la Libération fait émerger des controverses autour de leur bien-être et de leurs conditions de vie en prison. Peuvent-ils grandir dans un environnement propice à leur développement ? A quel âge doivent-ils être séparés de leur mère ? V. Coline Cardi, « Le féminin maternel ou la question du traitement pénal des femmes », Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, 2009, n° 128, pp. 75-86 ; Ariane Amado, L’enfant en détention en France et en Angleterre, op.cit., § 8 et suivants.↩︎

  40. Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing, La mixité genrée à l’épreuve de la prison, Rapport de recherche pour l’IERDJ, 2024.↩︎

  41. Marine Quennehen, « La paternité s’arrête-t-elle aux portes de la prison ? » Revue française des affaires sociales, 2019, n° 4, p. 73-96.↩︎

  42. Coline Cardi et al, La mixité genrée à l’épreuve de la prison, op. cit.↩︎

  43. Ibid.↩︎

  44. Ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues.↩︎

  45. Décret n° 2023-1169 du 12 décembre 2023 portant diverses mesures relatives aux activités de travail des personnes détenues.↩︎

  46. Anne Jennequin, et al., « La (non-)mixité genrée en détention : révolution en cours ou simples ajustements ? Réflexions sur les modifications apportées au code pénitentiaire par le décret du 12 décembre 2023 », op. cit..↩︎

  47. Ibid.↩︎

  48. Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing, « La féminisation du personnel de surveillance pénitentiaire : la remise en cause d’une institution viriliste ? », Droit et société, 2024, vol. 116, n° 1, pp. 53-69.↩︎

  49. Article 5 de l’arrêté du 25 décembre 1819 sur la police des prisons départementales, préc.; Décision ministérielle du 6 avril 1839 sur les préposés à la garde des femmes condamnées, préc. ; Article 27 du règlement général pour les prisons départementales du 30 octobre 1841, préc.↩︎

  50. Décret n° 2023-1169 du 12 décembre 2023 portant diverses mesures relatives aux activités de travail des personnes détenues.↩︎

  51. Guillaume Malochet, « La féminisation du personnel de surveillance des prisons. Les sens d’une transgression institutionnelle », in Lydie Bodiou, Marlaine Cacouault-Bitaud, Ludovic Gaussot (dir.), Le genre entre transmission et transgression, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 145.↩︎

  52. Arrêté du 20 août 2007 fixant le pourcentage de femmes et d'hommes pouvant être nommés en qualité d'élève surveillante et élève surveillant de l'administration pénitentiaire à l'issue d'un concours pour le recrutement de surveillantes et surveillants des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, NOR : JUSG0758756A.↩︎

  53. Coline Cardi et al, La mixité genrée à l’épreuve de la prison, op. cit.↩︎

  54. Guillaume Mallochet, « Des femmes dans la maison des hommes. L'exemple des surveillantes de prison », Travail, genre et sociétés, 2007, vol. 17, n° 1, pp. 105-121.↩︎

  55. La récente étude citée sur la mixité montre que cette division sexuelle du travail mérite d’être nuancée : les observations ethnographiques sur le long terme en prison montrent que les femmes surveillantes participent tout autant que les hommes au travail de maintien de l’ordre, y compris en faisant usage de la violence légale : Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing, « Déjouer les contraintes pénitentiaires : appréhender la prison en croisant les sources et les méthodes », Bulletin de Méthodologie Sociologique, 2025, vol. 158, n° 1 [en ligne].↩︎

  56. Ibid.↩︎

  57. Nous faisons là une référence directe à l’ouvrage emblématique de Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, trad. Cynthia Kraus, La découverte, 2006.↩︎

  58. Il s’agit de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice ; v. not. Marie-Xavière Catto, Julie Mazaleigue-Labaste (dir.), La bicatégorisation de sexe, entre droit, normes sociales et sciences biomédicales, Mare & Martin, 2021 ; Marie Mesnil, « La démédicalisation du changement de sexe à l’état civil : une conception renouvelée du sexe et du genre », Journal du droit de la santé et de l’Assurance maladie, 2017, n° 16, pp. 62-69.↩︎

  59. CEDH, 9 octobre 2012, X c. Turquie, n° 24626/09 ; CEDH, 11 juillet 2024, W.W. c. Pologne, n° 31842/20 ; CGLPL, Avis du 25 mai 2021 relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté, NOR CPLX2120428V. Pour une analyse plus précise du contentieux pénitentiaire dans les arrêts de la CEDH, v. Ariane Amado, Quentin Markarian, « Le contentieux pénitentiaire de la Cour européenne des droits de l’homme à la lumière des droits des femmes et des personnes LGBTI », Cahiers des droits fondamentaux, 2025, n° 23 [en ligne].↩︎

  60. Quentin Markarian, « Éradiquer l’homosexualité en prison », Criminocorpus, 2025, n° 27 [en ligne] .↩︎

  61. Ibid.↩︎

  62. Sur la perception de l’homosexualité en prison comme « situationnelle » sans remise en question aucune de l’ordre hétérosexuel : Jean-Sébastien Blanc, « L’homosexualité “situationnelle” en prison : une catégorie au service de l’ordre hétérosexuel ? », Déviance et Société, 2023, vol. 47, n° 2, pp. 183-210.↩︎

  63. Gwenola Ricordeau, « Enquêter sur l'homosexualité et les violences sexuelles en détention », Déviance et Société, 2004, vol. 28, n° 2, pp. 233-25.↩︎

  64. Ibid..↩︎

  65. « La gestion de la détention » renvoie à une notion typiquement pénitentiaire et désigne d’ailleurs un bureau au sein de la Direction de l’administration pénitentiaire.↩︎

  66. V. par exemple les art. L. 223-18, R. 240-3 ou R. 240-8 dudit code qui mentionnent encore le « sexe » et non l’identité de genre.↩︎

  67. Ministère de la justice, Référentiel national de prise en charge des personnes LGBT+ placées sous main de justice, préc., p. 12.↩︎

  68. Morgan Pénitot, « Les personnes détenues transgenres : quelle prise en compte ? », op.cit. ; Maïté Saulier, « Les femmes enfermées : femmes invisibles, discriminations invisibles ? », op.cit. ; Amado Ariane, Markarian Quentin, Olivia Nederlandt, « Le traitement des femmes et des personnes trans en prison : Une approche comparée en droit belge, français et suisse », op.cit..↩︎