Actualités choisies
Travail, argent, économie

(janvier 2024 - décembre 2024)

Lisa Carayon
Marc Pichard
Diane Roman

















Si l’année a été marquée par un important revirement de jurisprudence en matière de responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur1, si les questions de protection sociale donnent lieu à des contentieux dont l’issue est encore incertaine, en matière de gestation pour autrui comme de congé menstruel2, trois sources font la matière de la présente chronique : un rapport qui entend dresser un bilan des inégalités entre les femmes et les hommes « de l’école au marché du travail » (I) ; une loi qui porte l’ambition d’assurer « une » « justice » patrimoniale au sein de la famille (II) ; une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui invite à s’interroger sur les dispositifs d’indemnisation des violences conjugales en droit français (III).

I. Les inégalités entre les femmes et les hommes de l’école au marché du travail : quel bilan ?

  1. En janvier 2025, la Cour des comptes a publié un rapport public thématique consacré aux « inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail »3. Ce rapport prolonge celui publié en 2023 intitulé « La politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par l’État, des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés ». Une fois de plus, la Cour des comptes souligne un paradoxe : la politique d’égalité entre les femmes et les hommes, désignée « grande cause nationale » du quinquennat 2017-2022 par le Président de la République, désignation renouvelée pour le quinquennat 2022-2027, peine à porter ses fruits, alors même que les plans d’action gouvernementaux se succèdent sur le sujet4. Le décalage entre l’affichage politique et les réalisations concrètes est encore une fois pointé du doigt. Bien que « plus diplômées que les hommes, les femmes accèdent moins aux métiers et aux postes les plus rémunérateurs. Cela s’explique notamment par des parcours scolaires très différents et des choix de spécialité qui reflètent moins des différences de niveau scolaire que des appétences genrées, en partie construites en dehors de l’école sur des stéréotypes » (p. 48 du rapport). Les trois chapitres du rapport s’attachent à étudier le continuum d’inégalités de genre existant entre l’école et le marché du travail, en mettant l’accent sur le poids des stéréotypes de genre qui affectent les destins scolaires puis professionnels des femmes et des hommes.

  2. Le premier chapitre dresse un constat imparable : celui de la lenteur de la réduction des inégalités socio-économiques entre les femmes et les hommes et la persistance de différences genrées dans les parcours d’activité. Le poids des stéréotypes, qui influencent les différences de choix professionnels, contribue à la reproduction des inégalités de genre. Dans une perspective libérale, l’accès des femmes aux diplômes universitaires et au monde du travail était présenté comme de nature à mettre un terme au diptyque « M. Gagne-Pain et Mme Au foyer » et à garantir l’égalité. Or il n’en est rien : si « Mme au foyer » est désormais une exception, elle a été remplacée par « Mme Gagne-Miette »5. La Cour des comptes le constate : les femmes ont massivement investi l’enseignement supérieur (54 % des femmes de 25‑34 ans sont diplômées du supérieur, contre 47 % des hommes) et le monde professionnel (le taux d’activité des femmes se rapproche désormais de celui des hommes). Malgré cela, bien que « plus diplômées que les hommes, les femmes accèdent moins aux métiers et aux postes les plus rémunérateurs » (p. 48). D’après le rapport, ceci s’explique par deux facteurs.

  3. D’une part, des parcours scolaires et des choix d’orientation qui reflètent le poids des stéréotypes de genre. Dès le lycée, des orientations genrées se profilent (ce qui permet à la Cour des comptes de tacler les effets délétères de la réforme du baccalauréat sur l’égalité entre les filles et les garçons, dans le choix des spécialités auquel elle conduit) ; ces orientations genrées se confirment dans l’enseignement supérieur et l’activité professionnelle. Ainsi, l’accès au premier emploi est caractérisé par la sous‑représentation des femmes dans les métiers techniques et scientifiques ou d’ingénierie et leur surreprésentation dans les filières sanitaires et sociales. « Les inégalités salariales s’expliquent […] par un double effet de ségrégation des métiers : les femmes exercent plus souvent dans des secteurs moins bien rémunérés et sont également moins nombreuses parmi les hauts salaires du fait du “plafond de verre”, c’est-à-dire des obstacles invisibles auxquels elles se heurtent pour accéder aux positions les plus élevées » (p. 39). L’emploi féminin subit ainsi une double ségrégation horizontale et verticale, creusant ainsi les inégalités socio‑économiques.

  4. D’autre part, le poids de la parentalité dans les parcours professionnels est inégalement réparti. Les études de genre l’ont démontré de longue date : « Care is burden ». La Cour des comptes le rappelle : « l’écart de salaire genré en équivalent temps plein croît avec le nombre d’enfants : en 2021, il est en moyenne de 6,1 % parmi les salariés du privé n’ayant pas d’enfant, mais atteint 29,5 % entre les mères et les pères de trois enfants ou plus. Ces différences proviennent à la fois de la baisse de salaire observée après la naissance mais aussi des carrières durablement ralenties des mères » (p. 46 du rapport, citant des données issues de Insee Focus n° 320, Écart de salaire entre femmes et hommes en 2022, mars 2024). À cet égard, le recours au temps partiel est un facteur aggravant des inégalités salariales : 51 % des femmes à temps partiel indiquent l’être pour s’occuper de leurs enfants, contre 14 % des hommes6. Et la Cour des comptes de souligner l’échec des politiques publiques mises en place pour inciter à un meilleur partage des responsabilités parentales, à l’instar de la Prestation partagée d’éducation de l’enfant (Prepare), cette allocation destinée aux parents d’enfants en bas‑âges mise en œuvre par la loi Vallaud‑Belkacem7. Chichement compensé, l’arrêt de travail entraîne une perte de revenu très importante au sein du couple ; le dispositif gagnerait à être profondément réformé pour devenir plus incitatif8.

  5. Le 2e chapitre, consacré à l’analyse des politiques publiques en faveur de l’égalité, conduit la Cour des comptes à souligner le caractère dispersé des actions ministérielles et l’insuffisance du pilotage interministériel en faveur de l’égalité femmes‑hommes.

  6. Sur ce point, comme pour d’autres, la Cour constate que la multiplication des textes législatifs et réglementaires, parfois redondants, n’a pas permis d’atteindre les objectifs de mixité à l’école et d’égalité salariale. La Cour procède ici à une vive critique de l’index d’égalité salariale, issu de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (C. travail, art. L. 1142-8 à L. 1142-11), qu’elle qualifie d’« index de façade dont la logique de résultats n’est pas probante » (p. 84). Notamment, le rapport relève que l’index ne concerne qu’une faible partie des salariés du secteur privé (à peine 25 %) ; qu’il tend à invisibiliser les inégalités réelles entre femmes et hommes en raison de ses méthodes de calcul ; qu’il n’a pas d’effet détectable sur les inégalités femmes‑hommes dans les entreprises concernées et que le système de sanction et pénalité est mal appliqué et insuffisamment dissuasif. Le constat de l’inefficacité du dispositif n’est pas nouveau : il avait déjà été dressé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes9, ce qui n’avait pas empêché le législateur de le transposer au secteur public sans guère de modifications10.

  7. De façon plus inédite, la Cour des comptes fustige l’éparpillement des politiques publiques et leur inefficacité. Ainsi, à propos de celles menée pour l’éducation et l’enseignement supérieur, elle relève que « le foisonnement d’actions ne suffit pas à définir une politique publique. Si l’égalité filles‑garçons est par définition un objectif transversal, au service de la réussite de tous les élèves, et par conséquent “partout et nulle part”, ce sujet nécessite aujourd’hui un portage politique plus fort qu’il ne l’est » (p. 80). Plus généralement, l’accumulation et l’éparpillement d’actions en silo menées par les ministères manque de coordination. Et ce n’est pas le lancement du programme Toutes et tous égaux, en 2024, qui apportera une réponse : « L’annonce de ce plan a répondu aux engagements présidentiels et à la nécessité d’une annonce symbolique le 8 mars, mais n’a pas été suffisamment préparé par un travail de coordination et de mise en forme », affirme la Cour (p. 62).

  8. À cette accumulation d’actions discontinues, la Cour des comptes oppose l’insuffisance, voire l’indigence des études permettant de mesurer les effets de genre des dispositions normatives (p. 59). La critique porte principalement sur la rédaction des études d’impact concernant les incidences des textes législatifs sur les inégalités entre les femmes et les hommes : « L’analyse d’un échantillon d’études d’impact de projets de loi montre que la mesure de l’impact sur l’égalité entre les femmes et les hommes est très souvent inexistante ou rédigée de manière elliptique » (p. 59). La Cour des comptes recommande à cet égard de réaffirmer la responsabilité de l’INSEE, comme coordinateur des statistiques genrées, mais aussi de saisir davantage pour avis le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes afin qu’il participe à la rédaction des études d’impact des textes législatifs.

  9. Enfin, le dernier chapitre souligne « les limites d’une action publique, prise entre incitations parfois incantatoires et sanctions difficiles à mettre en œuvre », aussi bien à l’école que dans l’entreprise.

  10. Dans le monde scolaire et universitaire, de nombreuses actions en faveur de l’égalité femmes‑hommes sont menées, mais elles manquent d’une impulsion politique nette, notamment en termes de formation des enseignant·es et des élèves. Les actions dépendent principalement d’initiatives au niveau des académies, le ministère de l’éducation nationale n’effectuant aucun portage fort. La Cour des comptes souligne au passage l’intérêt des nouveaux programmes d’éducation à la vie affective et sexuelle, devant accorder « une place particulière à l’égalité filles‑garçons, à la lutte contre toutes les formes de discrimination et de violence fondées sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle réelles ou supposées ainsi qu’à la notion de consentement » (p. 68). C’est pourtant oublier qu’une telle éducation est prévue depuis… 25 ans11 !. Quant à l’enseignement supérieur, il est caractérisé par des moyens hétérogènes et limités (p. 69). Ainsi, dans les établissements du supérieur, l’enquête « REMEDE »12 recense 409 personnes impliquées dans cette politique. Elles sont chargées de mission (34 %), référent(e) (30 %), vice-président(e) (28 %) : 8 % ont d’autres fonctions et 2 % sont membres du personnel non enseignant titulaire. Dans ce contexte, la Cour des comptes souligne l’intérêt de la loi n° 2021-1774 (dite loi Rixain) du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle qui impose l’obligation de publier des indicateurs relatifs à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans divers champs de l’enseignement supérieur et de la recherche (nouvel article L. 611-5 du Code de l’éducation).

  11. De même, dans le monde de l’entreprise, l’action publique affiche des objectifs volontaristes, mais a des effets limités, aussi bien pour la mixité des secteurs d’activité (déségrégation horizontale) que pour l’évolution des carrières féminines (déségrégation verticale).

  12. Pour ce qui concerne la déségrégation horizontale, la Cour des comptes relève que les politiques en faveur de l’emploi et de la mixité des métiers peinent à porter leurs fruits. Un manque de pilotage est déploré, tant il s’agit généralement d’initiatives locales ou d’évènements ponctuels. L’exemple de France travail est particulièrement pointé du doigt (p. 82), dans la mesure où l’orientation des demandeur·ses d’emploi souffre de la rencontre de différents stéréotypes de genre : ceux du ou de la conseillèr.e de France Travail, ceux du ou de la demandeur·se d’emploi et ceux de la personne qui recrute. Or déjouer ces stéréotypes suppose une sensibilisation forte, qui fait défaut. La Cour des comptes met en avant le décalage entre les déclarations d’intention de la DGEFP et le contenu concret des décisions adoptées. D’un côté, le ministère affirme « sout[enir] les efforts menés pour favoriser la mixité professionnelle » et que « cet engagement se traduit à travers la mobilisation des branches professionnelles, notamment dans les secteurs en tension, par l’inscription d’axes “mixité” dans les engagements de développement de l’emploi et des compétences (Edec) ». D’un autre côté, le contenu concret des accords-cadres des Edec en cours ne traduit aucune évolution : « Dans des secteurs très peu mixtes, comme ceux des métiers du grand âge et de l’autonomie, ne figure aucun objectif de mixité. Dans les secteurs en tension, comme la construction, les grands axes de l’Edec n’intègrent pas explicitement la question de l’emploi féminin […] Le constat est identique pour des secteurs d’avenir, comme celui de l’intelligence artificielle » (p. 83).

  13. En revanche, pour ce qui concerne la déségrégation verticale, la Cour des comptes relève que la loi Copé-Zimmerman du 27 janvier 2011 affiche un bon bilan : désormais on compte 46 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés côté en bourse. Toutefois, du fait de son champ d’application restreint (cette loi ne s’applique qu’aux sociétés cotées ainsi qu’aux sociétés non cotées qui emploient, pendant trois exercices consécutifs, 250 salariés permanents et qui présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50M€ ; elle ne prévoit par ailleurs pas d’obligation de parité pour tous les organes de direction), la portée de la loi est limitée. Et les modifications issues de la loi Rixain, instaurant une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des grandes entreprises (plus de 1 000 salariés), accompagnée d’une obligation de transparence en la matière, s’annoncent complexes à mettre en œuvre : environ 1 200 entreprises sont concernées par ce dispositif, mais seules 64 % ont répondu à leur obligation de déclaration des écarts, montrant par ailleurs des résultats mitigés : 57 % des entreprises assujetties ont moins de 30 % de femmes parmi les cadres dirigeants en 2024 et 38 % d’entreprises ont moins de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes (p. 88 du rapport).

  14. « 150 pages au vitriol ». C’est en ces termes que la presse présentait le rapport lors de sa parution. Pourtant, la lecture du rapport de la Cour des comptes laisse une impression plus nuancée. La Cour entend avoir une vision complexe des freins à l’égalité, en mettant l’accent sur les stéréotypes de genre qui affectent les destins scolaires et professionnels des femmes13. Pourtant, elle écarte de son champ d’analyse les violences sexuelles et sexistes, et n’aborde qu’à la marge la question du partage des tâches domestiques, dont les études de genre ont permis de mettre en évidence la centralité dans la perpétuation des inégalités femmes-hommes. De même, on cherchera en vain dans le rapport une définition des stéréotypes de genre, de leur prégnance et de leur implication. C’est ainsi laisser impensé l’apport du concept de « stéréotypes de genre » à l’égalité. En effet, « l’objectif principal de l’action contre les stéréotypes de genre est une libération de l’individu d’un certain nombre de carcans sociaux, qui assignent hommes et femmes à des fonctions sociales différentes et généralement hiérarchisées. Parce qu’ils renvoient à un système de valeurs, de représentations et de constructions sociales, les stéréotypes de genre interfèrent avec les principes de liberté (autonomie individuelle) et de diversité (pluralisme culturel) en diminuant les perspectives de développement personnel. En ce sens, l’action contre les stéréotypes de genre dépasse le cadre de la seule égalité/non discrimination ; bien plus, elle s’inscrit dans un projet autonomiste reconnaissant aux personnes la faculté de faire des choix individuels, sans qu’une norme (qu’elle soit culturelle, sociale ou juridique) ne leur réduise a priori le champ des possibles. […] La lutte contre les stéréotypes ne postule donc pas de reconnaître aux femmes les mêmes droits que les hommes mais de mettre en place un nouveau cadre socio‑culturel, dans lequel hommes et femmes auraient des droits identiques »14).

  15. Loin de ceci, la Cour des comptes traduit en définitive la prévalence d’une vision assez libérale et bureaucratique de l’égalité entre femmes et hommes. Une vision libérale, qui consiste à penser qu’avec le juste pilotage politique, l’égalité sera acquise par le jeu spontané du marché. Une vision bureaucratique, ensuite, qui se mesure à la (courte) liste des recommandations adressées soit au ministère du travail, soit aux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Il s’agit, par exemple, de prôner le renforcement « du rôle du ministère chargé du travail dans la négociation autour des classifications pour revaloriser les métiers majoritairement exercés par des femmes », de développer les actions visant à présenter des modèles féminins exerçant des métiers scientifiques et renforcer les programmes d’accompagnement par le mentorat et le tutorat dans le supérieur ou encore de s’assurer que, sous cinq ans, les enseignants, personnels d’éducation et psychologues de l’éducation nationale auront suivi un module de formation continue, afin de les sensibiliser et les former à la pédagogie égalitaire, y compris dans les formations relatives aux fondamentaux, et au poids des stéréotypes de genre dans l’orientation des élèves. Certes, ces recommandations sont utiles, et s’inscrivent, sans la nommer, dans la politique dite du « dernier kilomètre ». Mais la longue histoire de l’égalité entre les femmes et les hommes montre combien les obstacles qui essaiment sa route nécessiteraient davantage la mise en place d’itinéraires bis… D. R.

II. La « justice patrimoniale » : quelle teneur ?

  1. Les inégalités entre hommes et femmes en matière patrimoniale étant richement documentées15, l’adoption de la loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 « visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille »16 ne peut qu’intriguer : en quoi la « justice » patrimoniale consiste‑t‑elle pour le Parlement français ?

  2. Le texte, qui ne comporte que six articles, s’articule autour de trois dispositifs principaux, dont la teneur technique (A) ne doit pas occulter la teneur politique (B).

A.La teneur technique des dispositifs

  1. À l’origine, la proposition de loi ne comprenait que deux articles : l’un relatif à un mécanisme préexistant de droit fiscal, l’autre à un nouveau mécanisme relatif aux régimes matrimoniaux. Les débats ont notamment conduit à introduire dans le texte un autre mécanisme relevant de ce deuxième champ. Pour l’accessibilité de l’exposé, la présentation du dispositif ajouté sera insérée entre celle des deux initialement envisagés.

1. L’assouplissement des décharges de responsabilité solidaire

  1. Époux et partenaires unis par un pacte civil de solidarité sont, en droit français, solidairement tenus de certains impôts : l’impôt sur le revenu lorsqu’ils font l’objet d’une imposition commune17 ; la taxe d’habitation lorsqu’ils vivent sous le même toit18 ; l’impôt sur la fortune immobilière19. En vertu de ce principe de solidarité fiscale, un époux peut être poursuivi après la séparation pour le recouvrement, notamment, d’un impôt dû au titre de revenus perçus par l’autre au cours de la vie commune. « En pratique, les rappels d’impôt réclamés sont souvent afférents à des revenus de biens propres ou d’activités professionnelles respectives, gérés de manière exclusive et individuelle. Celui qui est visé par le recouvrement peut donc ignorer légitimement les inexactitudes, omissions et fraudes commises par l’autre »20. À titre principal, deux outils peuvent être mobilisés par les conjoints - lato sensu - pour être libérés de cette charge : une décharge de responsabilité automatique et une décharge de responsabilité facultative. In fine, les deux sont modifiés par la loi nouvelle.

  2. D’une part, l’article 1691 bis du Code général prévoit en son II que « les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues » pour les trois impositions susvisées. En application du texte, notamment, le demandeur n’aura à payer que « sa part » dans l’impôt sur le revenu à recouvrer21. Trois conditions doivent toutefois être réunies. En premier lieu, la séparation doit être actée en droit et pas une simple situation de fait – à moins que « l'un ou l'autre des époux ou des partenaires liés par un pacte civil de solidarité a[it] abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune »22. En deuxième lieu, le demandeur doit s’être acquitté de ses obligations déclaratives depuis la date de la fin de la période d'imposition commune et, dès avant, lui et son conjoint ne doivent pas s’être soustraits ou avoir tenté de se soustraire frauduleusement au paiement des impositions concernées « soit en organisant leur insolvabilité, soit en faisant obstacle, par d'autres manœuvres, au paiement de l'impôt ». En troisième lieu et surtout, « la décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur »23 - la situation « financière » renvoyant aux revenus, la situation « patrimoniale » au capital. Or « en raison d’une interprétation outrageusement sophistiquée de ce dernier critère, l’administration fiscale est […] parvenue à restreindre drastiquement l’efficacité de cette mesure »24, entrée en vigueur en 2008. La proposition de loi cherchait donc à imposer une interprétation plus favorable aux demandeurs, s’agissant de l’évaluation de la « situation patrimoniale » – en excluant de celle‑ci la résidence principale, les immeubles détenus antérieurement à la date de l’union ou encore tous les biens reçus par donation ou succession25. Au terme des débats parlementaires, ce sont des aménagements beaucoup plus marginaux qui sont retenus26. L’article 5 de la loi ne fait que reformuler le texte relatif à l’application de la décharge aux intérêts de retard et pénalités27. L’article 6 supprime la négation (« L’application […] ne peut donner lieu ») qui empêchait que la décharge puisse donner lieu à restitution des sommes recouvrées à compter de la séparation.

  3. D’autre part, existe un mécanisme de décharge de responsabilité facultative, au sens où elle est soumise à l’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale. En vertu de l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales, « l'administration peut […] décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d'impositions dues par un tiers ». Or, depuis l’entrée en vigueur du dispositif de décharge automatique qui leur est spécifique, le 1er janvier 2008, les époux ou partenaires n’étaient plus admis à se prévaloir du texte général pour être déchargés de leur obligation de payer la dette fiscale due au titre des revenus ou biens de leurs conjoints, qui n’étaient plus assimilés à des tiers aux demandeurs28. Le verrou est levé par l’article 4, alinéa 1er, de la loi, qui ajoute au texte la précision selon laquelle : « Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d'impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l'article 1691 bis du […] code [général des impôts] » c’est-à-dire les deux premières conditions pour bénéficier d’une décharge automatique – celle relative à la séparation et celle relative à la probité – et donc à l’exclusion de celle de « disproportion marquée ». L’assouplissement est très significatif, sous la réserve, essentielle, que la décharge n’est alors qu’une faculté pour l’administration fiscale.

2. La possibilité de renoncer par anticipation à la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux

  1. À l’occasion de l’introduction d’un amendement par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le texte a servi de vecteur à une autre réforme. Son article 3 dispose : « À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 265 du code civil, après le mot : “est”, sont insérés les mots : “exprimée dans la convention matrimoniale ou” ». Comprendre la modification opérée exige de replacer le texte dans son contexte, notamment jurisprudentiel.

  2. Les avantages matrimoniaux sont de deux types principaux. Certains prennent effet au cours du mariage. Il en va notamment ainsi des clauses d’extension du périmètre de la communauté, comme la clause de communauté universelle. D’autres ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial. Il en va ainsi de toutes les stipulations de parts inégales lato sensu, et notamment, solution la plus radicale, de la clause d’attribution intégrale de la communauté. Or l’article 265 du Code civil réserve un sort différent aux uns et aux autres en cas de divorce. En vertu de l’alinéa 1 du texte, « le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage ». Notamment, on ne revient pas, en cas de divorce, sur l’extension ou la réduction du périmètre de la communauté que les époux ont pu choisir par contrat de mariage. En revanche, en vertu de l’alinéa 2, « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux ». Ainsi, une stipulation de parts inégales est en principe révoquée par le divorce. De fait, il ne paraît pas déraisonnable de supposer qu’un époux ne veuille plus avantager pour l’avenir celui ou celle de qui il divorce.

  3. Assez peu problématique en présence d’un aménagement conventionnel de la communauté, ce dispositif produit en revanche des effets particulièrement perturbants en présence d’aménagements conventionnels d’autres régimes matrimoniaux, et tout particulièrement de celui de la participation aux acquêts. En vertu de l’article 1569 du Code civil, « pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. À la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final ». Quand la communauté assure la participation de chaque époux à l’enrichissement de l’autre en nature puisque les acquêts - les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage - sont en principe communs, la participation aux acquêts procède pour sa part en valeur. Ce n’est qu’au moment de la dissolution du régime – notamment par divorce ou par décès de l’un des époux – que le régime produit son effet participatif. Chacun a droit en valeur à la moitié de l’enrichissement de l’autre pendant le mariage de sorte que celui qui s’est le plus enrichi doit à l’autre la moitié de la différence entre son enrichissement et celui de son époux : c’est la créance de participation. Mais tout comme il est possible d’aménager conventionnellement le périmètre de la communauté dans un régime de communauté, il est possible d’exclure conventionnellement certains enrichissements du calcul de la créance de participation. Notamment, il n’est pas exceptionnel que tout ou partie des biens « professionnels » et notamment des fonds de commerce soient exclus par contrat de mariage du calcul de la créance de participation, en cas de dissolution du mariage par divorce. Il s’agit d’éviter, au premier chef, que le chef d’entreprise soit contraint de céder son entreprise pour payer la créance de participation. Simplement, alors que les aménagements du périmètre de la communauté produisent leurs effets pendant le mariage, en nature, les exclusions de certains biens du calcul de la créance de participation ne produisent leurs effets qu’au moment de ce calcul c’est‑à‑dire à la dissolution du régime. C’est pourquoi la Cour de cassation a jugé, précisément à propos d’une clause d’exclusion des biens professionnels, que les aménagements conventionnels de ce régime devaient être considérés comme des avantages matrimoniaux révoqués de plein droit en cas de divorce29. Conçue pour que l’acquisition ou la création de tels biens au cours du mariage ne confère pas de droit à l’autre dans la perspective d’un divorce, la clause était donc en principe neutralisée précisément dans un tel cas. Le résultat n’était toutefois pas inéluctable. Si la révocation des avantages matrimoniaux a en principe lieu de plein droit, elle opère, aux termes de l’article 265 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme, « sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus ». Or la Cour de cassation a considéré que la volonté de maintenir l’avantage devait être non seulement constatée mais aussi exprimée au moment du prononcé du divorce – l’expression d’une telle volonté dans le contrat de mariage s’avérant dès lors sans effet30. En somme, la clause était en principe privée d’effet ; et il n’était pas possible par une expression de volonté antérieure au divorce d’en prévoir le maintien. La solution était très favorable au conjoint qui ne s’était pas (ou moins que l’autre) enrichi de biens professionnels pendant le mariage, mais contraire aux prévisions des parties. Partant, il était généralement admis qu’une réforme, en la matière, s’imposait.

  4. Après avoir envisagé de refouler du champ de la révocation de plein droit en cas de divorce la seule clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, le Parlement choisit finalement de jouer sur les modalités de renonciation à la révocation de plein droit. C’est le sens de l’ajout de « est exprimée dans la convention matrimoniale ou » dans l’alinéa 2 de l’article 265. Ce faisant, le Parlement permet aux époux de prévoir ab initio le maintien des avantages matrimoniaux – et pas seulement de la clause d’exclusion des biens professionnels - même en cas de divorce c’est‑à‑dire de renoncer par anticipation à leur révocation de plein droit.

  5. La solution pourrait ne pas choquer, dès lors que, par contrat de mariage, les époux pourraient aussi adopter un régime de séparation de biens qui priverait chaque époux d’une vocation à s’enrichir des acquêts de l’autre. Il n’en demeure pas moins que, désormais, un époux pourrait renoncer à la révocation d’un avantage matrimonial n’ayant pas encore produit ses effets avant même de pouvoir chiffrer et donc réellement comprendre ce à quoi il ou elle renonce. Ainsi, les époux pourraient-ils dès la conclusion du contrat de mariage renoncer à la révocation de plein droit d’une stipulation de parts inégales31. Par exemple, une épouse pourrait accepter de ne recevoir qu’un tiers de la communauté en cas de divorce, quand bien même il s’avérerait, au jour du divorce, qu’elle a contribué à la moitié de l’enrichissement en commun (notamment parce qu’elle a repris en cours de mariage une activité professionnelle abandonnée à la naissance des enfants)…

3. La déchéance matrimoniale

  1. L’objet sans doute principal du texte initial était l’instauration de ce qu’il est désormais convenu d’appeler une « déchéance matrimoniale ». Il s’agit de sanctionner, par la perte des avantages issus du contrat de mariage, l’époux auteur de certains crimes et délits contre son conjoint. Saisir la portée de la réforme impose de revenir sur l’articulation des opérations civiles consécutives au décès d’une personne mariée.

  2. Le décès d’un époux, tout à la fois, met fin au mariage - et, partant, au régime matrimonial qui régit les rapports entre les époux - et ouvre la succession. Dans un premier temps, les droits de chacun des époux issus de l’application de leur régime matrimonial sont identifiés ; dans un second temps, les droits des héritiers de celui ou celle des époux décédé·e sont liquidés. L’indignité successorale prive le conjoint survivant des droits dans la succession de sa victime - automatiquement lorsqu’il est condamné à une peine criminelle « pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt » ou « pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner »32, facultativement lorsqu’il est condamné à une peine correctionnelle pour les mêmes faits ou, notamment, depuis la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, « lorsqu’il est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt »33.

  3. Mais, du fait de l’ordre des opérations, un aménagement du régime matrimonial pouvait rendre cette sanction sans effet. L’hypothèse principale, en contemplation de laquelle la loi a été conçue, est celle de l’adoption d’un régime de communauté universelle (en vertu duquel tous les biens sont communs) associé à une clause d’attribution intégrale de la communauté (en vertu de laquelle tous les biens communs sont attribués au survivant des époux). En présence d’une telle combinaison, en principe adoptée à l’occasion d’un changement de régime matrimonial par un couple vieillissant, l’indignité successorale est privée de toute portée faute d’objet auquel s’appliquer. Du fait de la liquidation du régime matrimonial, préalable à celle de la succession, tous les biens du couple reviennent au survivant. La succession du défunt ne comprend plus aucun des biens existant au décès. Partant, que le conjoint soit privé de ses droits dans la succession pour avoir ôté la vie à son époux ne le sanctionne en rien. Tous les biens du couple lui reviennent.

  4. La difficulté était clairement identifiée, notamment depuis un arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 199834. En l’espèce, des époux avaient adopté le régime de la communauté universelle. Le contrat de mariage prévoyait que, « au décès du premier mourant, tous les biens dépendant de la communauté appartiendr[aie]nt au survivant, pour moitié en pleine propriété et pour l'autre moitié en usufruit, la nue‑propriété de cette dernière moitié devant revenir aux héritiers et représentants de l'époux prédécédé ». La liquidation du régime matrimonial avait été provoquée par le mari, condamné à dix ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse. Les enfants, tous communs, avaient cherché à priver leur père des droits résultant de l’aménagement du régime matrimonial. S’ils obtinrent gain de cause en première instance, la décision fut réformée en appel, notamment du fait de l’inapplicabilité des textes relatifs à l’indignité - propre aux successions - ou à l’ingratitude – mécanisme qui permet notamment de sanctionner le donataire qui « a attenté à la vie du donateur » ou « qui s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves »35, propre aux libéralités, ce que ne sont pas, en principe, les avantages matrimoniaux. La tentative de mobiliser l’exécution de bonne foi des conventions ou le principe selon lequel la fraude corrompt s’était avérée vaine : le pourvoi avait été rejeté. De fait, la solution n’avait, juridiquement, rien d’étonnant : peines privées, indignité et ingratitude sont d’interprétation stricte, et les appliquer par analogie n’était certainement pas envisageable. Une intervention législative s’imposait.

  5. C’est donc pour mettre fin à ce qu’on peut légitimement juger comme une anomalie que sont créés cinq nouveaux articles dans le Code civil, les articles 1399‑1 à 1399‑536. Après avoir envisagé de calquer le dispositif sur celui de l’ingratitude, c’est finalement celui de l’indignité qui sert de modèle. La loi nouvelle instaure une déchéance de plein droit et une déchéance facultative. Les deux s’appliquent au « bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et qui lui confèrent un avantage » - étant entendu que les apports à la communauté, qui par hypothèse produisent leurs effets pendant le mariage37, font l’objet d’un dispositif propre de compensation à travers l’allocation d’une récompense38. En vertu du nouvel article 1399‑1 du Code civil, la déchéance de plein droit s’applique aux mêmes faits que l’indignité de plein droit sous la seule réserve qu’il n’est pas distingué selon la nature de la peine – criminelle ou correctionnelle – prononcée, de sorte que l’auteur condamné à une peine correctionnelle pourrait être déchu de plein droit des avantages matrimoniaux mais pas pour autant déclaré indigne39. La déchéance facultative est pour sa part et sous cette principale réserve calquée sur l’indignité facultative. En revanche, alors que le régime de l’indignité prévoit une faculté de « pardon » de la victime40, cette possibilité a, non sans débats, été exclue du dispositif finalement adopté : la crainte de voir une victime sous emprise pardonner à son bourreau a conduit à exclure le dispositif (de sorte, à nouveau, que l’auteur, notamment d’une tentative de meurtre, pourrait être privé des avantages matrimoniaux mais pas de sa vocation successorale, à la suite du « pardon » de sa victime41).

B. La teneur politique des dispositifs

  1. La loi, adoptée à l’unanimité tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, malgré les réserves exprimées sur certains points au cours des débats42, ne vise pas à assurer la justice mais une justice patrimoniale au sein de la famille. Comme le synthétise un auteur, à lire la loi, au sein du couple, l’injustice patrimoniale « se traduirait à trois égards : un manque de sanction civile des violences entre conjoints, une paralysie regrettable de la liberté des conventions matrimoniales et la solidarité fiscale des époux en cas de fraude commise par l’un d’eux »43. Comment donc qualifier cette « justice » ?

  2. Sans doute cette « justice » est‑elle sensible au genre. Les travaux parlementaires fourmillent de références à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, une membre de la commission des lois conclut‑elle son intervention en soulignant : « En définitive, cette proposition contribue à l’égalité des hommes et des femmes en revenant sur certaines injustices du droit de la famille »44. Dans le même cadre, un autre député soutient que, « outre le fait qu’il ne permet pas de lutter contre les violences faites aux femmes, le droit des régimes matrimoniaux porte en pratique atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes »45. S’agissant de la déchéance matrimoniale, la démarche est même qualifiée de féministe par un député : « Ce texte pose au fond une question féministe par le biais de celle de l’héritage […]. En résumé, il s’agit de s’assurer qu’un individu qui tue son conjoint – et le plus souvent sa conjointe – ne puisse pas en hériter »46. Et, pour leur part, les débats autour du dispositif fiscal sont très largement nourris des données fournies par des militantes : « Comme l’a révélé le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale, dans 80 % des cas ce sont les femmes qui doivent payer ces dettes fiscales »47.

  3. Mais, à l’examen, cette approche genrée de la « justice » s’avère très partielle : elle se nourrit de la figure de la femme victime d’un délinquant ; elle ne prospère pas en revanche lorsque sont en cause des rapports contractuels – à l’évidence supposés nécessairement « justes ». Cette « justice » sensible au genre peut donc être qualifiée à la fois de punitive et de libérale.

1. Une « justice » punitive

  1. La figure du délinquant et celle de la femme victime de celui-ci sont centrales dans les travaux préparatoires.

  2. Le texte est très régulièrement situé comme s’inscrivant dans la lutte contre les violences faites aux femmes : « Cette proposition de loi […] va incontestablement dans le bon sens. C’est un pas de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes, qui restent trop importantes : 145 morts violentes en 2022 et 134 féminicides en 2023 »48 ; « Il semble que nous allons pouvoir commencer l’année avec une belle unanimité, comme c’est souvent le cas lorsque notre assemblée aborde la question du droit des femmes ‑ et particulièrement celle des violences faites aux femmes »49. On constate du reste une diffusion significative de certains concepts. Outre les multiples références à l’emprise pour écarter une faculté de pardon50 (quoi qu’on en pense au fond, le raisonnement pouvant aussi être jugé paternaliste), émerge dans les débats la notion de violence économique, à l’appui de laquelle est convoquée la Convention d’Istanbul : « La situation est plus préoccupante encore lorsque des femmes qui ne sont pas indépendantes financièrement sont contraintes de rester dans un foyer toxique, ce qui constitue une forme de violence. Je rappelle à cet égard que la définition des violences conjugales qui figure dans la convention d’Istanbul comprend les violences économiques »51. La « justice » consiste à déchoir de ses droits patrimoniaux l’auteur de violences à l’égard de son conjoint, en quoi la loi s’inscrit dans un plus vaste mouvement, marqué par la loi du 28 décembre 2019 privant de pension de réversion le conjoint survivant condamné pour avoir commis à l’encontre de son époux une infraction sanctionnant les atteintes volontaires à la vie, les tortures ou actes de barbarie, les violences volontaires, le viol ou les autres agressions sexuelles52 et celle du 30 juillet 2020 prévoyant que, en principe, le débiteur de l’obligation alimentaire en est déchargé si le créancier a été condamné pour un crime commis contre le débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs53 et étendant les hypothèses d’indignité successorale54. Le cycle semble achevé qui déchoit le conjoint violent – souvent un homme, c’est assumé – des droits découlant de ses liens de famille, si du moins une condamnation pénale est prononcée55.

  3. Mais cette figure est aussi centrale dans les travaux préparatoires en ce qui concerne la solidarité fiscale. Les débats sont en effet à titre principal menés en contemplation de l’hypothèse de l’époux auteur d’une « fraude »56, qui est même qualifié d’« escroc »57. Or la solidarité fiscale ne s’applique pas seulement à ces hypothèses et, si la probité de celui ou, plus souvent, de celle qui demande une décharge en est une condition nécessaire, l’absence de probité de son conjoint n’en est pas une. Comme le relève un auteur, « cette solidarité apparaît tout à fait insupportable lorsque l'ex‑époux (généralement une exépouse) ou l'ex‑partenaire est tenu d'une dette fiscale née d'une fraude, de surcroît, s'il a été victime de violence conjugale, mais que les conditions pour obtenir une DRS [décharge de responsabilité solidaire] ne sont pas réunies. C'est à cette situation que le législateur veut particulièrement s'attaquer. Pourtant, l'injustice nous semble dépasser les seuls cas de fraude : par exemple, le maintien de la solidarité fiscale entre ex‑partenaires en présence de revenus très inégaux, alors que ces derniers sont, dans ce régime, personnels à celui qui les touche, l'autre n'en bénéficiant pas nécessairement pendant la vie commune (au‑delà de la contribution aux charges du ménage) et encore moins au moment de la dissolution »58. Il est notable que la figure du fraudeur dont serait victime sa conjointe soit à ce point centrale dans la réflexion : en informant le débat, elle permet de changer – à la marge – les solutions, sans remise en cause des effets de la solidarité fiscale en tant que telle59.

  4. Cette « justice » patrimoniale sensible au genre s’intéresse aux victimes de délinquants ; elle ne s’intéresse pas aux victimes d’un ordre économique inégalitaire – et en cela apparaît comme fondamentalement libérale.

2. Une « justice » libérale

  1. Un phénomène est remarquable au cours des débats. Alors que la question de la sanction des violences donne souvent lieu à la mobilisation d’un lexique genrée et qu’il en est de même à propos de la solidarité fiscale, le masculin universel est la norme lorsqu’il s’agit d’évoquer la question de la liberté des conventions matrimoniales, et la nécessité de faire produire effet à l’accord des parties. Ainsi une sénatrice commence‑t‑elle par placer le texte de loi sous le signe de l’égalité entre les femmes et les hommes60 et rappelle que « ce sont en très grande majorité les femmes [nous soulignons] qui sont victimes [des] violences » conjugales. Puis vient la présentation des autres dispositifs : « L’article 1er bis permet de mieux garantir la protection des époux [nous soulignons] en cas de divorce, en garantissant l’irrévocabilité des clauses d’exclusion des biens professionnels. L’article 2 traite des situations où des contribuables – là encore, ce sont souvent des femmes [nous soulignons] – peuvent être tenus de rembourser des dettes fiscales contractées à leur insu par leur ex‑conjoint du temps de leur union »61. L’article 1 concerne en très grande majorité les femmes, l’article 2 vise une situation qui est souvent celle des femmes, l’article 1er bis garantit la protection des époux, en toute indifférence au genre. Cette manière de dégenrer la question de la possibilité de renoncer par anticipation à la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux n’est pas anodine. Il ne s’agit en effet en aucun cas, par cette loi, de lutter contre les inégalités économiques au sein du couple si elles sont le fait d’un accord entre les parties. « La protection des entreprises comme de la liberté conventionnelle des époux implique de donner un plein effet aux garanties qu’ils ont pu prendre […] dans les clauses de leur convention matrimoniale »62. C’est que « les époux [ont] librement consenti [nous soulignons], dans leur convention matrimoniale, à un régime protecteur de l’activité professionnelle de l’un d’eux »63 - qui n’a pas de sexe.

  2. Une sénatrice du groupe écologiste s’en émeut64 : « Il reste un article problématique : l’article 1er bis. En rendant possible la signature d’une clause d’irrévocabilité, celui‑ci empêcherait certaines femmes de demander la révocation des avantages matrimoniaux dont bénéficie leur mari en cas de divorce. Le mariage ayant en moyenne pour effet – c’est chiffré et objectif – de précariser les femmes et d’enrichir les hommes, il est essentiel que les femmes puissent conserver un maximum de choix au moment du divorce, qui est pour beaucoup le moment où certaines injustices sautent aux yeux et deviennent inacceptables. […] Cette disposition doit disparaître au profit d’une large amélioration du mécanisme de prestation compensatoire, qui, lui, permet de corriger les injustices »65. Elle est rejointe par un de ses collègues du groupe communiste : « L’article 1er bis est présenté comme une réponse consensuelle permettant de résorber une injustice. L’objectif est d’empêcher, lorsque cela est prévu par la convention matrimoniale, que les biens professionnels soient inclus au calcul de la créance de participation. Concrètement, l’époux qui s’est le plus enrichi pendant la durée du mariage est redevable d’une créance de participation égale à la moitié du patrimoine accumulé pendant le mariage. Selon les auteurs de cet article, il conviendrait d’en exclure les biens professionnels. Non seulement cet article revient sur un arrêt de la Cour de cassation, mais il adopte également un positionnement défavorable aux femmes et favorable aux intérêts des entreprises. […] L’accumulation de patrimoine est genrée. Tout le monde le sait, l’union matrimoniale non seulement fige, mais même accroît les inégalités entre les sexes. L’article 1er bis s’inscrit au fondement des inégalités entre les femmes et les hommes, et nous demanderons donc sa suppression »66.

  3. Mais ces objections ne sont pas entendues. Plus encore, certains arguments, centraux dans la discussion des autres articles, s’évaporent lorsqu’ils entrent en tension avec la liberté contractuelle. Ainsi, alors que l’hypothèse de l’emprise conduit à exclure le « pardon » en matière de déchéance matrimoniale67, elle n’est pas évoquée en matière de renonciation à la révocation d’un avantage matrimonial. Pourtant, comme le relève un commentateur, « en présence d'une situation de violences conjugales physiques ou économiques, éventuellement avec emprise, l'émergence d'un consentement libre et éclairé est fortement sujette à caution. Bien sûr, le droit commun des contrats permettra toujours d'y répondre par l'intermédiaire des vices du consentement mais avec la contrainte de l'administration de la preuve. Cela accentue donc encore la charge juridique de l'épouse ou de l'époux en situation de faiblesse, ce qui est contradictoire dans la perspective de lutte contre les violences conjugales, point de départ de la loi. La révocation de plein droit, uniforme à toutes les causes de divorce, offrait une protection patrimoniale rustique et efficace à certains égards. Il est donc étonnant de voir cette modification législative intervenir dans une loi pourtant envisagée initialement pour lutter contre de telles situations » 68. Ainsi encore, la députée rapporteure de la proporition de loi déclare‑t‑elle, à propos de la déchéance matrimoniale : « Le rôle du législateur est d’être vigilant quant aux conditions dans lesquelles les couples formés peuvent se séparer, pour s’assurer qu’aucune injustice née des contrats entre les époux ne puisse subsister »69. Mais cette vigilance ne s’applique en réalité qu’aux « injustices » qui naîtraient de l’application du contrat de mariage dans certaines circonstances, en l’occurrence délictueuses ; elle n’a, semble‑t‑il, pas lieu d’être hors un tel contexte.

  4. En somme, la « justice » patrimoniale de la loi de 2024 ne consiste pas à lutter contre les inégalités économiques et leur consolidation par le contrat (de mariage) en général70. Elle n’invite pas à repenser l’articulation de l’impératif et du conventionnel en droit patrimonial de la famille – quand certains pays imposent un partage de certaines richesses aux époux comme du reste aux partenaires en union civile71. Les inégalités entre hommes et femmes en matière patrimoniale sont certes richement documentées ; mais la loi n’illustre guère une volonté véritable de lutter contre.

III. L’indemnisation des victimes de violences conjugales : quelle réalité ?

  1. Il est des décisions dont l’intérêt principal n’est pas immédiatement perceptible. L’arrêt rendu contre l’Arménie par la Cour européenne des droits de l’Homme le 12 décembre 2024 (Hasmik Khachatryan)72 est sans doute de ceux‑là.

  2. À première vue, l’affaire se présente comme une énième, quoique nécessaire, décision sur les obligations des États‑parties en matière de lutte contre les violences domestiques73. En l’occurrence, la requérante avait été, de multiples fois, victimes de très graves violences de la part de son conjoint (§ 8‑10). Celui-ci avait été poursuivi du chef de « torture sur une personne dépendante de l’auteur » mais finalement condamné uniquement pour torture (l’aggravation de dépendance n’ayant pas été retenue en raison de la séparation de fait du couple - § 45). La condamnation pénale prononcée, d’un an et demi d’emprisonnement, n’avait cependant donné lieu à aucune exécution en raison de la mise en œuvre d’une disposition permettant d’éviter l’incarcération en deçà d’une peine de trois ans (§69). Sans grande surprise, l’Arménie est ici condamnée sur le fondement de l’article 3 de la Convention, dans ses aspects procéduraux comme substantiels, pour n’avoir pas effectivement assuré la sécurité de la requérante et pour ne pas avoir apporté une juste sanction aux violences. La Cour souligne notamment le fait que le système juridique arménien ne connaissait pas, à l’époque, de qualification ou d’aggravation spécifique pour les violences domestiques ce qui constitue, en soi, une violation de la Convention (§ 177 ; v. déjà Cour EDH 9 juillet 2019, Volodina c. Russie, n° 41261/17).

  3. L’originalité de la décision, et la raison pour laquelle ce commentaire prend place dans cette chronique d’actualité, est que la Cour souligne ici que la violation de l’article 3 consiste également dans l’impossibilité pour la victime d’obtenir de son tortionnaire l’indemnisation des préjudices moraux subis du fait des violences. En cela, elle établit une nouvelle obligation positive des État‑parties vis‑à‑vis des victimes de graves violences intra‑familiales : leur permettre d’obtenir réparation y compris vis‑à‑vis d’une personne privée74. Une obligation qui s’inscrit dans un contexte politique et juridique de plus en plus sensible à la question indemnitaire.

  4. L’importance de la réparation pécuniaire des conséquences des violences de genre est apparue dans le débat public français en 2022, lors de la diffusion sur les réseaux sociaux du #OnNePortePasPlaintePourLargent. Par ce mouvement, lancé par la comédienne Marie Coquille‑Chambel, des femmes victimes de violences de genre tentaient de visibiliser tout ce que leur avait « coûté », financièrement comme moralement, le fait de dénoncer leurs agresseurs mais aussi, tout simplement, de vivre après ces traumatismes. Soutenue par un rapport de la Fondation des femmes sur le coût de l’accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles75, la question de la réparation accédait donc à l’espace médiatique76.

  5. Malgré ces frémissements de la mobilisation féministe, il est confortable de penser que la nouvelle obligation positive d’indemnisation des préjudices extra‑patrimoniaux énoncée dans l’arrêt Hasmik Khachatryan ne change rien pour la France. Le droit français ne garantit-il pas déjà d’un système de réparation intégrale du préjudice, comprenant les préjudices extra-patrimoniaux ? Ne possède‑t‑il pas un système de fonds d’indemnisation des victimes d’infractions qui facilite l’indemnisation des victimes ? Ce serait aller un peu vite en besogne, et oublier que la Cour EDH procède toujours à une analyse très concrète de l’accès aux droits. Or un regard moins théorique sur le système français en montre certaines limites.

  6. Il est vrai que, en apparence, le droit français se distingue, du système qui vaut sa condamnation à l’Arménie, qui limitait très fortement la possibilité pour les justiciables de réclamer des dommages-intérêts pour des préjudices extrapatrimoniaux, quel que soit le domaine considéré (§ 55 et s). Un système qui n’est pas totalement isolé dans l’espace européen, comme nous l’apprend la décision elle‑même. En effet, il est remarquable que, dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme appuie très largement son argumentaire sur l’article 30 de la Convention d’Istanbul, à laquelle l’Arménie est partie, tout comme la France. Cette disposition de la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique prévoit en effet expressément que « les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les victimes aient le droit de demander une indemnisation de la part des auteurs de toute infraction établie conformément à la présente Convention. Une indemnisation adéquate par État devrait être octroyée à ceux qui ont subi des atteintes graves à l’intégrité corporelle ou à la santé, dans la mesure où le préjudice n’est pas couvert par d’autres sources, notamment par l’auteur de l’infraction, par les assurances ou par les services sociaux et médicaux financés par l’État ». Loin de se contenter de citer ce texte, la Cour, sans doute attachée à justifier solidement l’édiction d’une nouvelle obligation positive pour les Parties, procède ici à une longue synthèse des rapports établis sur l’application de ce texte (§ 83 et s.). On y découvre toute la diversité européenne des systèmes d’indemnisation : certains prévoyant, comme la France, la possibilité de procéder à l’indemnisation au cours de la procédure pénale (Italie, Pays-Bas, Islande77…), d’autres pas (Portugal78) ; certains limitant l’indemnisation à certains postes de préjudices ou à certains montants (Irlande, Luxembourg, Malte…), d’autres pratiquant, comme la France, la réparation intégrale ; certains organisant des systèmes de fonds d’indemnisation (Monténégro…) alors que d’autres en sont dépourvus…

  7. Alors même que le système français semble, théoriquement, correspondre aux exigences de la Cour, la présentation qui en est faite dans cette décision n’est, en réalité, pas très brillante. L’arrêt cite ainsi, au côté de données concernant d’autres États, le rapport du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) de 2019 qui énonce, à propos de la France : « à défaut de données concernant le nombre de femmes victimes indemnisées par les auteurs de violences et/ou par les CIVI/SARVI, ainsi que les montants alloués et les dommages indemnisés à ce titre, le GREVIO observe qu’il est impossible d’évaluer l’efficacité de tels dispositifs. Par ailleurs, [il] n’a pas relevé l’existence de mesures permettant de s’assurer que la sécurité de la victime est dûment prise en compte dans le cadre des procédures de remboursement des indemnisations, ainsi que l’exige » la convention79. Ainsi, le droit français fait théoriquement au mieux… mais sans pouvoir le démontrer. Les choses auraient‑elles substantiellement évolué depuis six ans ?

  8. Le nouveau rapport sur la France étant en cours de rédaction, il n’est pas possible de répondre définitivement à cette interrogation. Cependant, il est notable que le rapport associatif diffusé à l’occasion de la dernière mission du GREVIO reste, sur ce point, assez critique80. On y lit notamment que les victimes suivies par ces associations demandent peu l’indemnisation de leurs préjudices mais, surtout, qu’elles sont parfois mal informées de cette possibilité au cours de la procédure. Pour autant, les associations saluent l’évolution des conditions d’accès au FGVTI81 qui, depuis novembre 202382, intègre aux actes indemnisables les violences sur mineur·es et les violences conjugales83. Un progrès certain qui ne doit pas faire oublier le problème principal de l’accès à une juste réparation : le chiffrage !

  9. En 2009 déjà, la doctrine juridique spécialisée dans la réparation du dommage corporel s’alarmait des difficultés rencontrées par les victimes dans l’établissement, la cotation et le chiffrage de leur préjudice84. Car il ne suffit pas de permettre aux personnes de demander une indemnisation, encore faut-il qu’elle soit effectivement accordée. Or, malgré l’importance des préjudices extra‑patrimoniaux subis par les victimes de violences de genre – et que la Cour européenne s’emploie d’ailleurs à rappeler dans la décision qui nous intéresse (§ 213) –, leur réception par la justice est une autre affaire. La Cour elle‑même a d’ailleurs eu à connaître, par le passé, de cas dans lesquels des biais sexistes avaient significativement affecté des décisions portant sur la réparation de dommages corporels85. Rien d’étonnant, en réalité, à ce que le système de genre, qui dévalorise la parole des femmes, disqualifie leur sexualité86 et normalise les violences qu’elles subissent, biaise également l’application du droit de la responsabilité civile. De fait, la faiblesse des indemnisations s’explique peut-être pour partie par le fait que les victimes elles‑mêmes, pour de multiples raisons et notamment un défaut de conseil, ne demandent pas toujours ce à quoi elles pourraient légitimement prétendre. Dans un rapport du FGVTI consacré à la question87, le Fonds signalait par exemple en 2018 que seules 10 % des victimes de violences sexuelles indemnisées réclamaient alors une évaluation poste par poste de leurs préjudices, l’immense majorité d’entre elles se contentant d’une indemnisation forfaitaire, sans doute moins favorable dans de nombreux cas, mais qui limite, notamment, la confrontation à l’expertise médicale avec ses risques de victimisation secondaire88.

  10. Pour autant, la responsabilité civile pourrait devenir un outil juridique puissant au service de la sanction des violences sexuelles89. Car, sans être aveuglé·e par une distinction théorique entre répression et réparation, dont on sait toutes les limites, il n’est pas contestable que le paiement de lourds dommages‑intérêts est, de fait, une forme de sanction des auteurs. Or les mécanismes de la responsabilité civile pourraient, dans certains cas, être moins contraignants pour les victimes que la procédure pénale : prescription parfois plus longue, preuve de la faute souvent moins lourde, procédure plus écrite… ces avantages ne sont pas négligeables pour peu qu’on fasse confiance aux forces imaginatives d’une approche féministe du droit ! L. C. 

Lisa Carayon, maîtresse de conférences en droit privé, Université Sorbonne Paris Nord, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS)

Marc Pichard, professeur de droit privé, Université Paris Nanterre, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (CEDCACE)

Diane Roman, professeure de droit public, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS)

Références


  1. Cass. Plén. 28 juin 2024, n° 22-84.760, publié au Bulletin, sur lequel v. not. REGINE, Panorama Droit et genre, D. 2025, p. 860 et les réf. citées et Intersections. Revue semestrielle Genre & Droit, décembre 2024, nᵒ 2, « Actualités choisies - État civil, familles et conjugalités ».↩︎

  2. V. dans le présent numéro « Actualités choisies – Corps, Santé, Sexualité ».↩︎

  3. Cour des comptes, Rapport public thématique, Les inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail, janvier 2025.↩︎

  4. V. notamment la présentation, le 8 mars 2023, du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2023-2027) « Toutes et tous égaux ».↩︎

  5. Hélène Périvier, « De madame Au-Foyer à madame Gagne-Miettes. État social en mutation dans une perspective franco-états-unienne », in Margaret Maruani dir., Travail et genre dans le monde : L’état des savoirs, La Découverte, 2013, p. 309-317.↩︎

  6. Insee, Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2022.↩︎

  7. Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ; v. REGINE, « Commentaire de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes n° 2014-873 du 4 août 2014 », D. 2014. 1895.↩︎

  8. V. sur ce point les précédents rapports de la Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2022 et La politique d’accueil du jeune enfant, 2024.↩︎

  9. V. rapport Salaires : 5 ans après l’Index, toujours pas d’égalité. Des propositions pour améliorer l’outil, rapport 2024-03-07-EGAPRO-67, 7 mars 2024.↩︎

  10. Loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique ; v. REGINE, « Panorama Droit et genre », D. 2024.891 ; Alexis Zarca, Estelle Lilliu et Lola Isidro, « Travail, argent, économie : Rubrique coordonnée par Laure Camaji, Marc Pichard et Diane Roman », Intersections. Revue semestrielle Genre & Droit, juin 2024.↩︎

  11. Depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001, l'éducation à la sexualité est une éducation obligatoire. L'article L. 312-16 du code de l'éducation précise ainsi qu'elle doit être dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles par groupe d'âge homogène, et que « ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes ».↩︎

  12. Enquête « Recueil extensif des mesures des établissements contre les discriminations et pour l’égalité » publiée en octobre 2023 par l’observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (Ondes) et la conférence permanente des chargés de mission égalité et diversité.↩︎

  13. On pourra sur ce point rapprocher le rapport commenté de celui présenté par France Stratégie, Lutter contre

    les stéréotypes filles-garçons. Quel bilan de la décennie, quelles priorités d’ici à 2030 ?, mai 2025.↩︎

  14. Diane Roman, « Les stéréotypes de genre : vieilles lunes ou nouvelles perspectives pour le droit ? », in REGINE, Ce que le genre fait au droit, Dalloz, coll. A droit ouvert, 2013, pp. 93-121.↩︎

  15. V. supra.↩︎

  16. Loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (JO 1er juin 2024).↩︎

  17. Article 1691 bis du Code général des impôts (CGI).↩︎

  18. Même texte.↩︎

  19. Article 1723 ter-00 B CGI.↩︎

  20. Martial Nicolas, « Remédier aux inégalités fiscales par-delà le genre : le critère du conjoint économiquement faible », in Dossier « Femmes & Patrimoine », RJPF 2025-298/12, p. 63 et s., spéc. p. 66-67.↩︎

  21. Article 1691 bis II 2. a) CGI : « Pour l'impôt sur le revenu, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation d'impôt sur le revenu établie pour la période d'imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité ».↩︎

  22. Article 1691 bis II 1. d) CGI.↩︎

  23. Article 1691 bis II 2. CGI.↩︎

  24. Martial Nicolas, art. préc., p. 67.↩︎

  25. Assemblée Nationale, Proposition de loi n° 1961, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, présentée par Hubert Ott et al., 5 décembre 2023, art. 2.↩︎

  26. Frédéric Douet les qualifie de « cosmétiques » (Frédéric Douet, « Solidarité entre époux et pacsés pour le paiement de l’impôt : festival des occasions manquées », Dr. fam., septembre 2024, comm. 118).↩︎

  27. En ce sens, Frédéric Douet, préc.↩︎

  28. Sur les évolutions de l’interprétation en la matière, v. Fréderic Douet, préc.↩︎

  29. Cass. 1re civ., 18 décembre 2019, n° 18-26.337, publié au Bulletin : « une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d'entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce ».↩︎

  30. Cass. 1re civ., 31 mars 2021, n° 19-25.903.↩︎

  31. Sur cette possibilité, nous nous permettons de renvoyer à Marc Pichard, « Séparation et dislocation du “patrimoine” », in Dossier « Femmes & Patrimoine », RJPF 2025-298/8, mars 2025, p. 40 et s.↩︎

  32. Art. 726 C. civ.↩︎

  33. Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, art. 8.↩︎

  34. Cass. 1re civ., 7 avril 1998, n° 96-14.508, publié au Bulletin.↩︎

  35. Art. 955 C. civ.↩︎

  36. Un article 1399-6 du Code civil est également créé qui précise qu’« un inventaire peut être établi au décès de l'un des époux, dans les conditions prévues par le code de procédure civile », ce qui pourrait faciliter la mise en œuvre de la déchéance, mais, outre qu’il n’impose aucune obligation, le texte ne se limite pas à cette hypothèse.↩︎

  37. V. supra.↩︎

  38. Pour une présentation beaucoup plus détaillée des art. 1399-1 et s. C. civ., v. not. Julien Boisson, « Loi du 31 mai 2024 : un peu plus de justice patrimoniale au sein des couples », RJPF 2024-292/1 ; Quentin Guiguet-Schielé, « La nouvelle justice patrimoniale au sein de la famille », D. 2024, p. 1290 ; Gulsen Yildrim, « Loi pour une justice patrimoniale : entre avancée et occasion manquée », Defrénois, 25 juillet 2024, p. 17 et s., DEF221f5.↩︎

  39. Autre différence, minime, « l'exigence d'une condamnation n'est pas toujours nécessaire : la mort du meurtrier, lorsqu'elle provoque l'extinction de l'action publique, le rend automatiquement indigne (alors que l'indignité successorale, dans ce cas, est seulement facultative) » (Quentin Monget, « “Loi pour une justice patrimoniale” : du renouveau dans les régimes matrimoniaux ! », Dalloz actualité, 17 juin 2024 ; adde Gulsen Yildrim, préc., p. 19).↩︎

  40. Art. 728 C. civ. : « N'est pas exclu de la succession le successible frappé d'une cause d'indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu'il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu'il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel ».↩︎

  41. Sur cette hypothèse, v. Quentin Guiguet-Schielé, préc. ; Quentin Monget, art. préc. ; Gulsen Yildrim, art. préc., p. 18-19 ; Julien Boisson, art. préc., n° 13.↩︎

  42. Pour des illustrations, v. infra.↩︎

  43. Quentin Guiguet-Schielé, art. préc.↩︎

  44. Caroline Yadan, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052 au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille par Perrine Goulet, 10 janvier 2024, p. 28. Adde, parmi beaucoup d’autres, Elsa Schalk, JO Sénat, Compte-rendu intégral, séance du 20 mars 2024, p. 1952 : « La proposition de loi que nous examinons ce jour s’inscrit dans la lignée de notre combat commun pour faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité dans notre pays ».↩︎

  45. Pascal Lecamp, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 32.↩︎

  46. Antoine Léaument, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 29.↩︎

  47. Béatrice Roullaud, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 29. Les données avancées par ce collectif sont systématiquement reprises par les parlementaires. Elles sont mobilisées dès l’exposé des motifs de la proposition de loi : « En effet, en cas de séparation, une dette fiscale peut peser injustement sur l’un des ex conjoints et il s’agit à plus de 80 % de femmes, alors même que la séparation entraîne déjà pour une grande majorité d’entre elles, une perte sensible de revenus. Leur situation financière peut être encore plus dégradée par le paiement d’impositions sur des revenus dont elles n’avaient pas connaissance ou dont elles n’ont pas bénéficié » (Assemblée Nationale, Proposition de loi n° 1961, préc., p. 3). Elles le sont tout au long des travaux. V. par ex., outre la citation supra, Caroline Yadan, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 27 : « Cette injustice et [sic] bien souvent genrée puisque 80% des dettes fiscales concernent les femmes alors que la séparation entraîne déjà une perte sensible de revenus pour une grande majorité d'entre elles ».↩︎

  48. Paul Molac, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 36.↩︎

  49. Émeline K/Bidi, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 35.↩︎

  50. V. not. Sénat, Rapport n° 416 au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille par Isabelle Florennes, 13 mars 2024, p.14.↩︎

  51. Hervé Saulignac, in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 32.↩︎

  52. Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, art. 9.↩︎

  53. Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, préc., art. 7.↩︎

  54. Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, préc., art. 8 : v. supra.↩︎

  55. Ce pourquoi le modèle de l’indignité successorale est, in fine, préféré à celui de l’ingratitude. Pour une contestation, v. Alex Tani, art. préc., not. n° 17 : « Il n’aurait pas été inintéressant de prévoir à l’article 1399-2 un moyen pour le juge civil de prononcer des déchéances sans être tenu par des qualifications pénales et ainsi être sûr d’embrasser tous les cas de violences conjugales (injures, coups, abus, persécutions, harcèlement, etc.) ».↩︎

  56. Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., not. p. 5 et p. 23 ; adde, Perrine Goulet (rapporteure), p. 26 : « Concrètement, une personne dont l’ex-conjoint a fraudé le fisc alors qu’ils étaient ensemble […] » ; « Cette situation n’est pas satisfaisante : elle conduit certains conjoints, souvent des conjointes, à se séparer de leur patrimoine propre pour rembourser une dette fiscale liée à une fraude dont elles ignoraient tout et dont elles n’ont pas bénéficié ».↩︎

  57. Perrine Goulet (rapporteure), in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 26 : « Le dispositif reprend celui déposé par certaines de mes collègues, […], soucieuses comme nous de ne pas laisser prospérer un dispositif qui pénalise injustement des femmes dont le seul tort est d’être tombée amoureuse d’un escroc ».↩︎

  58. Julien Boisson, art. préc., n° 26. Rappr., ne faisant aucune référence à la situation de fraude, Lise Chatain, « Solidarité fiscale du couple : un peu, beaucoup, passionnément… pas du tout ? », D. 2021, p. 1970 : « la situation financière des femmes séparées peut être encore obérée par le paiement d’impositions sur des revenus dont elles n’ont pas bénéficié ou sur un patrimoine qu’elles ne possèdent pas ».↩︎

  59. On lit d’ailleurs : « il est absolument indéniable que la solidarité fiscale entre conjoints, qu’ils soient mariés ou liés par un Pacs, est un principe fondamental » (Hervé Saulignac in Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 32) ; ou encore : « les demandes de décharge aboutissent rarement. Pour pallier ces difficultés, vous proposez de restreindre l’appréciation de la situation patrimoniale en excluant un certain nombre de biens. On peut comprendre cette mesure, mais il faut veiller à encadrer l’application de cette nouvelle exception afin que le principe de solidarité fiscale ne finisse pas par disparaître » (Naïma Moutchou, ibid., p. 34).↩︎

  60. Patricia Schillinger, in JO Sénat, Compte-rendu intégral, séance du 20 mars 2024, p. 1951 : « alors que la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que celle contre les violences conjugales, figure au rang de nos priorités, décrétée grande cause du quinquennat, il subsiste dans notre droit certaines incohérences législatives – pour ne pas dire certains archaïsmes –, particulièrement préjudiciables aux victimes de violences conjugales ».↩︎

  61. Ibid.↩︎

  62. Sénat, Rapport n° 416, préc., p. 6.↩︎

  63. Sénat, Rapport n° 416, préc., p. 18.↩︎

  64. Rappr. Julien Boisson, art. préc., n° 19 : « Des parlementaires ont […] mis en évidence qu’en pratique l’entreprise individuelle est souvent détenue par un homme et qu’une telle clause [d’exclusion des biens professionnels] revient in fine à désavantager l’épouse qui ne peut profiter de la valeur de celle-ci au moment de la séparation et donc à renforcer les inégalités entre les époux ».↩︎

  65. Mélanie Vogel, in JO Sénat, Compte-rendu intégral, séance du 20 mars 2024, p. 1955.↩︎

  66. Pascal Savoldelli, in JO Sénat, Compte-rendu intégral, séance du 20 mars 2024, p. 1956.↩︎

  67. V. supra.↩︎

  68. Dorian Guillou, « Réflexions sur la loi du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille : le regard du notaire », Lexbase Droit privé, juillet 2024, n° 991.↩︎

  69. Assemblée Nationale, Rapport n° 2052, préc., p. 5.↩︎

  70. V. en dernier lieu, Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq, « Femmes & Patrimoine : l'éclairage de la démographie et de l'économie », in Dossier « Femmes & Patrimoine », RJPF, 2025-298/3.↩︎

  71. V. les articles 414 et s. du Code civil du Québec relatifs au patrimoine familial (not., art. 414 : « Le mariage emporte constitution d’un patrimoine familial formé de certains biens des époux sans égard à celui des deux qui détient un droit de propriété sur ces biens » ; art. 423, al. 1er : « Les époux ne peuvent renoncer, par leur contrat de mariage ou autrement, à leurs droits dans le patrimoine familial »), applicables aux partenaires en union civile en vertu de l’article 521.6 du même code (« L’union civile, en ce qui concerne la direction de la famille, l’exercice de l’autorité parentale, la contribution aux charges, la résidence familiale, le patrimoine familial et la prestation compensatoire, a, compte tenu des adaptations nécessaires, les mêmes effets que le mariage »). Le 30 juin 2025, entrera en vigueur la Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale, applicable aux parents d’un même enfant en union de fait, qui crée, sur le modèle du patrimoine familial, un patrimoine d’union parentale (art. 521.29 et s.), supplétif de volontés [en ligne : https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2024/2024C22F.PDF].↩︎

  72. L’arrêt n’est disponible qu’en anglais. Pour un résumé en français de la décision v. https://hudoc.echr.coe.int/eng-press#{%22itemid%22:[%22003-8113242-11356162%22]}
    Pour quelques commentaires v. Vesna Stefanovska, « Hasmik Khachatryan v. Armenia: State’s failure to adequately respond to serious acts of domestic violence and to fulfill its positive obligations », 14 janvier 2025, Strasbourg Observer : https://strasbourgobservers.com/2025/01/14/hasmik-khachatryan-v-armenia-states-failure-to-adequately-respond-to-serious-acts-of-domestic-violence-and-to-fulfill-its-positive-obligations/ ; Maïté Saulier, « Une nouvelle obligation positive en faveur des victimes de violences domestiques », AJ fam. 2025, p. 181 ; Merryl Hervieu, « Violences conjugales et indemnisation du préjudice moral : consécration d’une obligation positive supplémentaire au bénéfice des victimes », Dalloz Actu étudiants, 5 février 2025.↩︎

  73. V. par ex., parmi de multiples décisions : CEDH, 14 déc. 2021, Tunikova et autres c. Russie, n° 55974/16, ou 26 mars 2013, Valiuniené c. Lituanie, n° 33234/07.↩︎

  74. Déjà concernant l’indemnisation des préjudices découlant de violations, par les autorités publiques, des articles 2 ou 3 de la CEDH : CEDH, 19 février 1998, Kaya c. Turquie, n°158/1996/777/978 ; 10 mai 2001, Z et autre c. Royaume-Uni, n° 29392/95. Sur l’obligation de mise en place d’un système de réparation interindividuelle en cas de violation de l’article 3 v. 21 juillet 2020, Vanyo Todorov c. Bulgarie, n° 31434/15, § 66.↩︎

  75. Disponible sur https://fondationdesfemmes.org/fdf-content/uploads/2022/11/FDF-rapport-cout-justice-web-final.pdf↩︎

  76. V. par ex. Cléo Laborde-Bordachar, « Violences sexuelles : non, elles ne portent pas plainte pour l’argent », L’Humanité, 19 mai 2022.↩︎

  77. Notons la particularité de l’action civile chypriote, apparemment imprescriptible (§ 106) ainsi que celle de la Finlande où l’action en réparation peut être exercée par le Ministère Public (§ 96).↩︎

  78. Procédure dans laquelle le juge peut cependant accorder d’office une indemnisation, sauf opposition de la victime (§ 89).↩︎

  79. § 92 de la décision. GREVIO, Rapport d’évaluation de référence. France, 19 nov. 2019, p. 56.↩︎

  80. Rapport d’évaluation du collectif d’associations spécialisées remis au GREVIO le 24 juin 2024, p. 87. Disponible en ligne : https://solidaritefemmes.org/wp-content/uploads/2024/06/Rapport-devaluation-du-collectif-dassociations-specialisees-GREVIO-FRANCE-2024.pdf↩︎

  81. Fonds de garantie des victimes du terrorisme et d’autres infractions. V. https://www.fondsdegarantie.fr/fgti/missions/↩︎

  82. Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, article 25 modifiant l’article 706-3 du code de procédure pénale.↩︎

  83. Art. 706-3 CPP : « Toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque (…) ces faits (…) ont été commis sur un mineur ou par le conjoint ou le concubin de la victime, par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, par un ancien conjoint ou concubin de la victime ou par un ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et sont prévus et réprimés par l'article 222-12 du code pénal ou par le 3° et l'avant-dernier alinéa de l'article 222-14 du même code, y compris lorsque ces faits ont été commis avec d'autres circonstances aggravantes. Par exception au premier alinéa du présent article, le montant maximal de la réparation des dommages subis en raison de ces faits, lorsqu'ils ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, est défini par voie réglementaire ».↩︎

  84. V. not. le n° 190 de la Gazette du Palais du 9 juillet 2009 dont le dossier est consacré à la réparation du dommage corporel des victimes de violences sexuelles et qui commence par ces mots de Claudine Bernfeld : « Notre réflexion sur l'indemnisation des victimes d'agressions sexuelles est née il y a deux ans lors d'une assemblée générale de l'Anadavi. L'un de nos confrères adhérent, pénaliste, présentait une communication sur les montants versés aux victimes d'agressions sexuelles dans ses propres dossiers. Chaque cas était précédé d'une description sommaire des circonstances des faits ; la somme sollicitée puis allouée par la Cour d'assises ou le tribunal correctionnel et par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) était ensuite précisée. Un silence pesant suivit cette allocution. Notre confrère s'en étonna. Notre silence était celui de la consternation absolue. Le raccourci saisissant entre l'horreur des faits et la modicité des indemnisations manifestait l'état d'abandon dans lequel se trouvait cette partie du droit du dommage corporel ».↩︎

  85. CEDH, 25 juillet 2017, Carvalho Pinto De Sousa Morais c. Portugal, n° 17484/15 et notre commentaire : Lisa Carayon et Julie Mattiussi, « Le prix du genre », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 12 mars 2018.↩︎

  86. Sur une approche de genre de la réparation du préjudice sexuel, v. Lisa Carayon, Marie Dugué et Julie Mattiussi, « Réflexions autour du préjudice sexuel - Analyse de jurisprudence sous l’angle du genre », Recueil Dalloz, 2017, p. 2257.↩︎

  87. FGTVI, Dossier de presse, L’indemnisation des victimes de violences sexuelles par le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions, avril 2018, not. p. 3.↩︎

  88. Sur ce point v. not. Joséphine Mahieux, « Expertisée : Regard critique sur l’expertise judiciaire d’une personne violée », Délibérée, 2018/1, n° 3, 2018, p. 71↩︎

  89. V. not. Marie Dugué et Julie Mattiussi, « Abus sexuels : la réparation par les juridictions », Les Cahiers de la Justice, 3, 2024, p. 407 (les autrices apportent également une perspective en termes de justice restaurative) ; Marie Mesnil, « Il doit payer pour ce qu’il a fait.". La responsabilité civile face aux violences sexuelles », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 43, 2025 ; ou, pour une approche plus vulgarisée, Christophe Quézel‑Ambrunaz, « Victimes de violences sexuelles : pourquoi porter plainte pour de l’argent est légitime », The Conversation, 29 mai 2022.↩︎