Actualités choisies
Discriminations, inégalités, exclusions

(janvier 2024 – janvier 2025)

Elsa Bourdier, Alexandra Korsakoff, Julie Mattiussi, Robin Medard-Inghilterra, Isabelle Rorive


















L’actualité de l’année 2024 dans le domaine des discriminations, inégalités et exclusions peut être analysée au regard des obligations positives qui pèsent sur les États quant à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (I), de la lutte contre les stéréotypes de genre (II), des questions relatives à la collecte des données relatives à l’identité de genre (III), à l’identification des réfugiées persécutées en raison de leur identité sexuelle (IV), ainsi qu’à l’exclusion des étrangères sans autorisation de travail de la protection liée à la grossesse (V).

I. Obligations positives face aux violences sexuelles et sexistes

A. Protection des femmes contre les violences domestiques

B. Protection des travailleuses migrantes

II. Stéréotypes de genre

A. Apparence physique et image de marque

B. Care et congés parentaux

C. Contrôles aux faciès

III. Collecte des données relatives à l’identité de genre

A. Communication et prospection commerciale genrées

B. Preuve des discriminations salariales

IV. Identification des réfugiées persécutées en raison de leur identité sexuelle

V. Exclusion des étrangères sans autorisation de travail de la protection liée à la grossesse

I. Obligations positives face aux violences sexuelles et sexistes

  1. La Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau pointé en 2024 les carences de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe face aux violences sexuelles et sexistes récurrentes. L’examen des motifs développés en soutien des condamnations fournit l’occasion d’insister sur l’émergence d’obligations positives en droit de la Convention européenne des droits de l’homme, tant à l’égard des violences domestiques subies par les femmes (A) qu’à l’égard des travailleuses migrantes, plus spécifiquement (B).

A. Protection des femmes contre les violences domestiques

  1. La dernière enquête de l’Union européenne sur la violence fondée sur le genre confirme la prévalence des violences domestiques1 qui sont infligées par un partenaire intime à près d’une femme sur cinq (17,7 %), ou sur trois (31,8 %) quand la violence psychologique est prise en compte2. En vertu de la Convention d’Istanbul, la notion de violence domestique « désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime »3.

  2. Dans son arrêt Vieru c. République de Moldavie4, la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé que les victimes de violences domestiques ont droit à la protection de l’État contre les atteintes à leur intégrité personnelle, que celles-ci soient physiques ou psychologiques. Des obligations positives pèsent ainsi sur les autorités au titre des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après Convention EDH). Celles-ci sont de trois ordres. Elles comprennent, tout d’abord, l’adoption et la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire approprié pour prévenir et sanctionner ce type de violences. Les autorités sont, ensuite, tenues d’apporter une réponse immédiate aux allégations de violences domestiques en menant une évaluation globale du risque, sans les réduire à des événements isolés, ainsi qu’en prenant les mesures opérationnelles de protection qui s’imposent. Enfin, une enquête effective doit être menée sur toute allégation plausible de violences domestiques5.

  3. M. Vieru est le frère de T., victime d’épisodes répétés de violences qualifiées par les autorités moldaves de « faible intensité »6 de la part de I.C., tant pendant leur mariage en présence de leurs deux enfants, qu’après leur divorce. Malgré de nombreux appels d’urgence à la police, le prononcé de plusieurs ordonnances de protection, restées sans effet, les coups, les menaces et les intimidations n’ont jamais cessé. T. est décédée, après une chute du cinquième étage de l’immeuble dans lequel elle habitait, alors qu’I.C. était à nouveau parvenu à s’introduire chez elle pour la frapper et l’insulter.

  4. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la Moldavie a violé le volet procédural tant de l’article 3 que de l’article 2 de la Convention, dans la mesure où l’efficacité des procédures engagées par les autorités a été entravée par le fait que la situation de T. n’a jamais été sérieusement appréhendée dans son ensemble7. Du reste, la Cour dénonce « l’empressement » des autorités chargées de l’enquête à accepter que le décès de T. soit le résultat d’une chute accidentelle, sans envisager « un cas potentiel de meurtre motivé par le sexe »8 et sans recueillir les preuves essentielles à l’établissement des responsabilités9. C’est également une Cour unanime qui condamne la Moldavie pour violation du volet substantiel de l’article 3 de la Convention EDH, en s’appuyant tant sur des conclusions du Comité onusien pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes rendues en 2013 que sur une évaluation récente du GREVIO10, pour épingler une justice pénale moldave sourde aux violences psychologiques, alors même qu’elles engendrent une grande vulnérabilité émotionnelle. Mais la Cour bat en retraite quand il s’agit de s’engager dans l’examen du volet substantiel de l’article 2 de la Convention EDH. Avec les juges Frédéric Krenc et Diana Sârcu qui ont joint une opinion dissidente sur ce point, il nous paraît erroné de refuser cet examen au motif qu’en l’absence d’une enquête effective sur les circonstances du décès de T., il serait impossible « de discerner sans spéculation si son décès résulte d’un accident, d’un suicide, d’un crime ou d’un crime motivé par le sexe »11. La question, pour la Cour, n’est pas de qualifier la mort de T., mais bien de déterminer si les autorités ont pris toutes les mesures opérationnelles qui s’imposaient en l’espèce pour protéger sa vie, en ce compris face au risque de suicide qui est largement documenté pour les victimes d’un schéma récurent de violences domestiques12.

  5. Sous l’angle de l’article 14 de la Convention EDH (interdiction de la discrimination) qu’elle combine avec les articles 2 et 3, la Cour rappelle la dimension discriminatoire des violences domestiques. Pour établir une présomption de discrimination, la Cour relève qu’il s’agit de la huitième affaire depuis 2013, dans laquelle la Moldavie est condamnée pour la réponse déficiente de ses autorités à des actes de violences domestiques qui touchent principalement les femmes13. Elle souligne sans détour « que le manquement des autorités à ouvrir une enquête appropriée sur les allégations de violence domestique et à prendre en compte la violence domestique dans leur enquête sur le décès de T. peut avoir été motivé par une discrimination fondée sur le sexe, compte tenu des attitudes culturelles qui imprègnent à la fois la police et la société dans son ensemble en Moldavie »14. La Cour européenne des droits de l’homme tient compte « du raisonnement et des termes utilisés par la juridiction interne » lorsque celle-ci a refusé de prolonger une ordonnance de protection en invoquant l’absence d’actes de violence au cours des quatre-vingt-dix jours précédents, ce qui reflète clairement l’incapacité du juge national à voir l’affaire au-delà de ce qu’il qualifie de « nature hostile de la relation entre T et I.C. », perpétuant ainsi « les stéréotypes culturels également mentionnés dans le rapport de base du GREVIO »15. Et la Cour d’en déduire, en s’écartant résolument de l’approche restrictive qu’elle avait pu adopter dans des arrêts antérieurs16, une présomption « d’une passivité institutionnelle générale et / ou d’un manque de sensibilisation au phénomène de la violence domestique et de la violence fondée sur le genre en Moldavie ». Pour la Cour, dans un tel cas, « il n’est pas nécessaire que la requérante prouve qu’elle a été individuellement la cible d’un préjudice de la part des autorités »17. Le caractère discriminatoire des violences domestiques est ici clairement dénoncé.

  6. Bien que de nature différente, l’affaire H.W. c. France18, entre singulièrement en résonnance avec la question des violences domestiques, dans la mesure où un cadre juridique qui tire des conséquences civiles19 du refus du « devoir conjugal » malmène nécessairement la liberté du consentement. Mariée depuis plus de trente ans à J. C. avec qui elle a eu quatre enfants, la requérante contestait les conséquences financières du divorce qu’elle avait initié « pour faute »20, mais qui avait été prononcé à ses torts exclusifs en raison de son refus de relations sexuelles depuis une dizaine d’années. Si la Cour est saisie uniquement pour une violation de l’article 8 de la Convention EDH (droit au respect de la vie privée et familiale), elle dénonce le caractère particulièrement stigmatisant des conclusions de la Cour d’appel de Versailles qui a qualifié le refus prolongé de relations sexuelles, même en raison d’importants problèmes de santé, de « violation “grave et renouvelée” des obligations du mariage rendant “intolérable” le maintien de la vie commune »21. Le stéréotype suivant lequel l’un des devoirs d’une « bonne » épouse serait d’assouvir les « besoins » sexuels de son mari a la vie dure dans la jurisprudence française, sachant que ce sont surtout les femmes qui font les frais d’un devoir conjugal non rempli22. La Cour s’appuie sur la Convention d’Istanbul pour rappeler que « tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle » et que les États sont tenus de prévenir les violences sexuelles et domestiques23. Et d’en appeler à « une notion civilisée du mariage » pour réfuter l’argument anachronique du Gouvernement français suivant lequel « le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures »24. I. R.

B. Protection des travailleuses migrantes

  1. L’arrêt F.M. et autres c. Russie25 nous plonge dans une affaire insoutenable « d’esclavage moderne » où des ressortissantes kazakhes et ouzbèkes, en situation de précarité économique, furent recrutées dans leur pays d’origine, emmenées en Russie, dépossédées de leurs papiers d’identité, forcées d’accomplir des travaux pénibles sans contrat de travail ni rémunération, enfermées jour et nuit dans l’entresol des magasins où elles travaillaient dans des conditions d’hygiène effroyable avec très peu d’heures de sommeil, nourries avec des vivres avariés et forcées à boire de l’alcool, privées d’effets personnels, frappées, violées, contraintes d’avorter ou de poursuivre leur grossesse et se voyant, pour certaines d’entre elles, retirer leur enfant né en captivité. Ces traitements ont duré de six mois à une dizaine d’années, laissant les requérantes avec de nombreuses lésions physiques et un trouble de stress post-traumatique sévère. Alors que les autorités russes avaient été averties et disposaient d’éléments précis sur la traite dont ces femmes migrantes faisaient l’objet, aucune enquête pénale ne fut ouverte. Les organisations et les journalistes qui les ont soutenues ont divulgué une collusion entre les forces de l’ordre et les responsables de leur exploitation, à tel point qu’à plusieurs reprises les policiers les ont ramenées de force chez ceux-ci26.

  2. Dans la ligne de sa jurisprudence antérieure et au terme de développements particulièrement didactiques, la Cour unanime conclut que les requérantes ont été victimes de la traite internationale d’êtres humains et de servitude, en violation flagrante de l’article 4 de la Convention EDH. Les autorités russes ont manqué à leurs obligations positives découlant de cette disposition à trois égards : elles n’ont pas adopté de régime législatif et administratif approprié ; elles ont omis de prendre les mesures opérationnelles qui s’imposaient pour protéger les victimes ; elles n’ont mené aucune enquête effective alors que des éléments indiquant des faits de traite internationale d’êtres humains avaient été portés à leur connaissance27.

  3. L’arrêt F.M. et autres c. Russie est surtout remarquable car il s’agit de la première condamnation unanime fondée sur une violation de l’article 14 combiné à l’article 4 de la Convention EDH28. Deux points relatifs à l’interdiction de la discrimination méritent l’attention. Premièrement, en s’appuyant sur les rapports mondiaux sur la traite des êtres humains publiés par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime29, la Cour souligne la forte dimension de genre de ce contentieux en indiquant que « les données issues de la recherche et les statistiques disponibles montrent qu’un nombre disproportionné de femmes et de filles sont victimes de la traite d’êtres humains, en particulier en Europe orientale et en Asie centrale ». Ces dernières sont « trois fois plus susceptibles que les hommes d’être soumises à des violences physiques ou autres aux mains des auteurs de la traite ». Elle ajoute que les migrants, tout particulièrement ceux qui sont sans réseau de soutien et en situation irrégulière, constituent « un autre groupe qui est touché de manière disproportionnée » par la traite d’êtres humains30. Sans nommer le caractère intersectionnel de son approche, la Cour montre bien que l’insuffisance des efforts déployés par la Russie pour lutter contre la traite d’êtres humains touche, de manière inévitable, celles qui la subissent de manière disproportionnée, à savoir les femmes, migrantes, en situation irrégulière31. Deuxièmement, s’agissant de la preuve de la discrimination, la Cour rappelle, en s’appuyant sur sa jurisprudence relative aux violences domestiques, « qu’une politique générale qui a des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe particulier peut être considérée comme constituant une discrimination, même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe et qu’il n’y a pas d’intention discriminatoire »32. Pour la Cour, l’inaction de la Russie face à l’obligation d’honorer ses obligations positives au titre de l’article 4 de la Convention EDH « revient à tolérer de manière répétée la traite, l’exploitation du travail et la violence sexiste qui y est associée et reflète une attitude discriminatoire à l’égard des requérantes en tant que travailleuses étrangères en situation d’immigration irrégulière ». Et d’ajouter que c’est bien « la passivité générale et discriminatoire » des autorités russes qui a créé « un climat propice » à l’exploitation des requérantes33. Des termes très similaires avaient été utilisés par la Cour pour condamner la Moldavie dans l’arrêt Vieru34. En filigrane, la Cour reconnaît ainsi la dimension structurelle de certaines formes de discriminations à l’égard des femmes. I. R.

II. Stéréotypes de genre

  1. La Cour européenne des droits de l’homme a, en complément, poursuivi son œuvre de mise en lumière et de déconstruction des stéréotypes de genre. Sa jurisprudence en 2024 conduit à s’arrêter particulièrement sur les stéréotypes à l’œuvre en matière de répartition des rôles familiaux en vue de l’attribution de congés parentaux (B) et, à un autre niveau, en matière de contrôles au faciès (C). Une décision notable du Défenseur des droits mérite en préalable d’être abordée, en ce qu’elle récuse l’instrumentalisation de stéréotypes liés à l’apparence physique des femmes pour promouvoir l’image de marque d’une entreprise (A).

A. Apparence physique et image de l’entreprise

  1. Le Défenseur des droits, dans une décision du 4 avril 2024, a caractérisé une discrimination à l’embauche à raison de l’apparence physique liée au sexe de la candidate35. En l’espèce, celle-ci avait refusé le port des talons hauts pendant le processus d’embauche. Ce motif est explicitement visé dans le courriel de refus, parmi d’autres, relatifs au ton « vindicatif » et à l’attitude hostile de la candidate sur la question des talons hauts. Après avoir rappelé qu’il n’est pas nécessaire que le motif discriminatoire soit le seul à l’origine de la décision pour caractériser une discrimination (§ 41), le Défenseur des droits a estimé que véhiculer une image de marque dans un environnement socialement très codifié tel que celui de l’évènementiel est un objectif légitime qui peut conduire à envisager des restrictions vestimentaires (§ 49). Néanmoins, le port de talons hauts ne correspond pas à une exigence professionnelle essentielle et déterminante – au sens de l’article L. 1133-1 du Code du travail – compte tenu des missions attendues des hôtes et hôtesses (service de boisson, scan de badges, etc.). La discrimination n’est donc pas justifiée, sans qu’il soit besoin d’aller jusqu’à l’analyse de la proportionnalité. On devine néanmoins que le rapport de proportionnalité n’aurait pas été admis au vu de la mention des troubles musculo-squelettiques susceptibles d’être engendrés par le port de talons en station debout pendant une durée prolongée (§ 54).

  2. La décision illustre l’utilité du critère de l’apparence physique dans la liste des discriminations prohibées en droit du travail à deux titres. D’une part, l’étape de l’embauche n’est pas gouvernée par les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité. La discrimination à l’embauche est donc le seul moyen pour la candidate de critiquer une exigence qui ne s’impose techniquement qu’aux personnes sous contrat. L’existence du critère d’apparence physique permet ainsi d’assurer dès le stade de l’embauche un contrôle des exigences des employeurs. D’autre part, le critère d’apparence physique permet ici de rendre visible le fait que les stéréotypes de genre fondés sur l’apparence produisent des situations d’exclusion. Il aurait certainement été possible d’aller sur le seul terrain d’une discrimination liée au sexe, puisque l’exigence du port des talons ne s’impose pas aux hommes dans ces entreprises. Mais le recours à l’apparence physique permet de cerner plus précisément la discrimination à l’œuvre ; la candidate ici n’est pas exclue parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle refuse de se soumettre à un code social vestimentaire qui ne s’impose qu’aux femmes. D’ailleurs, c’est bien « l’apparence physique liée à l’appartenance à un sexe » (§ 38 et conclusion) qui est mentionnée, dans la lignée des décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 11 janvier 2012 s’agissant de l’annulation du licenciement d’un serveur en raison du port d’une boucle d’oreille36 et du 23 novembre 2022 concernant l’interdiction discriminatoire du port des tresses par un steward37. La décision du Défenseur des droits contribue ainsi à l’élaboration d’une méthode claire s’agissant des usages du critère d’apparence physique dans le droit de la non-discrimination. Elle fait d’ailleurs référence à sa décision-cadre de 2019, qui comprend de nombreux exemples et évoquait déjà la question de l’exigence du port des talons38. Ce qu’il faut retenir est que si le critère large d’apparence physique peut souvent sembler faire doublon avec d’autres critères39, il est en réalité très utile pour objectiver des normes sociales porteuses de stéréotypes de genre40. Il constitue une qualification juridique suffisamment précise pour caractériser une discrimination et, en même temps, suffisamment flexible pour saisir des normes difficilement saisissables car peu questionnées par les acteurs et variables selon les environnements et groupes sociaux. En l’occurrence, il est essentiel de faire évoluer les pratiques concernant les hôtesses d’accueil. Dès 2019, l’une d’elles lançait le mouvement #payetapotiche sur X (anciennement Twitter) pour dénoncer les stéréotypes sexistes dont font l’objet les hôtesses41. Plus récemment, des exigences telles que l’épilation des jambes et des aisselles pour les femmes, ou le déboutonnage du bouton du haut du polo, couramment formulées par des agences d’hôtes et hôtesses, ont encore été relayées par voie de presse42. Il faut désormais espérer que l’élaboration d’une méthode claire pour sanctionner juridiquement ces discriminations permette leur compréhension et leur intégration par les agences de recrutement, afin que ces codes sexistes cessent de se perpétuer. J. M.

B. Care et congés parentaux

  1. En matière de stéréotypes de genre, une autre décision, B. T. v. Russia, rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme le 19 mars 2024, peut être relevée43. Elle fait partie de la dernière vague d’arrêts concernant la Russie pour des faits antérieurs à son exclusion du Conseil de l’Europe le 16 septembre 2022. En l’espèce, un homme exerçant les fonctions de policier avait sollicité un congé parental jusqu’aux trois ans de son enfant, au motif que la mère ne souhaitait pas s’en occuper. Or la législation russe ne permet aux hommes de bénéficier de ce congé que de façon subsidiaire, si la mère se trouve objectivement empêchée d’élever l’enfant (par exemple, si elle est décédée, durablement hospitalisée ou incarcérée). Tel n’était pas le cas en l’espèce selon les autorités russes, la mère exerçant un droit de visite de 6 heures par semaine. En conséquence, le congé parental avait été refusé au père. Après avoir épuisé les voies de recours internes, ce dernier a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a condamné la Russie pour discrimination sur le fondement de l’article 14 combiné à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

  2. L’arrêt rendu par la Cour était prévisible, tant il était difficile de soutenir le traitement différencié des femmes policières, pouvant obtenir un congé parental sans condition, et des hommes policiers, soumis à cette condition d’inaptitude objective de la mère. Deux stéréotypes de genre sont en effet à l’œuvre. Le premier réside dans l’établissement d’une hiérarchie nette entre les hommes et les femmes dans l’occupation des fonctions parentales, les mères étant considérées par principe comme préposées à l’éducation des enfants, contrairement aux pères qui ne le seraient que par défaut. Il s’agit, selon la Cour, d’un stéréotype de genre inacceptable (§ 42), qu’elle semble pourtant étonnamment reprendre à son compte dans une incise où elle indique ne pas nier les différences possibles entre les père et mère dans leur relation à l’enfant (§ 38)44. Le second stéréotype avait été mis en lumière dans une décision précédente, où la Cour avait déjà eu à connaître de la réglementation sur le congé parental dans la police en Russie45. Elle avait alors spécialement critiqué la défense du gouvernement, consistant à affirmer que les droits à congés des policiers doivent pouvoir être limités plus fortement car les hommes sont plus aptes à assurer les fonctions physiques qu’impose la police que les femmes46. Autrement dit, les policiers seraient indispensables au corps professionnel, contrairement aux policières… dont la place serait auprès des enfants. La Cour européenne rappelle fermement quant à elle que les hommes et les femmes doivent être traités également, y compris lorsqu’ils sont personnels policiers ou militaires. Les stéréotypes de genre de toute sorte ne peuvent justifier des règles de droit inégalitaires, et les hommes comme les femmes doivent avoir la liberté de choisir des professions physiques et de s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants en bas âge. J. M.

C. Contrôles aux faciès

  1. La lutte contre les stéréotypes de genre a encore été poursuivie à un autre niveau avec la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, Wa Bail c. Suisse, du 20 février 202447. Pour la première fois, la Cour a constaté une violation au fond de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination) combiné à l’article 8 (droit au respect de la vie privée) face à un cas de contrôle au faciès. Après avoir rendu deux décisions décevantes sur cet enjeu le 18 octobre 202248, la Cour n’a pas manqué la troisième occasion qui lui était fournie par cette affaire pour – enfin – asseoir l’interdiction des contrôles au faciès en droit de la Convention. Le cas portait sur un contrôle d’identité suivi d’une fouille, tous deux subis au sein de la gare de Zurich, à la descente d’un train, par « un individu à la peau foncée et de sexe masculin » selon les termes du rapport de police, suspecté d’avoir commis une « infraction à la loi fédérale sur les étrangers » après avoir « détourné son regard », alors que, de nationalité suisse, il se rendait sur son lieu de travail, l’École polytechnique… Considérant qu’aucun contrôle n’avait été diligenté pour les autres voyageurs et qu’aucun motif objectif n’avait été avancé pour justifier le contrôle d’identité, la discrimination fut ici reconnue.

  2. De multiples études ont d’ores et déjà souligné la dimension stéréotypée et discriminatoire de ces contrôles, consécutifs à un profilage (intersectionnel) qui tient compte, consciemment ou non, de plusieurs caractéristiques protégées, en particulier du genre, de l’origine ethnique, de l’âge, du style vestimentaire, souvent pour en inférer (1) une suspicion relative à la commission d’une infraction ou (2) une nationalité étrangère doublée d’une irrégularité du séjour49. Élément notable : pour admettre l’existence d’une présomption de discrimination non justifiée, la Cour européenne des droits de l’homme s’est précisément appuyée dans cette affaire sur les enquêtes statistiques produites par le requérant et les organisations tierces intervenantes, ainsi que sur les recommandations des organes internationaux de contrôle (Comité onusien sur l’élimination de la discrimination raciale, Commission européenne contre le racisme et l’intolérance) qui démontraient, au niveau national, la persistance du profilage racial, la matérialité des exactions policières et l’insuffisance des formations dispensées auprès des forces de l’ordre50. Une fois encore, la lutte contre les stéréotypes au niveau juridique passe par le recours aux études empiriques issues notamment des sciences sociales, dont se saisissent les juridictions européennes de manière croissante pour pointer des discriminations structurelles. R. M. I.

III. Traitement des données relatives à l’identité de genre

  1. L’actualité jurisprudentielle en 2024 fut aussi marquée par un secours en partie inattendu à la lutte contre les discriminations, inégalités et exclusions : celui apporté par le droit des données à caractère personnel. Au niveau européen, le Règlement général sur la protection des données à caractère personnel (ci-après RGPD) a pavé la voie à un droit de voyager sans communiquer les données relatives à l’identité de genre (A). Au niveau national, il a contribué à soutenir la lutte contre les discriminations dans le cadre contentieux, en fondant la licéité du traitement des données relatives à l’identité de genre à des fins probatoire, pour établir notamment les discriminations salariales (B).

A. Communication et prospection commerciale genrées

  1. Le droit des données à caractère personnel a récemment apporté un appui notable à la communication et à la prospection commerciales neutres. Par sa décision Mousse c. CNIL & SNCF Connect du 9 janvier 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur la légalité de la pratique consistant à recueillir les données relatives à l’identité de genre des client·es lors de la vente en ligne de titres de transport51. Sous réserve de l’appréciation finale du Conseil d’État, juridiction de renvoi dans cette affaire52, l’obligation pour les acheteurs et acheteuses de cocher l’une des mentions « Monsieur » ou « Madame » afin de se procurer billets, abonnements ou cartes de réduction sur le site internet ou l’application SNCF Connect constitue une violation du RGPD, en particulier des principes de licéité et de minimisation des données. Le contentieux était structuré par deux enjeux, tenant respectivement à la communication et à la prospection commerciale genrées.

  2. Premier enjeu : la personnalisation de la communication commerciale d’une entreprise de transport en fonction de l’identité de genre de ses client·es est-elle indispensable au point de rendre le traitement des données relatives au genre « nécessaire »53 à l’exécution du contrat de service ? La Cour de justice a répondu par la négative. SNCF Connect ne démontrait pas en quoi la collecte de ces données – même à la supposer utile – était « indispensable » ou « essentielle » à l’exécution du contrat de transport. Aucun impératif n’impose une personnalisation du contenu des communications commerciales en fonction du genre pour le type de prestations visées. Pour la Cour de justice, « une solution praticable et moins intrusive semble exister » : « l’entreprise concernée pourrait opter, à l’égard des clients qui ne souhaitent pas indiquer leur civilité ou de manière générale, pour une communication reposant sur des formules de politesse génériques, inclusives et sans corrélation avec l’identité de genre »54… Si le recueil de ces données peut, à la marge, favoriser l’adaptation des services de transport pour les trains de nuit qui comportent des voitures réservées aux femmes ainsi que l’assistance des passagers et passagères en situation de handicap, l’exécution du contrat de transport ne justifie en aucun cas une collecte systématique et généralisée des données relatives à la civilité des client·es (y compris celles et ceux voyageant de jour et n’étant pas en situation de handicap).

  3. Deuxième enjeu : en alternative, à défaut d’être nécessaire à l’exécution du contrat, le traitement de données peut-il être légalement fondé sur la poursuite d’un « intérêt légitime »55, à savoir la volonté de personnaliser la prospection commerciale (publicité) d’une entreprise en fonction de l’identité de genre de ses client·es ? La Cour de justice l’a également exclu. La SNCF et le gouvernement français faisaient valoir en chœur la nécessité de respecter des « usages et des conventions sociales propres à chaque État membre », y compris l’identification genrée des personnes sujettes à un démarchage, afin de « préserver la diversité linguistique et culturelle »56. D’une part, la Cour de justice a vu dans ces éléments des considérations étrangères au texte comme à l’interprétation du RGPD. D’autre part, elle a à nouveau marqué sa préférence pour « des formules de politesse génériques, inclusives et sans corrélation avec l’identité de genre », soit à l’égard des client·es qui ne souhaitent pas indiquer leur civilité, soit de manière générale57.

  4. En définitive, le principe de minimisation des données commande de se satisfaire du recours à des formules génériques et inclusives ou aux noms et prénoms lorsqu’est recherchée une personnalisation de la communication et de la prospection commerciale. La Cour de justice s’est aussi inquiétée du risque de discrimination induit par le traitement des données de civilité à des fins d’identification et de démarchage publicitaire, en particulier en cas de changement d’identité de genre58. R. M. I.

B. Preuve des discriminations salariales

  1. Le droit des données à caractère personnel a encore favorisé la lutte contre les discriminations en ne faisant pas obstacle au traitement des données relatives au genre lorsqu’il a pour objet la preuve d’une discrimination. L’illustration est ici fournie par une décision importante de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 3 octobre 2024, Caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie59. Cette décision s’inscrit dans un contexte qu’il importe de saisir. L’effectivité du droit de la non-discrimination est largement tributaire de la capacité des victimes à établir l’existence d’une présomption de discrimination, notamment en matière d’emploi, face au phénomène de l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes. La directive de l’Union européenne sur la transparence des salaires du 24 avril 2023 fournit plusieurs outils afin de recueillir des éléments de preuve. Les articles 144 et 145 du Code de procédure civile permettent aussi la sollicitation de mesures d’instruction tendant à la communication des historiques de carrières et bulletins de salaire sur plusieurs années afin de révéler, par comparaison, la différence qualitative et quantitative de traitement. Une stratégie récurrente du côté des employeurs consiste cependant à invoquer le droit à la protection des données à caractère personnel des collègues de la victime pour faire obstacle à la communication des pièces demandées par elle, voire par les juridictions elles-mêmes dans le cadre de l’instruction. Saisie de la licéité de ce traitement probatoire de données aux fins d’établissement d’une discrimination, la Cour de cassation a jugé le 3 octobre dernier qu’il était bel et bien licite, et fondé sur les articles 6 et 23 du RGPD60.

  2. Cette interprétation du RGPD permet opportunément d’assurer l’effectivité du droit de la non-discrimination comme du droit au procès équitable. Le fait que des données à caractère personnel des parties ou de tiers figurent parmi les documents dont la production est sollicitée ne constitue pas un obstacle, dès lors que l’atteinte au droit au respect de la vie privée est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination et que cette atteinte demeure proportionnée au but poursuivi. La production des pièces constitue en principe pour la Cour de cassation une mesure nécessaire dans une société démocratique pour garantir la « protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires » et « l’exécution des demandes de droit civil »61. Le principe de minimisation des données et l’exigence de proportionnalité de l’atteinte aux droits des tiers impliquent simplement, le cas échéant, de recourir à la pseudonymisation, d’occulter certaines données, de limiter l’accès au dossier et d’interdire l’utilisation des données à une autre fin que l’administration de la preuve. R. M. I.

IV. Identification des réfugiées persécutées en raison de leur identité sexuelle

  1. Les femmes qui craignent d’être persécutées en raison de leur identité sexuelle en cas de retour dans leur pays d’origine sont-elles des réfugiées susceptibles d’être protégées sur notre territoire ? Il s’agit d’une question délicate dont les juridictions, européenne et administratives françaises, ont été saisies à plusieurs reprises au cours de l’année 2024.

  2. Rappelons à titre liminaire que le Parlement s’étant jusque lors refusé à identifier explicitement l’identité sexuelle comme un motif de persécution ouvrant droit à la qualité de réfugié·e62, l’article L. 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) vise seulement celles intervenant à raison d’une action en faveur de la liberté, de la « race », religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou opinions politiques. Trois de ces motifs sont néanmoins mobilisés par les juges pour protéger les demandeuses d’asile contre certaines persécutions de genre. En particulier, les motifs des opinions politiques et de l’action en faveur de la liberté sont utilisés pour protéger les militantes féministes, respectivement depuis les 30 juillet 198463 et 7 février 200164. Depuis le début des années 2000 également, plusieurs groupes sociaux ont été identifiés pour se saisir des craintes de mutilations génitales, mariages forcés et prostitution forcée. Il s’agit notamment du groupe social des femmes non mutilées65, celui des femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé contre leur volonté66, et enfin celui des femmes victimes d’un réseau de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle qui sont effectivement parvenues à s’en extraire67. Ainsi, seules ces quelques violences de genre précisément identifiées étaient susceptibles d’ouvrir droit en France à la qualité de réfugiées.

  3. Un espoir d’élargissement est toutefois né au cours de l’année 2024. Sous l’influence du Haut-Commissariat aux réfugiés68 et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)69, et après s’y être longtemps refusée70, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) s’est enfin résolue à reconnaître, dans un arrêt rendu en grande formation le 11 juillet 2024, un « simple » groupe social des femmes et des jeunes filles71. Rappelons qu’aux termes de l’article 10, paragraphe 1 d), de la directive 2011/95/UE en date du 13 décembre 2011, tout groupe social doit partager une ou plusieurs caractéristiques communes immuables ou fondamentales, et faire l’objet d’une visibilité sociale72. En acceptant de circonscrire un groupe social au travers, non pas de plusieurs, mais d’une unique caractéristique commune – en l’espèce, l’identité sexuelle assimilée pour l’occasion à une caractéristique innée et non, ce qui aurait semblé préférable, à une caractéristique essentielle à l’identité –, elle ouvre théoriquement « le champ des possibles » : le groupe social des femmes est en effet un motif de persécution susceptible d’appréhender toutes les persécutions de genre, et pas seulement les mutilations génitales, les mariages et la prostitution forcés.

  4. Pour autant, la portée de cette décision novatrice de la CNDA mérite certainement d’être relativisée. Le Conseil d’État n’a pas encore confirmé, ni infirmé d’ailleurs, l’existence d’un groupe social des femmes. Il est resté parfaitement silencieux en la matière dans une affaire très similaire – une requérante qui fuyait des persécutions de genre en Afghanistan73. Un doute demeure donc sur la pérennité de cette évolution jurisprudentielle, d’autant plus que ce silence du Conseil d’État intervient moins de deux mois après que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait, elle, expressément reconnu un groupe social des femmes, le 16 janvier 202474. Surtout, la portée de l’arrêt de la CNDA en date du 11 juillet 2024 doit être appréciée à l’aune de ce contexte juridique européen, qui invite à une certaine prudence. En effet, deux principales limites ressortent de la jurisprudence de la CJUE et constituent autant d’insuffisances pour la protection en France des femmes fuyant des persécutions de genre au titre de la qualité de réfugiées.

  5. Premièrement, si la CJUE a bien affirmé dans son arrêt du 16 janvier 2024 que les persécutions de genre subies par les femmes pouvaient être appréhendées au travers du motif de l’appartenance au « simple » groupe social des femmes, elle ne contraint pour autant pas les États membres à le faire. Plus encore, elle valide expressément à cette occasion le raisonnement des États qui s’y refusent, et définissent des groupes sociaux au travers d’une identité sexuelle et d’« un trait commun supplémentaire ». Elle en déduit d’ailleurs en l’espèce que les femmes qui se sont soustraites à un mariage forcé ou les femmes mariées qui ont quitté leur foyer peuvent valablement circonscrire un groupe social75. Quelques mois plus tard, dans un arrêt du 11 juin 2024, elle précise qu’il en va de même pour les femmes qui s’identifient à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes76.

  6. Dans ce contexte, la CNDA reste tout à fait libre de continuer à mobiliser les groupes sociaux plus restreints qu’elle a précédemment identifiés pour appréhender les mutilations sexuelles, mariages et prostitution forcés. Par exemple, dans un arrêt du 5 avril 2024, elle a reconnu comme réfugiée une ressortissante sri-lankaise fuyant une excision, en raison de ses craintes d’être persécutée du fait de son appartenance au groupe social des femmes et filles non mutilées77. Ce faisant, les limites inhérentes à la formulation de ces groupes pourraient être toujours d’actualité. À ce titre, le « groupe social des femmes et des filles non mutilées » ne peut, par définition, pas être mobilisé par celles qui sont déjà mutilées mais qui encourent une nouvelle mutilation, plus complète78 ou intervenant à la suite d’une opération de chirurgie réparatrice79. Un constat similaire peut être dressé concernant le « groupe social des femmes victimes d’un réseau de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle qui sont effectivement parvenues à s’en extraire » : ce motif permet d’offrir une protection aux femmes fuyant la prostitution forcée, en laissant néanmoins malheureusement en dehors de son champ d’application toutes les femmes qui fuient des réseaux de proxénétisme, mais qui n’ont pas déjà été sous leur joug, ou qui le sont encore. Ainsi, l’identification d’un « simple » groupe social des femmes par la CNDA n’aura pas nécessairement d’incidence sur le contentieux des mutilations génitales féminines, mariages et prostitution forcés. La Cour n’est en tout cas aucunement contrainte de le mobiliser dans ces contextes, ce qui lui permet de continuer à maintenir à l’écart de la qualité de réfugiées certaines femmes qui fuient de telles violences.

  7. Deuxièmement, la CJUE n’a pas remis en cause l’interprétation restrictive de la condition de la visibilité sociale des groupes sociaux qui est traditionnellement retenue par les juridictions françaises. En effet, pour qu’une requérante puisse se prévaloir de l’appartenance à un groupe social, quel qu’il soit, encore faut-il que ce dernier existe spécifiquement dans son pays d’origine, c’est-à-dire qu’il fasse l’objet d’une visibilité sociale, en étant « perçu comme (…) différent par la société environnante »80. Mais les juridictions administratives françaises tendent à exiger une visibilité sociale nécessairement négative : le groupe ne doit pas seulement être visible, il doit être stigmatisé dans la société d’origine. Et cette stigmatisation doit se traduire par un phénomène, généralisé, de discriminations et de violences contre les membres du groupe, dans leur ensemble. Or cette interprétation restrictive n’a pas été remise en cause dans l’arrêt du 16 janvier de la CJUE. Au contraire, elle affirme à cette occasion « qu’une discrimination ou une persécution subie par des personnes partageant une caractéristique commune peut constituer un facteur pertinent lorsque (…) il y a lieu d’apprécier si le groupe en cause apparaît comme distinct au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause »81. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser jusqu’alors, la CNDA ne contrevient donc apparemment pas au principe de la norme la plus favorable82, en subordonnant l’éligibilité au statut sur le fondement du motif du groupe social à l’existence d’un phénomène généralisé de discriminations et de violences contre le groupe dans son ensemble, et pas seulement contre le·la seul·e requérant·e83.

  8. Concrètement, l’interprétation restrictive de la condition de la visibilité sociale tend à neutraliser dans une large mesure l’élargissement de la protection internationale aux femmes fuyant des violences de genre opéré dans l’arrêt de la CNDA du 11 juillet 2024. Si le groupe social des femmes peut théoriquement permettre de protéger les femmes contre n’importe quelle persécution de genre, encore faut-il que ce groupe, « les femmes », fasse l’objet d’une visibilité sociale négative dans le pays d’origine. Or à ce jour, en tout cas dans la jurisprudence publiée, ce n’est le cas, selon la Cour, qu’en Afghanistan, mais pas au Mexique, ni en Albanie, ni en République arabe sahraouie démocratique. Ces solutions interrogent le degré d’intensité requis du phénomène de discriminations et de violences, qui apparaît manifestement très, certainement trop, élevé. Surtout, en statuant ainsi, la CNDA a neutralisé les demandes de statut émanant de requérantes mexicaine, albanaise et sahraouie, victimes de violences familiales et / ou intra-tribales dans leur pays, qui tentaient de se prévaloir du motif de l’appartenance au groupe social des femmes, dans des arrêts du 11 juillet84 et 13 décembre 202485.

  9. Manifestement, les espoirs suscités par l’important arrêt d’assemblée de la CNDA du 11 juillet 2024 restent donc dans la pratique encore très largement déçus, voire sources de désillusion. Force est en effet de constater qu’à ce jour, le groupe social des femmes n’a été mobilisé utilement que dans ce seul et unique cas d’espèce. Il s’agissait d’une ressortissante afghane et ses deux filles qui refusaient de subir les graves mesures discriminatoires instaurées par les talibans, affectant notamment leur droit à la santé et à l’éducation, ainsi que leur liberté d’aller et venir. Avant cette date, un tel cas de figure aurait traditionnellement été appréhendé au travers du motif des opinions politiques (éventuellement imputées). Or ce motif n’est pas soumis, contrairement à celui du groupe social, à une exigence de visibilité sociale. En d’autres termes, toutes les femmes peuvent s’en prévaloir, pas seulement celles originaires d’un État où les femmes (dans leur ensemble) sont stigmatisées. Un risque surgit alors : en mobilisant le motif de l’appartenance au groupe social des femmes dans le cadre de ces persécutions de genre, en lieu et place du motif politique, certaines femmes fuyant des restrictions à leurs droits se retrouveraient évincées de la qualité de réfugiées. En particulier : celles originaires de pays où la CNDA considère qu’elles ne font pas l’objet d’une visibilité sociale négative suffisante. Le recours au motif du groupe social des femmes n’apparaît donc guère opportun dans un tel contexte. Et la survenance de ce précédent emporte in fine le risque de conduire à un affaiblissement de la protection des femmes persécutées à travers le monde. A. K.

V. Exclusion des étrangères sans autorisation de travail de la protection liée à la grossesse

  1. Deux décisions rendues au premier trimestre 2024 – l’une par la Cour d’appel de Paris le 10 janvier, et l’autre par la Cour de cassation le 24 mai – mettent en lumière la vulnérabilité des femmes enceintes étrangères. Si différents dispositifs visent à protéger les femmes pendant la grossesse puis après l’accouchement, la lecture de ces deux arrêts montre que toutes les femmes ne sont pas protégées de la même manière pendant leur grossesse. En effet, les femmes étrangères dénuées d’autorisation de travail sont exclues de la protection liée cet état. Selon le juge judiciaire, elles sont considérées d’abord comme des étrangères sans autorisation de travail, avant d’être des femmes enceintes nécessitant une protection justifiée à ce titre.

  2. Alors qu’un contentieux lié au licenciement d’une femme enceinte sans autorisation de séjour a amené les juridictions françaises à s’interroger sur la hiérarchisation à faire entre, d’une part, la protection des frontières – et, partant, l’interdiction pour les personnes étrangères de travailler sans autorisation – et, d’autre part, la protection des femmes enceintes, le juge a fait primer la première sur la seconde. Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 janvier 202486, une salariée étrangère engagée le 8 décembre 2017 à temps partiel avec un contrat à durée déterminée, puis à durée indéterminée à partir du 1er juillet 2018, est convoquée pour un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement deux jours après son accouchement, le 3 octobre 2018. Le 23 octobre 2018, elle est licenciée par son employeur sur le fondement de l’article L. 8251-1 du Code du travail qui interdit l’emploi de personnes étrangères sans autorisation de travail. La salariée conteste son licenciement et, après avoir été déboutée par le Conseil de prud’hommes, conteste en appel la constitutionnalité de plusieurs dispositions législatives applicables à son litige. Elle met ce faisant « en exergue le conflit existant entre deux normes impératives : la protection de la femme enceinte et l’interdiction d’emploi d’un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France » ; et « invoque la violation du principe d’égalité, notamment garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au motif qu’elle a été licenciée le 23 octobre 2018 pour défaut de titre l’autorisant à travailler sur le territoire français, alors qu’elle avait donné naissance à sa fille le 1er octobre 2018 »87.

  3. La requérante s’appuie sur le fait que l’interdiction du licenciement d’une salariée en congé maternité posée par l’article L. 8252-1 du Code du travail, à la supposer non applicable aux femmes étrangères sans autorisation de travail, serait contraire au principe d’égalité. Selon ce raisonnement, « si le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, cette différence de traitement qui en résulte doit être en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Or, la protection de la salariée en état de grossesse ou ayant récemment accouché vise la protection de la santé de la mère et du nourrisson et de leur sécurité physique sociale et financière eu égard à la période de fragilité physique et psychique que connaît ou peut connaître la parturiente »88. L’objet de cette disposition est donc d’apporter aux femmes une protection face à la vulnérabilité qu’engendre la grossesse, l’accouchement et le post-partum.

  4. La contradiction mise en lumière par cette affaire réside dans le fait qu’il ne serait pas possible de faire travailler une femme enceinte pendant son congé de maternité, même si elle est dépourvue d’autorisation de travail, alors qu’il serait possible de la licencier pendant son congé de maternité sur la base d’une absence d’autorisation de travail. La Cour d’appel transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation concernant la comptabilité entre l’article L. 8252-1 du Code du travail et le principe d’égalité consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er de la Constitution de 1958. Mais la Cour de cassation rend, le 24 mai 2024, une décision dans laquelle elle décide de ne pas transmettre la QPC au motif d’un manque de clarté de la question. Au fond, cette question demeure entière et la Cour d’appel aura à la trancher.

  5. Il est possible, et sans doute probable, que la Cour d’appel se range derrière la décision de principe de la Cour de cassation du 15 mars 201789, et ce malgré le fait que le licenciement a eu lieu pendant le congé de maternité. Les faits sont en effet assez similaires, à ceci près – et c’est sur ce point que la salariée s’est appuyée pour soulever une QPC – que la période dans laquelle se trouvait la salariée étrangère au moment de son licenciement (il lui avait été notifié alors qu’elle venait d’accoucher) est distincte puisque la période du congé de maternité est davantage protégée que celle qui s’étend de l’annonce à l’employeur de la grossesse au début de congé de maternité.

  6. Pourtant, une difficulté pourrait résulter de l’article L. 1224-4 du Code de travail, qui dispose qu’« aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes. Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa »90. S’agissant des femmes étrangères enceintes sans autorisation de travail, ces dispositions pourraient trouver à s’appliquer.

  7. Alors que l’état de grossesse implique, en France, une protection particulière, force est de constater que les femmes étrangères sans papiers n’en bénéficient pas. Plus encore, l’exclusion des femmes étrangères salariées sans autorisation des protections liées à la grossesse peut avoir comme effet de renforcer une pratique consistant à employer des femmes sans autorisation, ce que l’on retrouve particulièrement dans le domaine des emplois domestiques, dans lesquels les femmes sont surreprésentées, ce qui in fine permet aux employeurs de ne pas prendre en compte le droit protégeant les femmes enceintes et interdisant leur licenciement. E. B.

Alexandra Korsakoff, maîtresse de conférences, Université de Caen Normandie, Institut caennais de recherche juridique (ICReJ)

Elsa Bourdier, docteure en droit, Université Paris Nanterre, Centre de Recherches et d'Etudes sur les Droits Fondamentaux

Julie Mattiussi, maîtresse de conférences, Université de Strasbourg, Centre de droit privé fondamental

Robin Medard Inghilterra, maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS)

Isabelle Rorive, professeure ordinaire à la Faculté de droit et de sciences criminelles de l’Université libre de Bruxelles, Centre Perelman de philosophie du droit

Références


  1. Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, European Institute for Gender Equality, Eurostat, EU gender-based violence survey – Key results. Experiences of women in the EU-27, Publications Office of the European Union, 2024. V. les chiffres donnés in « Actualités choisies – Discriminations, inégalités, exclusions », Intersections, 2024, n° 1, § 2.↩︎

  2. La notion de « partenaire intime » est définie largement pour inclure le partenaire actuel ou ancien et viser différentes formes de relations intimes (mariage, partenariat enregistré, relation de fait occasionnelle ou non, etc.) : EU Gender-based Violence Survey, préc., p. 20.↩︎

  3. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, art. 3. Cette Convention a été ratifiée par l’Union européenne le 28 juin 2023 et est entrée en vigueur, pour l’Union européenne, le 1er octobre 2023.↩︎

  4. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. République de Moldavie, n° 17106/18. ↩︎

  5. Ibid., § 78. ↩︎

  6. Notons que les rapports médicaux font état de nombreux bleus (sur les bras, la cage thoracique, le visage), mais aussi de doigts tordus, etc.↩︎

  7. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. Moldavie, préc., § 84-89.↩︎

  8. Ibid., § 92.↩︎

  9. Ibid., § 93. Il est intéressant de souligner que, pour la Cour, « L’obligation de recueillir des preuves devrait s’appliquer au moins jusqu’à ce que la nature de toute responsabilité soit clarifiée et que les autorités soient convaincues qu’il n’y a pas lieu de mener ou de poursuivre une enquête pénale », § 94 [notre traduction].↩︎

  10. Il s’agit du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, à savoir un organe d’experts indépendants chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul par les États parties.↩︎

  11. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. Moldavie, préc., § 97 [notre traduction].↩︎

  12. Ibid., Opinion partiellement dissidente des juges Frédéric Krenc et Diana Sârcu, § 3 et § 7-9. V. aussi Sibel Yilmaz Coskun, « Paradox of Escape from Violence : Suicide as a Potential Consequence of State Negligence in Vieru v. Molova », Strasbourg Observers (blog), 31 janvier 2025 [en ligne].↩︎

  13. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. Moldavie, préc., § 129.↩︎

  14. Ibid., § 131 (notre traduction).↩︎

  15. Ibid., § 133 (notre traduction).↩︎

  16. V. notamment CEDH, 22 mars 2022, Y et autres c. Bulgarie, n° 9077/18 ; CEDH, 7 avril 2022, Landi c. Italie, n° 10929/19. La Cour avait déjà commencé à s’écarter de cette approche restrictive dans trois arrêts rendus en 2023 (v. la précédente rubrique « Actualités choisies – Discriminations, inégalités, exclusions », cette Revue) : CEDH, 23 mai 2023, A.E. c. Bulgarie, n° 52891/20 ; CEDH, 15 juin 2023, Gaidukevich. c. Géorgie, n° 28650/18 ; CEDH, 17 octobre 2023, Luca c. Moldavie, n° 55351/17.↩︎

  17. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. Moldavie, préc., § 133 (notre traduction et notre accent).↩︎

  18. CEDH, 23 janvier 2025, H.W. c. France, n° 13805/21. ↩︎

  19. Le viol et autres agressions sexuelles entre époux n’ont été formellement criminalisés que par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 (art. 222-22, al. 2 du Code pénal) et une présomption de consentement a été maintenue jusqu’en 2010 (loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010).↩︎

  20. La requérante « fit valoir que son conjoint avait privilégié sa carrière professionnelle au détriment de leur vie familiale et qu’il s’était montré irascible, violent et blessant » (§ 9).↩︎

  21. CEDH, 23 janvier 2025, H.W c. France, préc., § 14 et 71. Ces termes sont tirés du prescrit de l’article 242 du Code civil français. À noter que le droit civil français permet à l’époux de solliciter le divorce « pour altération définitive du lien conjugal » (Code de procédure civile, art. 1077) qui ne suppose pas la reconnaissance d’une « faute ».↩︎

  22. Ibid., § 23-29 et la contribution citée de Julie Mattiussi, « Le devoir conjugal : de l’obligation de consentir », in Manon Garcia, Julie Mazaleigue-Labaste et Alicia-Dorothy Mornington (dir.), Envers et revers du consentement, Mare & Martin, 2023, p. 123-142.↩︎

  23. Ibid., § 87.↩︎

  24. Ibid., § 90.↩︎

  25. CEDH, 10 décembre 2024, F.M. et autres c. Russie, n° 71671/16 et 40190/18.↩︎

  26. Ibid., § 141-147.↩︎

  27. Ibid., § 279-331.↩︎

  28. Pour affirmer qu’il s’agit d’une « première », je m’appuie sur trois documents disponibles sur le site de la Cour : Unité de la Presse de la CEDH, Factsheet – Slavery, servitude and forced labour, octobre 2024 ; Greffe de la CEDH, Guide sur l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 1 du Protocole n° 12 à la Convention, mis à jour au 31 août 2024 ; Greffe de la CEDH, Guide sur l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, mis à jour au 31 août 2024.↩︎

  29. CEDH, 10 décembre 2024, F.M. et autres c. Russie, préc., § 191-196.↩︎

  30. Ibid., § 342 [notre traduction].↩︎

  31. Ibid., § 346.↩︎

  32. Ibid., § 341 [notre traduction].↩︎

  33. Ibid., § 346 [notre traduction].↩︎

  34. CEDH, 19 novembre 2024, Vieru c. Moldavie, préc.,.↩︎

  35. Défenseur des droits, 4 avril 2024, Décision n° 2024-051.↩︎

  36. Cass. Soc., 11 janvier 2012, n° 10-28213.↩︎

  37. Cass. Soc., 23 novembre 2022, n° 21-14060.↩︎

  38. Défenseur des droits, 2 octobre 2018, Décision-cadre n° 2019-205.↩︎

  39. Sophie Séréno, « “Le physique de l’emploi” : chronique d’une discrimination banalisée », Gaz. pal., 17 mars 2020, n° 11, p. 52↩︎

  40. Julie Mattiussi, « Discrimination sur l’apparence physique et intersectionnalité », in Maïté Saulier et Konstantina Chatzilaou (dir.), Dossier : L’intersectionnalité, quelle utilité pour le droit de la non-discrimination ?, La Revue des Droits de l’Homme, 2025, n° 27 [en ligne].↩︎

  41. V. not. https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/emploi-des-femmes/hotesses-d-accueil-marre-d-etre-potiches_3585281.html. Le mouvement a été lancé dans la foulée de #Kutoo au Japon, également initié par une hôtesse d’accueil, et fait écho à la pétition de 2016 de Nicola Thorp pour l’interdiction des talons hauts au travail (https://committees.parliament.uk/committee/326/petitions-committee/news/99049/your-petitions-nicola-thorps-story/).↩︎

  42. V. not. https://www.hellowork.com/fr-fr/medias/hotesses-tenues-code-vestimentaire.html.↩︎

  43. CEDH, 19 mars 2024, B. T. v. Russia, n° 15284/19.↩︎

  44. Adeline Gouttenoire et Fabien Marchadier, Dr. fam. 2024, n° 7-8, chron. 6, n° 7.↩︎

  45. V. déjà CEDH, 6 juillet 2021, Gruba and others v. Russia, n° 66180/09.↩︎

  46. Ibid., § 82.↩︎

  47. CEDH, 20 février 2024, Wa Bail c. Suisse, nos 43868/18 et 25883/21.↩︎

  48. Pour un commentaire critique des décisions Basu c. Allemagne et Muhammad c. Espagne, v. not. Emmanuelle Bribosia, Robin Medard Inghilterra et Isabelle Rorive, « Les contrôles d’identité au faciès : prouver la discrimination en justice », Rev. trim. dr h., 2021, p. 241-274.↩︎

  49. V. not. Fabien Jobard, René Lévy, John Lamberth et Sophie Névanen, « Mesurer les discriminations selon l’apparence : une analyse des contrôles d’identité à Paris », Population, 2012, vol. 67, n° 3, pp. 423-451.↩︎

  50. CEDH, 20 février 2024, Wa Bail c. Suisse, préc., § 45, 54, 133 et 135.↩︎

  51. CJUE, 9 janvier 2025, Mousse c. CNIL et SNCF Connect, C-394/23.↩︎

  52. CE, 21 juin 2023, n° 452850.↩︎

  53. Au sens de l’art. 6, 1., b) du RGPD.↩︎

  54. CJUE, 9 janvier 2025, Mousse c. CNIL et SNCF Connect, préc., § 40.↩︎

  55. Au sens de l’art. 6, 1., f) du RGPD.↩︎

  56. CJUE, 9 janvier 2025, Mousse c. CNIL et SNCF Connect, préc., § 56.↩︎

  57. Ibid., § 57.↩︎

  58. Eu égard à l’interdiction de discrimination énoncée par la directive 2004/113 du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services.↩︎

  59. Cass., Civ. 2ème, 3 octobre 2024, n° 21-20.979.↩︎

  60. V. déjà de manière moins détaillée Cass. Soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492.↩︎

  61. Art. 23, § 1, f) et j), rapporté à l’art. 6, § 4 du RGPD.↩︎

  62. La question lui avait pourtant été expressément soumise lors de l’examen de l’amendement n° 46, déposé le 4 décembre 2014, lors de l’élaboration de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile. Mais il avait été expressément rejeté en première lecture à l’Assemblée nationale.↩︎

  63. CRR, 30 juillet 1984, n° 24910 [note : la Commission des recours des réfugiés (CRR) est l’ancêtre de la CNDA].↩︎

  64. CRR, 7 février 2001, n° 356008.↩︎

  65. CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 332491. Bien que le groupe social n’était pas formulé en ces termes, la CRR a intégré de telles violences dans le champ de la définition des réfugié·es dès : CRR, 18 septembre 1991, n° 164078.↩︎

  66. CNDA, 23 juillet 2018, n° 15031912 ; CNDA 23 juillet 2018, n° 17042624. La première protection reconnue via ce motif, bien que formulé en des termes différents, est intervenue dès : CRR, 15 octobre 2004, n° 444000.↩︎

  67. CE, 16 octobre 2019, n° 418328. La première protection reconnue via ce motif, bien que formulé en des termes différents, est intervenue dès : CNDA, 29 avril 2011, n° 10012810.↩︎

  68. HCR, Principes directeurs sur la protection internationale n° 1 : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés, HCR/GIP/02/01/Rev.1, Genève, 2008, § 30.↩︎

  69. CJUE, GC, 16 janvier 2024, WS c. Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia za bezhantsite pri Ministerskia savet, C‑621/21.↩︎

  70. Les femmes ont longtemps été considérées comme un groupe insuffisamment circonscrit pour former un groupe social : CRR, 20 décembre 2004, n° 433535.↩︎

  71. CNDA, GF, 11 juillet 2024, n° 24014128, § 12.↩︎

  72. La directive précise qu’« un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier : ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante ».↩︎

  73. CE, 11 mars 2024, n° 467515.↩︎

  74. CJUE, 16 janvier 2024, WS c. Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia (…), préc., § 62.↩︎

  75. Ibid., § 51. Elles partagent, selon la Cour, une histoire commune.↩︎

  76. CJUE, GC, 11 juin 2024, K, L c. Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C-646/21, § 44-45. Il s’agit en effet, selon elle, d’une caractéristique ou croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience, voire d’une histoire commune si cette identification résulte du séjour dans un État membre d’accueil, pendant une phase de leur vie au cours de laquelle l’identité d’une personne se forge.↩︎

  77. CNDA, 5 avril 2024, n° 23054482.↩︎

  78. Avant la reformulation de ce groupe social, la CNDA avait en ce sens reconnu comme réfugiées des femmes craignant une infibulation, après avoir déjà subi une excision. Par exemple : CNDA, 4 octobre 2011, n° 10007875.↩︎

  79. Avant la reformulation de ce groupe social, la CNDA avait reconnu la qualité de réfugiées à des femmes craignant une nouvelle mutilation génitale à la suite d’une chirurgie réparatrice clitoridienne. Par exemple : CNDA, 6 juillet 2009, n° 635611/08016081.↩︎

  80. Article 10, paragraphe 1, d) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), JOUE n° L 337 du 20 décembre 2011, p. 9.↩︎

  81. CJUE, 16 janvier 2024, WS c. Intervyuirasht organ na Darzhavna agentsia (…), préc., § 56.↩︎

  82. Article 3 de la directive 2011/95/UE, préc. : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes [uniquement] plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié (…), dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive ».↩︎

  83. Nous pouvons d’ailleurs relever ici que la CJUE a eu l’occasion de préciser depuis que si ce phénomène atteint le seuil – particulièrement élevé – d’une persécution systématique, une présomption de persécution individuelle jouera au bénéfice de la requérante, et elle n’aura pas besoin de démontrer l’individualisation de ses craintes : CJUE, 4 octobre 2024, AH et FN c. Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl, C‑608/22 et C‑609/22, § 58.↩︎

  84. CNDA, 11 juillet 2024, n° 24011731 ; CNDA, 11 juillet 2024, n° 24006620.↩︎

  85. CNDA, 13 décembre 2024, n° 24019923.↩︎

  86. CA Paris, 10 janvier 2024, n° 23/04370.↩︎

  87. Ibid..↩︎

  88. Ibid.↩︎

  89. Cass. Soc., 15 mars 2017, n° 15-27.928.↩︎

  90. C. trav., art. L. 1224-4.↩︎