Femmes, genre et (re)définition des obligations juridiques
- hier et aujourd’hui

Judith Resnik1

















  1. Comment parler d'égalité, de genre de droits et de droit aux États-Unis à l'été 2025, au moment même où tant d’efforts sont déployés pour saper la sécurité, le respect, l'autonomie, l’autorité et le bien-être d’une multitude de personnes aux identités diverses ? Il faut dire que l’éventail est stupéfiant, qui inclut des décrets du pouvoir exécutif mettant fin à divers programmes, domestiques comme internationaux, garantissant l’accès à la nourriture, aux soins de santé ou à l’emploi, coupant les fonds fédéraux aux universités, démantelant les agences fédérales, interdisant l’accès aux structures gouvernementales aux cabinets d’avocats, expulsant des individus, mettant fin aux soins d’affirmation de genre, ciblant les personnes trans, empêchant les politiques de soutien à la diversité et à l’inclusion, et déployant des force armées fédérales dans les villes américaines. Ces mesures controversées ont déclenché un flot de recours en justice contestant la légalité de nombre d’entre elles. Des voix s’élèvent également parmi d’autres responsables au seins des gouvernements fédéral, étatiques et locaux, chez les dirigeantᐧeᐧs universitaires, au sein des sociétés savantes, ainsi que dans diverses organisations et parmi les personnes directement ciblées.

  2. Surprenants par leur intensité et leur rapidité, ces attaques de 2025 confirment que les États-Unis sont l’un des nombreux endroits où un ‘mouvement anti-genre’ postule que le genre est une ‘idéologie’ sapant les ordres sociaux. Certaines des nombreuses formes que prennent, dans différents pays, le détricotage de l’engagement normatif en faveur de l’égalité de genre sont analysées dans un volume récent de l’International Feminist Journal of Politics2. Bien que le sens prêté au terme de ‘genre’ par ses opposants soit varié, ceux qui lui sont hostiles comprennent bien ce que dénote son déploiement : premièrement, que tout le monde a un ‘genre’ ; deuxièmement, que les constructions sociales et les institutions (plutôt qu’une division essentielle et fixe) sont génératrices du sens des mots ‘femmes’ et ‘hommes’ ; et troisièmement, que postuler la binarité enferme les gens et faillit à saisir l’étendue de l’expérience humaine3.

  3. Dans ce bref essai pour Intersections. Revue semestrielle genre et droit, je refuse de laisser tout le cadrage de 2025 à ceux et celles qui cherchent à saper le programme normatif de l’égalité. Plutôt, j’offre un aperçu de ce que les mouvements sociaux américains ont construit, notamment en rendant visibles les torts causés par les inégalités de genre qui ont fait des ravages, sur les individus comme sur le corps politique. Ma focale est celle des transformations des professions juridiques et judiciaires, du monde universitaire du droit, d’autres institutions, et des certains droits et obligations qui ont gagné en importance et qui, je le crois, seront appelées à perdurer.

  4. Il convient de rappeler les engagements juridiques du dix-huitième siècle qui ont marqué la fondation des États-Unis : les constitutions des États prévoyaient que tous les tribunaux seraient ‘ouverts’ et que ‘toute personne’ aurait droit au recours. Bien que de telles proclamations fussent (et restent) encourageantes, ‘toute personne’ ne signifiait pas toutes les personnes. Durant le dix-neuvième siècle, les lois et les normes de nombreux États privaient les femmes mariées de l’aptitude légale à posséder des biens, à contracter ou à faire respecter des contrats. L’esclavage plaçait les hommes et femmes noir·e·s hors de la portée juridique des droits ; et, durant une grande partie du vingtième siècle, les prisonnier·ère·s étaient ‘civilement morts’, sans statut légal pour contester des formes atroces d’oppression4.

  5. Les mouvements en faveur de l’égalité ont mené à ce que ces nombreuses exclusions soient revues ; en particulier, le droit au recours devant les tribunaux s’élargissait pour être reconnu à toutes les personnes. Ainsi, alors que les organes de gouvernement en général, et le monde des cours et des tribunaux en particulier, avaient autrefois été des institutions excluantes appliquant des hiérarchies d’autorité et de subordination, ces espaces où des politiques se déclarant désormais démocratiques sont aujourd’hui censés être accessibles à quiconque allègue des réclamations recevables5. De plus, il est désormais attendu de tous les aspects et échelons du monde de la justice qu’ils incluent et admettent tout l’éventail des personnes qui en étaient autrefois exclues à cause de certains aspects de leur identité ; il en va de la légitimité des cours et tribunaux.

  6. En poussant pour leur entrée dans le monde du droit et en refusant certaines pratiques, les femmes et hommes de toutes couleurs ont contribué à cette nouvelle réalité. Je propose de faire retour sur les débats théoriques féministes sur la similitude et la différence, sur la prise de conscience croissante de l’intersectionnalité, sur la méfiance envers les délimitations binaires, et sur le retour de bâton [backlash] qui a résulté des luttes sur l'égalité. J’écris, comme diraient les sociologues, depuis une position de ‘participante-observatrice’. Mes réflexions sont façonnées par mon travail dans les facultés de droit et dans les universités, comme avocate occasionnelle (j’ai plaidé l’affaire devant la Cour suprême des États-Unis pour l’admission des femmes au Rotary Club), comme chercheuse sur les biais et préjugés dans les tribunaux, et comme membre d’organisations nationales et internationales œuvrant pour améliorer l’égalité d’accès aux institutions et leur fonctionnement juste6.

  7. Une vignette contemporaine plante le décor. Il y a deux ans, la section sur les Femmes dans l’Enseignement juridique (Women in Legal Education - WLE), une branche de l'Association américaine des écoles de droit (American Association of Law Schools - AALS), a honoré l’œuvre de Martha Minow, ancienne doyenne de l'École de droit de Harvard. WLE lui a décerné le prix Ruth Bader Ginsburg, du nom de l’ancienne juge de la Cour suprême des États-Unis, qui avait autrefois été professeure de droit et qui avait aidé à créer WLE. A cette occasion, plusieurs d'entre nous ont réalisé que les générations plus récentes de professeur·e·s de droit connaissaient peu l’histoire de l’accès des femmes au monde académique juridique dont la formation même de WLE avait été une facette. Nancy Levit, Laura Rothstein et moi avons donc décidé d’organiser un symposium et publierons prochainement un numéro spécial rassemblant des essais sur l’égalité, qui paraîtra dans la revue juridique qui, en 2012, avait publié un premier dossier composé de 21 articles rédigés par d’ancien·nes président·e·s de WLE – dont la juge Ginsburg7.

  8. Nous avons invité des auteur·e·s à rédiger pour ce nouveau recueil, intitulé « Pourquoi maintenant ? Les femmes et l'enseignement juridique ». À ce moment-là, à l'automne 2024, nous avions le sentiment qu’il nous fallait expliquer les raisons pour lesquelles faire retour sur les idées et les pratiques du genre dans et hors du monde des facultés de droit serait utile pour comprendre les défis actuels et futurs. En effet, aux Etats-Unis comme dans de nombreux pays, les professions juridiques incluent aujourd’hui des femmes et ce, dans une pluralité de rôles – même s’ils ne sont pas distribués uniformément aux différents niveaux d’autorité. De ce fait, le sentiment que « beaucoup a été accompli » pouvait donner le sentiment que se concentrer sur l’égalité de genre revenait à poser une question datée. Néanmoins, les attaques portées à l’autonomie des femmes – illustrées notamment par l’abrogation, par la Cour suprême, du droit constitutionnel à l’avortement et sa remise en cause des mesures d’action positive dans l’accès à l’enseignement supérieur – ont bien (re)mis en lumière l’importance qui s’attache aux conflits sur la signification de l’égalité8. Ainsi, même s’il nous semblait devoir faire un travail de persuasion pour rassembler des collègues sur ce thème, nous souhaitions utiliser WLE comme organisation juridique dédiée à l’égalité de genre pour inviter à une discussion contemporaine et faire le point, de longues années après les débuts de WLE dans les années 1970, quand seulement une poignée de femmes avaient accédé à des postes dans les facultés de droit.

  9. Peu après, cependant, nous avons abadonné le mot « pourquoi » dans l’intitulé du symposium à venir. Suite à l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle administration présidentielle et ses attaques agressives contra la soit-disant « idéologie du genre » , les personnes trans, les personnes immigrés, les familles, l’égalité de genre, les soins de santé pour les femmes enceintes, les droits reproductifs, la dignité humaine, les universités, les juges, les agences fédérales et bien plus, aucune explication du besoin de réflexion sur le genre – au sein comme au-delà du monde universitaire – n'était plus requise.

  10. Étant donné mon focus sur l’entrée relativement récente des femmes dans les professions juridiques – comme plaideur⋅euse⋅s, témoins, avocates, professeures de droit et juges – sur les institutions qu’elles ont créées (à l’instar de revues commes Intersections), sur les normes qu’elles ont engendrées et sur les débats qu’elles ont suscités, le XIXe siècle est un bon point de départ pour mon récit. En 1878, un groupe d’hommes blancs créa la première organisation nationale d’avocats : l’Association du Barreau Américain (American Bar Association - ABA). En 1899, plusieurs femmes avocates fondèrent leur propre organisation, l’Association nationale des femmes avocates (National Association of Women Lawyers - NAWL). Deux autres organisations majeures apparurent au début du XXe siècle : trente-deux écoles de droit se réunirent en 1900 pour former l’Association américaine des écoles de droit (AALS) qui compte aujourd’hui plus de 180 membres ; et en 1923, l'Institut du droit américain (American Law Institute - ALI), célèbre pour ses « Restatements » de principes et de doctrine juridique, a vu le jour.

  11. Deux femmes blanches obtinrent l’admission à l’ABA en 1918, dont tous les membres étaient blancs jusque dans les années 1950. En 1943 (environ une décennie avant que la Cour suprême des États-Unis juge que les écoles ségréguées étaient inconstitutionnelles), l’ABA adopta une résolution aux termes de laquelle l’admission n’était « pas dépendante de la race, de la croyance ou de la couleur ». En 1950, elle admit un membre noir, un juge municipal du comté de New York. Ce n’est qu'en 1971 que l’ABA accueillit comme organisation « affiliée » l’Association nationale du barreau (National Bar Association), une structure créée à l’initiative d’un groupe d'avocats noirs en 1925 en réponse, pour partie, à leur exclusion de l’ABA et modelée sur les organisations qui existaient au niveau des États fédérés – comme l’Association du barreau coloré de l’Iowa (Iowa Colored Bar Association).

  12. Aux États-Unis, dont la structure fédérale est propice à la multiplication des associations, de nombreux autres réseaux juridiques existent. Particulièrement pertinents de mon point de vue ici sont les nombreux acteurs publics qui, provenant de diverses juridictions, formèrent des collectifs trans-locaux privés et conquirent leur autorité grâce au rôle que jouaient leurs membres dans le gouvernement. Il en va ainsi par exemple de la Conférence des juges en chef des tribunaux d’État [Conference of Chief Justices of State Courts], qui date de 1949 et rassemble les dirigeant·e·s de tous les tribunaux d’État ; ou encore, des associations nationales de maires, de gouverneurs et d’autres officiels d’État. Les juges des cours et tribunaux d’État sont également assistés par le Centre national pour les tribunaux d'État (National Center for State Courts - NCSC), créé en 1971 pour permettre aux magistrat·e·s étatiques de partager des informations et des programmes et d'améliorer la capacité des officiel·le·s d’État à assurer leur défense devant la Cour suprême des États-Unis. Ces organisations trans-locales d’acteurs gouvernementaux (que j’appelle « TOGAs » [trans-local organizations of government actors], pour les distinguer des ONG (organisations non gouvernementales) et des SIG [special interest groups - groupes d'intérêts spéciaux]) ont un capital politique significatif et influencent les politiques à de nombreux niveaux du gouvernement9.

  13. C’est à compter des années 1970 que l’on vit se multiplier les organisations juridiques de femmes, à mesure que le nombre de femmes admises dans les écoles de droit a modifié la configuration des promotions, la recherche académique et les politiques de recrutement dans les facultés de droit. « Écrire nos propres livres rares » est le titre que Linda Kerber a donné à son essai de 2002 analysant les syllabi et manuels pionniers de la fin des années 1960 et 1970 qui abordaient un sujet alors nouveau - les femmes et le droit10. Le sujet était né grâce à une autre nouveauté – des cohortes d'étudiantes en droit en nombre suffisant pour enrôler des professeurs de droit et les aider à façonner de nouveaux cours prenant au sérieux la complexité des interactions du droit et du genre.

  14. En 1971, assez de fils d'activité existaient pour susciter une manifestation scientifique intitulée « Les femmes et le droit », soutenue par l’organisation Carnegie Corporation et organisée à la Faculté de droit de Yale. Les matériaux pour cette conférence incluaient un recueil de 34 pages miméographiées intitulé Women and the Law : A Collection of Reading Lists (Les femmes et le droit : Une collection de listes de lecture). En l’espace de trois ans, ce recueil avait été augmenté de lourds syllabi et de deux épais manuels : Texts, Cases and Material on Sex-Based Discrimination, écrit par Kenneth Davidson, Ruth Bader Ginsburg, et Herman Hill Kay et publié en 1974 par West’s Publishing Company, et Sex Discrimination and the Law : Cases and Remedies, écrit par Barbara Allen Babcock, Anne E. Freedman, Eleanor Norton, et Susan Deller Ross et publié en 1975 par Little, Brown.

  15. L’existence de WLE, en elle-même, représentait une autre innovation. Jusque-là, l’AALS avait été organisée en sous-sections organisées par sujets (contrats, droit constitutionnel, et propriété, par exemple). En 1970, elle créait donc un espace codé par le genre – sa section ‘Femmes dans l'Enseignement juridique’. Cette décision s’est ensuite reflétée dans de nombreuses disciplines académiques au sein desquelles, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, « comités », « task forces », « caucus » et autres « sections » de femmes se mirent à voir le jour – à l’instar du Comité sur le statut des femmes dans la profession [Committee on the Status of Women in the Profession] de l’Association américaine des professeurs d'université11. Ces différents collectifs ont pressé leurs organisations hôtes à se saisir de la question de la discrimination à l’encontre les femmes et des défis soulevés par le fait que les questions de genre avaient été mises de côté dans des champs entiers de connaissance. L’idée sous-jacente était que la longue absence des femmes dans le professorat avait fini par amoindrir la qualité même de l'éducation et de la recherche.

  16. En 1970, la Conférence nationale sur les femmes et le droit, qui a continué d’exister pendant plusieurs décennies, fut créée à l’initiative d’étudiant·e·s. Celle qui était alors la professeure Ruth Bader Ginsburg jouait un rôle déterminant dans la fondation du Women's Rights Law Reporter, qui existe aujourd’hui encore à l'École de droit de Rutgers (New Jersey). Ailleurs, les étudiant·e·s en droit prirent l’initiative de lancer toutes sortes de publications, dont certaines furent de courte durée mais d’autres, soutenues ; et, parallèlement, les mots changeaient pour capturer le passage des « droits des femmes » au genre, à la sexualité, et à l'intersectionnalité.

  17. Le genre était l’une des catégories d'analyse et d'action. L’Association nationale pour l'avancement des gens de couleur (National Association for the Advancement of Colored People - NAACP) se forma dans les années 1940, et servit de modèle aux Fonds de défense et d'éducation juridiques mexicain-américain (Mexican American Legal Defense and Education Fund - MALDEF), le Fonds de défense et d'éducation juridiques portoricain (Puerto Rican Legal Defense and Education Fund - PRLDEF, plus tard appelé LatinoJustice/PRLDEF), le Fonds de défense et d'éducation juridiques asiatique-américain (Asian American Legal Defense and Education Fund - AALDEF), et le Fonds de défense et d'éducation juridiques de l'Organisation nationale pour les femmes (National Organization for Women’s Legal Defense and Education Fund - NOW LDEF).

  18. En 1971, quelque 130 juges noirs formèrent une unité autonome au sein de l'Association nationale du barreau (ABA). Ce Conseil judiciaire était dédié à « l’éradication des biais raciaux et de classe de tous les aspects des processus judiciaires et d'application de la loi ». Les femmes juges créèrent en 1979 une organisation parallèle, l’Association nationale des femmes juges (NAWJ), au moment même où l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDEF)12. En 1991, la NAWJ contribua à la création de l’Association internationale des femmes juges (International Association of Women Judges - IAWJ), organisée autour de sections nationales dans de nombreux pays ; aujourd’hui, l’IAWJ compte plus de 6 000 membres répartis dans plus de cent juridictions. En 1988, le Consortium national sur les biais raciaux et ethniques dans les tribunaux [National Consortium on Racial and Ethnic Bias], soutenu par le Centre national pour les tribunaux d'État [National Center for State Courts], vit le jour ; il s’est renommé depuis 2002 Consortium national sur l'équité raciale et ethnique dans les tribunaux [National Consortium on Racial and Ethnic Fairness in the Courts]. A ce moment-là, l’Association nationale du barreau (ABA) avait établi sa propre Commission sur les Femmes dans la Profession [Commission on Women in the Profession], dont Hillary Clinton fut la première présidente ; et, par la suite, l’ABA créa sa Commission sur la Diversité Raciale et Ethnique dans la Profession [Commission on Racial and Ethnic Diversity in the Profession].

  19. Si l’on presse le bouton d’avance rapide pour jeter le regard sur ce qui se passe aujourd’hui, on constate que l’ABA fait l’objet de nombreuses et féroces attaques, précisément en lien avec ses engagements pour la transformation de la profession juridique. De plus, le ministère fédéral de la justice [Department of Justice] a officiellement pris position au printemps 2025 pour indiquer qu’il ne prendrait plus en compte les avis de l’ABA sur les compétences des avocats qu’il envisagerait de nommer comme juges fédéraux – revenant alors sur un rôle joué par l’ABA pendant des décennies. Nonobstant, l’ABA continue de faire entendre sa voix pour défendre l’indépendance du barreau, et a fait savoir qu’elle se fonderait bien sur des critères de diversité au sein de la profession pour décerner, en 2026, ses prix d’excellence.

  20. De nombreuses autres organisations juridiques, liées tantôt à des questions spécifiques, et tantôt à des identités professionnelles, poursuivent d’autres agendas. Certaines sont fondées sur des logiques de sous-spécialités. Ainsi par exemple, les organisations d’avocats spécialisés en droit des affaires sont légion, à l’instar de l'Association américaine du conseil en droit des affaires [American Corporate Counsel Association], créée en 1982 et renommée depuis lors, pour refléter sa présence globale, Association du conseil en droit des affaires [Association of Corporate Counsel], qui vise à améliorer le statut du conseil in-house et à influencer les politiques nationales. En 1997, un groupe apparenté – l’Association des conseillers minoritaires en droit des affaires [Minority Corporate Counseil Association] – a vu le jour, qui plaide pour l’accroissement de la diversité dans ce segment de la profession juridique.

  21. Tout comme c’est leur exclusion d’associations comme l’ABA qui a suscité la création des groupes d’affinité, de nombreux groupes ont vu le jour pour promouvoir des vues alternatives. Nombre d’entre eux s’affublent du label de « droit d'intérêt public » [public interest law], bien que les compréhensions de « l’intérêt public » varient. Ainsi par exemple, dans les années 1980, le mouvement Law and Economics – financé par plusieurs fondations – a prospéré dans les écoles de droit ; et la Federalist Society s’est précisément formée dans l’objectif de « fournir un contrepoids » à l'agenda progressiste [NDT : on traduit ici le terme liberal par ‘progressiste’] d'intérêt public13. Avec d’autres, ces organisations soutiennent et font valoir qu’une attention insuffisante a été prêtée à l’engagement de la clause du due process de la Constitution des États-Unis, et que les torts causés à l’économie par la régulation avaient été sous-estimés.

  22. Un de leurs objectifs a été de limiter les mesures d’action positive [affirmative action]. Par exemple, revenant au langage de l’époque de la fondation de république états-unienne, la Federalist Society a, dans les années 1990, présenté ces questions comme soulevant des interrogations relatives au point de savoir si l’attention aux différences démographiques et aux différents biais de race ou de genre n’avait pas abouti à la création de « factions » dans la société civile. Une autre de leurs cibles fut l’accès aux tribunaux. De fait, depuis quelques décennies, la Chambre de commerce des États-Unis a activement promu un agenda de dérégulation, dans le but de circonscrire le rôle des tribunaux et des agences dans le contrôle des transactions commerciales et dans les recours en illégalité formés par les employés et les consommateurs. Une autre organisation, la Fondation américaine de réforme de la responsabilité délictuelle [American Tort Reform Foundation], créée en 1986, publie chaque année un rapport annuel sur ce qu’elle qualifie d’« enfers judiciaires » [judicial hellholes] pour désigner les juges ou les juridictions perçues comme favorables aux requérants.

  23. La multiplication des organisations et l’intensification des débats suscités par les questions auxquelles elles s’intéressent sont le reflet du conflit plus général sur la « révolution des droits » du XXe siècle et le rôle qu’y jouent le gouvernement et les tribunaux. Typiquement, la NAWJ, le Conseil judiciaire de l’Association nationale du barreau, le LDF, Lambda Legal, le MALDEF, et d’autres ont cherché à élargir l’interprétation des normes d’égalité et ont compté sur les tribunaux pour reconfigurer les droits. Les mesures d’action positive dans les politiques d’admission dans l’enseignement supérieur ou dans l’emploi, les recours en matière de violence faites aux femmes, l’accès au mariage ou encore les efforts déployés pour financer l’action en justice des personnes défavorisées constituent autant d’illustrations de leurs attentes vis-à-vis de l’État en matière de lutte contre les schémas d’inégalité et de subordination.

  24. L'action collective par le biais d’actions de groupe a, de ce point de vue, été l’une des voies d’action. Dans les années 1960, des règles fédérales ont été posées en la matière. L’idée pour les « class actions » était de permettre aux individus qui ne seraient pas en mesure d’intenter des recours individuels – à la fois à cause d’un manque de connaissance sur leurs propres préjudices et d’un manque de ressources – de joindre leurs actions. Des groupes d’élèves, de prisonniers, d’employés, de consommateurs, et beaucoup d’autres, s’emparèrent de l’action de groupe. Certaines affaires menèrent les tribunaux à enjoindre des réformes structurelles, prévoyant par exemple un traitement égal des élèves de l’enseignement public, de meilleures conditions de détention pour les prisonniers ou des mécanismes de lutte contre les discriminations dans l’emploi14. Les efforts collectifs de plaidoyer et de persuasion furent une autre approche utilisée par ces organisations juridiques. Les actions de la NAWJ pour soutenir les mesures d’action positive destinées à accroître le nombre de femmes juges, combattre les biais de genre dans les tribunaux et dans le droit, ou promouvoir de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les victimes de violence et pour les femmes prisonnières furent emblématiques de ce point de vue.

  25. L’ensemble des projets menés par la NAWJ fournit un point d’observation des préoccupations du féminisme américain sur plusieurs décennies. Lorsqu’une centaine de femmes se sont rassemblées en 1979 pour fonder l’organisation, elles se décrivaient comme faisant partie de la « crête de la deuxième vague du féminisme ». Deux juges californiennes furent invoquées comme « mères fondatrices » – Joan Dempsey Klein, une juge de cour d’appel qui avait fondé l'Association des femmes avocates de Californie [California Women Lawyers Association] et Vaino Spencer, une juge de première instance fondatrice quant à elle de l'Association des femmes avocates noires [Black Women Lawyers Association]. Dès sa formation, la NAWJ a cherché à mettre en relation des femmes juges de toutes couleurs. A une époque où peu de femmes avaient encore accédé à la magistrature, l’inclusivité était un impératif ; et elle a, de fait, généré une pratique distinctive, qui a vu la NAWJ déployer une large politique d’admission, accueillant aussi bien des femmes occupant des postes administratifs que des magistrates de tous types (juges étatiques ou fédérales) et à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire.

  26. Parmi les objectifs initiaux de la NAWJ, figuraient ainsi : « l’augmentation du nombre de femmes juges de sorte que la magistrature reflète de manière plus appropriée le rôle des femmes dans une société démocratique » ; « l’échange autour des difficultés juridiques, éducatives, sociales et éthiques rencontrés par les femmes juges en vue de formuler des solutions » ; le choix d’« aborder d’autres questions importantes affectant particulièrement les femmes juges » ; ainsi que la promotion « de l’administration de la justice ». L’objectif était de réduire les fardeaux causés par le « tokenism » [NDT : pratique consistant à inclure formellement mais en petit nombre des personnes issues de minorités dans le but de pouvoir se targuer d’être inclusives ; cette pratique est dénoncée non seulement comme cache-misère, mais aussi du fait du fardeau qu’elle fait peser sur ce petit groupe de personnes] en accroissant le nombre de femmes juges et en luttant contre leur isolement par la promotion de la « sororité psychologique ». C’est dans cette perspective que la troisième présidente de la NAWJ, Gladys Kessler, a milité en faveur de mesures d’action positive pour recruter des femmes pour les postes de juge et les faire élire ou nommer.

  27. L’appel de la NAWJ pour plus de femmes juges se fondait sur des arguments familiers sur la similitude et la différence. Une des revendications était que le genre ne devrait pas, en tant que question de démocratie et d’équité, être la base de ce que j’ai appelé la discrimination descriptive qui excluait les femmes du banc. Cette approche s’appuyait implicitement sur des formes d’équivalence entre les femmes et les hommes : elle postulait que, parce que les femmes et les hommes sont égaux en tant que professionnels, l’exclusion des premières des postes de juge était attribuable à la discrimination basée sur leur sexe dont elles faisaient l’objet.

  28. Mais le leadership de la NAWJ soutenait simultanément l’argument selon lequel les femmes juges seraient différentes des juges masculins. Un corps judiciaire « composé de (...) groupes variés devrait résulter en un ensemble plus représentatif, réaliste et cosmopolite d’attitudes au cœur du processus capital qui préside à l’interprétation et l’application de la loi ». En outre, comme l’expliquait la co-fondatrice Spencer, les femmes juges, en tant que « victimes directes de discrimination... [étaient] destinées à être plus concernées et conscientes du besoin de se rapporter à toutes les personnes ».

  29. Portées par cette double ligne argumentative, les femmes qui devinrent juges pouvaient simultanément être vues comme attestant la capacité du monde judiciaire à dépasser les anciennes pratiques discriminatoires (et ainsi légitimer les tribunaux comme institutions égalitaires) et comme venant fournir un point de vue distinctif susceptible d’altérer les résultats de la délibération judiciaire (et ainsi légitimer les tribunaux et la justice comme capables d’incorporer une diversité d’idées et de point de vue potentiellement concurrents). C’est que le discours libéral s’accommode aisément de l’argument égalitaire, même si des désaccords existent sur le point de savoir si le libéralisme exige l’égalité formelle ou l’égalité substantielle. En revanche, l’argument de la différence a suscité une ample littérature critique, qui s’est notamment inquiétée de l’essentialisation et de l’homogénéisation des femmes qu’il emporte en suggérant que toutes les femmes ont les mêmes « expériences différentes », qui produiraient des perspectives épistémologiques différentes de celles des hommes15.

  30. Indépendamment des revendications qu’elle portait au nom de la catégorie des « femmes », les objectifs que s’assignait la NAWJ étaient aussi, dans une certaine mesure, intéressés : en augmentant le nombre de leurs pairs féminines, des juges représentant déjà une forme d’élite juridique réhaussaient leur propre stature. Une telle lecture passe toutefois à côté du fait que, comme l’expliquait la première présidente de la NAWJ, l’objectif premier était « l’élimination de la discrimination sexuelle dans le droit ». Pour elle, c’est parce que les femmes étaient alors des « citoyennes de seconde classe » et que, déjà, les gains accomplis suscitaient de fortes oppositions, que le point de vue distinctif de la NAWJ serait durablement nécessaire.

  31. En 1979, la NAWJ se concentra sur l’égalité substantielle en insistant sur le fait que les femmes avaient besoin de plus et de nouveaux droits. Alors que certaines constitutions étatiques contenaient des clauses d’égalité entre les sexes [Equal Rights Amendment - ERA], rien de comparable ne figurait dans la Constitution fédérale. De plus, la Cour suprême des États-Unis avait, jusqu’aux années 1970, refusé de lire la clause constitutionnelle d’égalité [Equal Protection Clause] du 14ème amendement comme emportant quelque conséquence que ce soit du point de vue des droits des femmes. En 1972, le Congrès adoptait un nouvel amendement à la Constitution, qui devait, pour que la révision aboutisse, être ratifiée par les États dans un délai de sept ans. Le texte disposait que « [l]‘égalité des droits sous la loi ne sera pas niée ou abrégée par les États-Unis ou par tout État en raison du sexe » et conférait au Congrès la mission d’en assurer la pleine application. En 1979, ce projet d’ERA fédéral risquait d’expirer, à défaut d’un nombre suffisant de ratifications par les États16. Comme l’a rappelé Julie Suk, le débat s’est poursuivi au cours des décennies suivantes sur la validité des ratifications ultérieurs par les États et sur le besoin de l’ERA17.

  32. Un des premiers actes de la NAWJ – nouvellement créée à cette époque – fut précisément de s’engager dans une campagne appelant à la ratification de l’ERA. Prenant appui sur la distinction entre droit et politique, la NAWJ soutenait que sa position n’était pas liée à une « question politique » parce que l’ERA était un des « droits humains de base »18. Elle approuvait parallèlement deux autres résolutions lors de sa conférence fondatrice – l’une appelant à ce qu’une femme soit nommée à la Cour suprême des États-Unis, et l’autre exigeant que les juges ne soient pas membres de clubs discriminant sur la base du sexe, de la race ou de l'ethnicité.

  33. En 1980, la NAWJ s’associa au Fonds de défense et d’éducation juridiques de l’Organisation nationale pour les femmes [(NOW-LDEF) dans une campagne en faveur du développement de recherches sur les inégalités de genre et leurs effets au sein du monde judiciaire. A cette époque, le NOW-LDEF avait créé un Programme national d’éducation judiciaire [Judicial Education Program] dont l’objet était de transformer la compréhension judiciaire de l’égalité. Il présentait ce programme comme suscité par les expériences vécues par les femmes plaignantes devant les tribunaux : lorsqu’elles contestaient les barrières empêchant, par exemple, les femmes enceintes d’enseigner à l’école ou résultant des exigences de poids et de taille gouvernant le recrutement des hôtesses de l’air, elles avaient souvent affaire à des juges qui, comme les institutions en défense, étaient pétris de stéréotypes les menant à admettre que les opportunités de travail soient limitées par des considérations liées au sexe, à la grossesse ou aux caractéristiques physiques. Et, comme l’expliquaient les fondatrices Norma Wikler et Lynn Hecht Schafran, si ces plaignantes fournissaient des exemples de l’extérieur d’un État donné sur les biais de genre, les juges admettaient l’existence de tels biais, mais considéraient qu’ils n’avaient pas cours dans leur juridiction19.

  34. Face à ces obstacles, ces éducatrices ont donc conçu des projets empiriques, juridiction par juridiction, de manière à constituer des ressources utilisables au-delà des frontières de chacune. Travaillant en coopération avec la NAWJ, le Programme visait à « éliminer les stéréotypes, mythes et biais basés sur le genre dans les cours et tribunaux américains ». Les différents groupes de travail menèrent des enquêtes sur les biais et préjugés relatifs aux femmes - plaignantes, avocates et juges – et sur les défis que devaient affronter les femmes témoins, parfois rabaissées quand elles détaillaient les violences qu’elles subissaient, ou ignorées lorsqu’elles exprimaient leurs besoins économiques. Les méthodes utilisées incluaient des sondages quantitatifs d'avocats et de juges, des groupes de discussion [focus groups], des audiences, et l’examen et l’analyse critiques de la jurisprudence et des lois.

  35. Une fois de plus, c’est un modèle de mouvement « de la marge au centre » qui a opéré (pour reprendre l’expression forgée par John Markoff au sujet de la conquête du droit de vote des femmes20), car plusieurs États incarnaient des postures d’avant-garde avant que les tribunaux fédéraux ne deviennent impliqués. Le Chief Justice du New Jersey, Robert Wilentz, fut ainsi le premier, au début des années 1980, à mandater une task force sur « les biais de genre dans les cours et tribunaux »21. En 1988, la Conférence des juges en chef des tribunaux d’État adoptait une résolution appelant à l’étude des biais de genre, raciaux et ethniques22. En 1993, elle prenait une autre résolution soutenant la mise en œuvre des propositions faites par les diverses task forces23 qui, alors que le XXe siècle touchait à sa fin, avaient été constituées pour étudier les questions de genre et de race dans plus de vingt-cinq juridictions24.

  36. Les tribunaux fédéraux ne vinrent que plus tardivement à ce grand projet ; mais finalement, environ la moitié des circuits fédéraux commandèrent des rapports après que la Conférence judiciaire des États-Unis [Judicial Conference of the United States] ait appelé en 1992 au déploiement d’études sur les biais de genre25. En 2006, quelque soixante juridictions avaient produit des rapports officiels discutant le traitement des femmes et des hommes de toutes couleurs, dans les tribunaux étatiques comme fédéraux. Et en 2019, l’État de Washington lançait un nouveau projet portant sur l’intersection du genre, de la classe et de la race. Dans ce cadre, un rapport remis en 2021 souligne que l’insécurité économique est une caractéristique commune centrale des personnes qui recourent aux cours et tribunaux, et qu’elle affecte de manière disproportionnée les femmes de toutes couleurs26.

  37. Les conclusions auxquelles aboutirent ces enquêtes menées dans de nombreuses juridictions sont largement convergentes. Dans des États aussi variés que la Californie, la Géorgie, le Kentucky, le Maryland ou le Minnesota, on apprit que les femmes qui intentaient des actions en justice face à la violence dite « domestique » se voyaient souvent reprocher de provoquer les attaques qu’elles subissaient ; et que leurs expériences étaient trivialisées ou décrédibilisées. Comme l’indique la conclusion du rapport du New Jersey du milieu des années 1980, qui fait écho sur ce point à de nombreux autres, « des mythes stéréotypés, des croyances et des biais affect[ai]ent parfois la prise de décision judiciaire (...) dans la violence domestique, la justice juvénile, le droit matrimonial et le prononcé des peines ». La task force qui avait rédigé le rapport concluait qu’il existait « des preuves solides » d’un traitement différentiel des femmes et des hommes dans le système judiciaire.

  38. Parallèlement, le Conseil judiciaire de l’ABA– le groupe de juges afro-américain·e·s qui s’était formé au début des années 1980 – insistait lui aussi sur les manières dont les cours et tribunaux contribuaient à l’injustice. Le Consortium national des forces d’intervention et les Commissions sur les biais raciaux et ethniques dans les tribunaux soutenaient la réalisation d’études sur ces questions. Parfois, les efforts déployés sur les questions de genre et de race / ethnicité se chevauchaient, et favorisaient une attention à l’intersection entre ces logiques. Parfois encore, des conflits se faisaient jour, notamment quand les participant·e·s à ces études s’inquiétaient que l’attention prêtée au genre, ou à la race, éclipse l’autre ; il était en outre souvent difficile de rendre compte de l’intersectionnalité du fait d’une pénurie de données – dès lors, notamment, que peu de personnes de couleur étaient juges ou avocats.

  39. Tous ces rapports venaient défier le méta-récit d’un monde des cours et tribunaux comme intrinsèquement équitables. De ce point de vue, la recherche en psychologie facilita la capacité des acteurs à reconnaître que, bien que des biais ou préjugés intentionnels puissent ne pas être à l’œuvre, des biais implicites pouvaient être de nature à orienter le traitement des informations et à façonner les conclusions sur la plausibilité et la véracité27. L’ensemble de ces rapports établissait que les biais de genre, de race et autres n’étaient pas le produit d’idiosyncrasies ponctuelles mais bien des problèmes systémiques venant limiter les rôles et les droits des hommes et des femmes de toutes couleurs. Venant ainsi questionner l’idéologie de base relative aux tribunaux comme lieux désintéressés et impassibles, toutes ces task forces avaient ainsi représenté une entreprise remarquable du monde judiciaire qui se remobilisait à cette occasion en faveur des aspirations d’équité en se dotant des moyens de comprendre quand ou où des pratiques discriminatoires se logeaient au cœur de ses propres pratiques.

  40. Évaluer l’impact de ces travaux est toutefois une tâche complexe. Beaucoup de ces projets ayant été officiellement commandés par le monde judiciaire lui-même, ils trouvèrent auprès des avocats et des juges une audience garantie. Des revues juridiques s’y intéressèrent aussi, publiant certaines des études qui constituaient, comme l’a écrit Deborah Hensler, un savant mélange « d’histoire et de statistiques »28. Pourtant, au regard du nombre total de juges, ceux qui étaient impliqués dans ces projets ne représentaient qu’une minorité. Et, plusieurs décennies plus tard, il faut reconnaître que ces travaux ne forment pas le cœur battant des discussions et réflexions académiques sur le monde judiciaire.

  41. Ces nombreux efforts produisirent toutefois du changement – ne serait-ce qu’en permettant à l’idée selon laquelle le manque de diversité était un problème pour le monde judiciaire de prendre racine. De fait, des efforts délibérés – parfois appelés « discrimination positive », ou « affirmative action » aux États-Unis – furent entrepris pour altérer la composition du barreau et de la magistrature, ainsi que du monde universitaire. Le Projet Gender Quota des Nations Unies cartographie aujourd’hui les pays ayant mis en place des mesures de sièges résservés ou les autres mécanismes qui visent à diversifier fonctions électives29. Et de fait, dans de nombreux pays, les changements ont en effet été notables, comme l’avait illustré, parmi d’autres exemples, l’accession pionnière de Brenda Hale - qui se distinguait également par son expertise en droit de la famille - en tant que première femme à la présidence de la Cour suprême du Royaume-Uni30.

  42. Par ailleurs, tous ces travaux réalisés par les task forces, qui représentent des milliers de pages documentant les interactions en salle d’audience, analysant les règles de droit et présentant les réponses aux enquêtes menées, reçurent l’aval des organisations professionnelles – y compris de celles qui avaient historiquement été réservées aux hommes blancs, comme l’ABA, la Conférence des présidents des tribunaux d’Etat [Conference of Chief Justices of the State Courts], la Conférence affiliée des administrateurs de tribunaux d’Etat et la Conférence judiciaire des États-Unis. De nouvelles règles éthiques et disciplinaires apparurent, qui recommandaient aux juges de ne pas devenir membres de clubs ou d’associations réservés aux hommes et / ou aux blancs. Des manuels pratiques virent également le jour, et des programmes de recherche ou de formation ainsi que des conférences furent organisés ; et occasionnellement, des décisions de justice vinrent traduire ces nouvelles normes. C’est ainsi qu’en 1995, dans une affaire où la requérante réclamait l’indemnisation du dommage subi du fait du harcèlement sexuel de son employeur, un cour d’appel d’État annula le verdict d’un tribunal en raison du comportement du juge vis-à-vis de la plaignante, qui avait révélé un biais de genre31. De même, en 2018, un juge fédéral du Mississippi prit appui sur les études relatives au biais de genre dans la justice pour dénoncer le « manque de diversité » parmi les juges et les avocats et proposer un processus de nomination d’un administrateur judiciaire dans un procès relatif à une importante fraude subie par des centaines d’investisseurs32.

  43. Comme tous ces changements l’ont reflété, l’agenda de la NAWJ était trans-classes, et centré sur les plaignants. Elle créa notamment un Comité des femmes en prison centré sur les femmes incarcérées. Au milieu des années 1990, elle prit plusieurs positions appelant à la réforme des modalités de calcul de la peine, et sur le fait que celles-ci devaient prêter attention à des questions comme le statut de « parent primaire ou gardien » d’enfants mineurs, ou l’état de grossesse. Ce comité soutint l’organisation d’ateliers d’information sur leurs droits parentaux à destination des femmes incarcérées et facilita celle de groupes de lecture ; il coordonna la mise en place de dispositifs permettant à des mères et leurs enfants de lire les mêmes livres et de correspondre ; il fournit un service de conseil en matière de trajectoire professionnelle ; il organisa la mise à dispositions de vêtements pour les femmes invitées à des entretiens d’embauche ; et, en 2013, il chercha à stopper la fermeture de la seule grande prison fédérale pour femmes dans le nord-est du pays. En 2016, la NAWJ adopta encore une résolution appelant à « des améliorations dans les conditions [de détention] des femmes emprisonnées », soulignant en particulier qu’elles devraient pouvoir être autorisées à étreindre leurs enfants lors de visites.

  44. Un autre projet porté par la NAWJ avait trait aux inégalités endurées par les femmes dont les préjudices n’étaient pas reconnus par la loi. Elle soutint notamment une importante loi fédérale, la Loi sur la violence à l’égard des femmes [Violence Against Women Act – VAWA]33 qui fut promulguée par le Congrès en 1994. La VAWA était une intervention législative aux multiples facettes qui aspirait à modifier les comportements dans de nombreux espaces – police, ministère public, tribunaux, foyers, espace public, lieux de travail, campus universitaires, réserves indiennes. Elle comprenait des dispositions destinées à encourager le développement des études sur les biais de genre, y compris en créant des fonds dédiés qu’il revenait au Bureau sur la violence contre les femmes, créé au sein du ministère de la justice, de distribuer aux échelons pertinents dans les Etats (directions générales des services, services en charge de la formation, de la police, du ministère public, ou programmes ‘STOP’). Au moins 25 % des sommes allouées devaient revenir aux services de la justice et de la police, de même que le ministère public et les services d’aide aux victimes. Il s’agissait donc une approche largement punitive de la violence, qui généra une coalition de soutiens – même si certains acteurs exprimaient l’inquiétude que le plus clair du poids des sanctions serait imposé aux hommes de couleur.

  45. Un aspect particulièrement controversé du projet de loi qui deviendrait la VAWA de 1994 tenait à ce que ses rédacteurs avaient appelé un « nouveau recours en matière de droits civiques », censé offrir aux victimes de violence de genre une voie de recours pour obtenir que la justice condamne ceux qui leur avaient infligé des torts au paiement de dommages et intérêts (en revanche, la loi ne prévoyait pas de possibilité de poursuite contre les États en cas d’inaction)34. S’il recevait le soutien de dizaines de procureurs généraux à l’échelle des États, le dispositif rencontrait une vive opposition, y compris aux sommets de la hiérarchie judiciaire. Au début des années 1990, le Chief Justice du Maine témoigna, au nom de l’ensemble des Chiefs Justice des tribunaux étatiques, devant le Congrès ; il souligna que le nouveau recours en matière de droits civiques de VAWA était adopté, les femmes seraient incitées à alléguer de situations de violence dans les procédures de divorce afin de créer les conditions de l’incompétence des juridictions étatiques au profit des juridictions fédérales35. Elles pourraient ainsi inclure des allégations de violence comme levier pour obtenir le déplacement des procès depuis les tribunaux d'État vers les tribunaux fédéraux. William Rehnquist, le Chief Justice de la Cour suprême des Etats-Unis, comptait aussi parmi les opposants déclarés au projet ; en tant que président de la Conférence judiciaire, il nommait d’ailleurs un comité ad hoc pour étudier le projet de loi qui rendit alors un avis négatif sur ce recours de droits civiques de la VAWA36.

  46. Les membres de la NAWJ travaillèrent alors à une reformulation du recours, afin de restreindre sa portée aux seules victimes qui pourraient démontrer que la violence dont elles se diraient victimes était spécifiquement fondée sur le genre. La Conférence judiciaire accepta alors de changer de position ; plus exactement, elle s’astint d’exprimer un avis sur le recours de droits civiques – tout en soutenant d’autres aspects du projet de loi. Malgré l’argument des opposant·e·s qui avaient prédit que cette nouvelle voie de recours mènerait à une explosion des plaintes, seuls quarante procès furent ouverts par ce biais dans les premières années. L’opposition continua toutefois à s’exprimer – par voie judiciaire désormais : elle plaida que le Congrès n’avait pas la compétence pour créer cette voie de recours, et le juge Rehnquist endossa cette analyse, en 2000, dans son opinion rédigée pour une majorité de cinq juges dans United States v. Morrison qui jugea effectivement que ni la clause de commerce, ni le 14ème amendement, ne conféraient au Congrès le pouvoir d’adopter une telle disposition37. Si, dans les années qui suivirent, le Congrès rmaintint son soutien à la VAWA en confirmant les financements correspondants et même en étendant certaines de ses dispositions, l’ensemble est, en 2025, en péril – notamment parce que que l’ensemble des structures susceptibles de solliciter les fonds crées par le texte ont été informées qu’elles devaient se conformer au décret [Executive Order] du président Trump interdisant à la fois la promotion de l’« idéologie de genre » (quelle que soit la signification de l’expression) et le traitement de la « violence domestique » comme « question systémique de justice sociale »38.

  47. Il faut rappeler ici que les Etats-Unis ne sont pas signataires de nombre de conventions internationales – et notamment, de la CEDEF. Bien que le texte original du traité n’ait pas fait de la violence une des formes de discrimination qu’elle prohibe, le Comité CEDEF a pu, dans une observation générale ultérieure, évoquer la subordination induite par la violence. En outre, dans les décennies suivantes, nombre d’instruments juridiques et d’institutions judiciaires de par le monde ont reconnu la violence comme une forme de discrimination. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul) est en vigueur depuis 2014 ; et des douzaines d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme traitent également la question en ces termes, tout en évoquant les obligations positives des Etats pour protéger les victimes39. La Cour interaméricaine des droits de l’Homme a, elle aussi, reconnu l’impact discriminatoire de la violence – y compris dans une affaire qui trouve son origine dans une affaire où la Cour suprême des États-Unis avait rejeté toute idée d’inconstitutionnalité causée par l’inaction d’autorités municipales face à une ordonnance de protection40.

  48. Comme on l’a indiqué plus haut, en 1991, les membres de la NAWJ ont aidé à fonder l’Association internationale des femmes juges (IAWJ), qui se fixe pour objectif d’être « pionnière dans les programmes de formation judiciaire de promotion des droits humains, pour déraciner les biais de genre des systèmes judiciaires, et promouvoir l’accès des femmes aux tribunaux » - le tout, à travers le développement d’un « réseau global de femmes juges » qui favorise « le leadership (…) et l’indépendance judiciaires ». De fait, l’IAWJ a contribué à engendrer des dizaines d’associations nationales de femmes juges ; elle compte, en 2025, environ 5 000 membres dans des douzaines de juridictions. L’IAWJ organise des conférences régionales et transnationales et recevait – jusqu'à récemment - es subventions fédérales pour organiser des séminaires. Parmi d’autres exemples, elle a ainsi pu organiser des séminaires intitulés « Vers une jurisprudence de l'égalité (JEP) » dans plusieurs pays africains et sud-américains, financer des formations pour le « leadership global des femmes » (GLOW) en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest ou pour les « femmes juristes en leadership » (WILIL) au Kenya, en Afrique du Sud, aux Philippines, au Mexique et au Nigeria – et d’autres programmes encore, comme par exemple sur le sextorsion [NDT : chantages à caractère sexuel]. Dotée du statut d’ONG auprès des Nations Unies, l’IAWJ a assisté certains universitaires dans le cadre d’une collaboration intitulée « Diffuser l'égalité : Influences internationales sur la nomination des femmes dans les hautes cours » qui visait à créer une base de données globale des nominations de femmes entre 1970 et 2010 dans 168 pays afin d’évaluer la manière dont les normes destinées à soutenir la nomination de femmes sont développées et répandues.

  49. Assurément, les organisations affinitaires peuvent être source d’énergie et de puissance. Mais les juges œuvrant au nom des femmes purent aussi être perçues, dans certains cas, comme problématiques. Un des récits relatifs à la formation, en 1994, de l’Association des femmes juges du Canada relate ainsi que certains personnes avaient exprimé leur inquiétude vis-à-vis des groupes basés sur l’identité et une gêne vis-à-vis de la création d’un groupe qui serait « entit[é] séparé[e] de nos collègues masculins ». De fait, elle a adopté en 1995 des statuts spécifiant que « toute personne » pouvait devenir membre.

  50. Aux États-Unis, les attaques directes débutèrent au milieu des années 1990. A cette époque, un juge d’appel fédéral avait tourné en ridicule le lancement, par la Cour d’appel fédérale pour le District de Columbia, d’un groupe de travail sur les biais de genre, de race et d'ethnicité :

    « Nous devions être influencés—peut-être « matraqués » est plus correct—pour accepter un changement profond de perspective dont il était attendu qu’il viendrait, en dernier ressort, affecter substantiellement les décisions que nous rendions... Il n’est rien moins qu’effrayant qu’un mouvement idéologique puissant avec des nuances politiques dures ait pu s’approcher si près dans ses efforts d'intimider le système judiciaire fédéral... Cet effort mal conçu n’aurait jamais dû être lancé dans aucun circuit. Partout il faut s’y opposer ».

  51. Ce juge objecta donc à toute forme de sélection « conforme aux critères de diversité », ainsi qu’à toutes les enquêtes relatives aux avocats et aux juges car, selon lui, ces éléments constituent autant d’« attaque[s] profondes sur l’indépendance judiciaire ». D’autres juges se rejoignirent à de telles déclarations de « dissociation ». Ils incitèrent des membres du Sénat américain à critiquer ces travaux et obtinrent du Bureau de comptabilité générale (maintenant Responsabilité) qu’il lance une enquête. Ce même juge s’est par la suite enorgueilli de ses victoires, revendiquant avoir mis fin au « tumulte » ou avoir permis d’esquiver « des balles ». Pour lui, le problème sous-jacent réside dans la croyance, partagée notamment par les universitaires et les avocats, dans l’idée que « la représentation proportionnelle de sexe et de race (parfois appelée diversité et parfois appelée action positive) [est] un impératif moral ».

  52. L’appréciation de ce juge qui voit dans les groupes de travail sur les biais un aspect des politiques plus générales d’action positive est tout fait correcte ; en effet, ces travaux et initiatives visaient bien à sonder la manière dont le genre et la race organisent à la fois les lieux de travail et le droit, et ils se fixaient bien pour objectif d’intervenir à ce propos de manière appropriée. Ainsi, le rapport de la task force du District de Columbia incluait une recherche innovante sur les expériences des avocats et des juges. Une des questions posées visait à savoir si les personnes s’étaient jamais vues interroger sur leur identité professionnelle (« vous êtes bien avocat·e ? »). 1 % des hommes blancs répondants indiquaient avoir été confrontés à cette expérience de remise en question de leur statut professionnel ; par contraste, c’était aussi le cas pour 9 % des femmes blanches et hommes noirs, de même que pour 33 % des femmes noires41.

  53. En revanche, en dépeignant ces initiatives judiciaires comme inhabituelles ou aberrantes, le juge avait tort. Depuis qu’il s’est doté de formes d’organisation collective à l’échalle fédérale dans les années 1920, le système judiciaire a régulièrement promu des recherches et fait des recommandations sur le financement, les charges de travail, les actions de groupe ou la criminalisation des personnes jeunes. Des années 1960 à la fin du siècle, l’action positive était vue comme une réponse désirable et, dans certains contextes, relativement ordinaire, aux histoires de subordination. Dans des arrêts solennels datant des années 1960 et 1970, la Cour suprême avait jugé qu’il était approprié de recourir à une gamme de remèdes pour déraciner les régimes antérieurs de discrimination42. Quand, dans les années 1970, des litiges mettant en lumière la discrimination au sein même des tribunaux fédéraux en matière d’emploi de certaines catégories de personnel (notamment, les secrétaires) apparurent, la Conférence judiciaire des États-Unis répondit en se dotant, précisément, de son propre « plan d'action positive ». Ce n’est que par la suite, comme l’attestèrent plusieurs changements d’intitulé de ces efforts (vers un « Plan d’égalité des chances » en 1986, à un « Plan d’équité d’emploi »), que l’action positive fut progressivement mise à l’écart.

  54. Au cours des dernières décennies, plaignants et juges opposés à l’action positive parvinrent en effet à en saper les fondements juridiques. Une manière de suivre ce travail de sape dans l’interprétation des normes d’égalité américaines est de s’arrêter sur l’exemple d’un procès mettant en cause un autre artefact des politiques de correction des biais. En Floride, le travail mené dans les années 1980 sur les biais de genre, de race et d’ethnicité dans les tribunaux avait mené le législateur de cet État a reviser son processus de sélection. La commission de nomination judiciaire était composée de neuf membres. Trois d’entre eux étaient sélectionnés par le Barreau de Floride, et trois par les tribunaux ; et il revenait à ces six premiers membres de choisir les trois restants. Une loi fut ainsi votée qui exigeait que, dans chaque ensemble de trois, une personne devait être « d’une minorité raciale ou ethnique, ou une femme »43.

  55. Clairement, les rédacteurs de la loi n’avaient pas prêté attention à ce que la théorie et la pratique féministe (et cette Revue) considèrent pourtant comme central : l’intersectionnalité. Utiliser la phrase « minorité ou femme » c’est en effet, nécessairement, ignorer les nombreuses femmes qui sont les deux à la fois. Néanmoins, tant qu’elle fut appliquée, cette exigence législative mena à ce que les différents panels de la commission de nomination judiciaire comptent effectivement plus de femmes et d’hommes de toutes couleurs. Quel qu’aurait pu être son impact à long terme, un juge de district fédéral annula cette règle législative en 1995, au motif qu’elle violait le droit à l’égalité (Equal protection clause) d’un homme blanc qui avait cherché à figurer parmi les membres nommés par le barreau de Floride pour siéger à la commission judiciaire ; il avait argué que sa non-sélection avait été fondée sur son sexe et sa race44.

  56. Le juge considéra que l’État avait failli à apporter la preuve d’un motif impérieux d’intérêt général venant justifier la disposition attaquée, notamment dès lors « qu’aucune conclusion directe de biais racial » ne pouvait être tirée des éléments de preuve de discriminations passées. En outre, quand bien même elle reflétait de « bonnes intentions » du législateur, la loi contestée n’apparaissait pas « adaptée » à l’objectif poursuivi [NDT : la jurisprudence américaine exige que toute dérogation à l’égalité formelle soit « étroitement taillée » [narrowly tailored] à l’objectif visé]. Enfin, le juge objectait à traiter « les femmes et les minorités comme des groupes fongibles » ainsi qu’à toute idée de « quota absolu » (en dépit du fait que la loi établissait un plancher et non un plafond) qui, selon lui, était sans rapport avec l’objet de la loi. Selon lui, il eut fallu recourir à des mesures moins « intrusives », comme appeler de manière générale à une prise en considération de la « diversité ». L’ensemble disqualifiait donc ce qu’il décrivit comme une disposition rigide dépourvue de but légitime. Dans les années récentes, la Floride est devenue l’un des États où l’hostilité aux programmes de diversité, équité, inclusion et appartenance est la plus prononcée.

  57. Cette décision des années 1990 était annonciatrice d’évolutions jurisprudentielles à venir. Alors même que, dans des décisions antérieures, la Cour suprême avait admis l’utilité des mesures d’action positive dans l’enseignement supérieur, elle commença à laisser entendre qu’elle était prête à reculer sur ce terrain à partir de sa décision Fisher v. University of Texas de 2013. Dans cette affaire, une « candidate caucasienne » soutenait que la prise en compte du critère de la race dans la politique d’admission à l’Université d’État avait mené, la concernant, à une décision de refus d’admission. Le tribunal inférieur fédéral avait déféré à l’Université du Texas, qui avait expliqué que ce critère n’était qu’un des nombreux facteurs pris en compte, dans le but d’atteindre l’objectif, constitutionnellement valable, de diversification du corps étudiant. La Cour suprême renvoyait à son tour l’affaire aux tribunaux inférieurs, en leur enjoignant de réexaminer le caractère nécessaire et justifié de la politique de l’établissement – et d’adapter, le cas échéant, le degré de déférence à lui accorder à l’Université45. Le juge Thomas allait même plus loin, considérant que « l'utilisation du crtière de la race par un État dans les décisions d’admission dans l’enseignement supérieur est catégoriquement interdite par la clause constitutionnelle d’égalité [Equal Protection Clause] »46. Sur renvoi, la cour fédérale pour le 5ème circuit maintint toutefois la politique d’admission de l’Université du Texas à Austin, qui fut par la suite confirmée par la Cour suprême 201647.

  58. Mais par la suite, les objections s’intensifièrent et, grâce à des contentieux stratégiques bien financés, la question revint devant la Cour suprême. Et en 2022, l’approche du juge Thomas emportait la majorité : dans son arrêt Students for Fair Admissions (SFFA) v. Harvard, la Cour suprême a fermé la porte à l’utilisation de la race comme critère admissible dans les politiques d’admission dans l’enseignement supérieur48. Par conséquent, de nombreuses universités ont dû modifier leurs pratiques d’admission. De plus, bien que l’arrêt n’ait pas catégoriquement interdit de telles pratiques dans tous les secteurs (par exemple, dans les écoles militaires), le gouvernement fédéral en a fourni une interprétation extensive en 2025, et a exclu, par diverses directives qui ont généré un puissant chilling effect, toutes les initiatives de soutien à la diversité dans tous les secteurs, publics comme privés, aux États-Unis comme à l’étranger, où se déploient des initiatives créatives visant à élargir des opportunités49.

  59. Revenons maintenant à notre point de départ : « maintenant » - 2025 – et les efforts actuellement déployés pour faire dérailler le ministère de l’Education [Department of Education], pour lancer, à partir du ministère de la Justice [Department of Justice], des poursuites agressives pour intimider les avocat·e·s afin de les contraindre à l’obéissance, pour couper la recherche dans le domaine de la santé, pour expulser les individus ayant des attaches aux États-Unis et des revendications légitimes à y séjourner, pour interdire tout usage du terme « diversité » dans les activités du gouvernement fédéral ainsi que dans certains États, et pour discriminer les personnes trans dans l’ensemble des institutions du secteur public et privé – y compris les Universités. Les actions sont vitrioliques, ciblées, et terrifiantes pour les personnes visées, pour le fonctionnement de nombreuses institutions, et pour toute virtualité démocratique aux États-Unis.

  60. Comme je l’ai observé dès le départ, bien qu’il a été conforté par l’élection de 2025, le « mouvement anti-genre » prend de l’ampleur depuis de nombreuses années, grâce au soutien de mouvements politiques qui visent à intensifier le contrôle sur la vie sociale, culturelle et politique du pays50. Un de ses marqueurs puissants fut l’abrogation, par la Cour suprême en 2022, du droit constitutionnel des personnes enceintes à contrôler leurs décisions reproductives et donc, à avorter51. Les preuves des effets de cet arrêt sont nombreuses, et incluent aujourd’hui le recensement des morts par septicémie, les hôpitaux dans plusieurs parties du pays étant peu enclins à fournir des soins critiques pour leurs patient·e·s52. Ces morts surviennent parce que les médecin·e·s ne peuvent exercer leur jugement en toute indépendance. Plus largement, ce mouvement vise à saper l’intégrité des institutions, à restreindre la liberté académique et à entraver la recherche scientifique.

  61. Pourtant, comme je l’ai également indiqué, se focaliser uniquement sur ces attaques revient à ignorer à la fois les nombreux apports de ces groupes et organisations fondés sur l’identité, et leurs luttes actuelles - pour déterminer la manière la plus efficace de susciter des adhésions et du soutien financier, ou pour définir leurs priorités. À mésure que la profession juridique s’est diversifiée, des questions ont émergé sur le besoin—et l’opportunité— de s’organiser autour de l’identité. Par ailleurs, les débats internes au féminisme ont donné lieu à des divisions quant aux meilleures catégories d’analyse, aux thèmes à aborder et aux modes d’action à privilégier. Les universitaires engagé·es dans la promotion de l’égalité se sont inquiété·es de la conception des programmes en faveur de la diversité, tandis que des chercheur·es ont tenté d’en mesurer les effets53. Les désaccords sur les remèdes à apporter sont nombreux ; dans le monde universitaire juridique, par exemple, les tentatives de définition et de régulation des violences sexuelles ont suscité de profondes divisions54. La liste de diffusion de la WLE a été le site de conflits sur les positions publiques de ses membres et, plus largement, du monde universitaire, notamment sur les sujets générant du conflit et de la violence, à l’intérieur des États-Unis comme dans diverses parties du monde. Plus largement, certain·e·s critiques considèrent que les réformes menées au cours des dernières décennies sont rigides, performatives, intolérantes, voire mal avisées. En somme, l’on a beaucoup écrit sur la complexité du recours aux catégories de race, de genre et de classe, ainsi que sur les fonctions, les contenus et les limites des politiques d’action positive.

  1. Par ailleurs, la glorification du monde des facultés de droit et des professions juridiques a rencontré des limites. Les Universités n’ont pas été capables de convaincre de leur utilité et de s’engager efficacement en faveur des communautés qui en avaient besoin. Pour revenir au droit et au principe du recours effectif évoqué en introduction, il faut admettre que bien que, formellement, les droits sont désormais reconnus à tous, en pratique, les voies de leur protection sont largement bloquées – pour une multiplicité de raisons, parmi lesquelles le coût prohibitif des études juridiques et de l’assistance juridique55. Aux Etats-Unis (et au-delà), la réflexion sur le thème de « l’accès à la justice » reflète à la fois les efforts visant à développer les recours juridiques disponibles et la situation actuelle qui rend la justice inaccessible à des millions de personnes aux ressources limitées.

  1. Plaise au ciel que cet article ait pu éclairer la remise en question des approches fondées sur le genre et sur les autres facteurs qui empêchent la concrétisation des droits formels. Mais j’écris dans l’ombre des assauts portés contre l’enseignement supérieur, qui visent à en épuiser les ressources et à en contrôler les pratiques ; des attaques individuelles et institutionnelles contre les juges ; des saisies visant des individus ; ainsi que des demandes d’accès aux dossiers des ONG et des universités. À cela s’ajoute le mépris affiché envers l’autorité des responsables étatiques et locaux dans cette fédération démocratique. J’ai ainsi répondu à la question posée au début de cet essai en décrivant les impératifs de résistance face à ces entreprises de démolition, ainsi que la nécessité d’honorer — tout en les soumettant à la critique — les efforts de centaines de milliers de personnes, issues de mouvements sociaux, au sein comme en dehors des tribunaux, qui ont transformé les critères mêmes de la légitimité des institutions publiques. En évoquant ici les nombreux sites d’activité, les innovations mais aussi les défis posés par l’exigence de ne pas essentialiser les personnes, les institutions ou les juridictions, j’ai cherché à souligné que les analyses et les actions collectives – interdépendantes et intersectionnelles – ont façonné des idées, des pratiques et des attentes des institutions différentes. Chercher à promouvoir l’épanouissement a inévitablement conduit à des luttes sur ce que le genre implique, sur les devoirs des gouvernements et sur les frontières mêmes de l’égalité. Une question s’impose en conclusion : que faut-il aujourd’hui construire ?

Judith Resnik, Professeure, Chaire Arthur Liman, Yale Law School

Références


  1. Tous droits réservés, juin 2025. Je tiens à remercier chaleureusement Stéphanie Hennette Vauchez de m’avoir invitée à écrire cet article pour Intersections et d’avoir travaillé avec autant de soin et de compétence avec Zoë Mermelstein et moi à la traduction du texte anglais en français. Je tiens également à remercier mes collègues —y compris Denny Curtis, Mahzarin Banaji, Emily Bazelon, Mary Clark, Nancy Gertner, Linda Greenhouse, Brenda Hale, Deborah Hensler, Vicki Jackson, Nancy Levit, Nancy Marder, Sheryl Gordon McCloud, Margaret McKeown, Brenda Murray, Melissa Murray, Laura Rothstein, Kim Scheppele, Reva Siegel, Julie Suk et Holly Thomas— d’avoir collaboré avec moi sur nos travaux portant sur les question d’égalité et d’inégalité, au sein comme en dehors des tribunaux et du monde universitaire ; et mes assistantes de recherche, toujours compétentes—Margaret Baughman, Jessica Boutchie, Swathi Kelle et Zoë Mermelstein—dont l’engagement dans mon travail a été une véritable source de plaisir. Le présent article emprunte à plusieurs de mes articles antérieurs et s’appuie sur eux, notamment : « Representing What? Gender, Race, Class, and the Struggle for the Identity and the Legitimacy of Courts, » Law & Ethics of Human Rights, 2021, vol. 14, n° 1, pp. 1-91 ; « A Collective Collage : Women, the Structure of American Legal Education, and Histories Yet to Be Written », University of Missouri Kansas City Law Review, 2012 vol. 80, n° 3, pp. 737-744 ; et « Class in Courts : Incomplete Equality’s Challenges for the Legitimacy of Procedural Systems », in Brooke Coleman, Suzette Malveaux, Portia Pedro, Elizabeth Porter dir., A Guide to Civil Procedure : Integrating Critical Legal Perspectives, New York University Press, 2022, pp. 132-142.↩︎

  2. Shine Choi, Natália Maria Félix de Souza, Amy Lind, Swati Parashar, Elisabeth Prügl, Marysia Zalewski, « The Damages Done by the “Anti-Gender Movement” », International Feminist Journal of Politics, 2024, vol. 26, n° 1, pp. 1-5.↩︎

  3. V. par exemple, Joan Wallach Scott, Gender and the Politics of History, Columbia University Press, 1988.↩︎

  4. V. de manière générale, Judith Resnik, Impermissible Punishments : How Prison Became a Problem for Democracy, University of Chicago Press, 2025.↩︎

  5. De nombreux⋅ses théoricien⋅ne⋅s ont exploré l’idée selon laquelle l’égalité politique implique l’obligation de reconnaître l’égale dignité de toutes les personnes. V. par exemple : James Lindley Wilson, Democratic Equality, Princeton University Press, 2019 ; Ronald Dworkin, Sovereign Virtue : The Theory and Practice of Equality, Harvard University Press, 2000. Dennis Curtis et moi, avec d’autres, soutenons que les tribunaux constituent un lieu où les valeurs démocratiques peuvent s’exprimer, dans la mesure où les juges et les plaideur⋅euse⋅s – toutes classes sociales, identités de genre, appartenances raciales et autres catégories confondues – sont désormais tenu⋅e⋅s de participer à des échanges publics marqués par le respect et la dignité, et de justifier leurs arguments comme leurs décisions ; v. Judith Resnik, Dennis Curtis, Representing Justice : Invention, Controversy, and Rights in City States and Democratic Courtrooms, Yale University Press, 2011 [republication au format ebook en 2022 : http://hdl.handle.net/20.500.13051/18178].↩︎

  6. V. par exemple, Cour suprême des Etats-Unis, 4 mai 1987, Board of Directors of Rotary International v. Rotary Club of Duarte, 481 U.S. 537 (1987) ; V. le rapport de juillet 1983 : « The Effects of Gender : The Final Report of the Ninth Circuit Gender Bias Task Force » (avec les juges John C. Coughenour, Procter Hug, Jr., Marilyn L. Huff, Terry W. Bird, Deborah R. Hensler, M. Margaret McKeown et Henry Shields, Jr.), reproduit in Southern California Law Review, 1994, vol. 67, pp. 727-1081.↩︎

  7. Linda Jellum, Nancy Levit, « Introduction : Reflections of Women in Legal Education. Stories from Four Decades of Section Chairs », University of Missouri Kansas City Law Review, 2012, vol. 80, n° 3, pp. 659-661 ; Ruth Bader Ginsburg, « In the Beginning », University of Missouri Kansas City Law Review, 2012, vol. 80, n° 3, pp. 663-664 ; et Herma Hill Kay, Paving the Way : The First American Women Law Professors, University of California Press, 2021.↩︎

  8. Cour suprême des États-Unis, 24 juin 2022, Dobbs v. Jackson Women’s Health Center, 597 U.S. 215 (2022) ; Cour Suprême des États-Unis, 29 juin 2023, Students for Fair Admissions, Inc. v. President & Fellows of Harvard College, 600 U.S. 181 (2023).↩︎

  9. Judith Resnik, Joshua Civin, Joseph Frueh, « Ratifying Kyoto at the Local Level : Sovereigntism, Federalism, and Translocal Organizations of Government Actors (TOGAS) » , Arizona Law Review, 2008, vol. 50, pp. 709-786.↩︎

  10. Linda K. Kerber, « Writing Our Own Rare Books » Yale Journal of Law & Feminism, 2002, vol. 14, pp. 429-451. Cet article a fait partie d’un symposium après la tenue d’un colloque intitulé « Femmes, justice, et autorité » à la faculté de droit de Yale.↩︎

  11. V. Ruth M. Oltman, « Women in the Professional Caucuses », American Behavioral Scientist, 1971, vol. 15, n° 2, pp. 281-301, Annexe I.↩︎

  12. La CEDEF entra en vigueur le 3 septembre 1981 ; v. Judith Resnik, « Comparative (In)equalities : CEDAW, the Jurisdiction of Gender, and the Heterogeneity of Transnational Law Production », International Journal of Constitutional Law, 2012, vol. 10, n° 2, pp. 531-550.↩︎

  13. Steven M. Teles, The Rise of the Conservative Legal Movement : The Battle for Control of the Law, Princeton University Press, 2008, p. 139. La Federalist Society for Law and Public Policy Studies fut fondée en 1982 pour promouvoir « les principes selon lesquels l’État existe afin de préserver la liberté, la séparation des pouvoirs constitue un fondement essentiel de notre Constitution, et il appartient expressément au pouvoir judiciaire de dire ce qu’est le droit, non ce qu’il devrait être » : http://www.fedsoc.org/about-us . Une analyse de la mobilisation des partisans de l’anti-réglementation et du libertarianisme est proposée par Reva B. Siegel, « Dead or Alive : Originalism as Popular Constitutionalism in Heller », Harvard Law Review, 2008, vol. 122, pp. 191-245.↩︎

  14. V. Judith Resnik, « From ‘Cases’ to ‘Litigation’ », Law & Contemporary Problems, 1991, vol. 54, pp. 5-68.↩︎

  15. V. par exemple, Jvette Klausen, Charles S. Maier dir., Has Liberalism Failed Women ?, Palgrave Macmillan, 2001.↩︎

  16. Commission des droits civiques des États-Unis [U.S. Commission on Civil Rights], The Equal Rights Amendment : Guaranteeing Equal Rights for Women Under the Constitution, 1981. Il fallait que trente-huit États ratifient l’ERA avant la date limite du 30 juin 1982 ; et le Nebraska, le Tennessee ainsi que l’Idaho cherchèrent alors à révoquer leur ratification antérieure : Julie C. Suk, « An Equal Rights Amendment for the Twenty-First Century : Bringing Global Constitutionalism Home », Yale Journal of Law & Feminism, 2017, vol. 28, pp. 381-444.↩︎

  17. L’histoire des efforts visant à inscrire l’égalité dans la Constitutions des États-Unis, ainsi que des activités liées à l’ERA après les années 1970, est présentée in : Julie C. Suk, We the Women : The Unstoppable Mothers of the Equal Rights Amendment, Skyhorse Publishing, 2020.↩︎

  18. Le rôle du consitutionnalisme dans l’émancipation des femmes est analysé par de nombreux·euses chercheur·euse·s, notamment : Ruth Rubio-Marin, Global Gender Constitutionalism and Women’s Citizenship, Cambridge University Press, 2022 ; Vicki C. Jackson, « Gender Equality, Interpretation, and Feminist Pluralism », in Helen Irving dir., Constitutions and Gender, Edward Elgar Publishing, 2017 ; Vicki C. Jackson, « Feminisms and Constitutions », in Kim Rubenstein, Katherine G. Young dir., The Public Law of Gender : From the Local to the Global, Cambridge University Press, 2016. Pour une analyse de l’impact du XIXe Amendement de la Constitution des États-Unis en tant qu’incarnation d’une interprétation du principe d’égalité au-delà du seul droit de vote, v. Reva B. Siegel, « She the People : The Nineteenth Amendment, Sex Equality, Federalism, and the Family », Harvard Law Review, 2002, vol. 115, n° 4, pp. 947-1046.↩︎

  19. Lynn Hecht Schafran, « Documenting Gender Bias in the Courts : The Task Force Approach », Judicature, 1987, vol. 70, pp. 280-290 ; Lynn Hecht Schafran, « Educating the Judiciary About Gender Bias : The National Judicial Education Program to Promote Equality for Women and Men in the Courts and the New Jersey Supreme Court Task Force on Women in the Courts », Women’s Rights Law Reporter, 1986, vol. 9, n° 2, pp. 109-124 ; Norma Juliet Wikler, « On the Judicial Agenda for the 80s : Equal Treatment for Men and Women in the Courts », Judicature, 1980, vol. 64, n° 5, pp. 202-209.↩︎

  20. John Markoff, « Margins, Centers, and Democracy : The Paradigmatic History of Women’s Suffrage », Signs, 2003, vol. 29, n° 1, pp. 85-116, p. 104.↩︎

  21. « First Year Report of the New Jersey Supreme Court Task Force on Women in the Courts - June 1984 », Women’s Rights Law Reporter, 1986, vol. 9, pp. 129-177. Lorsque Deborah Poritz était Chief justice, le New Jersey fut le premier État à instituer un groupe de travail consacré aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle : Final Report of the Task Force on Sexual Orientation Issues, New Jersey Judiciary, 2001, http://www.judiciary.state.nj.us/pressrel/2001/taskforce.htm↩︎

  22. Conférence des juges en chef des tribunaux d’État [Conference of. Chief Justices of the State Courts], « Resolution XVIII : Task Force on Gender Bias and Minority Concerns », Connecticut Review, 1989, Vol. 26 ; Lynn Hecht Schafran, « Gender Bias in the Courts : An Emerging Focus for Judicial Reform », Arizona State Law Journal, 1989 vol. 21. p. 237.↩︎

  23. Judith Resnik, « Gender in the Courts : The Task Force Reports », inJean Maclean Synder, Andra-Barmash-Greene dir., The Woman Advocate : Excelling in the 90’s, Prentice Hall Law & Business, 1995, pp. 952-960.↩︎

  24. Judith Resnik, « Asking About Gender in Courts », Signs, 1996, vol. 21, pp. 952-960.↩︎

  25. Report of the Proceedings of the Judicial Conference of the United States, 22 sept. 1992 ; V. le texte de présentation rédigé par les juges Judith M. Billings et Brenda Murray, « Introduction to the Ninth Circuit Gender Bias Task Force Report : The Effects of Gender », Southern California Law Review, 1993, vol. 67, pp. 739-750 ; v. aussi, Judith Resnik, « ‘Naturally’ Without Gender : Women, Jurisdiction, and the Federal Courts », New York University Law Review, 1991, vol. 66, pp. 1682-1772.↩︎

  26. Commission sur le genre et la justice de la Cour suprême de l’État de Washington [Washington State Supreme Court Gender & Justice Commission], « 2021 : How Gender and Race Affect Justice Now », 2021, https://www.courts.wa.gov/subsite/gjc/documents/2021_Gender_Justice_Study_Report.pdf↩︎

  27. Mahzarin R. Banaji, Anthony G. Greenwald, Blindspot : Hidden Biases of Good People, Bantam, 2013 ; v. aussi Kirsten N. Morehouse, Mahzarin R. Banaji, « The Science of Implicit Race Bias : Evidence from the Implicit Association Test », Daedalus, 2024, vol. 153, n° 1, pp. 21-50 ; R. Richard Banks, Jennifer L. Eberhardt, Lee Ross, « Discrimination and Implicit Bias in a Racially Unequal Society », California Law Review, 2006, vol. 94, pp. 1169-1190.↩︎

  28. Deborah R. Hensler, « Studying Gender Bias in the Courts : Stories and Statistics », Stanford Law Review, 1993, vol. 45, n° 6, pp. 2187-2193 ; v. aussi, Judith Resnik, « Gender Bias : From Classes to Courts », Stanford Law Review , 1993, vol. 45, n° 6, pp. 2195-2209.↩︎

  29. « United Nations Gender Quota Profile », ONU Femmes, https://genderquota.org/quota-analysis . En 2025, s’agissant des quotas de genre inscrits dans la législation applicable aux chambres uniques et aux chambres basses de parlements, 95 % des 193 pays avaient adopté une forme quota : 80 % imposaient des quotas de candidatures, et 18 % réservaient des sièges parlementaires aux femmes. Les quotas variaient de moins de 20 % à des objectifs de 50 % ; les taux les plus courants se situent entre 30-35 % des sièges parlementaires.↩︎

  30. Auparavant, Hale était devenue une « law lord » et avait offert un récit érudit, non dépourvu d’humour, de l’histoire des femmes ayant exercé la fonction de juge dans les pays du Commonwealth : Baronne Hale de Richmond, « The House of Lords and Women’s Rights, or Am I Really a Law Lord? », Legal Studies, 2005, vol. 25, n° 1, pp. 72-84. V. de manière générale, Rosemary Hunter, Erika Rackley dir., Justice for Everyone : The Jurisprudence and Legal Lives of Brenda Hale, Cambridge University Press, 2022.↩︎

  31. V. par exemple Lynn Hecht Schafran, Norma Juliet Wikler, « Gender Fairness in the Courts : Action in the New Millennium », State Justice Institute, 2001, http://womenlaw.stanford.edu/pdf/genderfairness-strategiesproject.pdf ; et Cour d’appel de Californie, 27 juin 1995, Catchpole v. Brannon, 42 Cal. Rptr. 2d 440 (1995).↩︎

  32. United States District Court, Mississippi, 1er juin 2018, Securities & Exchange Commission v. Adams, No. 18-CV-252, 2018 WL 2465763, pp. 2, 4 (S.D. Miss. 1 juin 2018).↩︎

  33. Loi sur la violence à l’égard des femmes [Violence Against Women Act – VAWA] n° 103-322, titre VI, 108 Stat. 1902 (1994), codifiée, avec modifications, aux sections éparses des titres de of 8, 16, 18, 28 et 42 du Code des États-Unis (U.S.C.). La loi fut initialement proposée en 1991, adoptée en 1994, puis réautorisée en 2013 par le 113e Congrès et le président Obama ; v. Loi de réautorisation de la loi sur la violence á l’égard des femmes [Violence Against Women Reauthorization Act of 2013] n° 113-4, 127 Stat. 54. VAWA – qui a aussi modifié la Loi sur les droits civils des autochtones de 1968 [Indian Civil Rights Act of 1968] (Loi n° 284, 82 Stat. 81, codifiée, avec modifications, dans 25 U.S.C. § 1301 et seq.) afin de conférer aux tribunaux tribaux des nations autochtones des États Unis, sous réserve du respect de certaines procédures, une compétence pénale élargie et concurrente à l’égard des personnes non autochtones ayant commis des actes de violence domestique contre des autochtones sur les territoires des réserves tribales.↩︎

  34. 42 U.S.C. § 13 981 (1994).↩︎

  35. États-Unis, Violence Against Women : Victims of the System, audition relative au projet de loi du S. 15 devant la Commission judiciaire du Sénat, 102e Congrès, 10, 314 (1991) (déclaration du juge Vincent L. McKusick) ; v.  « A Symposium Celebrating the Fifteenth Anniversary of the Violence Against Women Act and Honoring Its Champion, Vice President Joe Biden », Georgetown Journal of Gender and the Law, 2010, vol. 11, n° 2, pp. 511-680.↩︎

  36. Judith Resnik, « The Programmatic Judiciary : Lobbying, Judging, and Invalidating the Violence Against Women Act », Southern California Law Review, 2000, vol. 74, pp. 269-293.↩︎

  37. Cour suprême des États-Unis, 15 mai 2000, United States v. Morrison, 529 U.S. 598 (2000) ; v. aussi, Judith Resnik, « Categorical Federalism : Jurisdiction, Gender, and the Globe », Yale Law Journal, 2001, vol. 111, pp. 619-680.↩︎

  38. Rachel Louise Snyder, « It Sounds Really Dire Because It Is Really Dire », New York Times, 2 juin 2025, https://www.nytimes.com/2025/06/02/opinion/domestic-violence-funding.html .↩︎

  39. V. de manière générale : Anna Gwiazda, Liana Minkova, « Gendered Advocacy Coalitions and the Istanbul Convention : A Comparative Analysis of Bulgaria and Poland », International Feminist Journal of Politics, 2024, vol. 26, pp. 31-53 ; Cour européenne des droits de l’Homme, « Factsheet: Violence Against Women », oct. 2024, https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/fs_violence_woman_eng .↩︎

  40. Cour suprême des États-Unis, 27 juin 2005, Castle Rock v. Gonzales, 545 U.S. 748 (2005) ; Cour interaméricaine des droits de l’Homme, 21 juillet 2011, Jessica Lenahan (Gonzales) et autres c. États-Unis, aff. n° 12.626, Rapport n° 80/11 ; Caroline Bettinger-López, « Introduction : Jessica Lenahan (Gonzales) v. United States : Implementation, Litigation, and Mobilization Strategies », University of Miami Journal of Gender, Social Policy & Law, 2012, vol. 21, n° 2, pp. 207-229.↩︎

  41. « Report of the Special Committee on Gender to the D.C. Circuit Task Force on Gender, Race, and Ethnic Bias », Georgetown Law Journal, 1996, vol. 84, pp. 1651-1893 ; Vicki C. Jackson, « What Judges Can Learn from Gender Bias Task Force Studies », Judicature, 1997, vol. 81, n° 1, pp. 15-39. La task force du District de Columbia a publié ses rapports ; V. The Final Report of the Task Force on Racial and Ethnic Bias and Task Force on Gender Bias in the Courts, préc.↩︎

  42. Même lorsque la Cour en a restreignit la portée, elle confirma néanmoins le recours à des mesures réparatrices telles qu’un enseignement complémentaire pour répondre à la ségrégation raciale dans les écoles ; v. par exemple : Cour suprême des États-Unis, 25 juillet 1974, Milliken v. Bradley, 418 U.S. 717 (1974).↩︎

  43. Deborah Hardin Wagner dir., Reports and Recommendations of the Florida Supreme Court Racial and Ethnic Bias Study Commission, “Where the Injured Fly for Justice” : Reforming Practices Which Impede the Dispensation of Justice to Minorities in Florida, 1990 ; Loi de l’État de Floride § 43.29, modifiée le 1er octobre 1991.↩︎

  44. United States District Court, District du Sud de la Floride, Mallory v. Harkness, 895 F. Supp. 1556, p. 1558 (S.D. Fla. 1995) ; arrêt confirmé, F.3d 771 (11th Cir. 1997) (Table).↩︎

  45. Cour suprême des États-Unis, 24 juin 2013, Fisher v. University of Texas (Fisher I), 570 U.S. 297 (2013). V. de manière générale : Reva B. Siegel, « Equality Divided », Harvard Law Review, 2013, vol. 127, n° 1, pp. 1-94 ; Reva B. Siegel, « From Colorblindness to Antibalkanization : An Emerging Ground of Decision in Race Equality Cases », Yale Law Journal, 2011, vol. 120, n° 6, pp. 1278-1366.↩︎

  46. Cour suprême des États-Unis, 24 juin 2013, Fisher v. University of Texas (Fisher I), préc., Opinion concordante du juge Thomas, p. 315.↩︎

  47. Ibid., p. 365.↩︎

  48. Cour suprême des États-Unis, 29 juin 2023, Students for Fair Admissions, Inc. v. President & Fellows of Harvard College, 600 U.S. 181 (2023) : « Premièrement, pour satisfaire au critère de l’examen rigoureux [strict scrutiny], les universités doivent être en mesure d’établir un lien réel entre la discrimination raciale et les avantages éducatifs qui en découleraient. En second lieu, ceux qui se livrent à une discrimination raciale ne sauraient bénéficier d’une quelconque déférence quant aux raisons qu’ils invoquent pour justifier cette discrimination. En troisième lieu, les mesures visant à remédier à une discrimination passée imputable au gouvernement doivent être strictement adaptées à cette discrimination spécifique », pp. 252-253.↩︎

  49. V. par exemple : « Annual Report 2023 », EDGE Certified Foundation, 2024, https://www.edge-cert.org/wp-content/uploads/2024/06/20240507-EDGE-Certified-Foundation-Annual-Report_2023-secured.pdf .↩︎

  50. Voy. Shine Choi, Natália Maria Félix de Souza, Amy Lind, Swati Parashar, Elisabeth Prügl, Marysia Zalewski, « The Damages Done by the “Anti-Gender Movement” », préc.↩︎

  51. V. de manière générale : Melissa Murray, Katherine Shaw, « Dobbs and Democracy », Harvard Law Review, 2024, vol. 137, n° 3, pp. 728-807 ; Reva B. Siegel, « Memory Games : Dobbs’s Originalism as Anti-Democratic Living Constitutionalism - and Some Pathways for Resistance », Texas Law Review, 2023, vol. 101, n° 5, pp. 1127-1204 ; Reva B. Siegel, « The Politics of Constitutional Memory », Georgetown Journal of Law & Public Policy, 2022, vol. 20, pp. 19-58.↩︎

  52. Kavitha Surana, Lizzie Presser et Andrea Suozzo, « Why Hospital Policies Matter in States that Ban Abortion », Pro Publica, 7 mai 2025, https://www.propublica.org/article/texas-abortion-ban-sepsis-rates-dallas-houston↩︎

  53. Frank Dobbin, Alexandra Kalev, Getting to Diversity : What Works and What Doesn’t, Harvard University Press, 2022 ; Carly Knight, Frank Dobbin, Alexandra Kalev, « Under the Radar : Visibility and the Effects of Discrimination Lawsuits in Small and Large Firms », American Sociological Review, 2022, vol. 87, n° 2, pp. 175-201 ; Frank Dobbin, Alexandra Kalev, « The Promise and Peril of Sexual Harassment Programs », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2018, vol. 116,, n° 25, pp. 12255-12260.↩︎

  54. V. par exemple; Janet Halley, Split Decision : How and Why to Take a Break from Feminism, Princeton University Press, 2006 ; Catharine A. MacKinnon, Reva B. Siegel dir., Directions in Sexual Harassment Law, Yale University Press, 2004.↩︎

  55. Matthew Menendez, Michael F. Crowley, Lauren-Brooke Eisen, Noah Atchison, « The Steep Costs of Criminal Justice Fees and Fines : A Fiscal Analysis of Three States and Ten Counties », Brennan Center for Justice, 21 nov. 2019, https://www.brennancenter.org/media/5290/download/2019_10_Fees%26Fines_Final.pdf  ; Alicia Bannon, Mitali Nagrecha, Rebekah Diller, Criminal Justice Debt : A Barrier to Reentry, Brennan Center for Justice, 2010, https://www.brennancenter.org/sites/default/files/legacy/Fees%20and%20Fines%20FINAL.pdf ; et Judith Resnik, « The Capital of and the Investments in Courts, State and Federal », New York University Law Review, 2024, vol. 99, n° 6, pp. 1958-2016.↩︎