« Le corps de tous les désirs » : la santé des femmes et l’interruption de grossesse en Italie1

Francesca Rescigno


















Résumé :

Cette contribution propose un examen de la réglementation de l’avortement en Italie, de son interdiction explicite à sa libéralisation du fait de la loi de 1978 et jusqu’à aujourd’hui, où le droit des femmes à gérer leur propre santé et leur propre corps en relation avec la maternité semble menacé. Pourtant, l’interruption de grossesse doit être considérée comme une pratique médicale, une expression du droit fondamental à la santé et, en tant que telle, ne peut être restreinte ou refusée.

Mots-clefs : Femmes ; corps ; droit à la santé ; autodétermination ; maternité ; interruption de grossesse.

Abstract :

This contribution offers an examination of abortion regulation in Italy, from its explicit prohibition, through the adoption of the 1978 law, to the present day, where women’s right to manage their own health and bodies in relation to motherhood appears under threat. Abortion must be regarded as a medical practice, an expression of the fundamental right to health, and as such, it cannot be restricted or denied.

Keywords : Women  ; body ; right to health ; self-determination ; motherhood ; abortion.

I. Corps féminins et droit à la santé

  1. Près de cinquante ans après l’adoption de la loi encadrant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en Italie, la question de l’avortement demeure particulièrement sensible et continue de susciter des clivages doctrinaux et politiques profonds. Les difficultés entourant l’IVG ne se limitent pas au contexte italien : dans de nombreux systèmes juridiques, on observe des approches restrictives (plus ou moins récentes) de l’IVG qui portent atteinte tant à la capacité d’autodétermination des femmes qu’à leur droit à la santé.

  2. Dans le contexte italien, l’IVG doit être envisagée comme une pratique relevant de la santé lato sensu (physique et psychique) des femmes. La loi n° 194 de 1978, tout en reconnaissant le droit à la vie de l’embryon et du fœtus, garantit le droit de la femme à la santé physique et mentale, laquelle peut être compromise par la poursuite de la grossesse, l’accouchement ou la maternité. Analyser la réglementation de l’interruption de grossesse signifie donc s’intéresser à la santé des femmes face à un événement particulier qui concerne leur corps et leur esprit.

  3. La prise en compte de la santé des femmes n’est cependant pas aussi aisée qu’on pourrait le supposer, car les femmes souffrent d’un préjugé sanitaire ancestral lié à l’idée que toute pathologie ou état de malaise physique et/ou psychique est indifférent au sexe et au genre2. L’approche médico-scientifique se présente théoriquement comme neutre, ignorant le sexe du sujet pour se concentrer sur la pathologie et le mal-être psychophysique. Toutefois, cette prétendue neutralité est remise en question par la nature même de la pratique médicale, fondée sur l’expérience, l’observation et la construction du savoir à partir d’hypothèses issues de la recherche fondamentale et clinique. En d’autres termes, la science médico-pharmacologique est une science empirique, nécessitant un modèle de référence — un prototype — aussi simple et stable que possible pour des raisons d’efficacité et de rentabilité. Ce modèle est historiquement le corps masculin, jugé moins soumis aux fluctuations hormonales caractéristiques du corps féminin.

  4. Les résultats obtenus à partir de ce « mâle neutre » sont ensuite généralisés à l’ensemble de la population, sans tenir compte des différences biologiques et symptomatologiques entre les sexes. Or ces différences sont loin d’être marginales : les femmes, par exemple, sont environ 75% plus exposées aux effets indésirables des médicaments. Pourtant, ces divergences sont souvent reléguées au rang d’« effets secondaires » car elles s’écartent de la norme de référence, implicitement masculine. Ce qui ne correspond pas au paradigme masculin est ainsi considéré comme « anormal », donc imprévisible et non pertinent sur le plan scientifique.

  5. Il s’agit là d’une manifestation de la fausse neutralité sanitaire : bien que la science médicale prétende examiner les individus indépendamment de leur sexe ou de leurs caractéristiques socioculturelles et environnementales, elle s’appuie en réalité sur un paradigme androcentrique. Ce paradigme, adopté pour des raisons pratiques et économiques, érige le corps masculin en norme implicite, en archétype de la santé.

  6. Or le sexe et le genre ne sont pas des variables négligeables lorsqu’il s’agit d’assurer l’effectivité du droit à la santé. Les ignorer revient à méconnaître des principes fondamentaux. Le préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme en effet que « la possession du meilleur état de santé qu’il est possible d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». Ce droit est intimement lié aux objectifs globaux de paix et de sécurité du système des Nations-Unies : « la santé de tous les peuples est essentielle à l’instauration de la paix et de la sécurité, et dépend de la coopération la plus étroite entre les individus et les États ».

  7. L’article 32 de la Constitution italienne reconnaît également le droit à la santé, le définissant à la fois comme un droit fondamental de l’individu et un intérêt de la communauté, et confiant à la République la tâche de le protéger. Il convient de noter que l’Italie a été l’un des premiers pays à donner une importance constitutionnelle aux intérêts liés à la santé des citoyens en leur conférant une réglementation spécifique3. De plus, la discussion lors de l’Assemblée constituante a immédiatement mis en évidence le lien indissociable entre la santé et la réalisation pleine et entière de la liberté et de l’égalité des individus. Ce lien existe entre le droit « fondamental » à la santé et l’article 2 de la Constitution qui reconnaît et garantit les droits « inviolables » c’est-à-dire « tous les droits subjectifs qui sont universellement dus à tous les êtres humains dans la mesure où ils sont dotés de la qualité de personnes, de citoyens ou de sujets capables d’agir »4. Il existe également entre la santé et le principe d’égalité de l’article 3, puisque le droit à la santé ne peut être refusé à personne, ni sa réalisation conditionnée par des éléments d’ordre personnel ou social. En bref, « la santé est la première condition essentielle de la liberté de l’individu »5.

  8. Penser le droit à la santé comme un droit inviolable en raison du principe d’égalité signifie garantir à toute personne l’accès aux activités médicales de prévention et de traitement mais aussi construire une recherche et une science médicales capables de considérer au préalable les différences existantes entre les personnes en fonction (notamment) de leur sexe afin d’apporter à chacun la réponse la plus efficace. Il est évident que la fausse neutralité des soins de santé s’écarte de ces attentes, portant atteinte à l’inviolabilité du droit à la santé et au principe même d’égalité, qui prévoit un traitement égal des situations égales et un traitement différent des situations différentes. Puisque les femmes et les hommes sont différents, ont leurs propres spécificités biologiques et culturelles, les femmes ne sont pas des hommes manqués ou miniatures et l’homme ne peut pas être considéré comme neutre, ou encore moins comme un paradigme de normalité puisqu’il ne représente pas l’ensemble des caractéristiques anatomiques6.

  9. Les préjugés sexistes de l’approche médico-scientifique faussement neutre ont conduit au paradoxe absurde selon lequel, aujourd’hui encore, le fait d’être née femme, indépendamment des conditions économiques et sociales et de la localisation, continue à jouer un rôle négatif sur la protection de la santé7.

  10. Il existe une méthode capable d’aborder (et probablement de résoudre) cette forme insidieuse de discrimination en matière de santé : il s’agit de la médecine qu’on pourrait qualifier de « sexuelle et de genre » (appelée aussi médecine de la « santé sexuelle »), qui se fixe l’objectif ambitieux mais nécessaire de comprendre les mécanismes par lesquels les différences entre les sexes et les genres affectent l’état de santé, l’apparition et l’évolution de nombreuses maladies, ainsi que les résultats des traitements. Les femmes et les hommes, en effet, bien que sujets aux mêmes pathologies, présentent des symptômes, des évolutions et des réponses aux traitements très différents, d’où la nécessité d’une approche innovante et transversale dans tous les domaines médicaux pour garantir le traitement le plus approprié sur la base des caractéristiques sexuelles, de l’âge, mais aussi du statut socio-économique et culturel, en évitant autant que possible les inégalités diagnostiques et thérapeutiques non motivées par des preuves scientifiques claires8.

  11. Dans l’étude de la santé des femmes, il est important de souligner que le processus anormal de « neutralisation » semble n’avoir épargné qu’un seul domaine médical qui a toujours considéré les hommes et les femmes différemment : l’étude des organes sexuels et surtout de la reproduction, domaines dans lesquels les femmes et leur capacité de génération sont immédiatement apparues comme particulières et méritant des investigations spécifiques et des élaborations adaptées. C’est pourquoi les études sur le corps féminin se sont concentrées, au moins jusqu’aux années 1990, presque exclusivement sur la fonction reproductive et les organes sexuels, donnant lieu au « syndrome du bikini », qui ne reconnaît la spécificité du corps féminin que lorsqu’il s’agit de caractères sexuels, notamment l’appareil reproducteur et la poitrine, négligeant tout autre aspect de la santé.

  12. Le « syndrome du bikini » et la « fausse neutralité » en matière de santé ont empêché la connaissance et l’évaluation de la santé des femmes dans son ensemble en les limitant de manière déraisonnable dans la jouissance de leur droit fondamental à la santé.

  13. L’intérêt presque obsessionnel pour l’appareil sexuel et reproductif féminin s’est souvent traduit par un contrôle hétéronormatif de la liberté d’autodétermination des femmes elles-mêmes, qui sont considérées comme essentiellement incapables de gérer leur propre corps et leur propre dignité, en particulier en ce qui concerne la maternité et, plus encore, la possibilité de ne pas vouloir devenir mère.

  14. Le manque d’intérêt pour les spécificités de la santé des femmes, sauf lorsqu’il s’agit de la fonction sexuelle et reproductive, a influencé de manière décisive l’émancipation des femmes, qui ont ressenti le besoin de s’approprier la gestion de leur sexualité et de leur fonction reproductive dans ses différents aspects, y compris le versant négatif c’est-à-dire le choix de ne pas vouloir procréer.

  15. L’autonomisation des femmes passe donc aussi par la sensibilisation à une approche scientifique de la santé capable de connaître et d’étudier les spécificités biologiques et genrées qui caractérisent les femmes et les hommes, permettant ainsi aux femmes de gérer leur santé psychique et physique à tout moment, a fortiori lorsqu’il s’agit de choix liés à la reproduction.

II. La réglementation italienne sur l’interruption de grossesse : d’un délit à un droit ?

  1. La revendication des femmes à la protection de leur propre santé passe aussi, comme on l’a souligné, par la gestion de la maternité, le (seul) domaine de la santé des femmes, qui a toujours intéressé la science médicale - science qui a eu tendance à appréhender la maternité de manière complètement abstraite comme s’il s’agissait d’un phénomène neutre du point de vue du genre. Or seule la femme possède la spécificité de genre qui lui permet de devenir (si elle le souhaite) une unité duale, caractérisée par une relation spécifique entre elle et l’enfant à naître9.

  2. Plus que de l’aspect lié à la santé des femmes, le législateur italien s’est préoccupé de réglementer et de sanctionner le choix de ne pas vouloir devenir mère et, pendant longtemps, dans le paysage juridique italien, l’avortement a été considéré comme un délit. Le Code pénal Zanardelli de 1889 prévoyait déjà la répression des femmes qui « par n’importe quel moyen, utilisé par elle[s] ou par d’autres avec [leur] consentement », obtenaient un avortement (art. 381). En outre, les articles suivants punissaient toute personne qui procurait l’interruption de grossesse. La peine encourue par la personne ayant pratiqué l’avortement variait selon que la femme concernée consentait ou non : elle était moins sévère en cas de consentement, et plus lourde en l’absence de celui-ci. Ces règles étaient placées dans le titre IX sur les « Crimes contre la personne ». Le Code pénal Rocco de 1930 maintint ces incriminations, prévues aux articles 545 et suivants, et les plaça sous le Titre IX consacré aux « Délits contre l’intégrité et la santé de la race ». Ce choix ne signifiait pas que l’on niait que, « outre l’atteinte à l’intérêt démographique de l’État et de la Nation, d’autres intérêts soient lésés par les pratiques dites abortives, comme, par exemple, l’atteinte à l’intérêt de la vie de l’enfant à naître, qui représente toujours une spes vitae sinon encore une vie, l’atteinte à la vie et à l’intégrité physique de la mère, ou encore l’atteinte à la moralité et aux bonnes mœurs familiales et sociales », mais visait plutôt à souligner que « par-dessus tout, l’atteinte à l’intérêt de la Nation à assurer la continuité de la race doit être considérée comme prépondérante, car sans elle viendrait à manquer, en définitive, la base même de l’existence personnelle de la Nation et de l’État »10.

  3. Pendant la période fasciste, l’intérêt prépondérant (supérieur à la volonté de la femme) est donc l’intérêt démographique de l’État, qui punit non seulement ceux qui interrompent une grossesse11, mais aussi ceux qui incitent publiquement aux pratiques contraceptives (art. 553), en stigmatisant en même temps ceux qui divulguent des informations et des connaissances sur ces pratiques. Ainsi, toute publication scientifique, tout rapport médical ou autre type de communication favorables d’une manière ou d’une autre au contrôle des naissances étaient passibles de dénonciation et de censure.

  4. Une fois la triste parenthèse de la dictature fasciste refermée, on aurait pu supposer que la République nouvelle aurait immédiatement éliminé de telles dispositions décidément mortifères pour la capacité d’autodétermination des femmes. Toutefois, l’Assemblée constituante de 1947 eut des difficultés à trouver un terrain d’entente sur la question démographique lors de la discussion de l’article 31 concernant d’éventuels avantages (fiscaux, financiers et autres) dans la formation de nouvelles familles et la protection de la maternité, de l’enfance et de la jeunesse. Finalement, la question fut essentiellement absorbée par le débat sur la nature de la famille et les tentatives d’inclure les fins procréatives de la famille dans la nouvelle Constitution furent infructueuses12.

  5. Quant aux pratiques contraceptives, après le fascisme, les textes étaient restés inchangés, mais la pénalisation était rarement mise en œuvre par les juges car l’infraction d’« incitation publique aux pratiques contraceptives » renvoyait bien souvent aux délits d’apologie et d’incitation, ce qui soulevait le problème de la compatibilité avec les principes constitutionnels garantissant la libre manifestation de la pensée13. En outre, l’Italie connaissait davantage un « boom des naissances » qu’un déclin démographique de sorte que le contrôle des naissances n’était plus un tabou et que même l’Église catholique ne s’opposait pas à l’application de certaines méthodes contraceptives naturelles14.

  6. La question de la compatibilité de l’article 553 du Code pénal sur l’interdiction de l’incitation publique aux pratiques contraceptives avec la liberté d’expression exprimée à l’article 21 de la Constitution a été soumise à la Cour constitutionnelle pour la première fois en 1965. La Cour dans son arrêt n° 9 a affirmé que l’article 553 « n’interdit pas la campagne d’information qui, de manière générale, vise à convaincre de l’utilité et de la nécessité, à un moment historique donné, de limiter les naissances, ou qui préconise une politique de contrôle de l’augmentation de la population ; ainsi, il a été jugé que la règle n’était pas contraire à l’article 21 de la Constitution, dans la mesure où elle vise à protéger les bonnes mœurs ». Sur la base de cette interprétation, la question de constitutionnalité a été rejetée car non fondée. Quelques années plus tard, de nouvelles questions de constitutionnalité ont été présentées par les tribunaux de Viterbe et de Rome, en mobilisant en plus de l’article 21, l’article 32 de la Constitution concernant le droit fondamental à la santé. Ce sont ces recours qui ont abouti à l’arrêt n° 49 de 1971, qui affirme l’inconstitutionnalité de l’article 553 car « le problème du contrôle des naissances a pris une telle importance et une telle portée sociale à l’époque actuelle, et couvre un champ d’intérêt si large, qu’il n’est pas possible d’admettre, selon la conscience commune et compte tenu également de l’expansion progressive de l’éducation sanitaire, la pérennité d’un délit de moralité dans le traitement public des différents aspects de ce problème, dans la diffusion des connaissances à ce sujet, dans la compagne d’information en faveur des pratiques anti-conceptionnelles... Il faut donc reconnaître que les raisons d’être de l’infraction visée à l’article 553 du Code pénal ont cessé d’exister »15 .

  7. Malgré la décision d’inconstitutionnalité, l’interdiction de vendre des contraceptifs en pharmacie a été maintenue car le ministère de la santé a persisté à appliquer certaines dispositions du « Règlement pour l’enregistrement des médicaments » (n° 478 de 1927), visant à interdire « l’enregistrement des spécialités médicales et des aides médico-chirurgicales ayant des indications contraceptives ». Ce n’est qu’en 1976 que les dispositifs de la décision de la Cour constitutionnelle ont finalement été mis en œuvre16.

  8. Après l’arrêt de 1971, le délit d’avortement d’une femme consentante est resté en vigueur, bien que la disposition pénale n’ait naturellement pas pu empêcher les interruptions de grossesse clandestines estimées, dès les années 1960, à plus d’un million par an17. Certes, le délit était assez difficile à constater et, la plupart du temps, les autorités n’en avaient connaissance qu’en raison des complications liées aux avortements clandestins (infections, hémorragies, etc.) effectués dans des conditions sanitaires déplorables qui conduisaient les femmes à se rendre à l’hôpital. En définitive, non seulement ce crime était difficile à établir, mais même lorsqu’il était établi et jugé, les sanctions étaient appliquées le plus souvent de manière sporadique et indulgente, générant ainsi la perception d’une justice non objective qui ne punissait que quelques malheureux boucs émissaires18.

  9. Pendant ce temps, dans de nombreux pays, le débat sur l’interruption de grossesse s’intensifiait et, dès 1967, le Royaume-Uni adoptait l’Abortion Act, tandis que la France attendait 1975 pour approuver la célèbre loi Veil établissant la possibilité pour les femmes d’interrompre une grossesse dans un délai de 10 semaines (ultérieurement étendu à 12 puis 14 semaines). Outre-mer, aux États-Unis, la Cour suprême rendait l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, l’une des décisions les plus significatives concernant les droits reproductifs. En faisant découler le droit à l’interruption de grossesse du droit à la vie privée (protégé par le quatorzième amendement), compris comme un droit à l’autodétermination décisionnelle dans la sphère personnelle, la Cour établissait un calendrier selon lequel, au cours du premier trimestre, les femmes ont un droit absolu de choisir de recourir à une IVG, au cours du deuxième trimestre, les États peuvent réglementer l’avortement pour préserver la santé de la mère, tandis qu’au cours du troisième trimestre, il est possible d’interdire les pratiques d’interruption de grossesse, sauf en cas d’atteinte grave à la santé ou à la vie de la mère19.

  10. C’est dans ce contexte que l’Italie dépénalise l’avortement. Cependant, le mérite ne revient pas au législateur mais au juge de la constitutionnalité, qui est intervenu avec l’arrêt n° 27 de 1975. L’objet de la décision est l’article 546 (avortement de femme consentante) combiné à l’article 54 (état de nécessité et légitime défense) du Code pénal, qui punissait l’avortement d’une femme consentante à cinq ans de réclusion, sauf en cas de nécessité. Traitant cette question délicate qu’est celle de la conciliation entre la protection de la vie anténatale et les droits des femmes enceintes, la Cour constitutionnelle affirme que la loi ne peut pas donner une prévalence totale et absolue à l’un des intérêts en cause au détriment de l’autre mais doit les prendre tous en considération, en identifiant une solution de règlement qui ne sera raisonnable que si l’atteinte inévitable à l’une des valeurs en conflit s’avère nécessaire, suffisante et proportionnée.

  11. La Cour constitutionnelle déclare ainsi l’inconstitutionnalité de l’article 546 du Code pénal, en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité d’interrompre une grossesse dont la poursuite porte atteinte à la santé de la femme enceinte (à condition que l’atteinte soit médicalement constatée et non évitable par d’autres moyens). Elle souligne que la situation de la femme enceinte est singulière et ne peut être adéquatement protégée par une norme générale telle que l’article 54 du Code pénal (sur l’état de nécessité), qui impose les conditions de gravité, d’inévitabilité et d’actualité du danger, de sorte qu’une modification du régime de l’avortement s’impose. La Cour constitutionnelle affirme sans équivoque que « l’exemption de l’article 54 du Code pénal est basée sur l’hypothèse de l’équivalence du bien auquel l’acte du délinquant a porté atteinte par rapport à l’autre bien que l’acte est censé sauver. Or, il n’y a pas d’équivalence entre le droit non seulement à la vie mais aussi à la santé de la personne qui est déjà une personne, comme la mère, et la protection de l’embryon20 qui n’est pas encore devenu une personne ». En conséquence, la Cour déclare inconstitutionnel l’article 546 du Code pénal « dans la partie où il ne prévoit pas que la grossesse peut être interrompue lorsque la poursuite de la gestation implique un dommage ou un danger grave, médicalement constaté (...) et non évitable par ailleurs, pour la santé de la mère ». Il ne peut donc y avoir de véritable conflit entre la femme et l’embryon, dans la mesure où la femme est déjà une personne juridique, titulaire de droits fondamentaux, et doit pouvoir décider librement des choix affectant sa santé physique et psychique.

  12. Particulièrement significative, notamment en vue de l’adoption ultérieure de la loi n° 194 de 1978, est la partie de la décision dans laquelle la Cour constitutionnelle affirme « qu’il incombe au législateur de prévoir les garanties nécessaires pour empêcher que l’avortement soit pratiqué sans une vérification sérieuse de la réalité et de la gravité du dommage ou du danger que pourrait entraîner la poursuite de la grossesse pour la mère ; dès lors, la licéité de l’avortement doit être subordonnée à une évaluation préalable de l’existence des conditions propres à le justifier ».

  13. Le climat d’effervescence politique dans les années 1970, le référendum sur la loi sur le divorce de 1974, les luttes féministes et leur slogan « Mon corps, mon choix », l’approbation de la loi instituant les consultations familiales en 197521 et les arrêts de la Cour constitutionnelle constituent des étapes essentielles de la révolution par laquelle les femmes cherchent à s’approprier22 leur corps et la gestion de leur santé (mentale et physique), qui passe inévitablement aussi par les décisions relatives à la maternité23.

  14. C’est dans ce cadre de référence que s’inscrit l’approbation de la loi n° 194 de 1978 sur les « normes de protection sociale de la maternité et de l’interruption volontaire de grossesse », fondée notamment sur les articles 31 et 32 de la Constitution auxquels se réfère la Cour constitutionnelle en 1975 et sur l’affirmation de l’inexistence d’une équivalence entre le droit à la vie et à la santé d’une personne déjà constituée, comme la femme enceinte, et la protection de l’embryon qui n’est pas encore devenu une personne24. En ce sens, l’interruption de grossesse est liée à l’article 2 de la Constitution et aux droits inviolables de la femme dont l’intérêt prévaut sur celui de l’être conçu.

  15. Avec l’adoption de la loi de 1978, l’interruption de grossesse est introduite dans le système juridique italien si elle est pratiquée sous certaines conditions et selon des modalités spécifiques. En principe, il est possible de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans les 90 premiers jours (c’est-à-dire 12 semaines et 6 jours après les dernières règles) sur la base d’une évaluation autonome de la femme qui considère que la poursuite de la grossesse constitue un danger pour sa santé physique ou mentale. Après le quatre-vingt-dixième jour (13 semaines à compter du premier jour des dernières règles), l’avortement n’est autorisé que dans les cas où un médecin constate et certifie que la grossesse constitue un danger grave pour la vie de la femme ou sa santé physique ou mentale (par exemple, en raison d’anomalies génétiques graves ou de malformations de l’embryon, ou en raison de pathologies maternelles graves). Dans tous les cas, que l’on demande l’accès à l’interruption de grossesse avant ou après le 90ème jour, il est toujours nécessaire de consulter un médecin chargé de rédiger un document attestant la demande de la femme, certificat indispensable pour l’accès matériel à l’IVG. Dans le cas où le médecin ne considère pas la procédure comme urgente, il invite la femme à observer un délai de réflexion de sept jours, après quoi il est possible de se rendre dans des établissements agréés pour effectuer l’IVG.

  16. Il faut souligner qu’aux termes de la loi n° 194 de 1978, toutes les interruptions volontaires de grossesse doivent être considérées comme « thérapeutiques » c’est-à-dire que l’avortement n’est possible que lorsque la grossesse ou l’accouchement constituent un danger pour la santé physique ou mentale de la femme. Il s’agit donc clairement d’une pratique liée à la réalisation du droit fondamental des femmes à la santé.

  17. Est-on alors passé d’une infraction pénale à l’affirmation d’un droit ? À cet égard, il convient de souligner que la loi de 1978 ne fait jamais référence au « droit à l’interruption de grossesse », alors que son article premier dispose que « l’État garantit le droit à une procréation consciente et responsable, reconnaît la valeur sociale de la maternité et protège la vie humaine dès son commencement ». L’interruption volontaire de grossesse ne semble donc pas constituer un droit autonome de la femme, mais plutôt une pratique médicale à laquelle celle-ci peut recourir pour la protection de sa santé psychique et physique. Cette interprétation met l’IVG à l’abri de toute tentative de remise en cause, dans la mesure où celle-ci représente une modalité d’exercice du droit à la santé — un droit fondamental consacré par la Constitution à son article 32. La pleine autodétermination reconnue en matière de santé implique à la fois une dimension positive, permettant de choisir le traitement jugé le plus adapté à sa situation personnelle, et une dimension négative, autorisant le refus d’un traitement. En ce sens, chaque individu demeure le principal acteur de son propre parcours sanitaire et thérapeutique, et dispose du droit de décider en toute conscience et en toute liberté du traitement qu’il souhaite accepter ou refuser.

  18. Dans ce contexte, la nécessité d’un consentement libre et éclairé à l’acte médical représente le fruit d’une évolution qui a progressivement désavoué l’attitude « paternaliste » de l’approche médicale pour affirmer l’« alliance thérapeutique » liée au droit fondamental du sujet à l’autodétermination. Le consentement éclairé devient l’expression de la liberté de l’individu et fait partie des droits fondamentaux reconnus par le système juridique italien et au niveau international. Le consentement éclairé remplit une fonction de synthèse entre deux droits fondamentaux de la personne : le droit à l’autodétermination et le droit à la santé. En effet, s’il est vrai que tout individu a le droit d’être soigné, il dispose également du droit de recevoir une information adéquate sur la nature du traitement proposé, ses éventuels développements, ainsi que sur les alternatives thérapeutiques disponibles. Cette information doit être aussi complète et accessible que possible, précisément afin de garantir un choix libre et éclairé de la part du patient, et donc de protéger sa liberté personnelle, conformément à l’article 32, alinéa 2, de la Constitution25. Le consentement éclairé constitue une sauvegarde de la liberté et, plus encore, de la dimension corporelle individuelle contre toute forme de tergiversation et de violence non souhaitée par le patient. En outre, grâce à lui, le rapport entre le professionnel et le bénéficiaire du service se développe d’une manière nouvelle et profitable, étant donné que toute intervention de diagnostic, de thérapie, de pronostic (ou même d’expérimentation) ne peut être effectuée qu’en vertu d’une autorisation de la part du sujet sur lequel porte l’intervention. C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrit la loi n° 219 de 2017 contenant les « Règles sur le consentement éclairé et les dispositions de traitement anticipé » qui, en prévoyant la nécessité du consentement éclairé, affirme la garantie d’une libre autodétermination fondée sur une information aussi complète et claire que possible visant à construire une relation thérapeutique humaine et solidaire26.

  19. Le fait que l’interruption de grossesse constitue la mise en œuvre du droit fondamental à la santé est également attesté par le classement de l’IVG parmi les niveaux essentiels de soins c’est-à-dire les services et prestations que le Service national de santé doit garantir de manière uniforme au niveau national, et par son inclusion dans les indicateurs utilisés pour contrôler les soins de santé.

  20. Il ne nous paraît donc pas nécessaire que la loi de 1978 ou d’autres dispositions normatives se préoccupent d’affirmer que l’interruption de grossesse est passée d’un délit à un droit, puisqu’elle constitue d’ores et déjà une mise en œuvre du droit à la santé, droit reconnu comme fondamental par la Constitution italienne, un droit qui permet aux femmes et aux hommes de disposer de leur propre corps. En ce sens, la formulation large de la loi n° 194, qui se réfère de manière générale à la santé psychophysique de la femme, doit être interprétée comme consacrant une autonomie maximale, excluant tout paternalisme de la médecine, et plus encore du droit.

III. Ombres et lumières dans la mise en œuvre de l’interruption de grossesse

  1. La reconstruction effectuée démontre l’inclusion des pratiques d’interruption de grossesse dans la mise en œuvre du droit à la santé ; dans ce contexte, la loi n° 194 détermine les modalités selon lesquelles les choix de santé relatifs à la non-maternité trouvent leur concrétisation au sein du système italien de santé. Ces spécifications sont nécessaires pour protéger et garantir la santé des femmes. Les femmes peuvent interrompre une grossesse parce que la gestion de la sphère reproductive fait partie des choix de santé pour lesquels l’État a l’obligation de s’efforcer d’assurer la meilleure mise en œuvre et la meilleure protection possibles.

  2. La loi n° 194 de 1978 n’a jamais cessé d’être cycliquement au centre des débats et des controverses, certains la considérant comme excessivement libérale et en conflit avec le « caractère sacré de la vie », tandis que d’autres insistent sur une valorisation de l’autodétermination des femmes qui semble menacée par la clause de conscience (véritable « institution » en Italie) et la complexité des procédures prévues pour accéder à l’IVG27.

  3. En effet, la mise en œuvre du droit à la santé des femmes dans le cas de l’IVG réalisée par la loi n° 194 présente des zones d’ombre qui méritent d’être examinées.

  4. La plus sombre de ces ombres est représentée par l’article 9 de la loi n° 194 qui prévoit la possibilité pour les membres du personnel hospitalier d’exercer leur clause de conscience (ou « objection de conscience »). L’inclusion de cette faculté est apparue comme l’un des points saillants des débats parlementaires. Elle a été admise afin de parvenir à un équilibre entre la liberté de conscience, la santé des femmes et la protection de l’enfant conçu, qui n’est pas encore une personne. L’objet de la clause est identifié à la fois positivement (en indiquant les activités dont les objecteurs sont exemptés) et négativement (en faisant référence aux services contre lesquels l’objection ne peut être invoquée). La détermination de l’aspect positif est réalisée par les paragraphes 1 et 3, qui permettent au personnel objecteur de conscience de ne pas participer aux procédures visées aux articles 5 et 7 et aux interventions d’interruption de grossesse. En ce qui concerne l’aspect négatif, ce sont les paragraphes 3 et 5 qui précisent que l’affirmation de l’objection ne peut en aucun cas dispenser de l’assistance avant et après l’intervention et qu’elle ne peut être utilisée lorsque, compte tenu des circonstances particulières, l’action de l’objecteur est indispensable pour sauver la femme dont la vie est en danger imminent.

  5. Malgré la formulation relativement simple de l’article 9, il est indéniable que la détermination des contours et des modalités de mise en œuvre de la clause de conscience a posé des problèmes considérables dans la pratique, conduisant souvent à la nécessité d’une intervention de l’autorité judiciaire, en particulier en ce qui concerne les activités qui, bien que faisant partie de la séquence qui conduit à l’avortement, ne peuvent pas être considérées comme visant spécifiquement et nécessairement l’avortement28. La définition des personnes auxquelles la faculté d’objection doit être reconnue est également problématique, étant donné que la loi n° 194 reconnaît cette faculté « au personnel médical et aux personnes exerçant des activités auxiliaires », une terminologie qui permet une interprétation extensive puisqu’elle pourrait concerner tout le personnel médical ou les personnes exerçant des activités auxiliaires qui sont appelées, même occasionnellement, à participer aux procédures visées aux articles 5 et 7 ou à des interventions spéciales. La jurisprudence s’est néanmoins prononcée de manière assez restrictive sur ce point, du moins jusqu’à présent29.

  6. En effet, l’introduction de l’objection de conscience permet de trouver un équilibre vertueux entre le choix de santé d’une femme et les souhaits d’un médecin qui considère qu’une telle décision est en conflit avec ses convictions personnelles. En ce sens, la disposition relative à l’objection de conscience - si elle n’est pas instrumentalisée et utilisée de manière abusive - peut être considérée favorablement car elle concrétise la protection par l’État de la liberté de conscience de tous les citoyens, conformément au principe de pluralisme qui est la pierre angulaire de la démocratie, ainsi qu’au principe de laïcité qui implique l’abstention de l’État face aux valeurs éthiques des individus. L’autodétermination décisionnelle des femmes et la clause de conscience du personnel médical renvoient donc aux mêmes valeurs de liberté et d’autodétermination, et c’est pourquoi il est essentiel que l’État puisse veiller à ce qu’aucun des deux intérêts ne l’emporte et n’empêche l’autre de se réaliser. L’utilisation excessive et déformée de la clause de conscience conduit toutefois à la disparition du droit des femmes à la santé en faisant primer le droit de conscience individuel du médecin sur celui du libre choix informé et conscient de la femme30.

  7. Et, précisément, l’abus de l’objection de conscience est malheureusement ce qui se passe actuellement en Italie, où le pourcentage d’objecteurs ne cesse d’augmenter, oscillant autour d’une moyenne nationale de 70% avec des pointes à plus de 80-85%. Il est clair que des pourcentages aussi élevés d’objecteurs ne permettent pas de garantir aux femmes leur autodétermination décisionnelle en matière d’interruption de grossesse, ce qui compromet gravement la réalisation de leur droit à la santé. L’État ne doit plus continuer à prétendre que le droit à la santé est garanti en matière d’IVG : il doit par conséquent collecter et évaluer les données, et intervenir. Un problème très important est précisément celui des données incomplètes et chroniquement retardées sur l’IVG. Le dernier rapport sur la mise en œuvre de la loi n° 194 a été publié en novembre 2024, avec les données définitives de 2022, alors que, selon la loi de 1978, il devrait être présenté au Parlement chaque année au plus tard en février. Outre ce retard désormais chronique, le problème réside dans le fait que les données sont agrégées par moyenne régionale et non par structure, de sorte qu’il est difficile de savoir comment l’interruption de grossesse est réellement garantie dans les différents établissements de soins de santé du pays31.

  8. Le problème n’est donc pas tant l’existence de la clause de conscience32 que sa primauté sur le droit fondamental à la santé des femmes, annihilant ainsi l’équilibre des principes fondamentaux : la liberté de conscience du médecin (notamment) semble destinée à avoir une position privilégiée par rapport au droit des femmes à la santé et à la capacité de prise de décision. Cette inquiétante tendance italienne a été stigmatisée par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) en référence à la Charte sociale européenne approuvée en 1961 (puis révisée en 1996)33.

  9. En Italie, le recours anormal à l’objection de conscience configurée comme un droit potestatif, exerçable sans motivation spécifique, sans contrôle administratif, et sans conditions particulières, a ainsi fini par compromettre la réalisation des objectifs fixés par la loi de 1978, mettant gravement en péril le droit des femmes à la santé. Dans le silence du législateur, certaines administrations ont donc tenté de remédier à ce paradoxe en réservant certains postes à des professionnels de santé « non objecteurs »34. En novembre 2015, c’est l’hôpital San Camillo de Rome qui, pour la première fois, a publié des appels à candidatures à des postes réservés aux non-objecteurs afin de lutter contre la non-application de la loi n° 194. L’hôpital San Camillo est le centre d’interruption volontaire de grossesse le plus important du Latium et, au moment de l’appel à candidatures, le nombre de gynécologues objecteurs dépassait les 80%. L’objet de l’appel précisait donc clairement la fonction que devaient exercer les deux nouveaux directeurs médicaux : pratiquer des avortements. Les candidats recrutés, selon la fiche de poste, ne pourraient pas exprimer d’objection de conscience à l’égard de l’IVG pendant au moins les six premiers mois suivant leur entrée en fonction. En fait, l’appel émis par la région du Latium ne contenait pas un quota de postes pour les médecins non objecteurs, mais plutôt une indication claire quant à l’affectation des candidats retenus au service d’interruption de grossesse, une indication dont découlait un engagement implicite de la part des candidats à ne pas se prévaloir de l’objection de conscience. Ainsi, il n’y avait pas de violation de la liberté de conscience, car il ne s’agissait pas de désigner les lauréats du concours par rapport à leur profil, mais de préciser l’activité médicale requise. 35.

  10. Les appels à candidatures « orientés » visant à éviter les candidatures de médecins objecteurs ont inévitablement suscité la controverse mais, parmi les partisans de cette stratégie, certains ont également proposé la renonciation à la clause de conscience par les nouvelles recrues et les nouveaux stagiaires36, une proposition intéressante si l’on considère que la gynécologie moderne comprend désormais les connaissances nécessaires pour savoir comment pratiquer des avortements. En effet, la question est complexe car le personnel médical a le droit d’exercer l’objection de conscience mais, en même temps, les hôpitaux et les maisons de repos publics ou conventionnés avec l’État, étant partie du système sanitaire national, doivent assurer la prestation des services IVG et les Régions doivent contrôler et garantir l’application de la loi en recourant, si nécessaire, à la mobilité du personnel. Cette solution devient toutefois difficile à mettre en œuvre dès lors que certaines régions ont des pourcentages d’objection si élevés qu’ils réduisent à néant toute stratégie de mobilité.

  11. Comme cela a déjà été souligné, ce n’est pas l’objection en tant que telle qui doit être remise en cause mais son usage abusif et paradoxal, au-delà de toute prévision raisonnable. En effet, il faut rappeler que sont en cause deux droits fondamentaux, à savoir le droit des femmes à la santé via la possibilité de recourir à l’interruption de grossesse, et le droit à ses propres convictions morales et religieuses. Tout conflit entre ces droits doit être résolu en considérant qu’il n’est pas possible d’obliger les femmes à « pèleriner » d’un lieu de soins à un autre pour pouvoir protéger leur santé. En effet, cette façon d’appliquer les dispositions de la loi de 1978 est contraire à l’article 32 de la Constitution, qui reconnaît comme fondamental le droit à la santé de toute personne, et donc aussi celui des femmes qui souhaitent interrompre une grossesse. Il n’y a pas de questions de santé qui puissent être sacrifiées sur l’autel de la conscience d’autrui et il est des questions qui doivent être considérées comme primordiales : la santé est une mosaïque et chaque carreau est fondamental. Il appartient à l’État et aux régions de trouver un système adapté pour garantir la réalisation de la santé des femmes, y compris dans le domaine de la reproduction, en protégeant la liberté de conscience du personnel de santé dans un équilibre vertueux37.

  12. Outre la question de l’utilisation excessive de l’objection de conscience, il convient de souligner une autre initiative récente qui suscite la perplexité : l’approbation par le Parlement italien, en mai 2024, d’un amendement qui permet aux associations anti-avortement d’opérer au sein des centres de consultation familiale38. Cet amendement a suscité de nombreuses critiques quant à la manière et au moment de son approbation, étant donné que l’autorisation de l’activité des groupes de « soutien à la maternité » était incluse dans le décret sur les mesures financées par le Plan national de relance et de résilience, qui devait devenir une loi avant le 1er mai 2024 et qui ne concernait aucunement l’interruption de grossesse. Par ailleurs, à propos de ce décret, la question de confiance était posée, ce qui rendait son approbation presque inévitable.

  13. La majorité gouvernementale, qui a promu cette disposition, a affirmé que la présence d’associations « pro-vie » dans les centres de consultation familiale39 constitue une application de la loi de 1978 et plus particulièrement des articles 1 et 3 qui prévoient que « l’État, les régions et les autorités locales doivent promouvoir et développer les services sociaux et sanitaires, ainsi que d’autres initiatives nécessaires pour éviter que l’avortement ne soit utilisé à des fins de restriction des naissances » et qui indiquent, parmi les responsabilités des centres de consultation, celle de contribuer « à surmonter les causes qui pourraient inciter la femme à interrompre sa grossesse » et la possibilité de recourir à des associations bénévoles qui « peuvent également aider les maternités difficiles après l’accouchement ». La Présidente du Conseil des ministres Giorgia Meloni a elle-même déclaré : « Je pense que le libre choix doit être garanti et je crois que, pour faire un choix libre, il est nécessaire d’avoir toutes les informations nécessaires. C’est ce que prévoit la loi n° 194 et je pense que c’est la bonne chose à faire ».

  14. Or la présence, dans les lieux où les femmes se rendent pour exercer leur droit à l’interruption volontaire de grossesse, d’individus considérant cet acte comme un crime contre la vie apparaît particulièrement problématique. Il ne s’agit en effet ni de médecins ni de professionnels de santé habilités à fournir une information complète et scientifiquement fondée – comme cela est requis pour toute intervention médicale – ni de personnes autorisées à recueillir le consentement éclairé des patientes. Il s’agit souvent d’intervenants dépourvus de toute compétence ou formation médicale. Une telle intrusion serait inconcevable dans tout autre contexte médico-sanitaire mais elle est, paradoxalement, non seulement tolérée mais parfois encouragée lorsqu’il s’agit du libre choix des femmes en matière de santé reproductive40.

  15. Il revient exclusivement aux professionnels de santé de fournir aux femmes toutes les informations nécessaires lorsqu’elles se rendent dans les centres de consultation ou dans d’autres structures habilitées en vue d’une interruption volontaire de grossesse. La mise en œuvre des articles 1 et 3 de la loi de 1978 ne saurait passer par une intrusion dans l’espace décisionnel des femmes. Elle impose, en revanche, à l’État, aux régions et aux collectivités territoriales, l’obligation de promouvoir des campagnes sérieuses d’éducation sexuelle et de sensibilisation à la contraception. Elle suppose également la mise en place de services de soutien à la parentalité efficaces, capables de favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Si de telles interventions sont sans doute plus complexes et plus coûteuses, elles demeurent néanmoins essentielles dans un domaine aussi sensible et déterminant que celui de la santé reproductive et de la maternité.

  16. Du point de vue de l’IVG en tant que choix de santé, il semble également extrêmement important d’orienter les femmes vers des choix alternatifs à l’IVG instrumentale c’est-à-dire de promouvoir l’avortement médicamenteux par la prise de la pilule RU48641. En effet, l’utilisation de cette méthode peut être considérée comme beaucoup moins traumatisante pour les femmes, qui ignorent souvent son existence et la manière de l’utiliser.

  17. L’Italie commercialise officiellement la pilule RU486 depuis décembre 2009 mais, contrairement à d’autres pays européens où il était possible d’interrompre une grossesse par la méthode médicamenteuse jusqu’au 63e jour d’aménorrhée, en Italie, la limite maximale pour cette procédure a été fixée au 49e jour (soit 7 semaines calculées à partir du premier jour de la dernière menstruation). En outre, conformément aux recommandations du Conseil supérieur de la santé, la majorité des régions italiennes prévoyaient que l’IVG médicamenteuse soit effectuée dans le cadre d’une hospitalisation, de sorte que seuls quelques établissements offraient effectivement le choix entre l’avortement médicamenteux et l’avortement instrumental. À la suite de nombreuses sollicitations – parmi lesquelles, en 2015, la lettre ouverte adressée au ministre de la Santé par l’association « Médecins italiens contraception et avortement » demandant, au nom du principe du caractère approprié des services et de la fonctionnalité du système, que des efforts soient faits pour rendre l’interruption volontaire de grossesse par méthode médicamenteuse accessible en soin ambulatoire, ainsi que, lorsque cela est possible, dans les centres de consultation familiale et les polycliniques, conformément à l’article 8 de la loi n° 194 –, le ministère de la Santé a mis à jour, en août 2020, les lignes directrices relatives à l’IVG médicamenteuse par mifépristone et prostaglandines. Ces lignes directrices, examinées par le Conseil supérieur de la santé, ont reçu un avis favorable le 4 août. Elles autorisent désormais le recours à l’IVG médicamenteuse jusqu’à 63 jours, soit neuf semaines révolues d’âge gestationnel, dans des structures ambulatoires publiques dûment équipées, fonctionnellement rattachées à un établissement hospitalier, et autorisées par la région, ainsi que dans des centres de consultation ou des hôpitaux de jour42.

  18. La mise en œuvre de l’interruption de grossesse médicamenteuse a des effets positifs importants non seulement sur la santé des femmes qui n’ont pas à subir d’intervention chirurgicale mais aussi en termes de coûts globaux pour le Service national de santé (la sécurité sociale italienne). Cependant, il existe encore de nombreuses résistances et cette méthode est elle aussi affectée par la mise en œuvre de la clause de conscience : de nombreux agents de santé refusent de prescrire et d’administrer le médicament alors qu’aucun acte médical n’est réellement exigé d’eux.

  19. De toute évidence, de nombreuses zones d’ombre menacent le droit des femmes à la santé dans le contexte reproductif en Italie, qui nécessiteraient une intervention sans ambiguïté de la part de l’État pour garantir ce droit.

IV. Conclusions

  1. L’analyse ici effectuée montre une image très complexe en ce qui concerne la mise en œuvre de l’interruption de grossesse en Italie.

  2. La discussion sur la nature juridique de l’avortement continue presque partout à tourner autour du faux problème de savoir si cette pratique est un droit : c’est-à-dire si les femmes ont ou non le droit d’interrompre une grossesse, un peu comme si l’on parlait de la gestion d’un corps « tiers », extérieur et détaché de celui de la femme qui souhaite matériellement avorter, alors qu’il s’agit bien de la gestion par la femme de ses propres choix en matière de santé concernant son corps.

  3. Nous considérons que ce qui ne va pas, c’est précisément l’approche de base, à savoir que là où l’avortement est autorisé et réglementé, il reste une marge d’appréciation législative (ou judiciaire) qui peut conduire à la décision plus ou moins soudaine de décréter que l’interruption de grossesse n’est plus possible, et que ce que l’on croyait être un droit n’était en fait qu’une « aimable concession » du pouvoir politique ou judiciaire - analyse qui s’avère être une photographie de ce qui s’est passé aux États-Unis en 2022.

  4. Cette interprétation est dangereuse et profondément erronée car elle ne tient pas compte d’un postulat fondamental, à savoir que l’interruption de grossesse est une pratique médicale qui concerne la mise en œuvre du droit des femmes à la santé, de toutes les femmes, même de celles qui n’y auront jamais recours. Le droit à la santé est un droit fondamental reconnu dans le monde entier, et les femmes ont subi au cours des siècles des discriminations résultant de l’approche faussement neutre de la médecine, une approche qui pénalise encore aujourd’hui les femmes dont la santé est moins bien protégée du seul fait qu’elles sont nées femmes. Le faux neutre médical est aujourd’hui reconnu et, du moins en partie, réprouvé ; certes, le chemin reste long, mais l’on peut espérer que les nouvelles générations de professionnels de santé seront formées en tenant compte des différences, car le sexe et le genre ne sont pas des variables sans incidence sur la prévention, le diagnostic et les traitements.

  5. Du point de vue de l’universalité de la jouissance du droit à la santé, il faut considérer l’interruption de grossesse comme une pratique médicale qui, en tant que telle, doit être réglementée par la loi. Certes, le législateur peut en fixer les modalités d’application, mais ces dispositions doivent toujours viser à assurer aux femmes le meilleur état de santé possible et non à protéger un prétendu droit de l’État à contrôler le corps et la santé des femmes, et encore moins à défendre les droits supposés de ceux qui ne sont pas encore des personnes, au détriment de ceux qui le sont déjà. Il ne s’agit pas d’accorder, de reconnaître ou de conférer, mais de mettre en œuvre un droit fondamental trop souvent mystifié et ignoré : le droit des femmes à la santé.

  6. En considérant l’IVG de ce point de vue, il est naturel de combattre les initiatives visant à empêcher l’accès libre, sûr et informé aux pratiques abortives, et c’est dans cette direction que les associations (féministes, mais pas seulement) qui protègent les droits des femmes devraient aller, car il ne peut s’agir d’une décision discrétionnaire du législateur, mais de la pleine mise en œuvre du droit fondamental à la santé, un droit inviolable qui passe également par la reconnaissance du droit à faire des choix en matière de procréation.

  7. Ce corps, si souvent convoité et objet de tentatives de régulation en matière de reproduction, doit être laissé à la seule gestion des femmes. En s’appuyant sur la relation de confiance entre médecin et patiente, celle-ci doit pouvoir exercer son autodétermination, en conscience et à la lumière des données scientifiques, face à un événement aux implications profondes pour son corps comme pour son équilibre psychique. Il s’agit d’un choix relevant du droit à la santé, droit fondamental qui mérite une considération pleine et entière dans toute décision qui en découle.

Francesca Rescigno, professoressa di istituzioni di diritto pubblico e diritto delle pari opportunità, Università di Bologna

Références


  1. Traduit de l’Italien par Eleonora Bottini et Laurie Marguet.↩︎

  2. S’agissant des concepts de « sexe » et de « genre », on considère ici que le terme sexe renvoie à l’appartenance biologique au sexe féminin ou masculin, déterminée par la vingt-troisième paire de chromosomes sexuels. Lorsque cette paire est constituée de deux chromosomes X (XX), l’embryon sera de sexe féminin ; lorsqu’elle est formée d’un chromosome X et d’un chromosome Y (XY), l’embryon sera de sexe masculin. Jusqu’à la sixième semaine suivant la conception, les embryons présentent un potentiel sexuel indifférencié. Ce n’est qu’entre la sixième et la septième semaines que débute la différenciation sexuelle, orientée par la présence ou l’absence du chromosome Y. Toutefois, cette différenciation ne dépend pas exclusivement des chromosomes : elle est également influencée par des facteurs environnementaux et des variations hormonales qui jouent un rôle déterminant dans le développement des organes sexuels.

    Le genre, en revanche, repose sur des bases sociales et culturelles. Il désigne le rôle socialement assigné et vécu publiquement par une personne, tandis que l’identité de genre correspond à la perception intime et subjective qu’un individu a de son appartenance à un sexe donné. Le genre peut ainsi être défini comme un processus de construction sociale des différences biologiques, impliquant la définition, la valorisation et la stimulation d’attitudes et de comportements en lien avec les attentes sociales relatives aux rôles masculins et féminins.

    Le terme genre apparaît pour la première fois en 1972 dans une perspective visant à distinguer le sexe – entendu comme réalité biologique – du genre - appréhendé comme construction culturelle. Cette distinction a été formalisée dans le champ des sciences sociales par la notion de système sexe/genre, qui désigne l’ensemble des mécanismes par lesquels la société transforme les différences biologiques en catégories socioculturelles, attribuant aux femmes et aux hommes des caractéristiques distinctes et des rôles strictement dichotomiques. Sur le sujet, v. Ann Oakley, Sex, Gender and Society, Harper Colophon Books, 1972 ; Giuseppe Grisi, « Sesso e genere: una dialettica alla ricerca di una sintesi », Rivista Critica del Diritto Privato, 2019, n° 2, p. 255 ; Elisabetta Ruspini, Le identità di genere, Carocci Editore, 2023.↩︎

  3. Ainsi Costantino Mortati, La tutela della salute nella Costituzione italiana, in Problemi di diritto pubblico nell’attuale esperienza costituzionale repubblicana, vol. III, Giuffré, 1971, p. 435 et s.↩︎

  4. V. Luigi Ferrajoli, Diritti fondamentali : un dibattito teorico, Laterza, 2008, p. 5.↩︎

  5. Ainsi Mario Merighi, dans la Costituzione della Repubblica nei lavori preparatori, II, 1219. La création du Service national de santé par la loi n° 833 de 1978 constitue une mise en œuvre extrêmement importante du droit fondamental à la santé. Sur la création du Service national de santé en tant qu’instrument de mise en œuvre du droit à la santé, v. Fabio Alberto Roversi Monaco dir., Il servizio sanitario nazionale, Giuffré, 1979 ; Donatella Morana, La salute nella Costituzione italiana, Giuffré, 2002 ; Carlo Bottari, La tutela della salute : lavori in corso, Giappichelli, 2020 ; Donatella Morana, La salute come diritto costituzionale. Lezioni, Giappichelli, 2021.↩︎

  6. La remise en question de l’approche médicale prétendument neutre a commencé à émerger dans les années 1970, portée par une nouvelle sensibilité à la santé des femmes, en grande partie impulsée par les luttes du mouvement féministe. Toutefois, ce n’est qu’en 1991 que cette problématique a reçu une reconnaissance institutionnelle marquante, grâce à la cardiologue Bernadine Patricia Healy — première femme à diriger le National Institutes of Health — qui publia un éditorial devenu célèbre, The Yentl Syndrome, dans le New England Journal of Medicine. Elle y dénonçait les inégalités de prise en charge dans le domaine des cardiopathies ischémiques : les femmes, avant un événement cardiaque majeur tel qu’un infarctus du myocarde, étaient soumises à des examens coronariens dans une proportion nettement inférieure à celle des hommes, malgré des symptômes équivalents en intensité et en gravité. Cette inégalité persistait même après l’hospitalisation et la survenue d’un événement sentinelle. Ce n’est qu’à la suite de la mise en évidence de lésions coronariennes par coronarographie que les femmes bénéficiaient enfin des mêmes interventions de revascularisation que leurs homologues masculins. Cet éditorial a eu un retentissement considérable dans le monde médical, et l’expression Yentl Syndrome est depuis restée emblématique d’un biais systémique qui dépasse largement la cardiologie pour concerner l’ensemble des spécialités médicales. V. Bernadine Healy, « The Yentl Syndrome », New England Journal of Medicine, 1991, vol. 274.↩︎

  7. Les déterminants de la santé désignent l’ensemble des facteurs qui influencent l’état de santé d’un individu ainsi que celui des communautés ou des populations. Ils englobent à la fois les comportements individuels et les contextes politiques, socio-économiques et culturels, les conditions de vie et de travail, ainsi que l’accès aux services de santé. Parmi ces déterminants figurent également le sexe et le genre, dont l’influence est déterminante dans la production des inégalités de santé. Les femmes, en particulier, subissent un désavantage manifeste en raison de leur position historiquement subordonnée sur les plans socio-économique et culturel.

    Si les femmes présentent, en moyenne, une espérance de vie plus longue que les hommes, cet avantage démographique ne saurait être interprété comme un indicateur de meilleure santé. En réalité, aucune différence significative liée au sexe n’est observée en ce qui concerne le nombre d’années de vie en bonne santé. Les femmes vivent donc plus longtemps, mais elles sont en général plus exposées aux pathologies chroniques et aux situations de handicap ; en d’autres termes, elles vivent plus, mais pas nécessairement mieux.

    La reconnaissance de l’importance des déterminants sociaux de la santé a conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à créer, en 2005, la Commission des déterminants sociaux de la santé, chargée d’étudier l’impact de ces facteurs et de formuler des recommandations pour guider les politiques publiques. En août 2008, la Commission a publié un rapport majeur intitulé « Closing the gap in a generation : Health equity through action on the social determinants of health », dans lequel elle appelle les gouvernements à adopter des mesures concrètes pour réduire les inégalités sanitaires, tant au sein des pays qu’entre eux. Cette initiative s’est poursuivie avec la publication, en 2013, du « Review of Determinants and the Health Divide in the WHO European Region : Executive Summary », qui constitue un document de référence pour orienter les stratégies de santé et de bien-être dans le cadre du programme « Santé 2020 ».↩︎

  8. Il convient de rappeler que l’Italie a été le premier pays à adopter une réglementation spécifique en matière de médecine de genre. Il s’agit de la loi n° 3 du 11 janvier 2018, intitulée « Délégation au gouvernement en matière d’essais cliniques de médicaments ainsi que dispositions pour la réorganisation des professions de santé et pour la gestion sanitaire du ministère de la Santé ». Cette loi prévoit explicitement l’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des applications médicales à l’échelle nationale, tant dans le domaine des essais cliniques de médicaments (art. 1, alinéa 1) que tout au long du parcours clinico-diagnostique (art. 3). Dans le prolongement de ce cadre législatif, un « Plan pour l’application et la diffusion de la médecine de genre » a été adopté en 2019. Ce plan prévoit notamment la création d’un Observatoire dédié à la médecine de genre au sein de l’Institut supérieur de Santé, chargé de collecter et d’analyser les données pertinentes à transmettre annuellement au ministre de la Santé pour présentation devant les Chambres parlementaires. L’Observatoire a été effectivement mis en place en septembre 2020.

    L’adoption, en mai 2023, du « Plan national de formation pour la médecine de genre » constitue une étape significative. Ce plan complète les mesures définies dans le Plan de 2019, en insistant sur l’intégration de la dimension de genre dans la formation des professionnels de santé, condition essentielle à la diffusion effective d’une approche médicale véritablement sensible aux différences liées au sexe et au genre.

    En ce qui concerne la nécessité d’une nouvelle approche médico-scientifique et la validité de la médecine sexuelle et de genre, je me permets de renvoyer à Francesca Rescigno, Per un habeas corpus ‘di genere’. Salute, autodeterminazione femminile, sex and gender medicine, Editoriale Scientifica, 2022 ; « La Sex and Gender Medicine quale crocevia tra diritto alla salute e principio di eguaglianza », in Francesca Rescigno, Giacomo Giorgini Pignatiello dir., One Earth - One Health. La costruzione giuridica del Terzo Millennio, Giappichelli, 2023, p. 87 ; « La medicina di sesso e genere. Quadro di approfondimento », in Vincenzo Bochicchio, Cristiano Scandurra dir., Psicologia dell’identità di genere, Il Mulino, 2024, p. 15.↩︎

  9. Comme le note Sofri, « la mère et l’enfant à naître sont, d’une manière autrement impensable, deux et un. Sans cette reconnaissance, l’habeas corpus n’existe pas, sauf en tant que droit des hommes pour les hommes » (Adriano Sofri, Contro Giuliano. Noi uomini, le donne e l’aborto, Sellerio, 2008, p. 27).↩︎

  10. Le Garde des Sceaux Alfredo Rocco a lui-même expliqué ce choix lors de la présentation du nouveau Code, le 19 octobre 1930, en déclarant : « Il m’a semblé cependant que la raison principale d’incriminer de telles pratiques se trouve dans l’atteinte à l’intérêt que la nation, en tant qu’unité ethnique, porte à la défense de la continuité et de l’intégrité de la race. En effet, il ne fait aucun doute que tout acte visant à supprimer ou à hystériser les sources de la procréation est une atteinte à la vie même de la race dans la série des générations présentes et futures qui la composent, et donc une atteinte à l’existence même de la société ethniquement considérée, c’est-à-dire à l’existence de la nation » (Alfredo Rocco, « Relazione a S.M. il Re del Ministro Guardasigilli Rocco », Gazzetta Ufficiale del Regno d’Italia, 26 octobre 1930, n° 251, pp. 4492-4493).↩︎

  11. Sur le plan répressif, le Code Rocco maintient inchangée la peine applicable à l’avortement pratiqué sans le consentement de la femme, soit une peine d’emprisonnement de 7 à 12 ans. En ce qui concerne l’avortement avec consentement, il reprend la sanction déjà prévue par le Code Zanardelli — soit une peine de 2 à 5 ans d’emprisonnement — mais innove en étendant cette sanction à la femme ayant consenti à l’acte, ce que ne prévoyait pas la législation antérieure. Le Code introduit également l’infraction d’incitation à l’avortement par des moyens appropriés, infraction punissable même en l’absence d’interruption effective de la grossesse, et indépendamment de toute atteinte au fœtus.

    Une autre nouveauté concerne la tentative d’avortement : celle-ci est pénalisée même en l’absence de grossesse avérée, dès lors que l’intervention entraîne des lésions corporelles ou le décès de la femme. Le Code réprime également les actes entraînant une incapacité de procréer, ainsi que leur propagande publique.

    Des circonstances aggravantes sont prévues, notamment en cas de décès consécutif à l’avortement ou lorsque celui-ci est pratiqué par un professionnel de santé. À l’inverse, la circonstance atténuante dite « de l’honneur » permet une réduction de la peine de moitié à deux tiers.

    Il convient également de souligner que, pour compléter le dispositif répressif, les sages-femmes se voient interdire d’assister ou de soigner les femmes enceintes présentant une menace d’avortement. En conséquence, tous les cas, y compris ceux se limitant à une menace d’interruption, doivent être traités exclusivement par des médecins, lesquels sont légalement tenus de signaler toute interruption de grossesse au ministère public dans un délai de 48 heures.

    En somme, l’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée que lorsque la poursuite de la gestation représente un danger grave pour la vie de la femme, sous réserve de l’évaluation concordante de trois médecins et de l’obligation de déclaration aux autorités compétentes à des fins de contrôle.↩︎

  12. À cet égard, le socialiste Lelio Basso a exprimé son opposition en déclarant qu’« il ne voudrait pas que l’article soit interprété dans le sens où l’État devrait prendre des mesures pour encourager la croissance démographique, comme c’était le cas dans l’esprit de l’État fasciste. Il est d’accord pour que l’État prenne les mesures nécessaires pour alléger le fardeau des familles nombreuses, puisqu’elles existent, mais il ne croit pas qu’il doive encourager la formation de telles familles. L’État moderne et avancé doit assurer le contrôle des naissances, car il ne peut aujourd’hui se mettre au niveau de l’encouragement à la croissance démographique à tout prix » (séance de la première sous-commission du Comité de la Constitution du 6 novembre 1946).↩︎

  13. Un tournant significatif vers l’affaiblissement puis l’abrogation de l’article 553 du Code pénal a été amorcé par le tribunal de Milan en 1952, à travers une décision introduisant une distinction fondamentale entre les pratiques abortives et les pratiques contraceptives. Les juges milanais ont estimé que l’article 553, qui réprimait les pratiques contraires à la procréation, ne pouvait s’appliquer qu’à celles intervenant après la fécondation. Selon cette interprétation, les pratiques contraceptives mises en œuvre avant la fécondation échappaient à la qualification pénale.

    Cette lecture s’appuyait notamment sur l’article 1 du décret-loi n° 159 du 27 juillet 1947, qui avait abrogé l’ensemble des dispositions pénales instaurées à des fins de protection des institutions et organismes publics créés sous le régime fasciste. Le tribunal en a conclu que l’incitation aux pratiques contraceptives antérieures à la fécondation ne pouvait être sanctionnée, dès lors qu’elle ne relevait pas des finalités répressives poursuivies par le texte initialement adopté dans un contexte idéologique autoritaire.↩︎

  14. Parmi celles-ci, la méthode dite Ogino-Knaus, du nom du médecin japonais Kiusaku Ogino Togohashi et du gynécologue autrichien Hermann Knaus Sankt Veit, consiste à ajuster la chronologie des rapports sexuels au rythme périodique des phénomènes biologiques du cycle menstruel, qui se divise en deux périodes : une période fertile, de courte durée, coïncidant avec l’ovulation, et une période stérile. Cette méthode est résolument imprécise en raison de la variabilité du cycle menstruel.↩︎

  15. Cour constitutionnelle, arrêt n° 49 de 1971, Giurisprudenza Costituzionale, 1971, p. 525 ;note ’Alessandro Pizzorusso, « Dalle "doppia pronunce" alle decisioni "overruling" », ibid., p. 527.↩︎

  16. Malheureusement, il convient de noter que, bien que plus de cinquante ans se soient écoulés depuis cette déclaration, notre pays reste très en retard en matière d’éducation sexuelle, mais aussi de connaissance et de diffusion des méthodes contraceptives. En effet, l’Italie se situe en bas du classement européen pour l’utilisation des contraceptifs hormonaux (16%), de nombreuses jeunes filles de moins de 25 ans (42%) n’utilisent aucune méthode contraceptive lors de leur première expérience sexuelle, et les cas de maladies sexuellement transmissibles sont en augmentation, tandis qu’une grossesse sur quatre n’est pas désirée. V. Fondazione Onda, Donne e accesso alla contraccezione ormonale. Focus contraccezione orale di emergenza, mars 2019 et aussi European Parliamentary Forum for Sexual & Reproductive Rights (EPF), Contraception Atlas, Bruxelles, 2020.↩︎

  17. Entre février et mars 1961, l’hebdomadaire Noi Donne publie la première enquête journalistique décrivant avec précision les méthodes, l’ampleur et le nombre d’avortements clandestins en Italie. Ce long article, intitulé « I figli che non nascono » (« Les enfants qui ne naissent pas »), est le fruit des recherches de Milla Pastorino, qui a recueilli de nombreux témoignages de femmes ayant interrompu une ou plusieurs grossesses en recourant à des méthodes clandestines dangereuses. Sur la situation avant l’adoption de la loi 194 de 1978, v. Lorenza Perini, « Quando la legge non c’era. Storie di donne e aborti clandestini prima della legge 194 », Storicamente, 2010, n° 6, p. 1.↩︎

  18. L’affaire Pierobon de 1973 revêt une portée emblématique dans l’histoire des luttes pour la légalisation de l’avortement en Italie. Gigliola Pierobon est poursuivie pour avoir eu recours à un avortement clandestin en 1967, alors qu’elle n’avait que 17 ans. L’intervention, réalisée dans des conditions sanitaires précaires, lui cause une infection nécessitant un traitement médical. Ce n’est qu’en 1972, soit plus de quatre ans après les faits, qu’elle reçoit un mandat de dépôt émis par le tribunal de Padoue. Engagée dans le mouvement féministe, elle choisit de transformer son procès en un acte de mobilisation collective, à l’image du procès de Bobigny tenu en France quelques mois auparavant, où Marie-Claire Chevalier avait été jugée dans un contexte similaire.

    Ce procès se distingue par plusieurs aspects. D’une part, contrairement à de nombreux cas d’avortement jugés à l’époque, souvent abandonnés faute de preuves, Pierobon reconnaît publiquement les faits. D’autre part, la stratégie de défense vise à dépasser le cas individuel pour remettre en question la légitimité même de la législation pénale en vigueur. La mobilisation féministe s’invite jusqu’à l’intérieur du tribunal, où des militantes proclament collectivement : « Nous avons toutes avorté », dénonçant ainsi une situation d’hypocrisie sociale et judiciaire.

    Le 7 juin 1973, Gigliola Pierobon est condamnée à un an de prison. Toutefois, elle bénéficie d’une grâce, officiellement motivée par son mariage et la naissance d’un enfant dans les années suivant l’avortement. Elle rejette cependant cette justification : « Je n’ai pas demandé pardon : je ne me sens pas coupable. Je ne suis donc pas repentie. C’est la loi qui a établi mon repentir ».

    Bien qu’il n’ait pas eu le même retentissement international que le procès de Bobigny, le procès Pierobon a été fondamental à plusieurs égards. Il a d’abord contribué à briser le silence — voire l’omerta — entourant l’avortement clandestin, une pratique pourtant répandue et subie par des millions de femmes italiennes dans les années 1970. Il a ensuite favorisé la structuration d’une mobilisation féministe de masse, au sein de laquelle l’expérience personnelle devient vecteur d’une revendication politique collective. Pierobon elle-même résume cette dynamique en affirmant : « Dans tout cela, rien n’est uniquement autobiographique et rien n’est uniquement politique. Le personnel est politique, et dans le personnel est aussi inclus le social ». V. Gigliola Pierobon, Il processo degli angeli (Storia di un aborto), Tattilo Editrice, 1974.↩︎

  19. Comme on le sait, le cadre de référence a brusquement changé en juin 2022 lorsque la Cour suprême a décidé qu’il n’existait pas de droit à l’interruption de grossesse, laissant le traitement de l’affaire aux décisions des différents États. L’annulation par la Cour suprême dans l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization a été totale et la Cour, avec six voix pour et trois contre, a affirmé que le droit pour les femmes d’interrompre une grossesse non désirée n’est pas inclus dans la Constitution et n’est même pas ancré dans l’histoire et la tradition des États-Unis étant donné que, dans la loi américaine naissante (celle-là même qui prévoyait la légalité de l’esclavage), l’avortement était puni ou en tout cas combattu. Le raisonnement de la Cour peut être résumé en substance comme suit : le droit des femmes à avorter ne figure pas dans la Constitution américaine et l’interprétation de la Cour suprême qui a discuté l’affaire Roe v. Wade en 1973 reposait sur un fondement erroné (d’où la légitimité de l’annulation et l’abandon du précédent) parce que le droit à l’avortement ne fait pas partie du droit plus général à la « vie privée » et surtout n’est pas « profondément enraciné dans l’histoire et la tradition des États-Unis ». À cet égard, la Cour analyse le sentiment populaire et la tradition américaine et rappelle que, jusqu’aux années 1970, ce sont les citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants démocratiquement élus dans chaque État, qui décidaient de la manière de légiférer sur l’interruption de grossesse. Selon les juges, les arrêts précédents « ont enflammé le débat et approfondi la division », puisque seuls les États, par l’intermédiaire des représentants élus de leurs citoyens, peuvent légiférer sur ces questions, en raison de la diversité culturelle spécifique de chaque État. Ainsi, la situation juridique actuelle est celle d’avant Roe v. Wade en 1973, où le droit des femmes à décider de leur propre corps a disparu et où chaque État peut légiférer sur l’interruption de grossesse, en l’absence d’une règle plaçant le droit en question dans le champ d’application de la loi fédérale. C’est comme si le féminisme, la lutte des femmes, l’émancipation des femmes, la discussion sur les quotas, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, mais surtout l’affirmation de l’autodétermination des femmes comme principe fondamental n’avaient jamais existé, engloutis par un immense trou noir qui veut que les femmes redeviennent des anges du foyer incapables de décider pour elles-mêmes et pour leur santé. L’arrêt Dobbs mortifie toutes les femmes et met gravement en péril leur droit fondamental à la santé.↩︎

  20. L’utilisation du terme « embryon » n’est pas fortuite si l’on considère que le fruit de la conception est considéré comme tel jusqu’à la huitième semaine de gestation, après quoi il est d’usage de parler de « fœtus ».↩︎

  21. Il s’agit de la loi n° 405 du 29 juillet 1975.↩︎

  22. Il ne s’agit pas d’une « réappropriation » mais d’une « appropriation » car les femmes n’ont jamais été responsables de leur corps et de leur sexualité.↩︎

  23. L’approbation de la loi n° 194 a été précédée de cinq années de débats parlementaires houleux, étant donné que, dès 1973, le député socialiste Fortuna avait présenté un premier projet visant à introduire l’interruption de grossesse. Ce projet prévoyait la légalité de l’interruption volontaire sur décision insusceptible de contestation du médecin, en cas de risque pour la santé physique ou mentale de la mère ou même de risque de malformations physiques ou mentales pour l’enfant à naître. Cette première tentative infructueuse a été suivie par d’autres projets émanant des sociaux-démocrates, des communistes, des républicains, des libéraux et même des démocrates-chrétiens, qui n’étaient toutefois pas favorables à la dépénalisation du crime, mais envisageaient seulement l’introduction de certaines circonstances atténuantes. C’est ainsi que, en 1977, une commission spéciale composée de représentants de tous les partis a été mise en place par le Parlement. Le projet élaboré par la Commission, approuvé à la Chambre, a ensuite été rejeté, par vote secret, au Sénat grâce à une alliance spéciale entre les démocrates-chrétiens et le Mouvement Social Italien. Dans ce contexte politique, il convient de rappeler les pressions de l’Église catholique qui, le 18 novembre 1974, s’est prononcée contre toute doctrine permissive en matière d’interruption de grossesse dans la Déclaration sur l’avortement provoqué de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.↩︎

  24. Dans la vaste littérature qui a traité de cette loi, si importante pour l’histoire de l’Italie et pour l’émancipation des femmes, nous renvoyons, sans prétendre à l’exhaustivité, à : Carlo Flamigni, L’aborto. Storia e attualità di un problema sociale, Pendragon, 2008 ;Carlo Flamigni, Corrado Melega, RU486. Non tutte le streghe sono stati bruciate, L’Asino d’oro, 2010 ;Giambattista Scirè, L’aborto in Italia. Storia di una legge, Mondadori, 2011 ; Susanna Mancini, Un affare di donne. L’aborto tra libertà eguale e controllo sociale, CEDAM, 2012 ; Benedetta Liberali, Problematiche costituzionali delle scelte procreative. Riflessioni intorno alla fecondazione medicalmente assistita e all’interruzione volontaria di gravidanza, Giuffré, 2017, p. 429 ; Rossella Ghigi dir., I suoi primi quarant’anni. L’aborto ai tempi della 194, Neodemos, 2018 ; Chiara Lalli, Sonia Montegiove, Mai dati. Dati aperti (sulla 194), Fandango Libri, 2022 ; Giulia Galeotti, Storia dell’aborto, 2e éd., Il Mulino, 2024 ; Alessandra Gissi, Paola Stelliferi, L’aborto. Una storia, Carocci, 2024.↩︎

  25. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle l’a exprimé dans l’arrêt n° 438 de 2008, Giurisprudenza Costituzionale, 2008, p. 4945.↩︎

  26. Le principe du consentement éclairé en tant qu’élément essentiel dans le contexte du droit à la santé lui-même est confirmé dans la législation ordinaire précédant la loi de 2017 et en particulier dans la loi n° 194 de 1978 sur la protection sociale de la maternité et l’interruption volontaire de grossesse (articles 5 et 12, paragraphes 2 et 18) ; dans la loi n° 180 de 1978, selon laquelle les traitements médicaux obligatoires, même s’ils sont imposés, « doivent être accompagnés d’initiatives visant à garantir le consentement et la participation des personnes obligées » ; dans la loi n° 833 de 1978, instituant le Service national de santé ; dans la loi n° 135 de 1990, relative à la prévention et à la lutte contre le sida, dont l’article 5 prévoit que « personne ne peut être soumis, sans son consentement, à des tests visant à déterminer l’infection par le VIH, sauf pour des raisons de nécessité clinique dans son propre intérêt » ; et dans la loi n° 30 de 2010, portant « dispositions visant à garantir l’accès aux soins palliatifs et à la thérapie de la douleur ».↩︎

  27. La procédure d’accès à l’interruption de grossesse en Italie est en effet assez compliquée, comme si elle devait inciter la femme à réfléchir. Outre les délais prévus par la loi, la femme doit présenter une demande spéciale liée à des conditions relatives à sa santé physique ou mentale, à sa situation économique ou à la présence d’anomalies ou de malformations chez l’enfant conçu. La demande peut être introduite auprès d’un centre de consultation de santé publique, d’un établissement socio-médical autorisé par la région, mais aussi auprès du médecin traitant de la femme. L’établissement de santé compétent doit garantir les examens médicaux et fournir une assistance complète en fonction des besoins de la femme. Après l’introduction de la demande et l’entretien avec un médecin qui informe la femme de la procédure qui sera utilisée pour l’avortement, un certificat attestant l’urgence est délivré, afin de pouvoir se rendre dans l’un des centres autorisés pour procéder à l’avortement. En dehors des cas d’urgence, un document attestant l’état de grossesse et la demande d’avortement correspondante est délivré, après quoi un « temps de réflexion » (inexplicable) de sept jours doit s’écouler, après quoi la femme peut se rendre dans les centres autorisés avec le document qui lui a été délivré pour obtenir l’avortement. Dans certains cas, il est également possible de demander un avortement après 90 jours à compter du début de la grossesse, lorsque la grossesse ou l’accouchement pourrait présenter un grave danger pour la vie de la femme, ainsi qu’en présence de processus pathologiques tels que des anomalies et des malformations de l’enfant à naître. L’avortement peut être pratiqué dans un hôpital général ainsi que dans des hôpitaux publics spécialisés. Les avortements pratiqués dans les 90 jours peuvent également être pratiqués dans des maisons de repos autorisées par la région, qui présentent des conditions d’hygiène et de santé compatibles avec le type d’intervention, ainsi que dans des cliniques publiques adéquatement équipées. Le parcours est long, complexe et semé d’embûches qui obligent très souvent les femmes à « errer » d’un établissement à l’autre et même à se déplacer de leur propre région pour pouvoir procéder à l’interruption de grossesse. Au-delà de 90 jours d’âge gestationnel, la grossesse peut être interrompue en vertu des articles 6 et 7 de la loi n° 194. Le certificat attestant l’existence d’un danger grave pour la vie ou la santé de la femme doit être établi par un médecin de l’établissement où l’intervention sera pratiquée. Le médecin qui constate et certifie le danger peut recourir à des consultations spécialisées (échographiques, génétiques, psychologiques, psychiatriques, etc). Le certificat doit être communiqué au directeur médical de l’établissement de santé où l’intervention est pratiquée et, une fois l’intervention commencée, tout le personnel de santé, y compris les objecteurs de conscience, est tenu de fournir l’assistance nécessaire. L’avortement du deuxième trimestre peut être pratiqué par voie chirurgicale ou pharmacologique.↩︎

  28. V. l’arrêt de la Cour de Cassation, chambre criminelle, sect. VI, du 27 novembre 2012, n° 14979, qui stigmatise le refus du médecin d’examiner la patiente à la suite d’une interruption de grossesse. L’article 9 de la loi n° 194, en effet, permet l’objection de conscience du médecin dans l’interruption de grossesse, mais ne dispense pas l’objecteur de l’assistance à la suite de l’intervention, qui en l’espèce avait déjà été effectuée.↩︎

  29. Une approche plus restrictive a été adoptée en droit pénal où tant la sage-femme qui avait refusé de préparer le champ stérile pour permettre au médecin d’effectuer les activités préparatoires avant l’interruption de grossesse que le médecin qui avait refusé d’effectuer un électrocardiogramme avant l’opération ont été reconnus coupables d’omission ou de refus d’actes officiels, en vertu de l’article 328 du code pénal. V. Pretura di Ancona, 9 octobre 1979, Giurisprudenza Italiana, 1982, II, p. 973 ; Pretura di Penne, 6 décembre 1983, Giurisprudenza Italiana, 1984, II, p. 314.↩︎

  30. Les questions liées à l’exercice de l’objection de conscience dans le contexte de l’interruption de grossesse ne sont pas seulement liées au personnel médical qui doit concrètement participer aux opérations d’interruption, mais concernent également (de manière très étonnante) des catégories totalement étrangères à ce processus comme, par exemple, les pharmaciens qui revendiquent leur droit d’exercer leur objection de conscience à l’égard de la vente de certains médicaments tels que la pilule dite du lendemain ou du surlendemain, c’est-à-dire les contraceptifs d’urgence. En ce qui concerne ces médicaments, il convient de noter que les préparations progestatives contenant le principe actif lévonorgestrel (Norlevo) ne sont pas soumises à prescription médicale pour les personnes âgées de 18 ans ou plus, tandis qu’une prescription médicale, renouvelée périodiquement, est obligatoire pour les personnes âgées de moins de 18 ans, tandis que les préparations contenant le principe actif ulipristal (EllaOne) ne sont pas soumises à prescription médicale, ni pour les personnes âgées de plus de 18 ans, ni pour les personnes âgées de moins de 18 ans (bien qu’elles ne soient pas inscrites sur la liste des médicaments en vente libre). Le 4 octobre 2024, le sous-secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, M. Siracusano, répondant à une question parlementaire à la Chambre des députés sur les initiatives visant à garantir la disponibilité totale et effective des médicaments hormonaux pour la contraception d’urgence dans les pharmacies, a souligné que, conformément à la réglementation du service pharmaceutique, les pharmaciens ne peuvent pas refuser de vendre les médicaments qui leur sont fournis. En général, tous les médicaments prescrits par le médecin doivent être disponibles et ne peuvent être refusés par le pharmacien, la loi ne prévoyant pas d’objection de conscience professionnelle. En outre, les pharmaciens sont tenus de délivrer ou de se procurer ces médicaments, s’ils ne sont pas disponibles, dans les plus brefs délais. Il existe également un avis du Comité national de bioéthique de juillet 2012, qui souligne que l’objection de conscience a « un fondement constitutionnel dans le droit général de la liberté religieuse et de la liberté de conscience, mais doit toujours être réalisée dans le respect d’autres droits fondamentaux ; parmi ceux-ci, le droit inaliénable des citoyens à la protection de la santé et à recevoir des soins de santé reconnus par la loi » [en ligne : https://bioetica.governo.it/media/1839/p102_2012_obiezione_coscienza_it.pdf]. À ce sujet, nous aimerions mentionner le travail précieux réalisé par « Obiezione Respinta », un projet transféministe visant à cartographier l’objection de conscience en Italie [en ligne : https://obiezionerespinta.info/].↩︎

  31. Sur l’importance des données relatives à l’application de la loi 194, v. Chiara Lalli, Sonia Montegiove, Mai dati. Dati aperti (sulla 194), préc., ainsi que le site Internet constamment mis à jour de l’association Luca Coscioni [en ligne : https://www.associazionelucacoscioni.it/cosa-facciamo/aborto-e-contraccezione/legge-194-mai-dati]. La connaissance des chiffres de l’objection à l’interruption volontaire de grossesse n’est jamais facile. À cet égard l’initiative du réseau international « Global Doctor for Choice » qui a publié en 2014 le « Livre blanc sur l’objection de conscience et le refus de fournir une assistance à la procréation », en comparant les données des pays couvrant les années 1998 à 2013, doit être saluée [en ligne : https://globaldoctorsforchoice.org/wp-content/uploads/GDC_White-paper-on-CO-in-reproductive-health_ENG-1.pdf].↩︎

  32. Il convient de noter, par exemple, que la France prévoit également, en ce qui concerne l’interruption de grossesse, la possibilité pour le personnel de santé de pratiquer l’objection de conscience, mais les chiffres sont très différents de ceux de notre pays, les objecteurs français se situant entre 3% et 5% des médecins en service et, en tout état de cause, les médecins qui refusent de fournir le service sont tenus de fournir une assistance en orientant les patients vers des collègues qui ne sont pas des objecteurs. Des pays comme la Suède et la Finlande n’autorisent en aucun cas l’objection de conscience.↩︎

  33. En mars 2014 et en avril 2016, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a constaté que l’Italie avait violé les dispositions relatives à la protection du droit à la santé des femmes (article 11), au principe de non-discrimination (article E combiné avec l’article 11) et, dans la décision la plus récente, aux droits des médecins non objecteurs de conscience (articles 1, droit au travail, et 26, droit à la dignité au travail).

    Le premier recours, introduit contre l’Italie par l’organisation non gouvernementale International Planned Parenthood Federation European Network (IPPF EN), dénonçait l’absence, dans la loi n° 194/1978, de dispositions prévoyant des mesures concrètes pour faire face aux difficultés opérationnelles liées au manque de personnel médical non objecteur.

    Le second recours, déposé par la CGIL, critiquait l’inadéquation et l’inefficacité de l’application du cadre juridique en vigueur dans l’ordre juridique italien, estimant qu’il en résultait non seulement une violation des droits des femmes à la santé et à la non-discrimination, mais aussi des atteintes aux droits des médecins non objecteurs, en particulier en ce qui concerne la protection de leurs conditions de travail sur un pied d’égalité avec le reste du personnel soignant.

    Dans les deux cas, le CEDS a fait droit aux recours, soulignant que le gouvernement italien n’avait pas mis en œuvre des garanties concrètes suffisantes pour assurer l’effectivité de la loi, permettant ainsi un accès homogène aux prestations médicales sur l’ensemble du territoire national. Sur ces décisions, v. Lucia Busatta, « Nuove dimensioni del dibattito sull’interruzione volontaria della gravidanza, tra divieto di discriminazioni e diritto al lavoro », DPCE Online, 2016, n° 2, p. 309 ; Benedetta Liberali, « Le problematiche applicative della legge n. 194 del 1978 relativa al diritto di obiezione di coscienza ancora a giudizio (Prime osservazioni alla decisione del Comitato europeo dei Diritti Sociali nel caso CGIL contro Italia) », BioLaw Journal - Rivista di BioDiritto, 2016, n° 2 ; Claudia Bianca Ceffa, « Gli irrisolti profili di sostenibilità sociale dell’obiezione di coscienza all’aborto a quasi quarant’anni dall’approvazione della legge 194 sull’interruzione volontaria della gravidanza », AIC, Osservatorio Costituzionale, 2017, n° 1.↩︎

  34. Sur ce sujet, v. Benedetta Liberali, « La delimitazione dell’obiezione di coscienza alla luce di alcune recenti vicende giudiziarie e amministrative », Quaderni costituzionali, 2015, n° 1 ; Alberto Arcuri, « Il diritto ai tempi dell’obiezione. Il caso San Camillo », Federalismi.it, 2017, n° 1 ; Andrea Buratti, « Interruzione volontaria di gravidanza e obiezione di coscienza : spunti a partire da un recente bando per "non obiettori" », Forum di Quaderni Costituzionali, 2017, n° 1 ; Lucia Busatta, « Insolubili aporie e responsabilità del SSN. Obiezione di coscienza e garanzia dei servizi per le interruzioni volontarie di gravidanza », AIC Magazine, 2017, n° 3, p. 1 ; Marilisa D’Amico, « Sui bandi di concorso per medici non obiettori : l’obiezione di coscienza è regola o eccezione in un stato secico ? », Quaderni costituzionali, 2017, n° 2, p. 350 ; Tania Pagotto, « L’obiezione di coscienza nell’ordinamento italiano tra difficoltà applicative e tentativi di risoluzione », Stato, Chiese e pluralismo confessionale, 2024, n° 14, p. 140.↩︎

  35. Plus problématique apparaît, par exemple, l’annonce de l’Azienda Ospedaliera Pugliese Ciaccio de Catanzaro en 2016, qui indique « Annonce d’un avis de sélection publique sur titres uniquement pour 1 poste de directeur médical - Rôle sanitaire - Domaine de la chirurgie et des spécialités chirurgicales - Discipline - Gynécologie et Obstétrique - Type de relation de travail à durée déterminée - Pour une période de six mois - À affecter à la structure I. V.G. de cet hôpital pour l’application de la loi 194/1978 - Interruption volontaire de grossesse - Réservé uniquement aux cadres médicaux non objecteurs de conscience », et celui de l’ASP de Raguse en 2016, libellé comme suit : « Avis de qualification pour la formulation d’une liste de classement relative à l’attribution d’une nomination temporaire en tant que cadre médical en gynécologie et obstétrique, visant à l’exercice d’activités comprenant également des services IVG et donc réservées uniquement aux cadres médicaux non objecteurs de conscience ».↩︎

  36. Dans ce sens, Stefano Rodotà, Perché laico, Laterza, 2009 ; Silvia Talini, « Interruzione volontaria di gravidanza, obiezione di coscienza e diritto di accesso alle prestazioni sanitari nella complessa architettura costituzionale », Rivista AIC, 2017, n° 2.↩︎

  37. À cet égard, il convient de mentionner que, en 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé manifestement infondées deux affaires intentées contre la Suède par des aspirantes sage-femmes qui s’étaient vu refuser leur droit à l’objection de conscience à l’égard de l’interruption volontaire de grossesse. Le collège de trois juges chargé d’examiner la recevabilité a décidé que le fait de ne pas protéger l’objection de conscience des requérantes ne constituait pas une violation des articles 9, 10 et 14 de la CEDH et a donc rejeté les deux recours comme étant manifestement infondés. Les deux sage-femmes récalcitrantes, en raison de leur refus de pratiquer des avortements, s’étaient vu refuser à plusieurs reprises un emploi dans diverses cliniques et hôpitaux du système de santé suédois. Appelés à se prononcer sur la situation, les tribunaux suédois avaient, jusqu’en dernière instance, décidé qu’il n’y avait pas eu de discrimination ou de violation du droit de manifester ses convictions religieuses conformément à l’article 9 de la CEDH. En fait, les tribunaux nationaux avaient estimé qu’il était nécessaire et justifié d’imposer une condition d’emploi sous la forme d’une volonté d’accomplir toutes les tâches liées au travail d’une sage-femme. Saisissant la CEDH, les deux requérants ont allégué des violations des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de la discrimination) de la CEDH. En particulier, les requérants se plaignaient de l’ingérence des autorités suédoises dans leur droit légitime à la liberté de conscience. La Cour européenne a toutefois souligné que la prétendue ingérence de l’État avait une base juridique suffisante en droit suédois, poursuivant le but légitime de protéger le droit à la santé des femmes qui recourent à l’avortement. La mise en balance des deux situations juridiques peut donc justifier le non-recrutement des sage-femmes récalcitrantes, qui pourront chercher un emploi dans des établissements partageant leurs opinions religieuses.↩︎

  38. La disposition est la suivante : « Les régions organisent les services de conseil dans le cadre de la mission 6, composante 1, du PNR et peuvent également recourir, sans charges nouvelles ou plus importantes pour les finances publiques, à l’implication de sujets du troisième secteur ayant une expérience qualifiée en matière d’aide à la maternité ».↩︎

  39. Les centres de consultation familiale (créés, comme déjà mentionné, par la loi n° 405 du 29 juillet 1975) sont des services multidisciplinaires de proximité destinés à protéger la santé des femmes, des enfants, des couples et des familles. La loi fondatrice prévoyait parmi leurs missions : l’assistance psychologique et sociale pour la préparation à la maternité et à la paternité responsables ; la gestion des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs librement choisis par le couple et l’individu en matière de procréation responsable ; la protection de la santé des femmes et des enfants ; la diffusion d’informations propres à favoriser ou à prévenir la grossesse en recommandant les méthodes et les médicaments appropriés ; l’information sur les procédures d’adoption et d’accueil familial. Les fonctions des centres de consultation familiale ont été élargies avec l’approbation de la loi n° 194 de 1978, selon laquelle ils sont également chargés d’assister les femmes qui décident de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, en les informant de leurs droits et des services sociaux, sanitaires et d’assistance offerts par les établissements opérant sur le territoire ; d’aider à surmonter les causes qui pourraient inciter la femme à interrompre sa grossesse ; de fournir à la femme qui a décidé d’interrompre sa grossesse le certificat requis pour l’opération ou d’indiquer d’autres établissements où il peut être obtenu ; de fournir à la femme les informations nécessaires sur les établissements territoriaux où elle peut obtenir l’opération et, le cas échéant, sur les techniques employées. Face à cette multitude de tâches très importantes, la réalité est que, selon l’enquête la plus récente publiée par l’Institut Supérieur de la Santé en 2022 avec des données pour 2018-2019, les centres de consultation sont en nombre insuffisant par rapport aux besoins potentiels, souffrent d’une pénurie de personnel et présentent de fortes différences territoriales. De 2 097 en 2007, le nombre de centres est tombé à environ 1 800 : en moyenne, cela représente 1 centre pour 35 000 habitants, alors qu’il est recommandé d’en avoir 1 pour 20 000. Seules cinq régions et une province autonome présentent un nombre moyen d’habitants par centre de consultation inférieur ou égal à 25 000, les bassins de population desservis par chaque centre ayant tendance à être plus étendus dans le Nord que dans le Centre et le Sud du pays. Les quatre figures professionnelles sur lesquelles se fondent les centres sont (le « masculin universel » est utilisé, mais il s’agit bien sûr de professionnels féminins et masculins) : le gynécologue, l’obstétricien, le psychologue et l’assistant social. Leur présence est cependant sous-dimensionnée par rapport à la norme de référence, et il existe une grande variabilité interrégionale, avec un Nord très axé sur les services obstétricaux-gynécologiques et un Sud où la dimension sociale a beaucoup plus de place. Le constat ainsi établi devrait inciter les décideurs politiques à renforcer numériquement ces réalités locales essentielles, plutôt qu’à chercher à intégrer des non-professionnels, dont la présence n’apporte aucune valeur ajoutée aux parcours de soins physiques et mentaux proposés dans ces territoires.↩︎

  40. Il convient de souligner que certaines régions, dont la Toscane, l’Émilie-Romagne, les Pouilles et la Campanie, ont déclaré, immédiatement après l’approbation de l’amendement en question, que les associations « pro-life » ne seraient pas autorisées à entrer dans les centres de conseil territoriaux, étant donné que la disposition stipule « peuvent se prévaloir » et n’établit pas d’obligation réelle.↩︎

  41. L’avortement médical pharmacologique repose sur le fait que les premiers stades de la grossesse dépendent de la progestérone et que l’action de cette hormone est médiée par sa liaison à un récepteur présent surtout sur les cellules de la muqueuse et du muscle de l’utérus. Il est donc possible d’empêcher la nidation et le développement de l’embryon en administrant un progestatif qui, en se liant aux récepteurs de la progestérone, inhibe son action. Parmi ceux qui ont été testés, la meilleure efficacité a été reconnue à la mifépristone ou RU486, à utiliser pendant les 56 premiers jours d’aménorrhée en association avec des prostaglandines, qui sont utilisées pour provoquer l’expulsion du produit de la conception après l’interruption de grossesse, évitant ainsi une intervention chirurgicale. En 2005, l’OMS a inclus le RU486 dans la liste des médicaments efficaces avec la recommandation 1 et la preuve A c’est-à-dire les médicaments qui garantissent des bénéfices supérieurs aux risques selon les preuves scientifiques de la littérature médicale.↩︎

  42. Malheureusement, en ce qui concerne l’utilisation de la pilule RU486, l’Italie reste à la traîne et, bien que nous soyons passés d’une proportion de 0,7% en 2010 à 31,9% en 2020, nous sommes loin des chiffres enregistrés par d’autres pays européens comme la France et l’Angleterre, où les avortements pharmacologiques représentent plus de 70% du total, avec la possibilité de les administrer jusqu’à la neuvième semaine de grossesse et en hôpital de jour, une possibilité qui, en Italie, n’a été introduite qu’en 2020, tandis que la déshospitalisation de l’avortement pharmacologique n’est prévue que dans certaines régions et avec de grandes différences entre les diverses réalités locales. Prenons l’exemple de la Sicile, où sur 57 services d’obstétrique et de gynécologie, seuls 31 pratiquent l’IVG et où la RU486 n’est disponible qu’à l’hôpital. Il en va tout autrement du Piémont, qui est passé du statut d’avant-garde italienne à celui de champ de bataille politique. Les IVG sont pratiquées dans tous les hôpitaux du Piémont, qui est également la première région italienne pour le nombre absolu d’avortements pharmacologiques. Mais, en 2020, la région dirigée par le centre-droit a publié une circulaire interdisant l’administration de RU486 dans les centres de consultation familiale, activant ainsi des « bureaux d’information » dans les hôpitaux gérés par des associations anti-avortement. Le Latium, quant à lui, a approuvé en 2020 un nouveau protocole pour l’IVG pharmacologique, devenant ainsi la seule région italienne à prévoir la procédure « à domicile » dans le système ambulatoire, conformément aux directives internationales. L’Émilie-Romagne s’est également engagée dans cette voie et, à partir de septembre 2022, elle autorisera l’accès à l’IVG pharmacologique dans la salle de consultation. V. le rapport de Medici del Mondo, Aborto farmacologico in Italia : tra ritardi, opposizioni e linee guida internazionali, 2023 [en ligne : https://back.medicidelmondo.it/uploads/2023/09/MDM_Report_Aborto-farmacologico-in-Italia.pdf].↩︎