Entretien avec Myriam Pennequin

En médiation familiale, garantir un espace démocratique et égalitaire

















Une image contenant capture d’écran, Graphique, conception Description générée automatiquement Myriam Pennequin est médiatrice familiale diplômée d’état depuis 2021. Elle exerce depuis trois ans au sein du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) Nord / Territoire, à temps partiel. En complément, elle intervient en tant que médiatrice dans le milieu associatif.

image3.pngBonjour Myriam Pennequin. Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Myriam Pennequin : Mon parcours résulte d'une reconversion professionnelle : auparavant, j'ai fait une école de commerce, suivie d'un master en économie sociale et solidaire. J'ai exercé pendant dix ans dans l'accompagnement de projets coopératifs, un domaine qui, à bien des égards, entretient des liens avec la gestion des conflits, ma spécialité actuelle.

Pour devenir médiatrice, j’ai passé le Diplôme d’État de médiation familiale (DEMF). Celui-ci comprend 590 heures de formation, 105 heures de stage et nécessite la réalisation d’un mémoire et d’une action de communication sur la profession, le tout en deux ans. La formation était dispensée par l’Institut régional du travail social (IRTS), qui forme également les assistant·es de service social et éducateur·ices spécialisé·es.

image3.pngQuels types de situations rencontrez-vous en médiation familiale ?

MP : La majorité des situations, environ 80 %, concerne des parents en cours de séparation ou déjà séparés, et en désaccord sur les modalités d'organisation de la vie de leurs enfants. C'est vraiment le cœur de mon activité. En complément, je suis aussi sollicitée par des parents en rupture de lien avec leurs enfants ou confrontés à des conflits familiaux, notamment avec leurs adolescents. La question du conflit parents-adolescents est un sujet récurrent. Je suis également saisie, parfois, par des grands-parents cherchant à maintenir un lien avec leurs petits-enfants. Cette demande est en augmentation et semble liée à la judiciarisation de certaines situations, notamment dans le contexte de violences conjugales où des femmes portent plainte, entraînant des ruptures de lien avec les parents de l'auteur présumé.

Quelles que soient les demandes, nous sommes très majoritairement sollicité·es par des femmes, toutes questions confondues. À Tourcoing, en 2024, 84 dossiers ont été ouverts : 73 à l'initiative des femmes ; 11 à l'initiative des hommes. Au premier semestre 2025, dans l’ensemble des trois services (Lille, Roubaix et Tourcoing) du CIDFF Nord Territoires, sur les 76 dossiers ouverts, 53 l’ont été à l'initiative de femmes, 23 à l'initiative d’hommes.

image3.pngQuel est le coût de la médiation familiale pour les personnes qui y participent ?

MP : Cela dépend du statut du médiateur ou de la médiatrice. En libéral, les professionnel·les fixent eux-mêmes leurs tarifs.

Dans les associations comme le CIDFF, où je suis salariée, les postes de médiateur·ices sont largement financés par la caisse d’allocations familiales. Ce financement permet de proposer une participation financière adaptée aux revenus des personnes concernées, selon un barème qui reste très accessible. Ainsi, chaque personne paye « sa part ». Il arrive toutefois que certains couples préfèrent regrouper les paiements, par exemple si l’un doit payer 15 € et l’autre 30 €, l’un peut proposer de payer l’ensemble. Cela fait partie de leurs arrangements personnels, mais le tarif appliqué reste le même.

Ce dispositif de subvention permet à des personnes qui n’en auraient pas du tout les moyens d’accéder à une médiation. En pratique, le public qui me sollicite est très mixte, socialement, culturellement et économiquement. Une médiatrice ou un médiateur exerçant en libéral n’a peut-être pas le même public.

Une image contenant Police, Graphique, cercle, logo Description générée automatiquementConcernant la diversité du public que vous recevez, avez-vous des médiations avec des personnes qui ont un accès limité à la langue française ?

MP : Oui, cela arrive. Nous pouvons alors faire appel à des associations qui mettent à disposition des traducteurs et traductrices. Sans cela, la langue peut être un véritable frein. Il nous arrive même d’être sollicité·es par des personnes résidant à l’étranger, par exemple en Algérie, qui souhaitent bénéficier d’une médiation en France.

Une image contenant Police, Graphique, cercle, logo Description générée automatiquementPouvez-vous nous exposer rapidement le déroulement d’un processus de médiation familiale ?

MP : Dans ma pratique, la médiation se déroule en trois étapes principales.

La première est une phase de recueil d’informations et de diagnostic, à l’occasion d’un premier entretien individuel avec chacun·e des participant·es. Je cherche à comprendre la situation familiale, les attentes des un·es et des autres, les raisons pour lesquelles ils ou elles viennent me voir, ainsi que l’objectif de la médiation. J’évalue aussi les antécédents judiciaires et de santé, afin d’objectiver la situation et de proposer un accompagnement adapté.

La deuxième étape est une phase de préparation. Elle se déroule lors de nouveaux entretiens individuels et vise à préparer les participant·es à la médiation. Je les aide à clarifier leur position, à réfléchir à leur point de vue et à envisager la conciliation, car l’objectif reste de trouver un accord acceptable pour tous·tes.

Enfin, la troisième étape est la médiation dite « conjointe », où l’on commence le travail collectif. Chacun exprime ses intérêts, partage ses désaccords et tente de négocier des solutions acceptables par chacun·e.

Il faut préciser que le fait d’avoir deux rencontres individuelles préalablement à la rencontre conjointe n’est pas la façon la plus courante de procéder. Dans les conventions que nous passons avec la CAF, l’usage est plutôt d’avoir un entretien individuel avec chacun·e, puis un entretien conjoint.

Cependant, je privilégie pour ma part systématiquement deux entretiens individuels pour plusieurs raisons. D’abord, cela permet de mieux identifier et distinguer les conflits familiaux d’une part et les violences intrafamiliales d’autre part. Ensuite, cela instaure un climat propice à une médiation plus équilibrée. J’introduis, notamment lors du second entretien individuel, des règles concernant la posture en médiation : s’exprimer sans disqualifier, écouter sans interrompre, proposer sans imposer. Ce sont des compétences qui nécessitent un véritable travail, particulièrement dans le cadre familial, où les tentations de disqualification, d’intimidation ou de menaces peuvent être fréquentes.

Mon expérience au CIDFF m’a permis de mieux appréhender l’ampleur des violences faites aux femmes et leurs conséquences sur elles et sur les enfants. Ces entretiens individuels me semblent donc nécessaires pour éviter d’engager une médiation dans un contexte de violences où la négociation est de toute façon inopérante, voire dangereuse.

image3.pngPensez-vous que deux entretiens individuels suffisent ? Certains mécanismes relationnels ancrés depuis longtemps dans la vie familiale des personnes peuvent être difficiles à déconstruire : est-ce suffisant pour les faire évoluer et instaurer les principes que vous défendez ?

MP : Je préférerais disposer de plus de temps. D’ailleurs, lorsque je constate qu’après deux entretiens individuels, certaines notions ne sont pas encore bien intégrées ou validées, je prolonge le travail avec des « séances navettes », c’est‑à‑dire des échanges individuels supplémentaires. Si j’estime que les conditions de la médiation ne sont pas réunies, je ne procède pas à la séance conjointe. J’explique clairement aux personnes que, selon moi, les conditions ne permettent pas encore d’entamer la troisième étape.

image3.pngQuels sont les principes déontologiques applicables à la médiation familiale ?

MP : Le premier est la confidentialité des échanges. Cela signifie que je suis tenue au secret professionnel, et que ni les acteur·ices judiciaires ni les travailleurs sociaux et travailleuses sociales ne peuvent me demander ce qui a été dit en médiation. Ce principe protège l’espace de parole, mais il doit être interrogé : il ne doit pas conduire à instaurer une culture du secret.

Le second est l’impartialité. Comme les magistrat·es, je suis censée être impartiale. Mais ce concept mérite aussi d’être questionné, notamment en raison de certains biais systémiques. Par exemple, les stéréotypes de genre font que la parole des femmes est souvent moins prise en compte que celle des hommes. Comment, dès lors, garantir une forme d’équité dans les échanges ? Comment recréer une symétrie, un peu fictive, dans un monde où le sexisme, le racisme ou d’autres rapports de domination influencent les interactions ?

Enfin, le troisième principe est la neutralité, un concept que j’interroge profondément, notamment lorsqu’il est question de violences entre les personnes. Être neutre face à la violence, c’est en quelque sorte la valider comme une opinion parmi d’autres, alors que notre rôle est de garantir un espace démocratique et équitable.

image3.pngPeut-on établir un parallèle avec la remise en question de la neutralité en psychanalyse ou dans certaines approches thérapeutiques féministes ?

MP : Les chercheur·euses, les psychologues, les magistrat·es, les scientifiques… Toutes et tous s’interrogent sur la pertinence de cette exigence de neutralité, notamment dans des contextes où des rapports de pouvoir sont en jeu. Il serait sans doute très intéressant d’approfondir cette réflexion collectivement.

image3.pngEn tant que médiatrice familiale, vous exercez dans un Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, une association féministe. Comment, en tant que médiatrice, appréhendez-vous ce contexte particulier ?

MP : Cela influence profondément ma réflexion. D’ailleurs, mon questionnement sur la neutralité et l’impartialité vient directement de mon expérience dans cette association. On s’étonne parfois que je puisse exercer un métier censé être neutre au sein d’une structure perçue comme militante. Mais, selon moi, cela renforce mon dispositif de médiation plus que cela ne l’affaiblit. Cela me permet de déconstruire les biais qui peuvent influencer ma manière d’écouter les hommes et les femmes. Cela m’aide à garantir un espace d’échange réellement démocratique et égalitaire. En outre, cette approche me rend particulièrement vigilante aux risques de victimisation secondaire. Il s’agit de la manière dont les institutions prennent en charge les victimes et qui, parfois, peut aggraver leur détresse. Finalement, je trouve que mon travail s’insère parfaitement dans un CIDFF, qui prône l’égalité et la lutte contre les violences.

En dehors de ce cadre, parmi les autres médiateurs et médiatrices, j’ai néanmoins du mal à trouver un espace d’échange professionnel où discuter de stéréotypes de genre, d’inégalités femmes-hommes ou de violences conjugales. Par exemple, dire simplement « violences faites aux femmes » est perçu par certain·es collègues comme un manque de neutralité. Pourtant, ces réalités sont bien documentées.

image3.pngLorsqu’une médiation est ordonnée par un juge, les participant·es n’ont pas toujours choisi de s’adresser au CIDFF. Le fait que votre structure soit identifiée comme féministe entraîne-t-il des réticences, notamment de la part des hommes ?

MP : D'abord, la médiation ordonnée par un juge est marginale par rapport aux médiations spontanées. La plupart du temps, ce sont les familles qui me sollicitent d’elles-mêmes. Sur 100 dossiers, seuls 9 ou 10 concernent des médiations ordonnées par un juge, qui oriente alors les personnes vers une structure spécifique.

Il me semble que les magistrats et magistrates effectuent ces orientations de manière aléatoire, en désignant tour à tour différents opérateurs. Cela dit, je ne sais pas s’ils ont certains réflexes ou s’ils établissent un lien particulier entre le CIDFF et les situations de violences.

Ce qui est certain, c’est que, dans mon ressort, à Lille, il est aujourd’hui bien établi qu’en cas de violences, on n’oriente pas vers la médiation familiale.

image3.pngLa médiation, et particulièrement la médiation familiale, est directement issue de la philosophie du care, et en ce sens rattachée aux compétences du rôle féminin. À cet égard, être une médiatrice vous semble-t-il avoir une influence dans l’exercice de la médiation ?

MP : J’ai conscience des stéréotypes de genre et, bien sûr, ils m’affectent également en tant que femme. Cependant, j’essaie d’adopter une pratique qui prend le contre‑pied des stéréotypes : je ne me rattache pas à une approche basée sur le care ou l’émotionnel, mais plutôt sur la négociation raisonnée. Ce modèle a été développé dans les années 1980 par Fisher et Ury, deux chercheurs américains. Ce cadre conceptuel permet d’aborder la médiation comme un processus structuré, avec des principes et des techniques spécifiques. En trois ans d’expérience, aucune des personnes que j’ai reçues en médiation ne m’a jamais renvoyé à mon genre. Mon objectif est d’être équitable, quelle que soit la situation.

Il m’arrive, en revanche, d’entendre des discours selon lesquels les juges sont majoritairement des femmes. C’est particulièrement le cas lorsque les personnes évoquent leur parcours judiciaire antérieur. Comme j’interviens souvent en post‑sentenciel, c’est‑à‑dire après une décision de justice, il arrive que des pères, par exemple, estiment que le jugement leur a été défavorable parce que le juge était une femme. Mais ce n’est pas fréquent.

image3.pngL’essentiel des personnes que vous recevez en médiation familiale sont des couples hétérosexuels, des personnes dont les relations s’inscrivent dans une division genrée des rôles et du travail. Comment appréhendez-vous cette réalité sociale en médiation ?

MP : Effectivement, toutes les médiations que j’ai menées concernaient des couples hétérosexuels. J’aimerais à terme avoir la possibilité de développer ma pratique avec d’autres types de familles, car je pense qu’elles pourraient également bénéficier d’un accompagnement structuré dans la gestion des conflits. Mais, pour l’instant, cela reste une piste de réflexion.

Quant aux stéréotypes de genre, ils sont omniprésents, particulièrement en matière de parentalité. J’entends souvent des propos qui renvoient à des attentes traditionnelles sur ce qu’une mère doit être ou faire et ce qu’un père devrait représenter. Cela m’a amenée à me poser une question importante : dois‑je intervenir sur ces représentations genrées ?

Je crois que, en tant que médiatrice, mon rôle n’est pas d’interroger ces modèles, du moins pas directement. Les personnes ne viennent pas en médiation pour réfléchir aux stéréotypes de genre. Elles viennent avec des préoccupations urgentes : la résidence des enfants, la pension alimentaire, la répartition des responsabilités parentales, etc.

Sur ces points, ma posture est de valider tous les modèles familiaux. Le principe de neutralité m’aide alors à ne pas projeter mes propres attentes en matière de répartition des tâches domestiques. Prenons l’exemple de la résidence des enfants. Les demandes des mères que j’entends le plus souvent en médiation ne sont pas des demandes de résidence alternée, alors qu’on pourrait imaginer que les mères la sollicitent pour avoir une plus grande liberté dans leur vie professionnelle et personnelle. J’entends bien davantage une demande de résidence habituelle, fondée sur une sorte de principe de continuité. Beaucoup d’entre elles estiment, en effet, que, au sein du couple, elles ont assumé seules ou en grande partie la charge parentale, et ne comprennent pas pourquoi, au moment de la séparation, le père souhaiterait un autre mode d’organisation, ce qui leur semble profondément injuste.

Face à une telle situation, je commence par rappeler que toutes les options sont valables. La résidence habituelle des enfants chez l’un des parents – en l’occurrence la mère – est un modèle tout à fait légitime. La résidence alternée ne l’est pas moins. Ensuite, je les amène à réfléchir en posant des questions : en quoi cette organisation vous semble-t-elle aller dans l’intérêt de l’enfant ? comment pouvez-vous argumenter cette position face à l’autre parent ?

Mon rôle est d’ouvrir un dialogue qui permette une co‑construction d’un modèle de résidence, qui ne soit pas binaire (résidence alternée vs. résidence habituelle), mais adapté à chaque famille.

J’ai bien conscience que la résidence alternée peut être demandée pour des raisons diverses, qui ne sont pas toujours explicites. D’ailleurs, je ne peux pas connaître les intentions véritables des personnes que je rencontre. Mais je crois qu’en posant la question de l’intérêt des enfants, en demandant aux parents d’expliciter leurs arguments en faveur de telle ou telle modalité de résidence, les personnes expriment et interrogent leurs motivations. Ainsi, si la motivation principale du parent qui demande la résidence alternée est, par exemple, d’éviter le paiement d’une pension alimentaire, cette question crée généralement un blanc, car le parent n’est pas en mesure de fournir une justification construite. Néanmoins, je dois dire que personne n’a jamais exprimé ouvertement une volonté d’éviter de payer une pension alimentaire, si bien que je n’ai jamais eu l’occasion d’informer les personnes sur le fait qu’il s’agit d’un mythe, une pension alimentaire étant évidemment compatible avec une résidence alternée.

Poser ces questions permet de vérifier la disponibilité à la contradiction des personnes. Cela permet d’identifier un certain nombre de dérives, notamment si la médiation est instrumentalisée pour imposer un point de vue unilatéral, maintenir un contrôle sur l’ex-conjoint, etc.

image3.pngVous avez insisté sur la centralité de l’intérêt de l’enfant lorsqu’il s’agit de questions de résidence. Comment conciliez-vous cette exigence avec un engagement féministe ?

MP : Plus qu’un concept permettant de trouver un consensus, j’y vois un outil qui ouvre souvent la voie à des désaccords. Au départ, les parents ont souvent une perception divergente de ce qui est le mieux pour leur enfant. C’est pourquoi je complète souvent cette notion par une autre question : « Quels sont vos intérêts à vous, en tant que parents ? ». Il s’agit d’oser exprimer ses propres besoins et pas seulement de se cacher derrière la notion d’intérêt de l’enfant. Cela ouvre plus d’espace de négociation.

Prenons un exemple. Si un parent exprime uniquement qu’il souhaite une résidence alternée, il n’y a pas d’ouverture au dialogue. S’il précise qu’il aimerait cette résidence alternée parce que cela lui permettrait de passer du temps avec ses enfants mais aussi de pouvoir travailler, alors cela ouvre des marges de négociation.

Si l'on veut vraiment cerner l’intérêt de l'enfant, le mieux est encore de l'écouter directement. C'est l'occasion de lui dire : « Si tu souffres, tu mérites notre considération. Qu'est-ce qu'on peut faire pour toi ? ». Cela permet aussi de remobiliser les parents en partant de la parole de l'enfant, plutôt que d'une interprétation extérieure de son intérêt.

La pratique consistant à ouvrir l’espace de médiation aux enfants n’est pas majoritaire. Cependant, le CIDFF m’a soutenue dans le fait de proposer cette approche. Si un parent refuse ou si l'enfant se sent mal à l'aise, je ne vais pas plus loin. En revanche, si l'enfant et les parents sont d'accord, je rencontre l’enfant sans ses parents. Cela me permet de lui poser des questions sur son ressenti face à la séparation, d'évaluer son état émotionnel et même, parfois, de détecter des problèmes sous-jacents. L'objectif est aussi de recentrer les parents sur les droits et les besoins de leur enfant.

image3.pngAu titre des sujets de tension récurrents au sein des couples, vous avez surtout parlé de la résidence des enfants, mais vous avez aussi mentionné des questions financières telles que les pensions alimentaires et prestations compensatoires. Ressentez-vous sur ces points précis une exacerbation des rapports de pouvoir entre les ex-conjoints ?

MP : Les inégalités économiques entre les femmes et les hommes sont bien documentées, qu'il s'agisse des revenus ou du patrimoine. Mon expérience de terrain confirme ces statistiques : sur environ 300 dossiers que j'ai traités, une seule fois la mère gagnait plus que le père. J'intègre donc systématiquement la question de l'argent dans la médiation, afin d'éviter qu'elle ne soit évacuée par des phrases telles que « Elle n'a jamais manqué de rien », qui peuvent clore le débat plutôt que l'ouvrir.

Je suis souvent frappée par la réticence des femmes à demander une pension alimentaire. En trois ans, je n'ai jamais vu une femme arriver en disant : « J'ai fait des calculs et j'estime que ta contribution devrait être de tant, qu'en penses-tu ? ». Elles attendent généralement que le père propose, et ont du mal à refuser ou à exprimer clairement leurs besoins. Mon travail consiste à les aider à s'affirmer et à transformer cette discussion en un véritable débat équilibré.

Sur ce point, j’ai tendance à être proactive. Si le sujet ne vient pas spontanément, je l'introduis dès l’entretien individuel en demandant : « Souhaitez-vous également discuter de l'aspect financier ? Comment fonctionne votre organisation actuelle ? ». Si les mères me disent ne pas savoir comment s'y prendre, je leur explique les méthodes de calcul et l'importance d'avoir une idée claire avant d'entamer la négociation.

Mon objectif ici est d'aider chacun·e à être à la fois résolu·e et conciliant·e. Certaines personnes ne savent pas ce qu'elles veulent, et je les aide à clarifier leurs attentes et à affirmer leurs droits. D'autres, au contraire, doivent apprendre à entendre des points de vue différents et à accepter la contradiction.

À cet égard, j’ai observé des différences de genre dans la manière dont les intérêts sont affirmés. Les femmes ont souvent besoin d'être encouragées à exprimer leurs attentes, tandis que les hommes doivent parfois apprendre à écouter et à considérer les besoins de l'autre. Cela se retrouve notamment dans les discussions sur les pratiques éducatives, qui peuvent être source de tensions. Mon rôle est d'encourager un dialogue où personne ne disqualifie l'autre, afin d’aboutir à une discussion constructive et respectueuse.

image3.pngIdentifiez-vous des biais ou stéréotypes de genre dans d’autres formes de médiations familiales que celles qui concernent les couples séparés ?

MP : Dans les médiations entre parents et adolescents, qui représentent environ 20% de mes dossiers, j’observe plutôt des rapports de domination lié à l’âge.

image3.pngNous souhaiterions désormais aborder la question essentielle du traitement des violences. Les juges ne peuvent pas ordonner ou enjoindre de médiation dans ces cas. Il n’empêche que, en médiation spontanée, ou en médiation judiciaire lorsque la situation n’a pas été préalablement identifiée par le juge, vous pouvez y être confrontée. Comment gérez-vous ces situations ?

MP : Le repérage des violences est un enjeu majeur, mais il est parfois difficile de distinguer conflit et violence. Certaines familles parlent de « conflits » mais, en approfondissant, nous identifions des faits relevant du droit pénal. À l'inverse, certaines personnes considèrent comme « violent » le simple fait qu'on leur dise non. Il est essentiel de savoir identifier les infractions et les comportements inacceptables.

Je suis particulièrement vigilante aux violences verbales. Par exemple, si quelqu'un affirme : « Je l'ai insultée, mais c'est une salope », je ne peux pas laisser passer ce propos sans réagir. De même, pour des expressions comme « Il n'y a que la menace qui fonctionne avec elle » ou « J'ai dit que j'allais la tuer, mais ce n'était pas sérieux ». En médiation, nous apprenons à reformuler. Mais est-ce que tout est « reformulable » ? Tous les propos sont-ils valables ? Je ne le pense pas. On ne peut pas harceler, disqualifier. En médiation, nous devons éviter de tomber dans un relativisme où tout pourrait être débattu.

image3.pngComment abordez-vous la question de la confidentialité lorsqu’une situation de violence est identifiée ? Au-delà des violences verbales ou des rapports de domination exprimés par la parole, si vous découvrez des violences physiques ou des actes de harcèlement, c’est-à-dire des faits pénalement répréhensibles, comment agissez-vous ?

MP : Tout dépend de la manière dont la violence est révélée. Si une personne me confie avoir subi des violences, ma réaction est systématique : j’affirme clairement que ce n’est pas normal, que c’est grave. Je rappelle que la violence est un moyen de domination et qu’en conséquence, la médiation est inopérante et risquée pour elle.

En revanche, il arrive que ce soient les auteurs ou autrices de violences qui se confient. Ils peuvent dire : « Oui, je l’ai insultée, je l’ai poussée à bout, j’ai frappé sur sa voiture ». Dans ces cas-là, ma réponse est tout aussi ferme : « Ce que vous avez fait est grave. Vous n’aviez pas le droit. Cela a des conséquences sur la victime et sur les enfants. On ne peut pas négocier dans ces conditions ».

Si des violences sont révélées en cours de processus, par exemple si une personne me contacte entre deux séances pour me montrer des messages d’insultes, j’interviens immédiatement. Je rappelle à l’auteur que la violence anéantit toute possibilité de négociation et j’interromps la médiation. Dans ces situations, la confidentialité que j’assure en principe pour chacun ne tient plus.

Néanmoins, je ne crois pas que mon rôle disparaisse face à la violence. Je pense qu’en tant que professionnelle de la négociation et de la relation, je peux agir en nommant et en dénonçant les violences au sein de l’espace de médiation. Je peux également encourager la judiciarisation. À cet égard, j’ai la chance d’exercer dans une structure qui comprend des juristes spécialistes de ces questions, vers lesquelles je peux donc orienter les victimes potentielles.

Je n’ai jamais néanmoins signalé de violences aux autorités. Mais en réalité, dans notre structure, la question se pose davantage pour les collègues juristes, vers lesquelles je renvoie les victimes.

Il est plus difficile d’orienter les auteurs de violences, car les dispositifs d’accompagnement sont limités. En tant que médiatrice je peux toutefois tenter de faire comprendre aux personnes qu’il existe des alternatives à la violence. Pour ce faire, je m’appuie notamment sur les recherches de Linda Tromeleue, qui accompagne depuis vingt ans les auteurs de violences. Cela me permet aussi de ne pas me laisser piéger par les mécanismes de justification et de minimisation de la violence.

image3.pngEn janvier 2025, un nouveau référentiel de la Casse d’allocation familiale refuse le financement d’un processus de médiation dans le cas où des violences seraient alléguées. Cela revient à interdire les médiations dans les cas de violences. Que pensez-vous de ce nouveau référentiel ?

MP : Il a permis une prise de conscience au sein du milieu des médiateurs et médiatrices. Avant, on considérait en général que rien n’interdisait la médiation tant que les victimes donnaient leur accord. Certes, l’article 48 de la Convention dite « d’Istanbul » selon lequel les États parties prennent les mesures nécessaires pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits, y compris la médiation, en ce qui concerne toutes les formes de violence était connu des professionnel·les. Mais on estimait qu’il concernait les juges et leur interdisait d’ordonner une médiation familiale en cas de violences. Aujourd’hui, le référentiel CAF énonce une interdiction générale de la médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle. Les praticien·nes sont donc tou·te·s obligé·es de réfléchir à la distinction entre conflits et violences. C’est une avancée majeure.

image3.pngCette interdiction de poursuivre la médiation n’a-t-elle pas un coût social ? Si une violence est révélée lors du premier entretien individuel, vous devez immédiatement interrompre le processus. Cela signifie que l’autre membre du couple n’aura même pas son entretien individuel. N’y a-t-il pas un risque que cela aggrave la situation ?

MP : Pour moi, l’important est d’éviter la séance conjointe, qui serait trop risquée pour la victime et totalement inefficace. Lorsqu’une personne est prête à recourir à la violence pour imposer son point de vue, il est impossible d’ouvrir un véritable espace de négociation.

J’ai même l’impression qu’interrompre le processus fait gagner du temps. Ni les professionnel·les ni les familles ne s’investissent dans un processus voué à l’échec. Cela évite aussi des formes de victimisation secondaire. J’ai entendu des témoignages de personnes ayant souffert d’une médiation mal conduite, où elles se sont retrouvées piégées dans des situations traumatisantes. Il y a eu des cas où des violences ont eu lieu en séance, et où personne n’a réagi.

Pour ma part, j’ai toujours été critique quant à la possibilité de réaliser des séances conjointes dans un tel contexte. Les victimes sont évidemment attirées par l’idée d’un apaisement et de solutions acceptables, surtout pour leurs enfants. Elles souhaitent que les violences cessent, mais elles ont aussi peur de l’affirmer seules. Notre dispositif leur semble donc très attrayant. Cependant, il l'est tout autant pour les auteurs de violences, car, en l’absence de pouvoir décisionnel du médiateur ou de la médiatrice, c'est une occasion rêvée d’imposer son point de vue et de maintenir une forme de domination. Je trouve que nous ne sommes pas assez vigilant·es quant à l’attrait que suscite l’idée de médiation, de renforcement des liens familiaux et de recherche d’accords acceptables.

L’argument phare des personnes favorables à la réalisation de médiations dans ces contextes est que la médiation constituerait un espace d’empowerment pour les victimes. Une fois conscientes des violences subies, elles pourraient, avec l’aide d’un tiers, poser des limites, dire ce qu’elles n’ont jamais osé exprimer, et ainsi amorcer un processus de réparation. Cela ressemble d’ailleurs à ce que propose la justice restaurative.

Toutefois, je reste sceptique. J’attends de voir des femmes qui, effectivement, ont ressenti que notre dispositif pouvait servir à se reconstruire, à faire entendre leur point de vue et à se sentir reconnues après des violences. Jusqu’ici, les retours que j’ai reçus concernent plutôt des personnes traumatisées, retraumatisées, qui ne se sont pas senties entendues. Je pense donc qu’en contexte de violences les risques sont bien plus du côté de la médiation que de son absence.

image3.pngLa fascination pour la médiation est aussi institutionnelle. Il y a une tendance croissante à encourager la médiation familiale, même si des exceptions sont prévues pour les violences. On préconise que le juge se recentre sur son « cœur de métier », soit trancher les litiges plutôt que de gérer l’aspect relationnel. Ne pensez-vous pas que cette préférence pour la médiation participe à une dépolitisation des rapports familiaux, en renvoyant ces problématiques au domaine privé plutôt que judiciaire ?

MP : Tout dépend du point de départ. Si l’on considère que les questions familiales doivent rester dans la sphère privée, alors introduire un tiers extérieur, même un·e médiateur·ice, constitue déjà une forme de politisation de ces rapports. Mais si, au contraire, on choisit de renoncer à la judiciarisation au profit de dispositifs privés comme la médiation, alors on dépolitise ces questions.

Je suis plutôt favorable à la politisation des enjeux familiaux, notamment ceux liés à l’argent et aux pratiques éducatives. Je ne veux pas que la médiation serve à dépolitiser ces questions. Il y aurait un véritable travail de collaboration à développer entre les acteur·ices judiciaires et les professionnel·les de la médiation. Malheureusement, nous échangeons encore trop peu, en partie à cause des exigences de confidentialité qui limitent le travail en réseau. Il y aurait beaucoup à gagner à une meilleure collaboration.

image3.png C’est finalement la philosophie même de la médiation qui peut être interrogée dans le cadre d’une analyse de genre. Contrairement à une intervention judiciaire qui impose parfois une norme, la médiation repose sur le consensus. Ne risque-t-elle pas alors de perpétuer certaines inégalités de genre ?

MP : C’est une question essentielle. Les accords privés peuvent, en effet, reconduire des rapports de domination. J’essaie d’en être aussi consciente que possible, avec le peu de pouvoir dont je dispose en tant que médiatrice. Au demeurant, la judiciarisation n’est pas une garantie contre les inégalités de genre. La résidence alternée, par exemple, ne change pas nécessairement la répartition effective du travail parental. Les tâches domestiques et éducatives peuvent toujours être assumées majoritairement par les mères, voire déléguées à d’autres femmes comme les nouvelles conjointes ou les grand-mères.

En tant que médiatrice, j’essaie de créer un espace où les femmes puissent exprimer clairement leurs besoins et où les éventuels discours déloyaux ou sexistes sont remis en question. Contrairement aux magistrat·es, qui ont très peu de temps en audience, je peux me permettre ces discussions. Je n’ai pas le pouvoir d’imposer des changements, mais je peux ouvrir la réflexion et encourager des évolutions.

image3.pngPensez-vous qu’il existe un avenir pour une médiation familiale féministe ?

MP : Oui, j’ai de l’espoir. D’autres professions se questionnent aussi, comme la thérapie féministe ou la justice féministe. Des magistrates comme Gwenola Joly‑Coz réfléchissent à ces questions, et cela me donne du courage. Le CIDFF, par exemple, a créé un groupe de travail sur la médiation féministe. Nous voulons montrer en quoi notre pratique peut être intéressante et renforcer les dispositifs d’accompagnement des victimes.

Entretien réalisé par Julie Mattiussi, Marc Pichard et Maïté Saulier.