Le système juridique français face aux violences sexuelles : à propos de quelques tensions conceptuelles

Marc Pichard

















Résumé :

L’analyse des violences sexuelles comme expression de rapports de domination ne semble pas être restée sans influence sur le droit pénal français. Elle entre toutefois en tension avec d’autres paradigmes : le projet de révélation de la domination avec l’idéal universaliste, l’ambition de prise en considération des rapports de pouvoir avec le modèle libéral, l’horizon de l’émancipation des dominé·es avec le paternalisme. La première tension invite à une réflexion sur les exigences du principe d’égalité, la deuxième sur le périmètre acceptable des incapacités, la troisième sur le coût politique de la priorité donnée à la répression.

Mots clefs : Violences sexuelles et sexistes ; domination ; féminisme ; universalisme ; égalité ; consentement ; capacité ; paternalisme ; dignité ; vulnérabilité ; féminicide ; inceste ; prostitution ; circonstances aggravantes.

Abstract : The analysis of sexual violence as a form of domination has impacted French criminal law. However, it is also generating tension with other paradigms: the project of unearthing domination comes in tension with the universalist paradigm ; the ambition to take power relations into consideration with the liberal one ; and the horizon of emancipation of the dominated with the paternalist paradigm. The first tension invites reflection on the requirements of the principle of equality, the second on the acceptable scope of incapacities, the third on the political cost of the priority given to repression.

Keywords : Sexual violence ; domination ; feminism ; universalism ; equality ; consent ; paternalism ; legal capacity ; dignity ; vulnerability ; femicide ; incest ; prostitution ; aggravating circumstances.

  1. Si l’hypothèse avancée de « la soumission du gouvernement et des parlementaires [français] aux diktats des associations féministes » 1 semble, pour le moins, fragile2, on ne saurait nier la diffusion de plus en plus large en France d’analyses restées longtemps, sinon confidentielles, du moins confinées à des cercles militants, qui mettent au jour les liens existants entre rapports de domination et violences sexuelles.

    On songe au tout premier chef aux analyses portées par le féminisme communément qualifié de « radical », « fond[é] sur une structure conceptuelle marxiste reposant sur l’idée que la classe “homme” domine la classe “femme” par un lien de domination unilatéral fondé principalement sur l’exploitation sexuelle »3 - auxquelles #MeToo a incontestablement conféré une résonnance particulière mais que des textes internationaux avaient dès avant largement embrassées4.

    On songe aussi aux analyses selon lesquelles les rapports de domination s’exprimeraient également en matière de violences sexuelles à l’égard des enfants – et notamment au tout premier chef aux travaux de Dorothée Dussy, qui souligne le lien entre « système patriarcal » et inceste5 : « Chacun·e est imprégné·e au berceau des rapports de domination constitutifs des relations familiales, rapports dont l’inceste constitue un exercice érotisé »6, écrit-elle.

  2. L’influence de ces analyses des rapports sociaux en termes de domination sur l’évolution de la loi pénale applicable aux violences sexuelles a pu être revendiquée.

    Elle l’a été par certaines militantes. Ainsi, d’après Catharine MacKinnon, l’invention du harcèlement sexuel comme infraction serait le produit direct des théories et mobilisations du féminisme « radical » : « le harcèlement sexuel, en tant qu’acte, n’a pas été inventé par les féministes ; ceux qui le commettent le font sans aucune aide de notre part. Le harcèlement sexuel, en tant que recours légal – l’idée que la loi doit le considérer du point de vue des victimes – , est sans conteste une invention féministe. Les féministes ont été les premières à prendre suffisamment au sérieux l’expérience des femmes pour révéler le problème, le conceptualiser, et le poursuivre judiciairement »7.

    L’influence a également pu être revendiquée par des parlementaires. Ainsi lit-on dans les travaux préparatoires de ce qui allait devenir la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, notamment à l’origine de la pénalisation du « harcèlement de rue », finalement désigné dans la loi comme « outrage sexiste » (et sexuel)8 : « Je voudrais rappeler que les violences contre les femmes sont encore omniprésentes dans notre société, toujours empreinte de stéréotypes sexués continuant d’assigner aux femmes et aux hommes des rôles prédéfinis qui légitiment des rapports de domination inacceptables »9.

  3. C’est donc sans surprise que l’on voit la lutte contre les rapports de domination présentée comme une clef de lecture du droit positif. Synthétisant les évolutions contemporaines en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, Jimmy Charruau écrit : « Ces nouvelles incriminations – qui entendent plus directement lutter contre le sexisme – ne cherchent donc pas tant à protéger la victime elle-même qu’à assurer le respect d’un ordre social détaché de toute idée de domination. Le législateur promeut en ce sens une nouvelle forme de moralité publique, régulatrice d’une société débarrassée des rapports inégalitaires de pouvoir »10.

  4. Le nouveau paysage qui se dévoile révèle-t-il, toutefois, une acculturation réelle des analyses des rapports sociaux en termes de domination dans le droit français des violences sexuelles ? Pour dessiner quelques pistes de réponse, une approche résolument théorique est proposée. Approche théorique, d’une part, en ce qu’elle n’est pas empirique : il s’agit de travailler sur les énoncés du droit français, pas sur la mise en œuvre des normes qu’ils signifient. Approche théorique, d’autre part, en ce qu’il s’agit de mettre au jour comment, dans la fabrique de la loi française, l’analyse des violences sexuelles comme résultantes de rapports structurels de domination se heurte ou compose avec d’autres modèles théoriques, d’autres paradigmes - en somme, entre en tension avec eux,.

  5. Lutter par la loi contre la domination supposerait de la révéler, de la prendre en considération et de permettre aux dominé·es de s’en émanciper. Rapprocher un tel projet des dispositions du droit français et de la littérature française qui s’y rapporte invite à s’arrêter sur trois tensions conceptuelles : la tension entre le projet de révélation de la domination dans les mots de la loi et le paradigme universaliste (I) ; la tension entre le projet de considération pour les rapports de domination par éviction de la question du consentement et le paradigme libéral (II) ; la tension entre le projet d’émancipation de la domination et le paradigme paternaliste (III)11.

I. Révélation de la domination vs paradigme universaliste

  1. La question de la révélation des situations de domination dans et par les textes, en l’occurrence de droit pénal, à laquelle invite la fonction expressive de celui-ci, est en général saisie en termes de compatibilité avec le paradigme universaliste qu’imposerait l’égalité devant la loi. La tension entre « infractions de différenciation »12 et paradigme universaliste semble inévitable.

  2. En réalité, la domination que subiraient les enfants ne pose pas à cet égard de difficultés particulières, l’existence d’une protection spécifique des mineur·e·s n’étant jamais contestée au regard du paradigme universaliste. Certes, le Conseil constitutionnel a, en 2001, déclaré contraire à la Constitution l’article 222-31-1 du Code pénal tel qu’issu de la loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux, aux termes duquel « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Mais le texte n’a succombé qu’en raison de l’imprécision du périmètre des « membres de la famille ». Et le Conseil relève, précisément, qu’« il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux »13.

  3. En revanche, l’exigence universaliste interdirait de créer une infraction spécifique qui ne viserait que les comportements des hommes dont seraient victimes les femmes : l’égalité devant la loi imposerait la neutralité des énoncés normatifs quand la révélation de la domination supposerait tout au contraire de dire les inégalités réelles, les rapports de pouvoir vécus. Le débat s’est surtout cristallisé, en dehors du champ des infractions sexuelles, à propos du féminicide : « Si l’on pense de manière globale les violences faites aux femmes comme des violences spécifiques ayant un caractère discriminatoire et qui touchent les femmes parce qu’elles sont des femmes, ne faudrait-il pas qualifier juridiquement ces violences ? Et en particulier, l’expression la plus extrême de ces violences, le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme, ne devrait-il pas être qualifié de féminicide et bénéficier d’une reconnaissance en droit ? ». A la question ainsi posée14, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) répond négativement, en convoquant précisément le paradigme universaliste : « L’introduction du terme “féminicide” dans le code pénal ne semble pas opportun pour la CNCDH, dans la mesure où elle comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime »15. « Là réside la barrière semble-t-il infranchissable, qui empêche la reconnaissance pénale d’un crime féminicide autonome en France : ce terme sexo-spécifique se heurte à l’article 1er de la Constitution de 1958 »16 : cette exigence de neutralité formelle de la loi pénale est perçue comme insurmontable, comme semble également l’illustrer le traitement juridique des mutilations sexuelles17. Partant, la mobilisation de la fonction expressive du droit pénal pour mettre au jour les phénomènes de domination a, en France18, emprunté deux voies.

  4. La première méthode est celle qui a été employée notamment pour révéler l’existence de violences sexuelles au sein des couples. Pour combiner respect de l’égalité formelle et révélation d’un phénomène, c’est la voie de la création de circonstances aggravantes, neutres en termes de genre, qui a été privilégiée. Ainsi, pour dire l’existence du viol conjugal (au sens large), la technique mobilisée a été celle de la création de circonstances aggravantes lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le partenaire ou le concubin de la victime, la peine encourue passant alors de quinze à vingt ans de réclusion criminelle19. La méthode permet de saisir certains phénomènes de domination sans création d’asymétrie formelle. Révéler un phénomène ne passe pas alors par la visibilisation de sa dimension genrée au stade de l’énonciation de la règle : ce n’est qu’au stade de son application que, à travers la mobilisation de la circonstance aggravante, le phénomène sera rendu visible. En dehors du viol conjugal, la méthode est également utilisée par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Pour saisir le « sexisme », le texte modifie l’article 132-77 du Code pénal qui dispose, dans la perspective classique de neutralité des énoncés juridiques : « Lorsqu'un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l'une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé […] »20.

    Le compromis trouvé entre révélation de la domination et respect du paradigme universaliste consiste donc à créer des circonstances aggravantes qui, si elles sont formellement neutres, ont vocation à s’appliquer (quasi-)exclusivement à des actes commis par des hommes sur des femmes.

  5. La seconde méthode explorée réside dans la mobilisation d’un concept qui dit la domination sans pour autant être formellement excluant. C’est ce qui se donne à voir avec l’agissement « sexiste », élément constitutif du harcèlement sexuel : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste […] »21. Rien ne dit alors, formellement, que l’acte ne pourrait être accompli que par des hommes à l’encontre de femmes ; mais on peine à identifier dans quelles hypothèses la « connotation sexiste » pourrait être mobilisée par des hommes victimes. Un comportement est pénalisé, sous une forme apparemment neutre, et donc formellement universaliste, même si la raison d’être de l’infraction est sexospécifique et si, à l’évidence, son application est appelée à l’être.

    Comme à propos de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, l’universalisme peut ne sembler que très formel22 ; mais, précisément, formellement, l’égalité devant la loi serait ainsi préservée.

  6. La tension entre, d’une part, paradigme universaliste, d’autre part, projet de révélation des logiques de domination, semble donc pouvoir être dépassée par les méthodes ainsi explorées. Toutefois, le refus de créer des infractions dont l’énoncé sexospécifique - ce que ne sont pas le « sexisme » et ses dérivés23 - dirait explicitement la domination n’est pas toujours sans incidence en termes d’égalité non plus formelle, mais réelle. En somme, il n’est pas seulement question de forme mais de projets normatifs distincts.

  7. Car le recours aux circonstances aggravantes pour mettre au jour les phénomènes de domination a, par hypothèse, un effet substantiel : l’aggravation de la peine. Pour révéler que quelque chose de spécifique existe, il conduit à dire que le comportement est plus grave qu’un autre matériellement identique mais qui ne s’inscrirait pas dans un système de domination à révéler ; l’auteur d’une infraction commise dans un contexte de domination est exposé à des peines plus lourdes que lorsque ce contexte est absent. L’exigence de neutralité formelle conduit donc à un résultat qui, si les engagements internationaux de la France semblent y inviter24, peut sembler paradoxal en termes d’égalité devant la loi : c’est parce qu’on ne veut pas dire la spécificité au nom de l’égalité que les auteurs encourent, théoriquement, de plus lourdes peines. Si l’égalité formelle est préservée, c’est donc au prix de l’apparition d’une inégalité substantielle.

  8. Une autre solution, pourtant, existe : créer des infractions spécifiques, des dénominations spécifiques, sans aggravation de la peine. Il s’agirait, en d’autres termes, de dupliquer sans aggraver. La méthode conduirait à une rupture formelle de l’égalité (certaines infractions seraient sexospécifiques) sans rupture substantielle de celle-ci (la même peine serait encourue en présence de l’infraction sexospécifiée et de l’infraction générique). Parce que les hommes auteurs d’infractions sur des femmes s’exposeraient aux mêmes peines que les femmes autrices d’infractions sur des hommes, on voit mal comment cette voie pourrait être condamnée au nom de l’égalité. Mais elle suppose que le projet normatif ne soit que de révélation de la domination et pas de surpénalisation25.

  9. En somme, la tension conceptuelle existe si le projet est de punir plus sévèrement – ou du moins de faire encourir de plus lourdes peines ; elle se dissipe s’il ne s’agit que de dire la spécificité – et la décision du Conseil constitutionnel relative à l’inceste établit que le garant de la Constitution ne serait pas nécessairement opposé à une telle option.

II. Considération pour les rapports de domination vs paradigme libéral

  1. À propos des rapports sexuels intrafamiliaux, Raphaëlle Théry écrit : « C’est bien parce que le droit pénal français a rejeté le moralisme au nom d’une approche libérale qu’il a expulsé l’inceste de son giron, mais cette expulsion indue se fonde sur le rôle excessif donné à la notion de consentement oblitérant la spécificité pénale de l’inceste ». « L’approche libérale repose sur une présomption générale de licéité des relations sexuelles consenties. Ne s’intéressant qu’à l’inceste intime, le libéral fait valoir a contrario que seul l’inceste non consenti peut faire l’objet d’une incrimination légitime »26. Le paradigme libéral supposerait ce que l’autrice qualifie d’approche « consentementiste »27 selon laquelle, en matière de sexe, dès lors qu’il y aurait consentement, il ne saurait y avoir de réaction de l’ordre public.

  2. Immédiatement, une première objection vient à l’esprit : en principe, le consentement de la victime est indifférent en droit pénal français28. En somme, le libéralisme qui s’exprimerait à travers cet attachement au consentement ne saurait, en réalité, constituer un principe de régulation de notre société. L’auteur d’un homicide n’est pas moins susceptible d’être poursuivi parce que la victime y aurait consenti.

    L’objection n’est pas sans réplique, de deux ordres. D’une part, d’un point de vue interne au paradigme libéral, l’autonomie personnelle devrait pouvoir se déployer lorsque sont en cause les choix de l’individu sur son propre corps29 et, précisément, imposerait, notamment, la dépénalisation du suicide assisté, au nom du principe de non-nuisance – non harm principle - de John Stuart Mill. D’autre part, et d’un point de vue plus général, il paraît difficile de faire totalement abstraction de la question du consentement ou de la volonté en matière sexuelle, la plupart des pratiques en cause supposant contacts voire pénétrations qui n’ont pas d’équivalent dans le reste du monde social. Le consentement resterait donc inévitablement la « pierre angulaire »30 du système normatif entourant les violences sexuelles.

    Cette centralité du consentement dans le paradigme libéral entrerait en tension radicale avec une analyse en termes de domination qui consiste à remettre en cause la possibilité même, la validité ou la portée de certains consentements apparents31.

  3. La question de la prise en considération des rapports de domination n’est pas propre au droit pénal. En droit civil, lorsque certaines situations de domination sont identifiées, et quand bien même elles ne seraient pas vérifiées dans un cas particulier, des incapacités de jouissance spéciales sont posées. Ainsi, en matière de libéralités, le mineur de seize ans ne peut pas disposer de ses biens à titre gratuit32 ; ou encore, les membres des professions médicales qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait prises en leur faveur pendant le cours de celle-ci33. Ce faisant, l’activité de transmission des biens à titre gratuit n’est pas, dans sa généralité, désignée comme illégitime ou dangereuse et donc à prohiber. Mais, en présence de situations structurelles de domination, on ne permet pas à certaines personnes d’y accéder, en excluant purement et simplement tout débat sur leur consentement. Le paradigme libéral du consentement est alors supplanté par le paradigme de la capacité.

  4. C’est finalement un mode de résolution assez proche de la tension que l’on constate dans la législation pénale contemporaine s’agissant des viols sur mineurs ou de la prostitution34 : éviction de tout débat sur le consentement en raison de la situation de domination relative à une activité considérée par ailleurs et en général positivement – à savoir l’activité sexuelle.

    La loi du 21 avril 202135 a ainsi évincé toute exigence de preuve d’une absence de consentement, c’est-à-dire, selon l’approche traditionnelle du droit français, de violence, contrainte, menace ou surprise, au nouvel article 222-23-1 du Code pénal, quand un « acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou [un] acte bucco-génital [est] commis par un majeur sur la personne d'un mineur de quinze ans ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans ». « Ce n’est pas là une présomption de non consentement du mineur victime qui est orchestrée […] mais bien un abandon de la notion même de consentement et des adminicules menant implicitement à lui dans la rédaction de l’incrimination »36. Ce qui a pu être qualifié de « non-consentement statutaire »37 est, fondamentalement, une incapacité.

    La question du consentement est également évincée par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. L’intitulé de la loi est révélateur. La prostitution est conçue comme constitutive d’un système – entendre : d’un système de domination. Partant, le recours aux services d’une prostituée est en lui-même une infraction, indépendamment de toute prise en considération du consentement de la personne concernée38. Car, nécessairement, du fait même de domination des hommes sur les femmes, les personnes prostituées seraient des « victimes de la prostitution » - elles sont ainsi désignées, à plusieurs reprises, et notamment dans les dispositions du chapitre 2 de la loi. Quoi qu’elle en pense, quoi qu’elle en dise, la personne prostituée serait une victime car le système prostitutionnel, en lui-même, une violence. La situation de domination est irrémédiablement posée, le paradigme libéral balayé. Comme l’écrit Daniel Borillo, pour le déplorer, « en permettant d’esquiver la notion essentielle de “consentement”, le concept de “système” fait émerger un consensus pour lutter contre la prostitution. Comme il s’agit d’un système, le choix n’a pas d’importance : tout devient contrainte »39.

  5. La technique a des vertus – de simplicité. Elle s’expose toutefois à des contestations, en termes de mesure, d’une part, en termes de cohérence, d’autre part.

    D’une part, parce qu’elle entre frontalement en tension avec le paradigme libéral, la technique de l’incapacité doit composer avec une exigence juridique de mesure. Au risque de persister dans une analogie qui n’est pas sans limites40, on soulignera ainsi qu’une des dispositions instaurant une incapacité spéciale de recevoir et donc de disposer a été censurée par le Conseil constitutionnel le 12 mars 202141. Était en cause un texte du Code de l’action sociale et des familles à portée très générale, l’article L. 116-4, qui conduisait notamment à « interdire aux personnes âgées de gratifier ceux qui leur apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile »42. Le dispositif est abrogé : sa généralité conduit à l’appliquer dans des hypothèses trop nombreuses pour que le risque de captation, consécutif à un rapport de domination voire d’emprise, soit avéré. Le paradigme libéral ne semble pouvoir être écarté que face à des situations de domination structurelles suffisamment étayées pour convaincre les gardiens des libertés de la légitimité de l’éviction du critère du consentement43.

    D’autre part, le recours à la technique de l’incapacité s’expose particulièrement à une contestation en termes d’exigence politique de cohérence. À cet égard, un contraste est saisissant : la différence de traitement juridique entre la prostitution et la pornographie. Dans une logique de domination, dans une logique de classes, la prostituée et l’actrice de films pornographiques se trouvent dans des situations a priori extrêmement semblables44. « Pour les féministes, la pornographie est une forme de sexualité imposée, la mise en pratique d’une politique sexuelle, une institution de l’inégalité de genre […]. Avec le viol et la prostitution, auxquels elle contribue, la pornographie institutionnalise la sexualité de la suprématie masculine, qui fait fusionner érotisation de la domination et de la soumission et construction sociale des hommes et des femmes »45. Or, d’un côté, si les mêmes rapports structurels de domination sont en cause, des traitements juridiques analogues devraient s’imposer et la production et la diffusion de films pornographiques être pénalisées, comme l’est le recours à prostitution ; d’un autre côté, supposer la domination de toutes les actrices de films pornographiques comme de toutes les prostituées et, ce faisant, étendre le périmètre des privations de droits, « capacités » ou « aptitudes » expose les dispositifs eux-mêmes à la contestation voire à la censure46.

  6. La mobilisation – implicite - de la technique de l’incapacité, c’est-à-dire la neutralisation de la question du consentement, parce qu’elle gomme les faits, gomme les expériences, gomme les différences, ne peut donc probablement être qu’exceptionnelle. Face à la prise en considération des rapports de domination, le paradigme libéral plie mais ne rompt pas47.

III. Émancipation de la domination vs paradigme paternaliste

  1. L’œuvre importante accomplie en termes de lutte contre les violences sexuelles est-elle avant tout une œuvre d’émancipation de la domination, ou une œuvre de protection des plus faibles ? Si l’on admet qu’est paternaliste un dispositif juridique qui, au nom du bien de son destinataire, donne la priorité à la protection sur l’émancipation, au risque de remplacer une domination par une autre48, la question se pose de savoir si les lois adoptées en matière de violences sexuelles sont avant tout « émancipatrices » ou avant tout « paternalistes ».

  2. La frontière n’est pas évidente à cerner. Et, au fond, le débat pourra paraître vain. Il semble pourtant que la distinction n’est pas absolument inutile. Un détour aux lisières du sujet permet de l’illustrer, à travers le régime juridique des mariages forcés, qui impliquent bien souvent des violences sexuelles dès lors que le vice du consentement au mariage contamine sans doute le consentement aux relations sexuelles qu’en principe l’union suppose.

    Pour lutter contre ces mariages, la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a non seulement ajouté à l’article 180 du Code civil la précision selon laquelle « l'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage ». Elle a surtout modifié le régime de la nullité du mariage pour violence49 : jusqu’alors, en tant que vice du consentement, la violence, comme toute cause de nullité relative, ne pouvait être invoquée que par la victime du vice ; elle peut désormais l’être également par le ministère public. La protection des victimes est ainsi renforcée. Peut-on toutefois voir dans cette innovation un dispositif d’émancipation de la domination quand, au mariage imposé contre la volonté, pourrait répondre une annulation provoquée par un tiers, sans nécessité de recueil de l’assentiment de la victime ? Le doute est permis tant l’émancipation ne semble pas pouvoir se concevoir sans participation du sujet à son affranchissement de la domination.

  3. La tension conceptuelle illustrée, il convient de se demander si le droit contemporain de lutte contre les violences sexuelles relève plutôt du paradigme de la protection ou plutôt du paradigme de l’émancipation. Une analyse lexicale des textes et de leurs travaux préparatoires suggère la prédominance du premier sur le second.

  4. Au premier chef, non seulement dans les travaux parlementaires mais dans les textes normatifs eux-mêmes, le combat contemporain contre les violences sexuelles n’est pas principalement mené au nom de la lutte contre le patriarcat ou de la remise en cause des rapports sociaux de sexe, mais au nom de la « dignité ». Les exposés des motifs des projets ou propositions de loi y font quasiment tous référence, en principe dès leurs premiers mots50. L’association de la lutte contre les violences, notamment sexuelles, à la protection de la dignité des femmes déborde du reste parfois des travaux préparatoires pour s’inscrire dans les textes eux-mêmes, par exemple à l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui évoque, parmi les éléments de la politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes, les « actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité »51. Plus encore, puisque la portée normative du texte est plus évidente, le harcèlement sexuel est défini à l’article 222-33 du Code pénal comme « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Certes, le harcèlement est, précisément, une infraction qui saisit l’abus d’un rapport de domination : « plus qu’une atteinte à la liberté sexuelle, c’est l’expression d’un rapport de pouvoir que le droit entend ici sanctionner »52. Cela étant, la référence à la dignité est-elle congruente à cette analyse ? S’il est permis d’en douter, c’est que le concept – certes, difficilement saisissable - de dignité renvoie essentiellement, en droit, à deux figures : la dignité statutaire ; la dignité de la personne humaine, qui elle-même est susceptible de deux approches53.

  5. La première, dignitas, est celle qui s’attache à une fonction et que vise notamment l’article 434-24 du Code pénal qui érige en infraction « l'outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l'envoi d'objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi ». On préfèrera supposer cette acception étrangère à la mobilisation de la dignité dans les discours du droit et sur le droit relatifs aux violences sexuelles. L’inverse supposerait en effet que les femmes ne soient protégées qu’en raison d’une fonction qui leur serait à toutes commune – la vocation à la maternité ? – et dans la mesure de l’adéquation de leur comportement ou de leur mode de vie à la fonction attendue d’elles. Protéger la dignité des femmes serait alors protéger les seules femmes jugées « dignes » – on s’éloignerait alors radicalement d’un programme d’émancipation féministe…

  6. Bien plutôt, la dignité mobilisée serait donc la dignité de la personne humaine, qui irrigue le droit contemporain de manière plus significative. Mais cette mobilisation est elle-même ambivalente. Matrice des droits de l’homme, et notamment de l’exigence d’égalité et de non-discrimination, et à ce titre susceptible d’être opposée par la personne à des tiers54, la dignité de la personne humaine est aussi « une qualité opposable à l’homme par des tiers »55, en quoi réside sa fondamentale ambiguïté56. Partant, elle pourra tantôt sembler conforme à une ambition émancipatrice, tantôt orthogonale à celle-ci – dès lors que l’on admet qu’il n’y pas d’émancipation véritable sans égard pour la volonté du sujet. Hors le droit des violences sexuelles, quand l’article L. 823-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aggrave les peines encourues en cas d’aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers lorsque les faits « ont pour effet de soumettre les étrangers à des conditions de vie, de transport, de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité de la personne humaine », c’est bien l’égal respect dû à tous les êtres humains qui est visé. Mais la règle s’applique indépendamment de toute considération pour la volonté de la victime. S’il s’agit de la protéger, ce n’est pas nécessairement elle qui oppose sa dignité à des tiers : son éventuelle renonciation à ses droits est indifférente ; son éventuelle opposition aux poursuites tout pareillement. En somme, la mobilisation de la dignité de la personne humaine en droit pénal ne renvoie pas nécessairement à un projet émancipateur, dès lors que, en droit, la dignité de la personne humaine n’est pas toujours opposée aux tiers par le sujet lui-même - qui se constituerait partie civile - mais peut l’être par un autre tiers - le Ministère public - et, plus encore, qu’elle peut être opposée à la personne elle-même, notamment à celle qui se conçoit comme une travailleuse du sexe, contre sa propre perception de sa volonté et de ses intérêts57. Au-delà, la dignité de la personne humaine est, par hypothèse, un concept étranger à une analyse en termes de classes – et donc de domination.

  7. L’analyse lexicale conduit par ailleurs à constater les références récurrentes à la vulnérabilité dans les textes relatifs aux violences sexuelles.

    Le lien est ancien. L’expression « personne vulnérable » apparaît en effet en droit français en tant que circonstance aggravante du viol, avec la loi du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs58. Ainsi réformé, l’article 332 du Code pénal d’alors disposait, en son alinéa 3 : « Le viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans [au lieu de cinq à dix ans] lorsqu’il aura été commis soit sur une personne particulièrement vulnérable en raison d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale, soit sur un mineur de quinze ans, soit sous la menace d’une arme, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle ou encore par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ».

    On retrouve la vulnérabilité dans ce même emploi à l’actuel 3° de l’article 222-24 du Code pénal, relatif aux circonstances aggravantes du viol, ou au III, 3°, de l’article 222-33 du même code, relatif aux circonstances aggravantes du harcèlement sexuel, qui visent ceux « commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l'auteur ». Depuis la loi du 3 août 2018, les deux textes visent désormais également, respectivement en leur 3° bis et III 4°, « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de [l]a situation économique ou sociale [de la victime] […] apparente ou connue de l'auteur »59. Pour sa part, l’article 222-30-1 pénalise « le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle », et aggrave la peine encourue « lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable ».

    La vulnérabilité peut aussi permettre de caractériser un élément constitutif de l’infraction : ainsi l’article 222-22-1 du Code pénal, relatif aux agressions sexuelles, dispose-t-il en son alinéa 3 : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

  8. Que s’agit-il alors de dire en convoquant la figure de la personne vulnérable ? Sans doute, la vulnérabilité du droit pénal ne renvoie-t-elle pas à la commune fragilité de la condition humaine : ce sont des vulnérabilités spécifiques qui sont alors saisies. De quel ordre sont-elles ? Pour l’essentiel, et historiquement, il s’agit de fragilités intrinsèques à la personne, dues à son âge, à sa maladie, etc., saisies de manière décontextualisée, non située, indépendamment des causes sociales de la fragilité. Certes, la loi de 2018 invite a priori à une autre analyse, qui vise désormais « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de [l]a situation économique ou sociale ». Si la dimension sociale de la vulnérabilité est ainsi saisie, sa nature n’est pas pour autant remise en cause : en droit pénal, « la vulnérabilité trouve toujours sa cause dans une faiblesse antérieure à l’atteinte subie (voir Code pénal “due à”) ; cette faiblesse peut être de nature physique, psychologique, sociale ou politique »60 ; elle renvoie à « la très grande fragilité de la personne, liée à des éléments intrinsèques (âge, état physique ou psychique) ou extrinsèques (situation de dépendance, de subordination) »61. Dans le droit pénal des violences sexuelles, la vulnérabilité, même sociale, réfère à la personne de la victime, à sa faiblesse, à ses fragilités, à ses prédispositions62 particulières. Centrée sur la personne de la victime, la vulnérabilité, pour l’essentiel, laisse dans l’ombre la dimension structurelle des violences sexuelles ; visant, même lorsque sont en cause des facteurs extrinsèques à la personne, une situation individuelle appelant une protection renforcée, elle n’entend pas saisir les rapports de classe – et notamment de classes de sexe.

  9. Il ne s’agit pas de déplorer la prise en compte des vulnérabilités en matière de violences sexuelles. Il s’agit simplement de relever que le registre lexical privilégié dans les discours du droit et sur le droit – dignité, vulnérabilité - est parfaitement congruent au paradigme paternaliste mais infiniment moins à une ambition émancipatrice. En soi, cette congruence lexicale n’est pas anodine : la terminologie n’est jamais politiquement neutre car jamais sans effet sur les représentations. Au-delà, c’est la question du programme normatif qui est en cause : si l’un n’est pas exclusif de l’autre, un programme normatif de protection n’est pas un programme normatif d’émancipation entendue comme libération par le sujet lui-même de rapports structurels de domination63. On soutiendra qu’une telle ambition émancipatrice n’est ni à la portée du droit pénal, ni même conforme à sa fonction – défendre la société. On relèvera que, en général, hors l’importante exception des infractions de presse, la mise en œuvre de l’action publique n’exige pas le consentement de la victime de l’infraction et que, en particulier, la prise en compte des rapports de domination pourrait, précisément, justifier une indifférence à la volonté d’une victime prise dans des structures de pouvoir qui la dépassent64. Il ne s’agit pas ici de le contester mais de souligner la priorité donnée à l’ambition de réprimer – serait-ce pour protéger – sur l’ambition d’émanciper.

  10. Car l’étude des tensions conceptuelles qui traversent la matière donne finalement à voir que si le législateur a égard aux rapports de domination, c’est essentiellement pour aggraver – du moins dans les mots du droit – la pénalisation. Ainsi, l’éviction du paradigme « consentementiste », qui peut certainement être lue comme une prise en considération des rapports de domination, permet de favoriser les poursuites et la répression. Inversement, l’impossibilité prétendue de faire une place en droit français à des infractions sexospécifiques pour dire la domination ne s’explique que parce que distinguer sans aggraver n’a pas même été envisagé. Les paradigmes qui entrent en tension avec la lutte contre la domination peuvent céder lorsqu’ils entravent l’aggravation de la pénalisation ; ils résistent quand ils la permettent.

Marc Pichard, Professeur de droit privé, Université Paris Nanterre, CEDCACE


Références


  1. Anne-Marie Le Pourhiet, « Les féminismes et les principes constitutionnels », Constitutions 2019, p. 493 et s., p. 500.↩︎

  2. V. Diane Roman, « Droit et féminisme : les hésitations du Parlement français », Pouvoirs 2020/2, no 173, p. 27 s.↩︎

  3. Marie-Claire Belleau, « Les théories féministes : droit et différence sexuelle », RTD civ. 2001.1, spéc. p. 18. Adde Ilaria Simonetti, Vo « Violence (et genre) », in Juliette Rennes dir., Encyclopédie critique du genre, 2e éd., La Découverte, 2021, p. 830 : « L’expression “violence de genre” désigne l’ensemble des violences, qu’elles soient verbales, physiques ou psychologiques, interpersonnelles ou institutionnelles, commises par les hommes en tant qu’hommes contre les femmes en tant que femmes, exercées tant dans les sphères publique que privée. Dans cette définition, communément partagée par la plupart des travaux féministes, c’est la donnée structurelle, liée aux rapports de domination des hommes sur les femmes, qui est mise en avant ».↩︎

  4. V. not. le préambule de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul », du 11 mai 2011, dans lequel les États parties « reconnaiss[e]nt que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation ; […] que la nature structurelle de la violence à l’égard des femmes est fondée sur le genre, et que la violence à l’égard des femmes est un des mécanismes sociaux cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes ».↩︎

  5. Dorothée Dussy, « L’institution familiale et l’inceste », Mouvements, 2015, vol. 2, n° 82, p. 76. Raphaëlle Théry souligne que ces analyses permettent de saisir « l’inceste réel » (Raphaëlle Théry, « L’inceste, centaure du droit pénal », in Caroline Duparc et Jimmy Charruau dir., Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2021, p. 33 et s., n° 16, p. 42 : « L’hypothèse de l’ordre social, largement féministe, procède donc d’un recentrement sur la nature de l’inceste réel : si la modalité quasi exclusive de réalisation de l’inceste est celle de viols commis dans une très large majorité par des hommes sur des mineurs au sein de la famille, alors l’inceste n’est pas séparable du système patriarcal dans lequel il prend place et qui l’autorise »). L’autrice estime toutefois qu’« il est impossible de réduire l’analyse à cette dimension, ne serait-ce que parce que, bien que cela soit largement moins répandu, il existe des femmes incestueuses, ce qui a d’ailleurs causé la gêne des associations féministes vis-à-vis de l’inceste dans les années 90 » (note 48, p. 42).↩︎

  6. Dorothée Dussy, « L’institution familiale et l’inceste », préc., p. 77. Sur la domination subie par les enfants, v. Christine Delphy, « L’état d’exception : la dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée », [1995], reproduit in L’ennemi principal, 2. Penser le genre, 3e éd., Syllepse, 2013, p. 169 et s. ; Tal Piterbraut-Merx, « Doit-on protéger les enfants ? Les voies de la domination adulte », Revue du Crieur, 2020, n° 15, p. 106 et s., spéc. p. 112 : « Les enfants ne sont pas maltraités parce qu’ils sont naturellement faibles, mais en raison de la légitimation du statut de minorité. Seulement, nous sommes tellement habitué·e·s à adopter le raisonnement inverse que l’ampleur de la domination du groupe adulte sur le groupe enfant passe inaperçue ».↩︎

  7. Catharine A. MacKinnon, « Harcèlement sexuel », in Le féminisme irréductible. Discours sur la vie et la loi, éd. Des femmes-Antoinette Fouque, 2020 [2005], p. 143 s., p. 144.↩︎

  8. C. pén., art. 621-1, créé par l’art. 15 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; l’incrimination, désormais qualifiée d’« outrage sexiste et sexuel », a été déplacée à l’article 222-33-1-1 du même code, et ses termes modifiés, par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.↩︎

  9. Marie-Pierre Rixain, in Assemblée Nationale, Rapport n° 938 au nom de la commission des lois sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes par Alexandra Louis, 10 mai 2018, p. 35. Que le projet de la loi en cause prenne la mesure des rapports de domination est toutefois contesté par d’autres parlementaires. V. les déclarations de Clémentine Autain, ibid., p. 44 : « Pour ma part, je trouve l’exposé des motifs de ce texte assez indigent : il ne prend absolument pas la mesure de l’ampleur sociale, historique et politique du viol. Les violences sexistes et sexuelles n’arrivent pas de nulle part ; elles s’inscrivent dans un processus de rapports de domination. Elles constituent l’acte ultime, sorte de point d’orgue de la domination masculine sur l’ensemble de la société ».↩︎

  10. Jimmy Charruau, « Des violences sexuelles aux violences sexistes ? Essai d’analyse d’un mouvement normatif », in Caroline Duparc et Jimmy Charruau dir., Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, op. cit., p. 57 et s., p. 82.↩︎

  11. Le présent article est issu d’une communication présentée à Lyon le 4 mars 2022, dans le cadre du colloque « REPAIR. Violences sexuelles : changer les représentations, repenser la prise en charge », organisé par Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti.↩︎

  12. Sur cette proposition de qualification, v. Maxime Lassalle, « La critique du droit pénal symbolique », Archives de politique criminelle, 2023, n° 45, p. 267 et s., spéc. p. 274 : « L’objectif est d’identifier des victimes, et de reconnaître le statut de personne ou de chose protégée, voire vulnérable ».↩︎

  13. Cons. const.,16 septembre 2011, n° 2011-163 QPC, cons. 4 : « Considérant que, s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, […] la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution ». Le texte sera « rétabli » par l’article 44 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, avant que le contenu de l’article 222-31-1, à nouveau abrogé, soit déplacé par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste à l’article 222-22-3 aux termes duquel : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par : 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité à l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait ».↩︎

  14. CNCDH, Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides, 26 mai 2016, p. 15.↩︎

  15. Ibid., p. 21.↩︎

  16. Amélie Bescont et Taiana Marcon, « Comment pénaliser le féminicide en France ? Un débat juridico-politique », in Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud, Ludovic Gaussot, Marie-José Grihom, Laurie Laufer et Beatriz Santos, dir., On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités, Hermann, 2019, p. 207 et s., p. 221. Adde p. 209-210 : « Le législateur avait par ailleurs envisagé d’introduire le terme de féminicide, en ce qu’il désigne expressément le meurtre d’une femme en raison de son sexe. Bien que cette dénomination ait pour avantage de mettre l’emphase sur la particularité de ces meurtres, sa sexo-spécificité semble incompatible avec l’universalisme républicain ». Rappr. Laurence Leturmy, « Féminicide en France, que dit le droit ? », Ibid., p. 199 : « Cette “neutralité” du droit pénal trouve sa source dans le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, principe-cadre à valeur constitutionnelle. Spécifier la répression en considération du mobile sexiste dans l’acte homicide s’y concilie. Consacrer une spécification genrée des atteintes à la vie s’y heurterait ».↩︎

  17. Plusieurs textes de droit français évoquent les mutilations sexuelles féminines (art. L. 121-1 et L. 312-16 du Code de l’éducation ou art. L. 522-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)), les mineures – au féminin – victimes de mutilations sexuelles (art. L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles) ou encore une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle (art. L.561-8 du CESEDA ; comp. art. L. 531-11 qui vise « une mineure de sexe féminin invoquant un risque de mutilation sexuelle, ou […] un mineur de sexe masculin invoquant un risque de mutilation sexuelle de nature à altérer ses fonctions reproductrices », à l’évidence pour exclure des mutilations sexuelles la circoncision). Mais le Code pénal évoque pour sa part « les atteintes ou mutilations sexuelles […] infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique » (art. 226-14 du Code pénal), « le fait de faire à un mineur des offres ou des promesses […] afin qu'il se soumette à une mutilation sexuelle » ou encore l’incitation « à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d'un mineur » (art. L. 227-24-1 du Code pénal ; la formulation au masculin se retrouve logiquement à l’article 706-47 du Code de procédure pénale qui renvoie à l’art. L. 227-24-1 du Code pénal). Pour une comparaison avec le droit pénal belge, v. Stéphanie Wattier, « La reconnaissance juridique du féminicide : quel apport en matière de protection des droits de femmes ? », Rev. trim. dr. h., 2019, n° 118, p. 323 et s., spéc. p. 335 et s. et not. p. 339-340 : « Les travaux préparatoires montrent que la création d’une infraction spécifique des mutilations génitales féminines doit se comprendre dans un contexte international – et notamment sous l’influence de plusieurs résolutions des Nations Unies et de la Convention d’Istanbul  –, ainsi qu’en raison de la portée symbolique de la création d’une telle infraction. Cet argument de l’influence internationale, de même que celui de la portée symbolique, nous semblent pleinement transposables au débat sur la consécration du fémi(ni)cide en tant qu’infraction spécifique ».↩︎

  18. Pour un panorama des droit étrangers, v. Stéphanie Wattier, « La reconnaissance juridique du féminicide : quel apport en matière de protection des droits de femmes ? », préc., spéc. p. 327 et s. ; Bernadette Aubert, « Le féminicide et autres violences à l’égard des femmes. Droit international et droit nationaux », in Lydie Bodiou et al., dir., On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités, préc., p. 73 et s.↩︎

  19. Art. 11 de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, ajoutant un 11e à l’art. 222-24 du Code pénal.↩︎

  20. Art. 171 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, modifiant l’article 132-77 du Code pénal, portant circonstances aggravantes générales des crimes et délits. Ce faisant, la loi fait sienne les préconisations de la CNCDH (Avis préc., p. 22-23 : « L’introduction d’une circonstance aggravante pour un meurtre commis à raison du sexe ou de l’identité de genre ne saurait méconnaître le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, dès lors qu’elle ne viserait pas l’identité de la victime mais la motivation sexiste de l’auteur des faits »).↩︎

  21. C. pén., art. 222-33.↩︎

  22. V. not. Cons. const., 7 octobre 2010, n° 2010-613 DC, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public : le Conseil y décide de lui-même d’examiner la conformité du texte, formellement neutre, au troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » (cons. 3). Il souligne que le législateur a « estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatibles avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité » (cons. 4). Derrière la neutralité formelle du dispositif, sa sexospécificité de fait est ainsi mise au jour.↩︎

  23. En ce sens, v. Diane Roman, « Conclusions. Violences à l’encontre des femmes : la loi du genre », in Stéphanie Wattier dir., Les violences de genre au prisme du droit, Larcier, 2020, p. 313 et s., p. 324 : « L’incrimination du sexisme […] protège théoriquement aussi bien les hommes que les femmes. Le choix de la neutralité des énoncés peut se comprendre du point de vue conceptuel, le principe d’égalité valant pour chacun et chacune. Mais le caractère genderblind de la loi bute sur une réalité genrée, qu’elle peine à refléter [nous soulignons] : statistiquement les victimes de sexisme sont bien les femmes, et quasi-exclusivement celles-ci ».↩︎

  24. V. l’article 46 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, intitulé « Circonstances aggravantes » : « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles ne relèvent pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction, puissent, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit interne, être prises en compte en tant que circonstances aggravantes lors de la détermination des peines relatives aux infractions établies conformément à la présente Convention : a. l’infraction a été commise à l’encontre d’un ancien ou actuel conjoint ou partenaire, conformément au droit interne, par un membre de la famille, une personne cohabitant avec la victime, ou une personne ayant abusé de son autorité […] ». La création d’une incrimination spécifique de féminicide ou de conjuguicide intégrant parmi ses éléments constitutifs la relation de domination et/ou la relation de couple, exposant aux mêmes peines que l’homicide volontaire, semblerait toutefois satisfaire les exigences conventionnelles.↩︎

  25. L’hypothèse ne semble jamais sérieusement explorée. V. not. CNCDH, Avis préc., p. 21 : « Juridiquement, la question qui se pose est de savoir s’il convient de modifier le code pénal pour y introduire le terme de “féminicide” ou seulement [nous soulignons] de reconnaître qu’un meurtre commis en raison du genre de la victime est sanctionné au titre des circonstances aggravantes ». L’aggravation de la peine semble présupposée : il s’agit simplement de savoir si elle devra passer par une infraction spécifique ou par des circonstances aggravantes d’infractions préexistantes. Rappr. not. Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), in Assemblée Nationale, Rapport d’information AN n° 3514 fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les violences faites aux femmes par Pascale Crozon, 17 février 2016 : « Sur le féminicide, nous nous interrogeons. En effet, créer ce crime spécifique ne réglera pas la question des circonstances aggravantes pour les infractions autres que le meurtre. En outre, introduire ce crime spécifique ne présente un intérêt juridique que si les peines sont aggravées ». Comp. Laurence Leturmy, « Féminicide en France, que dit le droit », in Lydie Bodiou et al., dir., On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités, préc., p. 195 et s, spéc. p. 203, qui distingue deux arguments mobilisés en faveur de l’incrimination de féminicide. L’un d’ordre linguistique : « Il s’agit […] là de pénaliser pour désigner. L’enjeu est de vocabulaire, trouver le terme adéquat pour nommer, pour surqualifier. Appeler le meurtre d’une femme différemment de celui d’un homme pour intégrer la motivation sexiste poursuivie par l’auteur, à l’image de ce que le législateur a fait en parlant des agressions sexuelles “incestueuses” pour rendre compte du contexte familial dans lequel elles ont été commises » ; l’autre d’ordre « strictement répressif » : « Il s’agirait de pénaliser pour sanctionner, sous-entendu plus sévèrement. Incriminer spécifiquement le féminicide conduirait alors à prévoir des peines différentes, pour un même acte meurtrier, parce qu’il est commis à raison du sexe féminin de la victime ». L’autrice ne pose toutefois pas clairement que les deux arguments puissent correspondre à deux projets distincts.↩︎

  26. Raphaëlle Théry, « L’inceste, centaure du droit pénal », préc., p. 43.↩︎

  27. Ibid., p. 45. Pour une rupture avec ce paradigme, v. Catherine Le Magueresse, Les pièges du consentement, ed. iXe, 2021.↩︎

  28. V. not. Caroline Hardouin-Le Goff, « Grandeur et décadence du consentement en droit pénal », Les cahiers de la justice, 2021, vol. 4, n° 4, p. 573 et s., spéc. p. 575 : « Le consentement de la victime est, de principe, encore aujourd’hui, inopérant à titre de fait justificatif général d’une infraction pénale. Autrement dit, quand bien même une victime consent à la commission de l’infraction, son consentement ne peut rendre systématiquement irresponsable pénalement l’auteur de cette infraction pourtant consentie ».↩︎

  29. Rappr. CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 62 : « La Cour observe que la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne. La mesure dans laquelle un État peut recourir à la contrainte ou au droit pénal pour prémunir des personnes contre les conséquences du style de vie choisi par elle est depuis longtemps débattue, tant en morale qu’en jurisprudence, et le fait que l’ingérence est souvent perçue comme une intrusion dans la sphère privée et personnelle ne fait qu’ajouter à la vigueur du débat. Toutefois, même lorsque le comportement en cause représente un risque pour la santé ou lorsque l’on peut raisonnablement estimer qu’il revêt une nature potentiellement mortelle, la jurisprudence des organes de la Convention considère l’imposition par l’État de mesures contraignantes ou à caractère pénal comme attentatoire à la vie privée, au sens de l’article 8 § 1, et comme nécessitant une justification conforme au second paragraphe dudit article ».↩︎

  30. V. François-Xavier Roux-Demare, « La difficile détermination des comportements sexuels infractionnels à l’encontre des mineurs. Réflexions sur la notion de consentement sexuel des mineurs », in Caroline Duparc et Jimmy Charruau dir., Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, op. cit., p. 133 et s., p. 139 : « Le consentement sexuel est la pierre angulaire du droit du sexe ».↩︎

  31. Ce qu’illustre au premier chef la fracture qui traverse actuellement les mouvements féministes autour de l’introduction de l’absence de consentement à l’acte sexuel comme élément constitutif du crime de viol. Pour l’expression synthétique de deux analyses opposées d’autrices féministes aux positions par ailleurs proches v. Catharine MacKinnon, « Le consentement est le principal prétexte, légal et social, de ne rien faire contre les agressions sexuelles », Propos recueillis par Julien Laroche-Joubert, Le Monde, 21 novembre 2023 ; Catherine Le Magueresse, « Si l’on veut mieux définir le viol, il faut changer de paradigme », Propos recueillis par Manon Duboc, Le Monde, 11 octobre 2024.↩︎

  32. C. civ., art. 903.↩︎

  33. C. civ., art. 909.↩︎

  34. Pour une mobilisation de la notion de capacité en matière de droit pénal des infractions sexuelles, et une lecture de la loi du 21 avril 2021 en termes d’« absence de capacité à la sexualité de la victime mineure de quinze ans avec un adulte », v. Charlotte Dubois, « Une inspiration civiliste pour le droit pénal des infractions sexuelles ? », Recueil Dalloz, 2025, p. 15.↩︎

  35. Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.↩︎

  36. Caroline Hardouin-Le Goff, « Grandeur et décadence du consentement en droit pénal », préc., p. 581. Adde Claire Saas, « Mineurs, sexualité et consentement en droit pénal », Les cahiers de la justice, 2021, vol. 4, n° 4, p. 601 et s., spéc. p. 605 : « Les qualifications spéciales de viol et agressions sexuelles sur mineurs, telles qu’elles résultent de la loi du 21 avril 2021 et incluant la surqualification d’incestueuses, supposent que le consentement du mineur est inopérant et que le majeur ne pourra pas valablement exciper d’un éventuel consentement du plaignant au titre d’un moyen de défense ».↩︎

  37. Marie Romero, « Violences sexuelles sur mineurs et consentement : une enquête sociologique au sein de quatre tribunaux français correctionnels pour enfants (2010) », in Manon Garcia, Julie Mazaleiguie-Labaste et Alicia-Dorthy Morinington, dir., Envers et revers du consentement. La sexualité, la famille et le corps, entre consnetement, contraintes et autonomie, Mare & Martin, 2023, p. 95 et s., spéc. p. 105-106 : « L’hypothèse sociologique soutenue ici, fondée sur la distinction proposée par Irène Théry, est qu’une recomposition fondamentale autour du consentement de la personne est aujourd’hui à l’œuvre, au sein de laquelle émergent deux conceptions du consentement : d’une part, la réaction de la personne dans un contexte situationnel particulier ; d’autre part, une capacité générale [nous soulignons] à accepter ou refuser, selon son degré d’autonomie. Ainsi, à côté du consentement ou non-consentement situationnel, lié aux conditions de l’infraction sexuelle (violence, contrainte menace ou surprise), se dessine un consentement ou non-consentement statutaire lié à l’âge du mineur ».↩︎

  38. C. pén., art. 611-1.↩︎

  39. Daniel Borillo, Disposer de son corps : un droit encore à conquérir, Textuel, 2019, p. 106 et p. 109.↩︎

  40. Mais qui est aussi mobilisée par Raphaëlle Théry à propos de l’inceste : « De même que la relation entre patient et médecin exclut que le premier consente des libéralités au bénéfice du second, de même la relation entre certains membres d’une famille exclut qu’ils entretiennent des relations sexuelles. Pour détailler l’analogie, dans les deux cas la prohibition n’est pas indexée à l’absence de consentement des intéressés, et il existe un déséquilibre ou différentiel de pouvoir entre eux, différentiel lié à la nature de la relation qui les unit (sans qu’on puisse pour autant réduire la relation à ce différentiel de pouvoir) » (Raphaëlle Théry, « L’inceste, centaure du droit pénal », préc., p. 49).↩︎

  41. Cons. const., 12 mars 2021, n° 2020-888 QPC.↩︎

  42. Ibid., § 2.↩︎

  43. Comp., à propos de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, jugée à la fois conforme à la Constitution et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Cons. const., 1er février 2019, n° 2018-761 QPC, not. cons. 12 : « Si le législateur a réprimé tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, il a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite et que ces infractions sont rendues possibles par l'existence d'une demande de relations sexuelles tarifées. En prohibant cette demande par l'incrimination contestée, le législateur a retenu un moyen qui n'est pas manifestement inapproprié à l'objectif de politique publique poursuivi » ; CEDH, 25 juillet 2024, M. A. et a. c. France, n° 63664/19 et 4 autres.↩︎

  44. Pour une analyse juridique qui voit dans la prostitution le genre et la pornographie une espèce, v. Arnaud Casado, « Pornographie : l’enfer de l’idéologie », Recueil Dalloz 2022, p. 1897 : « Le contrat d'acteur pornographique n’est qu’un contrat de prostitution auquel se superpose un contrat de cession de droit à l’image. Autrement dit, la pornographie est une fraction particulière de l’activité prostitutionnelle ».↩︎

  45. Catharine A. MacKinnon, « Ce n’est pas un problème de morale », in Le féminisme irréductible, préc., p. 201 et s, spéc. p. 205.↩︎

  46. Rappr. la conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt M. A. et a. c. France, préc. : « Il revient aux autorités nationales de garder sous un examen constant l’approche qu’elles ont adoptée, en particulier quand celle‑ci est basée sur une interdiction générale et absolue de l’achat d’actes sexuels, de manière à pouvoir la nuancer en fonction de l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales dans ce domaine ainsi que des conséquences produites, dans une situation donnée, par l’application de cette législation ».↩︎

  47. Comp. la question posée par Emmanuel Dreyer, « Sexe et relations structurellement inégalitaires », Gazette du Palais, 5 novembre 2024, n° 36, p. 44 et s., p. 45-46 : « Ne pourrait-on, demain, considérer également que la question du consentement est inopérante lorsque la relation entre les protagonistes est structurellement inégalitaire, compte tenu des rapports de pouvoir, de confiance ou de dépendance existant entre eux ? N’est-il pas temps d’énoncer de nouveaux tabous, d’admettre qu’il ne peut y avoir de relations sexuelles au travail (entre une salariée et son supérieur), en cabinet médical ou à l’hôpital (entre une patiente et un professionnel de santé), dans un contexte d’emprise conjugale (alors que le désir de la femme a disparu) ou d’exploitation économique (parce que la personne qui se prostitue accepte l’argent, mais pas l’acte qui en est la contrepartie), c’est-à-dire chaque fois que l’apparente acceptation tient en réalité à l’absence de toute possibilité de refus ? ».↩︎

  48. V. Trésor de la langue française informatisé, V° « Paternalisme », sens 2 : « Attitude d’une personne au pouvoir, d’une collectivité ou d’un pays qui, sous couvert de protection désintéressée, cherche à imposer une tutelle, une domination [nous soulignons] ». Rappr. Alexandre Jaunait, « Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient », Raisons politiques 2003, vol. 3, n° 11, p. 59 et s., p. 61 [références omises] : « D’après Gerald Dworkin, le paternalisme consiste dans “une intervention sur la liberté d’action d’une personne, se justifiant par des raisons exclusivement relatives au bien-être, au bien, au bonheur, aux besoins, aux intérêts ou aux valeurs de cette personne contrainte”. Cette définition peut cependant s’étendre à des interventions qui ne consistent pas nécessairement en une action restrictive de liberté, mais qui aboutissent plutôt à l’exercice d’une influence ou d’une orientation sur les comportements – ce qui ne constitue pas rigoureusement une “contrainte”. Malgré les différentes acceptions de la définition, on peut considérer que le paternalisme porte davantage atteinte au principe d’autonomie de la personne – définie comme une capacité individuelle à faire ses propres choix et à réaliser ses propres objectifs – qu’au principe de liberté – compris comme non-ingérence. Le paternalisme suppose ainsi qu’il y a des valeurs ou des intérêts supérieurs au prix qu’on peut attacher à l’autonomie d’une personne » : paternalisme et émancipation sont donc en toute hypothèse orthogonaux.↩︎

  49. Art. 5 de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.↩︎

  50. V. Marc Pichard, « Une loi sous influence ? Dispositifs de lutte contre les violences sexuelles et/ou sexistes et théorie(s) féministe(s) », in Caroline Duparc et Jimmy Charruau dir., Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, op. cit., p. 83 et s., p. 98 et s.↩︎

  51. L’atteinte à la dignité est, du reste, constitutive de la définition du harcèlement sexuel à l’art. 222-33 du Code pénal tel qu’issu de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 ou de celle de l’agissement sexiste à l’art. L. 1142-2-1 du Code du travail, tel qu’issu de la loi du 17 août 2015, ce qui manifeste l’influence du droit de l’Union en la matière. V. art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : « La discrimination inclut […] tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité […]. »↩︎

  52. Jimmy Charruau, « Des violences sexuelles aux violences sexistes ? Essai d’analyse d’un mouvement normatif », préc., p. 66.↩︎

  53. Sur les différentes approches de la dignité en droit, v. Charlotte Girard et Stéphanie Hennette-Vauchez, La dignité de la personne humaine, Recherche sur un processus de juridicisation, PUF, coll. Droit et justice, 2005, spéc. p. 24 et s.↩︎

  54. Ibid., p. 25-26.↩︎

  55. Ibid., p. 26.↩︎

  56. Sur la difficulté spécifique de cerner l’atteinte à la dignité, élément constitutif de l’infraction de harcèlement sexuel, au regard de l’équivocité du concept, v. not. Emmanuel Dreyer, Droit pénal spécial, 2e éd., LGDJ, coll. Manuels, 2023, n° 650, p. 372, qui souligne notamment que « le législateur n’a pas fait référence à une dignité humaine universelle mais à la dignité “actuée” de la victime en utilisant l’adjectif possessif “sa”. Cela signifie-t-il que le caractère inacceptable des propos ou comportements en cause doit être apprécié par le juge au regard de la conception que victime se fait de sa propre dignité ? On peut en douter en relevant que de tels agissements doivent présenter in caractère “dégradant ou humiliant”, ce qui commande une appréciation objective. Néanmoins un doute subsiste […] ».↩︎

  57. Ce qui rappelle évidemment la situation de la personne lancée dans l’arrêt CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge, n° 136727).↩︎

  58. François Terré et Dominique Fenouillet, Les personnes, Personnalité – Incapacité – Protection, 8e éd., Dalloz, coll. Précis, 2012, n° 313, p. 293.↩︎

  59. L’ajout est issu de l’art. 7 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le texte s’inscrit dans le sillage de la loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.↩︎

  60. Muriel Rebourg, « A la recherche de la personne vulnérable en droit privé français », in Augustin Boujeka et Marjolaine Roccati dir., La vulnérabilité en droit international, européen et comparé, PU Nanterre, 2022, p. 25 et s., p. 29, à propos des références explicites à la vulnérabilité en droit pénal français.↩︎

  61. Xavier Pin, « La vulnérabilité en matière pénale », in Frédérique Cohet-Cordey dir., Vulnérabilité et droit. Le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, PU Grenoble, 2000, p. 119 et s., p. 125.↩︎

  62. Thierry Revet, Rapport de synthèse, in Travaux de l’association Henri Capitant, La vulnérabilité, t. LXVIII, 2018, Bruylant, 2020, p. 9 et s., n° 9 et s., p. 14 et s.↩︎

  63. Rappr. Elsa Johnstone, « Juger les infractions sexuelles, équation impossible ou indéterminée ? », Délibérée, 2018, n° 4, p. 36 et s., spéc. p. 42 : « Si le consentement n’est qu’une illusion – en ce qu’il n’intègre pas les inégalités qui structurent les rapports sociaux –, alors comment “juger les infractions sexuelles” ? Peut-être qu’en formulant ainsi la problématique des violences sexuelles, la réponse sociale ne se porterait plus inéluctablement sur le champ pénal (et donc celui de la punition) mais devrait faire l’effort d’une remise en question plus profonde (des modes de socialisation, des logiques institutionnelles). Qui peut croire sincèrement que la création d’une contravention pour outrage sexiste – telle que le législateur l’envisage – fera reculer la domination masculine ? Les vraies réponses semblent se situer davantage sur les chemins de la “démocratie sexuelle”, car juger les infractions sexuelles ne pourra suffire à offrir au monde des individus non seulement autonomes mais aussi émancipés, et en phase avec leurs désirs ».↩︎

  64. V. supra, II.↩︎